Entre convention alpine, directive territoriale d'aménagement des Alpes du nord et initiatives locales, quelles perspectives pour les politiques foncières volontaristes dans les Alpes ?( Télécharger le fichier original )par Nathalie MOYON Université Joseph Fourier (Grenoble1), Institut de Géographie Alpine - Master 2 Recherche Villes, Territoires et Durabilité 2009 |
Master Sciences du Territoire Master 2 Recherche « Villes, Territoires et Durabilité » Dirigé par Olivier SOUBEYRAN Mémoire soutenu par Nathalie MOYON Le 16 septembre 2010 Sous la direction de Sylvie DUVILLARD Entre Convention Alpine, Directive Territoriale d'Aménagement des Alpes du Nord et initiatives locales, quelles perspectives pour les politiques foncières volontaristes dans les Alpes ? Membre du jury : Sylvie DUVILLARD, Maître de Conférence à l'Université Joseph Fourier, Grenoble 1 et à l'Université Pierre Mendes France, Grenoble 2 Paulette DUARTE, Maître de Conférence à l'Université Pierre Mendes France, Grenoble 2 Alexandre MIGNOTTE, Directeur de CIPRA France, tuteur de stage MOYON Nathalie Master 2 recherche Sciences du territoire « Villes, territoires et durabilité » Novembre 2010 INSTITUT DE GEOGRAPHIE ALPINE Contrat de diffusion des mémoires Entre L'auteur du mémoire, Melle MOYON Nathalie Adresse : Grenoble Intitulé du mémoire : Entre Convention Alpine, Directive Territoriale d'Aménagement des Alpes du Nord et initiatives locales, quelles perspectives pour les politiques foncières volontaristes dans les Alpes ? Et L'université Joseph Fourier pour le compte de l'Institut de Géographie Alpine ; ci-après « l'Université ». Article 1 Dans le respect des droits de propriété intellectuelle, relativement à la protection des données à caractère personnel, et soucieuse de donner davantage de reconnaissance aux mémoires réalisés par les étudiants de l'IGA, l'Université entend favoriser leur diffusion sur support papier et support électronique. Article 2 Le présent contrat n'a pas de caractère exclusif. L'auteur se réserve le droit d'une diffusion concomitante de son mémoire aux conditions de son choix. Article 3 L'auteur autorise l'Université à diffuser ses travaux dans les conditions suivantes :
Article 4 La signature du présent contrat n'oblige en aucun cas l'Université à diffuser le mémoire en ligne. Sa diffusion reste soumise à l'accord du jury. Article 5 L'auteur certifie que l'exemplaire du mémoire remis à l'Université est conforme à la version officielle de son travail remise à ses enseignants. Article 6 L'auteur est responsable du contenu de son oeuvre. Il certifie avoir obtenu toutes les autorisations écrites nécessaires à la constitution de son mémoire. L'Université ne peut être tenue responsable de toute représentation illégale de documents et de tout délit de contrefaçon (plagiat). L'Université se réserve le droit de suspendre la consultation d'une oeuvre après avoir pris connaissance du caractère illicite de son contenu. ATTENTION: En cas de non dépôt du mémoire en bibliothèque, le diplôme ne pourra pas être délivré. Fait à GRENOBLE, le 1ier novembre 2010
La direction L'auteur NOTICE ANALYTIQUE
FILIERE Master 2 Sciences du territoire ANNEE UNIVERSITAIRE : 2009-2010 ? IUP ? MASTER
Remerciements Tout d'abord, je tiens à remercier Alexandre Mignotte, directeur de la CIPRA France, qui m'a fait confiance et m'a permis de travailler en parfaite autonomie durant ces six mois de stage. Je remercie aussi la petite équipe de la CIPRA qui m'a accueilli chaleureusement parmi eux. Je remercie bien évidemment ma tutrice de mémoire, Sylvie Duvillard, qui a su se montrer présente pour me faire avancer dans cette démarche de recherche appliquée. Ses conseils avisés et sincères ont permis d'aller jusqu'au bout de ce mémoire. Je tiens également à remercier l'ensemble des acteurs rencontrés ou sollicités pour la réalisation de ce travail. Merci pour le temps qu'ils m'ont accordé. Enfin, je remercie tout particulièrement mes proches, surtout celui qui partage mon quotidien, qui m'ont soutenu y compris durant l'été où il était difficile de se mettre au travail. Sommaire Partie I. Appréhender la question foncière 9 Chapitre 1. Démarche générale du mémoire ou comment construire les bases d'une énième étude sur le foncier 11 1. Une recherche appliquée aux questions foncières dans les Alpes du Nord 12 2. « L'effort méthodologique » 14 3. Production et construction des données 19 5. Liens avec d'autres travaux de recherche 22 Chapitre 2. Les miscellanées du foncier 27 1. Le foncier, de quoi s'agit-il ? 28 2. Qui se préoccupe du foncier ? 36 3. Comment agir sur le foncier ? 40 Partie II. A la conquête du foncier alpin 53 Chapitre 1 La Convention Alpine et la DTA des Alpes du Nord, deux cadres normatifs face au foncier alpin 55 1. Quels discours sur le foncier alpin ? 56 2. La DTA des Alpes du Nord ou le parcours du combattant 67 3. L'acceptabilité de ces cadres normatifs alpins 72 Chapitre 2. Trois territoires alpins en quête de maîtrise foncière 79 1. Une ingénierie au service d'une politique foncière à Chamonix 80 2. La « participation-formation » dans le massif du Vercors 87 3. L'ambition d'agir sur la gestion de l'espace dans Belledonne 95 4. Vers la maîtrise foncière 107 Partie III. De la théorie à la pratique 115 Chapitre 1. Articuler la théorie des cadres normatifs à la pratique des initiatives locales alpines 117 1. Grille d'analyse (C) « Cadres normatifs et initiatives locales face au foncier alpin » : concordance ou décalage ? 118 2. Quel(s) rapport(s) à la norme et au droit en aménagement ? 121 3. La figure de l'acteur-bricoleur 126 Chapitre 2. De la spécificité alpine en matière de politique foncière 129 1. Des particularismes reconnus aux spécificités proclamées 130 3. Montagne et littoral même combat foncier ? 139 Chapitre 3. Vers une gestion foncière durable des territoires alpins 143 2. Pour des politiques foncières... 147 3. Elargir le champ de la réflexion 151 J'ai longtemps cru que le problème foncier était de nature juridique, technique, économique et qu'une bonne dose d'ingéniosité suffirait à le résoudre. J'ai lentement découvert qu'il était le problème politique le plus significatif qui soit, parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements ». Edgard Pisani, Utopie foncière, 1977 Déjà en 1977, Edgard Pisani, homme politique français mettait le doigt sur toute la complexité du problème foncier, un problème politique incontournable. D'ailleurs, son ouvrage Utopie foncière1(*) est une lecture étonnamment pertinente plus de trente ans après son écriture2(*). Aujourd'hui, l'espace -le manque et le besoin- est devenu un enjeu majeur dans les territoires urbains, périurbains et ruraux. Comme en témoigne la forte hausse des prix du foncier et de l'immobilier, la question de la pression foncière revêt « depuis le début des années 2000, une acuité grandissante, une préoccupation qui frappe l'ensemble des régions françaises et particulièrement la région Rhône-Alpes »3(*). Le foncier n'est donc plus un simple zonage à l'intérêt géographique limité tel qu'il était abordé par le Plan d'occupation des sols, car l'espace se trouve au coeur d'un système de production de richesses et de contrôle de rentes et plus-values. Ainsi, si la question foncière est intéressante pour le géographe, c'est parce qu'elle traduit publiquement et concrètement -par la matérialité du sol- une mise en débat du territoire. Le territoire est défini ici comme l'articulation entre identité, appartenance et appropriation, c'est en cela un objet géographique à part entière. Par ailleurs, le champ du foncier est vaste puisque la terre est le seul élément matériel dont aucun homme ne peut s'affranchir à moins de vivre en apesanteur, et lorsque l'on redescend sur terre, gare à l'endroit où l'on pose le pied ! Toute partie à un propriétaire ou des règles d'usage à ne pas méconnaître (S. Duvillard). Désormais, le « foncier » est devenu un mot presque « tendance ». La remobilisation publique et politique autour du foncier vient bousculer une de ses caractéristiques : autrefois réservée aux initiés et à l'intimité, abordée intégralement que dans les cabinets des notaires, la question foncière s'est véritablement transformée en « problème foncier » discuté sur la place publique4(*). La formulation du problème foncier n'est donc pas nouvelle comme le montre E. Pisani, mais elle est restée d'actualité. Le glissement sémantique de la « question » au « problème » s'est accompagné d'une croissance des injonctions de « maîtrise foncière », de « politique foncière » ou encore de « stratégie de régulation foncière »5(*) qui traduisent des attentes fortes envers les pouvoirs publics en matière de foncier. La maîtrise foncière positionne donc les décideurs politiques locaux, avec les maires en première ligne, comme les acteurs incontournables du foncier, aussi important sinon plus que les propriétaires fonciers eux-mêmes (d'autant plus que les maires ou la collectivité sont potentiellement des propriétaires fonciers). De leur point de vue, le foncier relève du domaine de politiques publiques mais aussi, sinon plus, du domaine des stratégies locales. La connaissance particulière du maire concernant son territoire et ses administrés (dont les propriétaires) lui permet d'apprécier les marges de manoeuvre d'une négociation foncière. Bien souvent, la négociation est une stratégie foncière préférée par les maires au service de politiques d'aménagement individualistes (E. Pisani 1977, S. Duvillard 2001). Des acteurs émergeants se positionnent également sur cette thématique du foncier: la société civile et les associations, par exemple Terre de Liens, ou des ONG telles que CIPRA France développent une réflexion ou des actions concrètes. Ces démarches qui restent encore assez marginales souhaitent faire valoir l'intérêt général d'un bien commun, le foncier en tant que ressource rare, indispensable et non renouvelable. Le système d'acteurs mobilisés autour du foncier est d'autant plus complexe qu'il concerne des acteurs variés : élus, techniciens, organismes parapublics, habitants, propriétaires, agriculteurs, notaires, géomètres, agents immobiliers, services fiscaux, promoteurs... De plus, la succession des textes relatifs aux politiques foncières semble montrer que la question foncière marque aussi son retour au sein des politiques publiques de l'Etat. De la LOADDT de 1999 (Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire) qui comprend un volet foncier pour les contrats d'agglomération, aux lois Grenelle I et II, en passant par la Loi SRU de 2000 (Loi solidarité et renouvellement urbains) qui a modifié la mise en oeuvre des programme locaux de l'habitat (PLH) avec entre autre une exigence de solidarité financière pour le logement social, toutes les dernières « grandes lois d'aménagement » ont participé à construire un discours sur le foncier6(*). Par exemple avec la Loi SRU, le mécanisme mis en place consiste dans le prélèvement sur ressource de la commune « déficitaire » en logements sociaux (les 20% de logements sociaux). On peut d'ailleurs remarquer que la Loi SRU répond à une demande de la société civile en faveur de l'affichage d'une règle stable et égale pour tous. En ce sens, elle s'oppose aux pratiques de négociations informelles des collectivités et plaide dès 2000 pour un retour de la maîtrise foncière par acquisitions publiques. Si le foncier occupe une place de choix dans l'actualité territoriale, dans les discours et finalement peu dans les pratiques, le développement durable n'a rien à lui envier, bien au contraire. En effet, l'importance croissante prise par les questions environnementales et le développement durable au sein des sciences humaines et sociales traduisent les évolutions sociales et sociétales, sans épargner le champ du foncier. La prise en compte de ces questionnements se traduit d'ailleurs par de nouveaux référentiels pour appréhender le foncier : ceux-ci tentent d'y intégrer une plus grande « durabilité du territoire ». On observe ainsi la consommation de terres naturelles ou agricoles qui « partent » à l'urbanisation chaque année : en moyenne, un département français tous les 10 ans7(*). Des chiffres démonstratifs qui appuient un maitre mot unanime : « économisons le foncier ! ». Rationnaliser la consommation de foncier met en exergue la pression exercée sur les terres agricoles qui s'avèrent être finalement plus « sensibles » car moins protégées en tant que tel, et donc plus volatiles que le foncier naturel. Ce qui s'expliquerait peut-être par une « protection » des espaces agricoles plus récente que celle des espaces naturels qui disposent quant à eux d'un grand nombre d'outils et de moyens financiers : par exemple, la labellisation « réserve naturelle » bénéficie d'aides financières alors que le dispositif « PAEN »8(*) n'est dispose pas. Selon ces deux perspectives distinctes, de pression foncière accrue et de développement durable, l'espace alpin fait l'objet de nombreuses attentions. La réalisation d'un stage au sein de CIPRA France9(*) s'ancre dans cette réalité puisque l'ONG s'engage à construire, à l'échelle de l'arc alpin, une connaissance territoriale alpine spécifique, et à promouvoir les bonnes pratiques en matière de développement territorial alpin. CIPRA France identifie ainsi une pression foncière dans les territoires alpins français selon trois modalités que le travail de recherche a permis d'affiner : ü la surface disponible en vallée est plus limitée qu'ailleurs, ü la périurbanisation autour des pôles urbains alpins s'étale désormais dans les vallées avoisinantes et les piémonts (par exemple dans le Sillon alpin et les massifs préalpins), ü l'accès au foncier des populations (surtout locales) au sein des stations et bassins touristiques alpins caractérise une situation très critique. Dans ce contexte délicat, l'espace est un bien de plus en plus convoité et les paysages, qui sont une richesse de l'espace alpin, sont menacés. A terme, la pression foncière met en danger la dynamique des activités économiques majeures que sont l'agriculture et le tourisme. La pression foncière alpine menace aussi l'habitat permanent des populations locales et les activités industrielles par l'effet dissuasif que représente une hausse des coûts d'accès au foncier. Il semble qu'une demande sociale croissante, notamment de la part des collectivités alpines, pousse à traiter cet enjeu territorial majeur sans plus attendre. Pour Sylvie Duvillard, « tout se passe comme si les problèmes d'aujourd'hui et les incertitudes de demain se dissolvent dans la question foncière. Celle-ci est liée à la prise de conscience qu'un certain nombre de problèmes en montagne revêtent une dimension foncière incontournable, à l'instar de ceux rencontrés dans les villes »10(*). L'une des dimensions de la question foncière abordée par ce travail s'interroge donc sur l'existence d'une spécificité alpine en matière foncière. En d'autres termes, les caractéristiques spécifiques des territoires alpins influencent-elles la mise en oeuvre de politiques de maîtrise foncière ? Certes, l'approche est assez triviale en géographie mais elle semble ici nécessaire puisque, s'il y a spécificité alpine en matière de politique foncière, les procédures et les outils règlementaires sont peut-être à repenser ou leur utilisation à adapter. Au moment même de la réalisation de ce travail, le dernier numéro de la Revue de Géographie Alpine intitulé La gestion foncière au coeur du devenir des territoires alpins, amorce une réflexion de plusieurs chercheurs-géographes autour de la problématique foncière alpine. Sous la houlette de S. Duvillard, la question suivante interpelle les chercheurs : entre arbitrages politiques et marchés, est-il possible d'identifier des modes de gestion foncière spécifiques dans les territoires de montagne ? L'objectif ici est « de mettre en lumière les expériences engagées par les collectivités alpines pour agir à différentes échelles sur les enjeux de développement saisis à travers la problématique foncière »11(*). A l'instar de cette réflexion coordonnée par la tutrice de ce mémoire, mais également en lien avec les autres initiatives qui se constituent aujourd'hui (au Suaci, au Cemagref de Grenoble), cette recherche initie un projet sur le foncier porté par CIPRA France. Souhaitant pleinement s'inscrire dans une dynamique émergente, l'un de ses objectifs est de travailler à la définition -par l'illustration- de ce que peuvent être les perspectives de politiques foncières volontaristes dans les Alpes. Ce mémoire s'intéresse à la capacité d'une collectivité à décider des formes d'occupation de son territoire suivant son projet et les objectifs qu'elle s'est fixée. Pour autant, les perspectives de politiques foncières volontaristes qui peuvent en découler tâcheront d'éviter l'écueil de la « mode du durable »12(*) : lorsqu'en amont, une politique volontariste s'oriente en faveur d'un développement durable de son territoire, alors seulement le rapprochement entre des actions concrètes et un discours peut être effectif. De plus, l'élaboration de la notion de développement durable a permis d'inverser le cheminement classique de construction d'une utopie, initialement « de l'audible au faisable » : le développement durable démontre une démarche d'utopie « du faisable à l'audible », il devient ainsi une trajectoire vers laquelle il faut tendre (O. Soubeyran 2010). En d'autres termes, si une collectivité assure par exemple la pérennité d'une exploitation agricole en fond de vallée qui subissait jusqu'alors une très forte pression foncière (par le rachat des terres par la commune par exemple), c'est par cette action concrète (le « faisable ») que la commune s'inscrit dans une politique de développement durable et qu'elle peut produire un discours sur sa démarche de gestion raisonnée du foncier (« l'audible »). La primauté de l'action concrète est la condition sine qua non à la production d'un discours de développement durable, y compris dans le champ du foncier. Ainsi, les premiers questionnements qui se posent à cette recherche sont de deux ordres : ü Comment mesurer cette pression foncière dont tout le monde parle, évaluer son ampleur exacte et sa nature ? ü Quels sont les outils de maîtrise foncière mobilisables par les collectivités ? Sont-ils utilisés et suffisent-ils face à l'ampleur du phénomène actuel? En effet, malgré les outils au service d'une politique foncière (outils de planification, d'acquisition foncière, d'aménagement opérationnel ou encore les outils fiscaux et financiers), la maîtrise foncière -que tout le monde appelle pourtant de ses voeux- demeure une action difficile à mener pour les acteurs locaux. On peut donc se demander à juste titre si le législateur et l'aménageur ont réellement inventé les outils d'une maîtrise matérielle et symbolique du territoire (symbolique afin d'embrasser également les changements de mode d'appropriation). Pour S. Duvillard, cette « illusion de la maîtrise » est bien visible dans les territoires ruraux. L'ensemble de ces cadres règlementaires et législatifs, et des procédures et outils qui les accompagnent, constitue le contexte normatif de l'aménagement dans lequel se déroule l'action foncière : il parait donc intéressant de regarder ces cadres normatifs comme un moyen de saisir les discours produits, notamment sur l'objet foncier. Deux cadres normatifs ont alors été retenu afin de saisir leur discours en matière de foncier : la Convention alpine et la Directive Territoriale d'Aménagement (DTA) des Alpes du Nord. Leurs territoires d'application se recoupant, ils ont permis de dessiner les limites du territoire d'étude qui se confondent donc à celle du projet de DTA. Tout d'abord la Convention alpine est un traité de droit international, visant à assurer la protection et le développement durable de la chaîne alpine. Entré en vigueur en 1995 mais signée en 1991 par les ministres en charge de l'environnement dans les pays alpins13(*), ce traité a pour objectif la protection étendue et le développement durable des Alpes. La Convention alpine est concrétisée par des protocoles dits d'application, prévus pour douze domaines. Huit d'entre eux ont déjà été élaborés sur les thématiques telles que l'aménagement du territoire et le développement durable: ce cadre normatif peut-il être un recours supplémentaire pour répondre aux questions de gestion foncière dans l'espace alpin français? De façon similaire, le projet de DTA des Alpes du Nord manifeste une volonté étatique de « préserver le milieu naturel comme une condition indispensable à toutes perspectives de développement à long terme »14(*). Cet instrument de planification territoriale ouvre-t-il de nouvelles perspectives pour les collectivités alpines françaises ? Ce projet de DTA, qui se réfère d'ailleurs à plusieurs reprises à la Convention alpine, pourrait ainsi servir de base à un référentiel permettant d'appréhender les bonnes pratiques en matière foncière sur le territoire des Alpes du Nord. De plus, l'analyse du jeu d'acteurs s'avère nécessaire pour appréhender les dimensions symboliques mobilisées autour du projet de DTA : qui l'a fait et contre qui ? Plus précisément, la question spécifique soulevée à travers cette recherche s'attache à voir comment les acteurs se saisissent des outils pour les adapter à leurs problématiques foncières locales. En somme, il serait inexact de qualifier une politique foncière de « bonne » ou « mauvaise » (J. Comby, 2008). La maîtrise foncière fait plutôt référence à des décisions concernant l'occupation d'un territoire suivant le projet d'une équipe municipale, ses ambitions et les objectifs qu'elle s'est fixée : il y a donc des politiques plus ou moins adaptées aux objectifs. Toutefois, les effets pervers de l'action publique ou de l'action aménagiste sont nombreux. Une mesure adoptée peut produire un effet inverse de l'objectif poursuivi et même d'autres effets imprévus, des « conséquences non intentionnelles de l'action aménagiste »15(*). Alors, sont-ce les outils qui sont inadaptés, insuffisants, difficiles à combiner ou à appliquer, ou la volonté politique de les mettre en oeuvre qui fait défaut ? Selon S. Duvillard, les outils au service des politiques ne manquent pas, les auteurs le soulignent (Clivaz, Herrera, Tranda-Pittion) et surtout les acteurs des espaces alpins, dès lors qu'ils objectivent l'importance de la dimension foncière dans la gestion de leur territoire, cherchent des solutions adaptées à un espace spécifique, celui des Alpes16(*). L'hypothèse privilégiée considère que l'outil n'est pas vraiment intéressant en soi, au profit d'une démarche mise en oeuvre, adaptée aux objectifs définis par chaque territoire. Cette hypothèse propose deux modalités de réponse : soit l'on s'intéresse à une meilleure utilisation des outils existants (les politiques foncières locales), soit l'on débat sur la modification de ces outils pour définir de nouvelles politiques foncières nationales. En matière de foncier, la force de l'outil est possible grâce à la loi : pour le projet de DTA, son opposabilité doit être assurée dans cette perspective. Afin de tester cette hypothèse, le stage à CIPRA France permet une mise en regard du cadre législatif et des acteurs de terrain et leurs pratiques. L'objectif du travail de recherche est donc bien de montrer comment l'on peut utiliser des outils de maîtrise foncière existants pour mettre en oeuvre des démarches innovantes. In fine, il s'agit de voir si ces démarches sont transposables ailleurs. Dès à présent, des premiers éléments de réponse apparaissent. Tout d'abord concernant la démarche générale : celle-ci semble être guidée par l'objectif politique de maîtrise foncière qui devient alors moteur de l'action. Dans ce cas, les outils utilisés s'appuient sur le cadre existant et vont au-delà : c'est sur ce point que l'on peut considérer qu'il y a innovation territoriale en matière de foncier. D'autre part, une autre posture semble placer la démarche innovante au centre de l'action foncière : celle-ci va jusqu'à distordre les outils classiques de gestion foncière. Toutefois, là encore la démarche établie en amont a guidé l'action. L'innovation réside dans l'utilisation même des outils existants. En outre, si l'analyse de cas concrets doit être réalisée, il semble opportun de rentrer dans une démarche de généralisation des réflexions et des outils et la réflexion engagée par les cadres normatifs de l'aménagement que sont la Convention alpine et la DTA des Alpes du Nord va dans ce sens. La méthodologie de recherche s'appuie donc notamment sur la réalisation d'entretiens auprès d'acteurs locaux. Les personnes ressources sont identifiées en fonction des trois terrains d'études retenus dans le cadre du stage. Chamonix constitue le premier terrain d'études : il s'agit d'étudier les pratiques de maîtrise foncière à l'oeuvre avec, a priori, une utilisation novatrice des outils existants qui traduirait peut-être une volonté de gestion foncière plus techniciste. Le second terrain est celui du plateau du Vercors, en particulier du territoire « Quatre Montagnes » : sur cet espace, la prise en compte de la question foncière s'est d'abord accompagnée de la réalisation d'une Charte paysagère. Aujourd'hui, la volonté de mettre en oeuvre une véritable politique foncière encourage à aller au-delà, c'est ce qu'ambitionne la Charte de Développement. Dans le cadre de la Charte du Parc naturel régional du Vercors, des ateliers sur la mise en oeuvre d'une politique foncière ont été mis en place en direction des élus. Cette stratégie de formation des politiques locaux vise à montrer comment il est possible d'utiliser les outils existants pour les mettre au service d'une politique visée. Enfin, le massif de Belledonne est le troisième terrain retenu. Ses balcons qui surplombent la vallée du Grésivaudan subissent les conséquences d'une périurbanisation croissante non maîtrisée, sous la puissante influence du bassin grenoblois. Pourtant, des pratiques foncières volontaristes semblent aussi se structurer dans le massif, et la perspective de la révision du SCOT de la région urbaine grenobloise (dont Belledonne est un secteur) pose clairement la question des limites intangibles à l'urbanisation. Ainsi, la réalisation du stage au sein de CIPRA France offre un contexte qui permet de croiser et d'enrichir mutuellement les deux approches de ce travail de recherche appliquée : d'une part, le recul théorique et critique de la posture de recherche, et d'autre part, l'expérience pratique du terrain par le stage. Ainsi, le présent mémoire met en regard la demande du stage et la posture de recherche et son ambition est explicitée dans le titre choisit : Entre projet de DTA Alpes du Nord, Convention alpine et initiatives locales : quelles pratiques et perspectives de gestion foncière dans les vallées alpines françaises ? L'organisation générale du mémoire s'articule selon trois axes. La première partie s'attachera à poser les bases de l'objet foncier, permettant ainsi d'appréhender avec une plus grande justesse le foncier comme objet d'étude. La seconde partie du mémoire entrera au coeur des investigations menées durant ces six mois : entre analyse du discours foncier produit par les deux cadres normatifs, et pratiques foncières volontaristes dans les Alpes du Nord, il s'agira d'aller à la conquête de l'objet foncier alpin. Enfin, la dernière partie permettra de répondre plus précisément à l'enjeu d'articuler la théorie à la pratique en matière de foncier, sur le territoire des Alpes du Nord. Appréhender la question foncière Le foncier est un thème étudié depuis longtemps et assez légitimement par les juristes s'attachant au droit, les économistes modélisant les prix et les urbanistes se référant au plan. Comme le remarque Aurélien Esposito-Fava « la géographie s'est rarement préoccupée du foncier [...] ce qui apparaît d'autant plus étonnant au regard du paradigme qui la fonde : comprendre les interactions entre l'homme et la terre, les sociétés et leur environnement »17(*). En fait, le foncier devient un objet qui suscite l'intérêt du géographe grâce à la montée en puissance du concept de « territoire »18(*): c'est en quelque sorte par le territoire que la géographie a trouvé sa légitimité scientifique pour aborder le thème du foncier. La propriété foncière matérialise alors une forme d'appropriation de l'espace. Dans cette perspective géographique, la première partie de ce mémoire s'attache à défricher la question foncière sans toutefois prétendre à l'exhaustivité. La métaphore du défrichement se comprend ici au sens propre et au sens figuré. Au sens propre, il s'agit de faire référence à un phénomène particulier à certains espaces montagnards: l'enfrichement des versants dû à la déprise agricole19(*). Cet enjeu pèse sur l'usage du foncier alpin, mais l'urbanisation croissante (des coteaux et balcons) et continue des fonds de vallée constitue une menace encore plus criante. Au sens figuré, défricher le foncier, c'est mobiliser activement cette thématique pour mieux la comprendre, dans la théorie (les chercheurs notamment) et la pratique (les élus et les techniciens). Deux chapitres déclinent cette démarche d'appréhension du foncier alpin. Le chapitre 1 a pour but d'expliciter la démarche générale du mémoire en s'attachant aux modalités de production des données et au cheminement de l'interprétation menée. Le second chapitre souhaite apporter un éclairage sur les « faits marquants » de la question foncière : les acteurs, les échelles, les cadres de l'action foncière et ses outils, telle est l'idée de « miscellanées » du foncier. Chapitre 1. Démarche générale du mémoire* 1 PISANI Edgard, Utopie foncière, 1977, Editions du Linteau, réédition 2010, Paris, 240p. Citation pp.9-10 * 2 Entretien n°16, EPFL 74 * 3 Rapport n°08.10.490 Politique de la ville et du logement - Région Rhône-Alpes * 4 Séminaires, colloques, tables rondes, les évènements autour de la thématique foncière se sont multipliés partout en France, en réponse à une pression foncière de plus en plus ressentie. * 5 Le vocabulaire est défini Partie I., chapitre 2, 1. Le foncier, de quoi s'agit-il ? * 6 Cf. Partie I, chapitre 2, 3. Comment agir sur le foncier ? * 7 La Gazette.fr, Le gouvernement veut lutter contre le gaspillage des terres agricoles, [en ligne], publié le 11/01/10.Disponible sur : http://infos.lagazettedescommunes.com/27581/le-gouvernement-veut-lutter-contre-le-gaspillage-des-terres-agricoles/ (consulté le 22/03/10) * 8 PAEN : périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels. Consulter le site dédié à l'expérimentation du dispositif : http://www.experimentation-paen.fr/index.asp (consulté le 26/10/10) * 9 CIPRA France est la délégation française de CIPRA international. CIPRA est l'acronyme de Commission internationale pour la protection des Alpes. * 10 DUVILARD Sylvie, « Préface », Revue de géographie alpine [En ligne], 98-2 | 2010, mis en ligne le 10/09/10. Disponible sur : http://rga.revues.org/index1181.html (consulté le 27/10/10) * 11 Idem * 12 Par exemple, la Convention Européenne du Paysage (Florence, 2000) qui était liée à la problématique du développement durable a fait naitre le nouveau concept de "paysage durable". Ce type de situation est relativement problématique car pour les chercheurs, ces nouveaux concepts doivent être définis. La chercheure Anne Sgard pose donc la question: "qu'est-ce qu'un paysage durable?". SGARD Anne, Une « éthique du paysage » est-elle souhaitable ?, VertigO, vol.10, n°1, avril 2010, [En ligne], mis en ligne le 07/04/10. Disponible sur : http://vertigo.revues.org/9472 (consulté le 25/07/10) * 13 La Convention alpine a été signée le 7 novembre 1991 à Salzbourg en Autriche par l'Autriche, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Liechtenstein, la Suisse et l'Union Européenne. * 14 Site officiel de la DTA des Alpes du Nord : http://www.dta-alpesdunord.fr/ * 15 SOUBEYRAN Olivier, cours 2010 * 16 DUVILARD Sylvie, « Préface », Revue de géographie alpine, op. cit. * 17 ESPOSITO-FAVA Aurélien, Economisons le foncier agricole ! Conflits d'acteurs et de référentiels dans la gestion territoriale du foncier agricole, Mémoire de Master 2 Sciences du Territoire, Institut de Géographie Alpine, Grenoble 1, 2006, p.6 * 18 Cf. l'article de BESANCENOT François, Le territoire : un espace à identifier, Grain de géo [en ligne], ENS Lyon, 2006. Disponible sur : http://grain-de-geo.ens-lyon.fr/article.php3?id_article=165 (consulté le 20/07/10). L'article permet de « mettre en lumière les principales acceptations de la notion de territoire » de BAILLY à LUSSAULT en passant par BRUNET, DI MEO, LACOSTE et LEVY. Au sein de ce travail de mémoire, le terme « territoire » doit toutefois être entendu avant tout dans sons sens administratif, juridique et politique. * 19 JAUNEAU Jean-Claude, CHEDIN Sylvie, Le Vercors en friche ? et alors ? Revue de géographie alpine, 1990, fascicule 4, p.33, p.41 |
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