Entre convention alpine, directive territoriale d'aménagement des Alpes du nord et initiatives locales, quelles perspectives pour les politiques foncières volontaristes dans les Alpes ?( Télécharger le fichier original )par Nathalie MOYON Université Joseph Fourier (Grenoble1), Institut de Géographie Alpine - Master 2 Recherche Villes, Territoires et Durabilité 2009 |
3. La figure de l'acteur-bricoleurA travers les entretiens réalisés, la démarche de l'action foncière ou territoriale apparait souvent comme le résultat d'un cheminement sinueux, marqué par des expérimentations, des déboires, des négociations ou des ajustements. Les acteurs locaux semblent fonctionner ainsi, par tâtonnement successifs, en se saisissant de quelques outils, parfois en les détournant même de leur fonction première pour construire une démarche permettant d'atteindre l'objectif fixé. Poussée à l'extrême, des alternatives au modèle rationnel de planification proposent des démarches de tâtonnements-réajustements permanents, ou encore l'improvisation comme discipline de l'action298(*). A Chamonix, la démarche de bricolage mise en oeuvre pour les opérations de lotissement traduit à la fois cette démarche de tâtonnement (vers un meilleur montage juridique à chaque opération), ainsi qu'une ingéniosité, peut-être même une ruse, dans la façon d'utiliser les outils existants, de les combiner ou de les distordre. Cette même démarche se retrouve sur le Vercors et sur Belledonne, qui, chacun à leur manière, développe aussi une intelligence dans l'agencement des outils entre eux ou dans l'utilisation renouvelée de ces derniers. A partir de ce constat, la figure de « l'acteur-bricoleur » construite par Louis Allie299(*) apporte l'éclairage théorique suivant. « Tout d'abord, cet acteur-bricoleur n'est pas un type d'acteur au même titre qu'un agriculteur, un élu ou un militant. Il s'agit d'un fondement commun aux acteurs que nous définissions ici afin de mieux saisir et expliquer comment et pourquoi les acteurs de la gestion pensent et agissent comme ils le font ». A partir de l'apport théorique de C.L. Strauss pour qui « il semble ne pas y avoir de plus grand producteur d'espaces que le bricoleur », L. Allie montre « comment et pourquoi l'acteur au coeur des processus d'aménagement, de gestion et de planification agit et pense à la manière d'un bricoleur qui bricole » ; c'est précisément une dimension qu'a révélé la question du foncier sur les trois terrains étudiés. Dans notre perspective de questionner le rapport à la norme et au droit en aménagement, de son point de vue, l'auteur affirme que : « La production spatiale n'est pas une fin en soi ni un moyen d'atteindre un optimum territorial mais simplement la résultante de petits arrangements entre acteurs équipés d'un bagage d'information, d'outils théoriques et pratiques innés ou acquis, plus ou moins volontairement consentants mais qui est toujours la résultante de choix structurellement contraints. Ainsi, l'aménagement, la gestion et la planification au sein d'objectifs de développement et de préservation sont des activités à l'image d'un bricoleur dont la portée des outils est parfois bien en deçà de l'ampleur des projets. Il aimerait volontiers tout assembler d'un seul tour de mains mais des aléas conceptuels, pratiques et techniques l'empêchent d'y parvenir: il n'a pas tout le temps qu'il souhaite pour se familiariser avec les outils (par ex. P.L.U., S.CO.T., P.N.R. et S.R.U.) qui ne sont pas tous faciles d'utilisation, il a un budget limité, il ne peut pas toujours mettre à jour son équipement, les bons matériaux ne sont pas nécessairement à portée de mains, les partenaires sont plus ou moins disponibles; il possède cependant des habiletés exceptionnelles qui lui permettent de tout faire avec presque rien »300(*). La particularité offerte ici par les territoires de montagne est peut-être d'accroître cette nécessité d'allier développement et protection, et par conséquent de bricoler des solutions territoriales particulières dans l'espace et dans le temps. Une nécessité affirmée à plusieurs reprises dans les deux cadres normatifs étudiés, la Convention alpine et la DTA des Alpes du Nord, et dont la difficulté est partagée par les acteurs rencontrés. Ce premier chapitre a souhaité explorer le défi que constitue finalement cette articulation de la théorie des cadres normatifs à la pratique des initiatives locales. L'intérêt d'une réflexion sur les cadres normatifs de l'aménagement est finalement posé en ces termes. Par la « gouvernance », la « démocratie participative », ou encore le « développement durable », l'Etat incite, encourage, préconise. En revanche, avec la profusion de cadres normatifs, de lois, de règles, l'Etat semble en réalité rechercher une nouvelle maîtrise du territoire dans un contexte d'incertitude, notamment économique et climatique. * 298 Se référer aux travaux de SOUBEYRAN Olivier qui posent la question : l'improvisation peut-elle être une théorie de l'action ou de la pensée aménagiste ? Ainsi qu'aux travaux des pragmatistes américains, et ceux de C. Lindblom dans les années 1950 sur l'incrémentalisme, The Science of muddling throught, 1959 * 299 ALLIE Louis, op. cit. p.350, p.339, p.41, p.39 * 300 ALLIE Louis, op. cit. |
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