Entre convention alpine, directive territoriale d'aménagement des Alpes du nord et initiatives locales, quelles perspectives pour les politiques foncières volontaristes dans les Alpes ?( Télécharger le fichier original )par Nathalie MOYON Université Joseph Fourier (Grenoble1), Institut de Géographie Alpine - Master 2 Recherche Villes, Territoires et Durabilité 2009 |
Chapitre 2. Trois territoires alpins en quête de maîtrise foncière1. Une ingénierie au service d'une politique foncière à Chamonix1.1. Présentation généraleLa présentation générale de Chamonix qui suit s'est appuyée essentiellement sur quatre sources174(*). Située à 1000m d'altitude dans la haute-vallée de l'Arve (74), Chamonix est emblématique des territoires touristiques de haute-montagne. Avec ses 10 000 habitants à l'année, Chamonix doit accueillir jusqu'à 100 000 personnes en été et 60 000 en hiver, dans une vallée très étroite (de 500m à 1,5km de largeur) s'étirant sur 17km des Houches jusqu'à Vallorcine. Par ailleurs, le territoire est très contraint par les risques naturels (avalanches et inondations) ce qui restreint d'autant les possibilités de constructions. La Haute-Savoie est un département où la pression foncière est l'une des plus élevée de France, et il reste le plus cher à l'échelle régionale : Chamonix n'échappe pas à cette règle. Aujourd'hui, Chamonix se recompose d'une manière inédite sous l'influence de la métropolisation de grands centres urbains ; elle devient l'épicentre d'une dynamique de redistribution de la population et produit à son tour ses propres espaces périurbains. Désormais, Chamonix la ville-station est une banlieue lointaine de Londres ou de Genève, elle loge ses salariés dans l'ensemble de la vallée de l'Arve à défaut de pouvoir les accueillir sur son propre territoire, et c'est ainsi que la population chamoniarde est devenue déclinante et vieillissante (départ des jeunes ménages qui ne peuvent se loger sur place, et arrivée de résidents secondaires dont beaucoup de retraités). Alors qu'en station, trois fonctions se disputaient traditionnellement l'occupation de l'espace -l'agriculture, le tourisme et l'habitat-, c'est dorénavant pour cette dernière que la compétition se complexifie (quantitativement et qualitativement). En effet, un arbitrage est rendu nécessaire selon les quatre usages de l'habitat -touristique, secondaire, principal ou saisonnier- mais la flambée des prix de l'immobilier et du foncier bénéficie souvent aux résidences secondaires. Ainsi, les phénomènes de ségrégation socio-spatiale qui opèrent finissent par dessiner des « territoires patchworks » ; à l'échelle micro apparaît un ensemble composé de types de résidents aux intérêts souvent divergents voire contradictoires, qui ne permettent bientôt plus de faire consensus et donc de produire du collectif. La prise de conscience du problème par les élus chamoniards remonterait au début des années 1990 (réflexion autour de la Zac de la Frasse dès 1996) et c'est en toute logique que la préoccupation du logement permanent est devenue de plus en plus prégnante dans les politiques locales, parallèlement à l'accroissement du phénomène. De fait, l'éviction d'une partie de la population locale ou autochtone a permis une mobilisation des élus et des habitants autour de cette question de l'habitation principale à Chamonix, et c'est la formulation d'un problème collectif - et non de problèmes particuliers - qui a permis d'enclencher un politique foncière volontariste ciblée sur cet enjeu. En revanche, on peut évoquer brièvement deux limites à la politique foncière chamoniarde. Alors que l'intercommunalité est proclamée partout comme l'échelle la plus pertinente pour aborder l'enjeu foncier, et que l'adhésion à un Etablissement public foncier local (ici l'EPFL 74) est en passe de devenir un outil jugé pertinent et efficace pour le portage foncier (qui reste en quelque sorte le bras armé d'une politique foncière), Chamonix semble plutôt mettre de côté ces deux leviers. Tout d'abord en matière d'intercommunalité, rien ne semble aller de soi en Haute-Savoie, en particulier au sein du Syndicat mixte du Pays Mont-Blanc175(*). Ce syndicat mixte (ex-SIVOM Pays du Mont-Blanc) avec quelques ambitions de gestion coordonnée du territoire avait engagé un ensemble de réflexions (schéma d'aménagement commercial, politique locale de l'habitat, schéma de transport, SCOT) mais à ce jour, aucune des démarches n'a abouti. Trois explications permettent de comprendre les obstacles à cette coopération intercommunale renforcée dont les politiques devaient s'incarner in fine dans un SCOT: ü un territoire « globalement riche » qui n'a pas besoin d'une intercommunalité pour « bien fonctionner », ü un territoire dans lequel il est difficile de créer des solidarités entre plaine et stations, de faire comprendre que les handicaps et les intérêts sont partagés sur de nombreux sujets, ü entre stations elles-mêmes, la situation de concurrence demeure. Ce constat a encouragé Chamonix et ses trois communes voisines, déjà regroupé en SIVOM, à aller plus loin dans la coopération intercommunale sur un territoire où « la communauté d'intérêt était plus forte »176(*) : c'est le choix d'une intercommunalité de proximité qui a donc été fait, s'affranchissant pour un temps des difficultés -qui semblent aujourd'hui encore insurmontables- de faire naître une réflexion stratégique et partagée à l'échelle adéquate d'un territoire élargi (celle correspondant au bassin de vie). Un choix en outre revendiqué puisque, « pour agir efficacement, il faut agir sur un périmètre à dimension humaine avec les meilleurs outils. Ainsi, les communes transfèrent leurs compétences en matière de logement aidé, d'aménagement de l'espace, de protection et de mise en valeur de l'environnement, d'équipements culturels, sportifs et éducatifs, d'aide sociale et d'assainissement. [...] Concrètement, la Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix Mont-Blanc mettra en oeuvre la politique foncière en faveur du logement aidé et du logement saisonnier »177(*). Au rang des compétences déléguées à la communauté de communes, on retrouve toutefois les grands enjeux territoriaux de cette vallée de Chamonix : l'aménagement de l'espace, l'élaboration et la révision d'un SCOT, l'élaboration et la révision des schémas de secteurs, la mise en oeuvre d'une démarche d'harmonisation des PLU et d'une zone d'aménagement à vocation communautaire, la mise en oeuvre d'une politique transfrontalière et de transports urbains, un schéma territorial de mobilité, l'élaboration d'un plan local d'habitat intercommunal, et la mise en cohérence d'une politique foncière en faveur de logements sociaux locatifs conventionnés. En outre, c'est précisément sur ce dernier point qu'une attention particulière des élus a été portée puisque c'est une problématique forte partagée par les quatre communes. Enfin, l'adhésion à l'établissement public foncier de Haute-Savoie ne semble pas répondre à un besoin de la commune de Chamonix. Comme l'explique le directeur de l'EPFL 74, Philippe Vansteenkiste178(*), on peut distinguer quatre freins potentiels à l'adhésion d'une commune à l'EPFL179(*) : ü la mise en place d'une fiscalité spécifique, ü l'intérêt de l'outil lui-même, qui peut être perçu comme trop interventionniste, ü l'attente d'une situation particulière qui rendra nécessaire l'adhésion de la commune à l'EPFL pour cette opération précise, ü la problématique majeure de l'EPFL, inscrite dans la charte de création, qui est la mixité sociale180(*). En somme, comme pour l'intercommunalité en Haute-Savoie, « plus une commune est riche, moins elle a d'intérêt à adhérer à l'EPFL [...], cela se voit notamment dans les dents creuses du périmètre de celui-ci »181(*). A Chamonix, même si les façons de faire ne semblent pas être tournées vers la coopération ni vers les dynamiques de réseau182(*), elles n'en sont pas moins intéressantes, bien au contraire. Ainsi, les opérations engagées par la commune et réalisées par ses services semblent innovantes, quasi inédites voires exemplaires. * 174 Cette présentation s'est appuyée sur deux documents et deux entretiens réalisés à Chamonix : DUVILLARD S., SGARD A., ZIOTTI C., Les territoires touristiques de montagne bousculés par la pression foncière : le poids des politiques publiques dans les trajectoires territoriales, 6è Rencontres de Mâcon "Tourismes et territoires", pré-actes, 13-14-15 septembre 2007, 8p. MARCELPOIL E. (coord.), Nouvelles pratiques touristiques en zone de montagne : vers un renouvellement des pratiques de gestion foncière ? Réponse à l'appel d'offre "Hausse du foncier et de l'immobilier, quels enjeux autour du tourisme ? ", Cemagref Grenoble/PACTE-Territoires, s.l.n.d, 71p. Disponible en ligne (consulté le 29/03/10) : http://www.tourisme.gouv.fr/stat_etudes/etudes/territoires/zone_montagne.pdf Entretien n°1 et 2, Chamonix * 175 Il rassemble quatorze communes, dont Servoz, Les Houches, Vallorcine et Chamonix qui constituent de leur côté une communauté de communes depuis le 1ier janvier 2010 : transformation de l'ex-SIVOM HVA -Haute vallée de l'Arve- en un EPCI à fiscalité propre. Les réflexions ont été initiées dès octobre 2008 * 176 Entretien n°2, Chamonix * 177 Plus d'efficacité avec la nouvelle Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix-Mont-Blanc, Chamonix Bulletin municipal n° 3, décembre 2009, p.2 Une nouvelle étape pour la vallée de Chamonix Mont-Blanc, Chamonix Bulletin municipal n°4, mai 2010, p.2 * 178 Entretien n°16, EPFL 74 * 179 Une étude réalisée en 2009 par l'EPFL 74 s'est intéressée aux freins potentiels à l'adhésion d'une commune. * 180 Cette thématique mobilise 60% (voir 80% certaines années) des interventions de l'EPFL de Haute-Savoie. * 181 Entretien n°16, EPFL 74 * 182 Ainsi, une étude pour un observatoire foncier a été commandée par le syndicat mixte du Pays du Mont-Blanc auprès de la SAFER Rhône-Alpes pour l'automne 2010 (Entretien n°7, SAFER Rhône-Alpes). Le service foncier de la ville de Chamonix n'en était pas informé. |
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