La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?par Eric Farges Université Lumière Lyon 2 - 2003 |
2.2.b Réinsérer par la santé ou par l'éducation ?Santé et réinsertion sont souvent présentées comme allant de pair. Le rapport Gentilini notait déjà en 1996 l'importance des programmes d'éducation pour la santé en tant que « facteur potentiel d'insertion sociale des personnes détenues »1109(*). Même si les intervenants ont parfois des avis divergents sur la portée d'une démarche de prévention, la plupart reconnaissent qu'elle doit nécessairement viser au-delà de la vie en détention, comme le souligne la sous-directrice des prisons de Lyon : « Inévitablement, ça va avoir une répercussion sur la réinsertion. Et le but c'est de leur donner des acquis utiles pour qu'ils puissent continuer à les utiliser à leur sortie. Ce n'est surtout pas que pour la prison, c'est vraiment pour après. Sinon ça n'aurait pas d'intérêt »1110(*). Le soin contribue tout d'abord à l'insertion du détenu de façon indirecte en le rétablissant dans un état de santé satisfaisant, considéré comme une « étape préalable indispensable pour pouvoir après [...] parler de réinsertion »1111(*). Les problèmes de dépendance sont fréquemment cités en tant que premier obstacle à une démarche d'insertion. Ils sont, tel que l'explique une éducatrice, fréquemment à l'origine d'une rupture familiale ou professionnelle et « les conséquences que les problèmes d'addiction engendrent sur le plan social font que [les opérations de promotion de la santé] sont des actions qui peuvent avoir une portée autre que simplement le soin physique »1112(*). Cette dimension de réinsertion de la démarche thérapeutique est indéniable bien qu'elle présente une limite importante : celle-ci n'est effective que si le soin est conçu à long terme. La sortie de prison peut cependant constituer une rupture du soin et provoquer une régression de la situation du détenu, tel que le souligne Didier Sicard : « La prison, qui a pu constituer un moment un havre, est alors à la source d'une rupture thérapeutique. La situation est paradoxale : une prise en charge médicale bien faite lors de l'incarcération se trouve brutalement compromise par la libération [...] Lorsqu'une prison a incarcéré un détenu, elle en devient responsable » 1113(*). Ce n'est que s'il est orienté vers l'avenir que l'acte thérapeutique peut avoir une répercussion sur l'insertion du détenu. Or, le soin et plus encore la prévention ont la particularité de viser la responsabilisation du patient. Ils reconnaissent l'individu en tant qu'être libre chargé d'effectuer des choix et ont ainsi « une dimension de réinsertion, de reconstruction personnelle et de redécouverte de sa dignité d'être humain »1114(*). La promotion de la santé constituerait dès lors le moyen pour permettre au détenu de se situer dans une logique de long terme. Cette démarche de responsabilisation n'est cependant possible qu'à partir du moment où le détenu attribue à sa santé, et donc à lui-même une valeur propre. La logique soignante serait alors avant tout une démarche de revalorisation de l'individu : « L'éducation pour la santé si vous voulez pour moi, c'est l'inscription dans la durée de personnes qui sont habituées à vivre dans l'immédiateté, dans le jour le jour [...] À quoi ça sert si le sujet va sortir deux ans plus tard dans la même négligence de l'hygiène dentaire dans laquelle il a toujours vécu. C'est un travail totalement stupide. Ça n'a d'intérêt que s'il a compris que son capital dentaire faisait partie de son capital santé [...] Et pour protéger son capital santé, il faut avoir conscience de valoir quelque chose soi-même à ses yeux et aux yeux des autres [...] C'est-à-dire que notre rôle de soignant en détention, c'est avant tout l'intérêt porté aux personnes détenues [...] Et c'est dans cet intérêt qu'ils vont pouvoir faire un ancrage, du moins nous l'espérons, pour commencer à s'intéresser à eux-mêmes. Et ce n'est qu'à partir du moment qu'ils sont passés de la négligence du risque à un intérêt pour eux-mêmes que l'éducation pour la santé aura porté ses fruits. Sinon c'est un travail de Sisyphe. »1115(*) L'éducation pour la santé et le soin ont une incidence sur la réinsertion en tant qu'ils favorisent l'« estime de soi »1116(*). Elles offrent une reconnaissance du détenu en tant que patient et en tant qu'individu doté de liberté. Cette liberté (de choix) est cependant très restreinte en milieu carcéral du fait des nombreuses contraintes qui y sont présentes. L'éducation pour la santé est une démarche qui suppose un milieu ouvert et qui présente de nombreuses contradictions lorsqu'elle est utilisée dans un environnement fortement réglementé1117(*) : « On a des contradictions fortes [...] L'éducation pour la santé c'est normalement un système qui promeut des choix, qui se construit sur la liberté des personnes. Or, il y a très peu de choix en prison et le système est justement un système qui ne laisse pas de place aux détenus »1118(*). L'esprit du soin, tourné vers la responsabilisation et la reconnaissance, semble incompatible avec celui de l'institution carcérale, orienté vers l'infantilisation et la mise en dépendance du détenu1119(*). La coexistence des logiques soignante et pénitentiaire aboutit à d'importantes contradictions qui mettent en cause la cohérence des interventions ciblées autour du patient-détenu : « Il y a une négation du détenu en tant que sujet dans le fonctionnement de l'administration pénitentiaire qui ne peut faire sortir de prison que des gens détruits ou révoltés, c'est ou l'un ou l'autre [...] Alors évidemment quand vous mettez en fasse une équipe soignante qui se situe dans un dialogue permanent [...] on voit bien qu'il y a un écartèlement de la personne détenue. Il y en a qui le tirent d'un côté et il y en a qui le tirent de l'autre.»1120(*). La démarche d'éducation pour la santé affronte dès lors un obstacle qui semble insurmontable : « Peut-on aspirer à l'autonomie individuelle en milieu d'enfermement ? Si les capacités de la personne ne sont pas soutenues en dehors après le projet, l'estime de soi retrouvée peut-elle perdurer dans le cadre carcéral ou le milieu extérieur ? »1121(*). Une seconde contrainte du milieu carcéral restreint l'incidence du soin du soin sur la prévention : la durée d'incarcération. Celle-ci a de façon générale un impact important sur le travail de réinsertion qui n'est pas envisagé de façon similaire en maison d'arrêt ou en centre de détention national : « Quand on est en centre de détention national, la population pénale est plus stabilisée, c'est-à-dire qu'elle sait où elle va, elle sait combien elle a pris et on est sur une détention beaucoup plus calme où on a plus le temps de faire les choses et on travaille sur le projet de sortie. Les détenus travaillent là-dessus constamment. Ils ont constamment ça dans la tête »1122(*). Ce facteur se répercute sur les actions d'éducation pour la santé : tandis qu'en maison d'arrêt, les actions d'éducation auprès d'un détenu se limitent souvent à s'assurer à la sortie de la possibilité d'un suivi médical ou social, en centre de détention, où l'objectif est à plus long terme, les projets peuvent se planifier et se construire dans le temps1123(*). L'éducation pour la santé s'effectue sur le long terme et ne serait pertinente, comme toute action de réinsertion, que pour des détenus condamnés à de longues peines. Pourtant, si cette démarche de prévention vise à faciliter la réintégration du détenu lors de sa sortie de prison, elle peut apparaître contradictoire avec l'augmentation croissante de la durée des peines. Les actions de promotion de la santé n'auraient alors de sens que pour de courtes incarcérations : « Je pense, que l'éducation pour la santé ne peut être faite que dans des maisons d'arrêt où les individus ont un espoir de ressortir à l'extérieur car ils peuvent encore construire des projets [...] Je ne pense pas que ce soit possible de construire un projet sur le long terme lorsque les individus n'ont plus d'espoir de sortie. Toutes ces actions deviennent alors, selon moi, impossibles.»1124(*) La démarche soignante ré-interroge le sens de la peine et à travers elle la logique du monde carcéral puisque, comme l'estime une psychologue, « pour travailler dans une logique de prévention, il faut redonner un autre sens à l'incarcération »1125(*). Il s'agit de ne plus se situer, estime Dominique Lhuilier, dans l'immobilisme du temps carcéral qui « se focalise sur le présent le plus immédiat [...] comme s'il écartait le passé et l'avenir [réalisant] l'inscription spatio-temporelle du détenu [dans] une chronologie institutionnelle immuable »1126(*). L'acte soignant, dont la temporalité est inverse à celle de la peine, est peut-être alors en mesure de provoquer un changement de l'institution pénitentiaire elle-même: « Par nature, l'acte de soin est tourné vers l'avenir. Ainsi entendue, la médecine en milieu pénitentiaire peut non seulement devenir un des leviers essentiels de la réinsertion mais aussi jouer un rôle moteur dans l'élaboration d'une mission nouvelle pour l'institution pénitentiaire : que celle-ci ne soit plus tournée vers la sanction d'un passé fautif, synonyme d'exclusion, mais vers la préparation d'un avenir de réinsertion et de réhabilitation. »1127(*) L'éducation pour la santé semble dotée d'une capacité à favoriser la réinsertion du détenu par la mise en avant du soin en tant qu'acte de reconnaissance du patient. La seconde dimension de cette démarche est celle de l'« éducation » qui permettrait de transmettre aux détenus les éléments nécessaires à leur réintégration. Les actions sanitaires à visée éducative en milieu carcéral ont leur origine dans les leçons organisées à la fin du 19ème siècle qui étaient destinées à mettre en garde les détenus contre les conduites néfastes pour la santé, comme l'alcoolisme1128(*). Ces actions s'inscrivaient dans le cadre du courant hygiéniste qui visait à favoriser le progrès social et mental des détenus. Santé et morale étaient alors profondément liées. En réaction à ce modèle moraliste, le vocabulaire de la prévention a considérablement évolué : l'hygiène et l'information sanitaire ont laissé la place à l'éducation sanitaire puis à l'éducation à la santé et enfin à l'éducation pour la santé. Malgré ce changement terminologique, l'aspect éducatif conserve une place importante au sein des actions d'éducation pour la santé qui se résument rarement à une simple transmission d'informations. Les groupes de parole en fournissent un exemple. Organisés sur un thème particulier (les maladies infectieuses, le tabac, etc.), ils offrent aux participants l'opportunité d'aborder une pluralité de sujets dans une démarche collective qui va souvent bien au-delà de la santé: « Le groupe de paroles dépassait donc largement le cadre de notre objectif initial. Ça allait bien plus loin que le Sida [...] Et l'éducation à la santé pour moi, c'est cela. Ce n'est pas de faire de la prévention du Sida ou du dépistage du cancer [...] C'est pour cela que le terme d'éducation a la santé ne convient pas très bien au milieu carcéral. Pour moi, c'est davantage une éducation à la vie »1129(*) L'éducation pour la santé ne reposerait dès lors pas tant sur la dimension sanitaire que sur l'aspect éducatif. Les problèmes de santé ne constitueraient qu'une porte d'entrée ou un prétexte pour pouvoir initier une démarche construite autour d'un échange visant à favoriser le développement de la personne. L'éducation pour la santé serait t-elle « une sorte d'animation socioculturelle dont le mode d'entrée est la santé ? »1130(*). Les actions de prévention permettraient ainsi d'aborder une pluralité de thèmes et de rétablir une communication qui avait parfois été rompue : « On peut le prendre par le biais de la santé, on peut le prendre par le biais du culturel aussi et tout dépend du fonctionnement de la personne [...] Le fait de passer par la santé permet d'aborder tout un ensemble de choses [...] Ça peut ouvrir sur une autre démarche de réflexion et pas spécifiquement sur la santé»1131(*). L'éducation pour la santé est une démarche qui pourrait permettre à des personnes socialement affaiblies d'aborder certains problèmes de la vie quotidienne (l'alimentation, le stress, l'estime de soi) par une voie d'entrée jugée non discriminante, la santé1132(*). Elle prend dès lors une importance particulière en prison souvent présentée comme le lieu où s'accumule la misère sociale1133(*). La promotion de la santé serait dès lors l'outil permettant d'éduquer des individus en manque de repère comme en témoigne un projet sur les prisons de Lyon qui vise à apporter aux détenus un sens de l'hygiène minimal qui n'a souvent pas été acquis dans leur sphère familiale d'origine. Il s'agit d'éduquer les détenus les plus marginalisés en luttant contre leurs comportements « incivils » dont l'augmentation croissante en détention reflète une modification de la population pénale ainsi qu'un changement plus large de société : « Les personnes n'ont aucune hygiène au niveau des douches et donc ils font tout et n'importe quoi dans les douches. Je pense que ça relève d'un mode de comportement par rapport aux choses qui ne leur appartiennent pas [...] On peut le comparer aux tags. Ce n'est pas propre à la prison mais c'est un discours général de société et cela est issu d'un comportement de société [...] Ce sont des choses qu'ils auraient dû apprendre avant [...] Ce sont des choses basiques »1134(*). On voit poindre ici la dimension normative de la démarche de promotion de la santé. En effet, celle-ci présente comme souhaitable des pratiques culturellement déterminées. L'éducation pour la santé prescrit un certain nombre de comportements qui aboutissent à une image idéalisée de la santé et du corps1135(*). De manière plus générale, Lucien Sfez y voit une nouvelle utopie de la santé parfaite selon laquelle chaque homme se rendrait maître de son corps à l'image d'un démiurge tout-puissant1136(*). Cette nouvelle utopie s'inscrit dans le cadre d'un projet moral et politique hérité du healthism (« santéisme »), développé dès le début du 20ème siècle1137(*). Cette normalisation, qui dépasse largement les seuls comportements sanitaires, relève d'un processus de médicalisation des comportements sociaux, évoqué auparavant, qui laisse entrevoir l'accroissement de l'espace politique de la santé1138(*). Bien que ces deux termes aient toujours été liés, c'est le développement de la santé publique qui a favorisé l'élargissement de cet espace1139(*). Ce phénomène s'observe à travers la multiplication des usages politiques de la santé. En effet, la médicalisation croissante impliquerait, comme le soutient Didier Fasssin, l'émergence d'un nouveau langage du politique à travers sa redéfinition médicale : « Si au niveau culturel, la médicalisation de la société correspond à la reformulation de problèmes sociaux dans les termes de la médecine, on peut ajouter que, sur le plan politique, elle implique la légitimation de cette reformulation. Tel est bien le sens de ces situations, toujours plus nombreuses, où le politique se dit dans le langage du médical, où la légitimité sanitaire s'impose dans l'action publique »1140(*). Le langage médical devient une nouvelle forme légitime d'expression du politique, comme en témoigne le souci humanitaire croissant pour les populations les plus marginales1141(*). L'éducation pour la santé ne traduit-elle pas une nouvelle forme de la « biopolitique » décrite par Michel Foucault1142(*) ? La prescription de certains comportements sanitaires mais, surtout, le discours éducatif que promeut cette démarche s'inscrivent dans ce processus de traduction des problèmes sociaux en un langage sanitaire. Cette considération est d'autant plus pertinente à l'égard de la population détenue pour laquelle les potentialités éducatives sont mises au premier plan. L'éducation pour la santé constituerait un moyen pour pallier l'insuffisance des politiques de réinsertion. Elle apparaît dès lors comme une tentative pour traiter par le biais de la santé ce qui relève de la régulation sociale. Plus que le retour à un modèle autoritaire hygiéniste, elle traduit avant tout un échec de la société. « Chercher sans cesse dans la personne de chaque détenu en dépit du mystère, du nombre, de la monotonie des échecs, le ressort d'un relèvement constitue l'unique manière de satisfaire l'obligation d'assistance née à la charge de la société qui s'est arrogée au nom de la justice le droit de punir ». J.Léauté, Les prisons, Que sais-je ? Il est possible, au terme de cette réflexion, de reconsidérer le questionnement qui nous avait servi de point de départ : en quoi une politique de santé publique est-elle compatible avec le milieu carcéral ? La réponse à cette interrogation permettra de déterminer dans quelle mesure la réforme de la médecine pénitentiaire a permis un décloisonnement de l'institution carcérale, d'une part, et une recomposition des identités professionnelles des personnels pénitentiaire et sanitaire ou plus généralement des rapports entre la prison et l'hôpital, d'autre part. La loi du 18 janvier 1994 a marqué une volonté d'inscrire une logique de santé publique en milieu carcéral. Cette réorientation de la politique sanitaire fait suite, comme il a été établi, à une de crise de gouvernance de l'organisation des soins en prison qui a eu lieu au terme d'une conjonction causale multiple. Celle-ci a permis de prendre conscience que l'institution pénitentiaire n'est pas située en dehors de la société mais qu'elle s'inscrit, à l'inverse, au sein du corps social, rendant ainsi nécessaire l'équivalence entre les soins dont bénéficient les détenus avec ceux de n'importe quel autre citoyen. Le bilan de la mise en oeuvre de cette politique est néanmoins nuancé. La loi du 18 janvier 1994 a, sans nul doute, rendu possible une « révolution sanitaire » au sein des prisons françaises. Celles-ci sont désormais pourvues d'un dispositif soignant performant et d'un personnel fortement qualifié grâce au recours au milieu hospitalier. Malgré ce premier constat favorable, l'application de la réforme de 1994 apparaît ambivalente. Elle devait permettre, en premier lieu, le renouveau de l'éthique soignante en prison, où elle fut longtemps discréditée. La déontologie des médecins semble désormais correspondre davantage aux standards de la pratique médicale classique. Celle-ci est néanmoins peu adéquate à certaines occasions aux règles de fonctionnement de l'organisation pénitentiaire, milieu « transparent » où le secret médical apparaît illusoire. Un respect trop strict des règles de l'éthique médicale serait même parfois préjudiciable à la prise en charge des détenus, comme en témoignent le refus de certains soignants de partager l'information dont ils sont détenteurs avec le personnel de l'administration pénitentiaire ou l'intransigeance face au principe du consentement aux soins. La loi du 18 janvier 1994 a également rendu possible la reconnaissance d'une logique de promotion de la santé au sein de la prison, qui était restée jusqu'alors hermétique au développement de cette nouvelle culture de la prévention. La mise en place des premiers projets semble constituer un pas en important en faveur de la reconnaissance d'un droit à la santé, conception globale qui ne se résume pas aux soins mais qui inclue l'idée d'un bien-être. L'introduction d'une démarche d'éducation pour la santé en milieu carcéral soulève cependant d'importantes interrogations : celle-ci n'est-elle pas conçue comme un moyen de remédier aux carences structurelles de l'institution pénitentiaire ? La pacification de la vie en détention qui en découle ne serait-elle pas un nouveau procédé de contrôle des détenus ? De façon plus générale, la médicalisation de l'échec de la Justice à réinsérer les détenus ne traduit-elle pas la reformulation d'un problème social et politique dans le langage de la santé publique ? La mise en oeuvre de la réforme de la médecine pénitentiaire apparaît nuancée. Le principe de santé publique dont elle consacrait la reconnaissance ne s'applique qu'imparfaitement en prison. Les exigences sécuritaires demeurent prépondérantes dans le déroulement de la vie en détention. La démarche sanitaire subsiste au second plan dans la hiérarchie des priorités. Pour répondre au questionnement ouvert en introduction, à savoir le processus de décloisonnement implique t-il pour autant un changement réel de l'institution pénitentiaire, nous sommes contraints de reconnaître que la logique carcérale demeure inchangée. En effet, comme l'affirme Philippe Combessie, celle-ci « surdétermine toutes les activités qui se déroulent au sein de la prison [...] Toutes les interactions [...] sont orientées, marquées par le stigmate carcéral ». Ainsi, « pour parler des prisons, le concept d'institution totale n'est pas dépassé »1143(*). La loi de 1994 traduirait ainsi davantage un changement dans la prison, qu'un changement de la prison. La logique de santé publique coexiste désormais avec celle de l'institution pénitentiaire, à laquelle elle reste néanmoins subordonnée. Il semblerait que la réforme de 1994 renferme une ambiguïté lourde de conséquences. Celle-ci a permis de renouveler le statut du personnel soignant, désormais autonome de l'administration pénitentiaire. Cette indépendance statutaire n'implique pourtant pas une autonomie fonctionnelle. La prise en charge des détenus est un acte global, co-produit par l'ensemble des professionnels présents en détention. L'interdépendance fonctionnelle est une caractéristique intrinsèque de l'organisation pénitentiaire qui semble parfois mal connue de certains médecins hospitaliers arrivés après 1994. La loi du 18 janvier 1994 a ainsi renforcé les oppositions entre le soin et la détention, en accentuant le cloisonnement entre les services sanitaires et pénitentiaires, d'une part, et en renforçant le rapport conflictuel qui oppose les surveillants aux soignants, d'autre part. Une prise en charge sanitaire des détenus identique à celle de n'importe quel autre patient est parfois inconciliable avec les exigences du milieu carcéral, tels qu'en témoignent les extractions ou les hospitalisations des détenus qui sont l'occasion de nombreux affrontements entre deux logiques inconciliables. Ce cloisonnement entre les personnels et les services laisse donc ouverte la question du devenir de la réforme. Face à cette interrogation, plusieurs scénarios sont envisageables comme le rappelle Isabelle Chauvin1144(*). Le repli identitaire de chacun des personnels sur ses prérogatives respectives peut aboutir, en premier lieu, à un échec de la réforme sur le long terme. A la conception trop rigide du secret médical de la part des soignants peut faire écho au recours par les surveillants des moyens de sécurité dont ils ont le monopole en détention, paralysant ainsi l'organisation des soins au détriment des détenus. La mise en place de la loi du 18 janvier 1994 risque également, second scénario, de déboucher sur une coexistence sans ambition des deux personnels. En effet, le respect de la place respective de chaque acteur constitue une première étape décisive dans le déroulement des soins. Cette considération n'implique cependant pas, comme cela a été démontré, l'existence d'une véritable coopération: « Il s'agirait cependant d'une coexistence sans autre ambition de rapprochement des pratiques, ni de synergies [...] Pour les personnels de surveillance, le malade resterait d'abord un détenu tandis que pour le personnel hospitalier, le détenu serait d'abord un patient»1145(*). A l'inverse, une dynamique de coopération pourrait s'engager en faveur du rapprochement entre soignants et surveillants. Ceux-ci se situent dans une interdépendance indépassable comme en témoigne le recours mutuel des uns aux autres selon les situations. La portée de la réforme est néanmoins insuffisante, selon ce troisième scénario, si la collaboration entre professionnels ne va pas au-delà de l'organisation des soins. Il s'agirait alors d'une coopération confiante limitée aux enjeux de santé. Un dernier scénario, plus ambitieux, d'apprentissage mutuel est envisageable : la loi du 18 janvier 1994 ne concerne pas uniquement les relations entre surveillants et soignants mais elle traduit, de façon plus générale, un renouveau possible des rapports entre l'organisation hospitalière et l'institution carcérale. En effet, la santé constitue une discipline marginale sécante qui permettrait de revisiter les collaborations de façon durable en modifiant imperceptiblement la culture de chaque intervenant, et de permettre ainsi le rapprochement de leurs organisations respectives. L'enjeu de la réforme serait, à terme, une transformation de la prison et de l'hôpital. L'institution pénitentiaire peut ainsi progressivement s'ouvrir aux intervenants extérieurs, accélérant ainsi le processus de décloisonnement. Elle peut surtout s'ouvrir à une nouvelle conception de la prise en charge des détenus davantage orientée vers la prévention et la réinsertion. L'hôpital, partenaire essentiel de la réforme, ne doit cependant pas rester en marge de ces transformations. Celui-ci est pour l'instant inadapté, à certains égards, aux exigences que requière le soin des détenus : les patriciens hospitaliers demeurent réticents à intervenir en milieu pénitentiaire, les contraintes carcérales sont souvent mal comprises des équipes hospitalières, le traitement « organiciste » de la maladie convient mal à des patients-détenus qui sont avant tout à la demande d'un dialogue. L'ouverture de la prison sur l'hôpital constitue une ouverture potentielle de l'hôpital en faveur des personnes défavorisées : « L'hôpital pourrait y gagner également une expérience de l'ouverture sur la cité, en coopération avec les équipes soignantes sociales de la ville. Il pourrait également mieux jouer son rôle dans la continuité des soins entre l'avant hôpital, l'hôpital et l'après hôpital. Il pourrait, enfin, mieux faire participer le patient aux décisions qui le concernent »1146(*). Ainsi, comme le rappelle Olivier Obrecht « le service public hospitalier doit s'organiser pour être service de tous, sans exception »1147(*). Bien que la loi du 18 janvier 1994 puisse à première vue être qualifiée de triomphe de la santé publique, sa portée demeure incertaine. La réforme italienne de la médecine pénitentiaire se caractérise en revanche par un échec flagrant. Celui-ci s'explique tout d'abord par l'important niveau de conflictualité qui marque le passage, non accompli, de l'ancien système à la nouvelle organisation des soins. Les soignants intervenant en prison sont fortement divisés tandis que les administrations pénitentiaire et sanitaire sont réticentes à effectuer ce transfert fonctionnel et budgétaire. La précédente organisation des soins n'a, en outre, pas fait l'objet d'une remise en cause aussi virulente qu'en France. En effet, le système carcéral français a subi une crise de gouvernance majeure à l'occasion du scandale du sang contaminé, soulignant ainsi l'urgence d'une réforme. L'administration pénitentiaire s'est alors dessaisi du monopole de l'organisation des soins au profit d'une gestion politique sous le poids de l'opinion publique. On a assisté à une crise de la médecine pénitentiaire qui a légitimé la reconnaissance d'un référentiel de santé publique. Ce changement de référentiel n'a pas eu lieu en Italie. La conflictualité entre les acteurs n'a tout d'abord pas permis de rejoindre un consensus, en l'absence duquel le nouveau dispositif sanitaire s'est établi à partir d'un compromis incertain. Celui-ci s'est avéré fragile comme en témoigne le blocage dans lequel se situe actuellement la mise en oeuvre de la réforme. Il semblerait que ces difficultés puissent également s'expliquer par les carences du dispositif sanitaire italien, fortement morcelé et bénéficiant d'une faible légitimité. A l'inverse, le succès apparent de la loi du 18 janvier 1994 doit être compris au regard du fort consensus établi entre les acteurs, d'une part, et de la reconnaissance dont bénéficie le système hospitalier français, chargé du nouveau dispositif soignant, d'autre part. La réforme de 1994 marque le passage d'un référentiel de la médecine pénitentiaire, où les soins étaient subordonnés au fonctionnement carcéral, à un référentiel de santé publique, où le droit à la santé devient premier. Cette transformation traduirait, selon le modèle de Pierre Muller, la réconciliation entre les politiques sanitaires développées en prison et les évolutions plus larges de la société. Ce « nouveau rapport au monde » est par exemple visible à travers l'affirmation d'une nouvelle conception de la santé en prison, désormais plus proche de la définition des organisations sanitaires comme l'OMS1148(*). Cette vision du monde n'est cependant pas consensuelle, tel que le souligne l'auteur, mais constitue « un espace de sens où se cristallisent les conflits »1149(*). Ceux-ci ont été mis en évidence à plusieurs reprises. Le nouveau système d'action concret qui découle de la recomposition de la politique sanitaire en milieu carcéral a renforcé les jeux d'opposition identitaires entre les professionnels convoqués autour de la santé du détenu. Il apparaît dès lors préférable, comme le rappelle Philippe Warin, de mettre l'accent sur les tensions que subit le référentiel plutôt que sur l'apparente stabilité du nouveau système1150(*). Le changement de paradigme de l'action publique en matière d'action sanitaire est à l'origine d'une accentuation des rapports de force et d'une recomposition des identités1151(*). Celle-ci est manifeste non seulement au niveau des personnels sanitaires et pénitentiaires mais aussi, et surtout, à travers la modification, presque imperceptible, des institutions hospitalières et carcérales. Bien que la modification de la culture carcérale semble correspondre aux intentions du législateur, on ne peut pas en dire de même pour la culture hospitalière. Cette conséquence inattendue de la loi du 18 janvier 1994 s'expliquerait peut-être par un paradoxe : tandis que les médiateurs sectoriels qui ont été à l'origine de cette réforme semblent avoir été les médecins pénitentiaires, soucieux de leur rattachement au ministère de la Santé pour des motifs aussi bien fonctionnels (l'accès aux ressources du système hospitalier et la non-subordination à l'administration pénitentiaire) que professionnels (la revalorisation de leur discipline), le segment professionnel chargé de mener à bien ce transfert fut le personnel hospitalier. La culture hospitalière est cependant très lointaine du référentiel de santé publique auquel répond la nouvelle organisation des soins, comme en témoigne la part marginale qu'elle accorde à la politique de prévention et de promotion de la santé pourtant cruciale dans la loi de 1994. L'institution hospitalière apparaît ainsi comme l'objet indirect de la réforme de la médecine pénitentiaire. Celle-ci permettrait peut-être, à terme, un rapprochement non seulement du référentiel carcéral mais aussi du référentiel hospitalier avec le principe de santé publique qui s'apparente aujourd'hui comme le nouveau référentiel des politiques sanitaires européennes.
La conciliation des logiques sanitaires et pénitentiaires constitue t-elle toujours cette équation insoluble évoquée à plusieurs reprises ? La réponse est ambivalente. La réforme de la médecine pénitentiaire semble favoriser un rapprochement de deux cultures dotées d'exigences parfois inconciliables ; tel est du moins l'enjeu de la loi du 18 janvier 1994. Ces deux logiques apparaissent néanmoins, dans le contexte actuel, plus que jamais inconciliables : la surpopulation carcérale, la pénalisation des populations les plus précaires et l'allongement de la durée des peines s'accordent difficilement avec la volonté de faire du soin un outil de réinsertion. Celui-ci n'a de sens que s'il est orienté vers un futur proche. « Quel sens y a-t-il, comme le souligne Antoinette Chauvenet, à être soigné à vie s'il n'y a pas l'espoir de la sortie ? Dans ce cas le droit aux soins ne se retourne t-il pas en « peine de soin »? »1152(*). Les logiques soignantes et pénitentiaires sont profondément contradictoires : le temps carcéral, source de rédemption du détenu à l'égard de la société, est parfaitement destructeur de l'individu dans une optique soignante1153(*). Une réforme de l'organisation des soins doit alors nécessairement aboutir à une réflexion sur le sens donné à la peine, faute de quoi toute amélioration du dispositif sanitaire apparaît vain. Même si l'institution carcérale constitue une réalité indépassable, elle ne peut représenter l'aboutissement du processus d'humanisation des peines : « Si nous croyons que la santé n'est pas seulement l'absence de maladies, alors la question des prisons nous interpelle. Il y a en amont un travail d'éducation et de justice sociale à renforcer. Il y a à développer d'autres moyens que la prison pour punir. Il y a en aval à développer un véritable travail de réhabilitation qui ne soit pas un contrôle social déguisé »1154(*). Bibliographie 1. 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Table des matières L'inscription d'une logique de santé publique en milieu carcéral 7 Un processus de décloisonnement d'une « institution totale » 9 Problématique et enjeux de l'analyse 12 L'émergence d'un nouveau référentiel et une recomposition des rapports de force 12 Un renouveau du système d'action concret au regard des identités professionnelles 14 Une mise en perspective des réformes française et italienne 15 * 1109 Gentilini Marc, Problèmes sanitaires dans les prisons, op.cit., p.29. * 1110 Entretien n°3, Mme Marié, directrice adjointe des prisons de Lyon depuis 1999. * 1111 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes. * 1112 Entretien n°11, S. Combe et C. Misto, agents d'insertion et de probation (SPIP) des prisons de Lyon. * 1113 Sicard Didier, « Sida et prison », Chrétiens et Sida, n°23, p.3. * 1114 IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.139 * 1115 Entretien n°8, Docteur Barlet, responsable de l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud. * 1116 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES). * 1117 La prison constitue le paroxysme de cette incompatibilité entre la démarche de l'éducation pour la santé et son environnement. L'école, souvent décrite comme un terrain favorable en raison de l'âge des enfants, présente cependant à un moindre niveau des difficultés similaires à l'institution carcérale. C'est ainsi que Georges Vigarello remarque la contradiction entre les valeurs portées par l'éducation pour la santé et l'esprit de l'établissement scolaire qui reste dominé par des modes d'apprentissages classiques. Vigarello Georges, « L'éducation pour la santé. Une vraie attente scolaire », art.cit., p.81 * 1118 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES). * 1119 Le temps carcéral est marqué, selon Dominique Lhuilier, par la répétition d'actes minutieusement contrôlés et détaillés selon une procédure fixée par l'administration pénitentiaire qui aboutissent à nier le détenu en tant qu'individu. « Humiliante et dégradantes, ces opérations font l'objet d'un double discours : reconnues comme "portant atteinte à l'intimité des détenus", elles doivent néanmoins s'exercer "dans des conditions qui préservent le respect de la dignité de la personne humaine" ». Dominique Lhuilier parle dès lors d'une régression du détenu ou encore d'une infantilisation qui s'apparente à une mise en dépendance vis-à-vis de l'institution carcérale. Lhuilier Dominique, Aldona Lemiszewka, Le choc carcéral, op.cit., p.27-33. * 1120 Entretien n°8, Docteur Barlet, responsable de l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud. * 1121 Dorothée Martin, "Réflexion sur le sens éthique de l'éducation pour la santé en milieu pénitentiaire", art.cit. * 1122 Entretien n°3, Mme Marié, directrice adjointe des prisons de Lyon depuis 1999. C'est également la position d'un agent de probation et d'insertion des prisons de Lyon : « On connaît beaucoup mieux les gens qu'on suit en établissement pour peine. Le nombre de dossier qu'on suivait était beaucoup moins important puisqu'on avait en moyenne une cinquantaine de dossiers chacun. Alors que maintenant j'en suis 110. Et puis avec un turn over plus important [...] Donc là-bas, on pouvait mieux connaître les gens, on n'avait plus le temps. On était moins dans l'urgence [...] Ils font un travail de préparation à la sortie qui se fait plus en profondeur [...] Ici on est beaucoup plus dans l'urgence ». Entretien n°11, S. Combe et C. Misto, agents d'insertion et de probation (SPIP) des prisons de Lyon. * 1123 La santé en prison. Objet complexe d'échange entre détenus, surveillants et personnels soignants, Rapport de séminaire, Ecole Nationale de Santé publique, op.cit., p.20. * 1124 Entretien n°7, Docteur Gilg, médecin à la Consultation de dépistage (CDAG) de l'Hôpital Edouard Herriot. * 1125 Entretien n°6, Mme Vacquier, psychologue dans l'unité d'hospitalisation pour détenus de l'hôpital Lyon Sud. * 1126 Lhuilier Dominique, Aldona Lemiszewka, Le choc carcéral, op.cit., p.66. * 1127 Barlet Pierre, Tonic, Lyon, n°96, 2001, p.20. * 1128 On peut par exemple penser aux séances d'informations sur les méfaits de l'alcoolisme réalisées à la prison de Fresnes en 1903 qui donnent une bonne idée de ce type de démarche moralisatrice et sanitaire. « La séance se tient dans une sorte d'amphithéâtre à gradins, ces derniers sont faits de petites cellules individuelles munies chacune d'une fenêtre grillagée permettant aux détenus de voir l'estrade sur laquelle un médecin en redingote déroule sa conférence en s'appuyant sur des planches qu'il leur montre. Éclairé par cette information sanitaire administrée par un homme de science, chaque détenu est supposé avoir compris à quelle dégradation il expose son organisme en s'adonnant à la boisson et quelle attitude immorale et violente il exposera son environnement quand il aura retrouvé la liberté, s'il ne se libère pas ». Goudet B., Larrose B., Trias, V., Noury M., « Education pour la santé et réinsertion des détenus », La santé de l'homme, n°315, janvier -février 1995, p.32. * 1129 Entretien n°7, Docteur Gilg, médecin à la Consultation de dépistage (CDAG) de l'Hôpital Edouard Herriot. * 1130 Lecors Philippe, « Ethique, santé et milieu carcéral », La santé de l'homme, n°315, janvier -février 1995, p.32. * 1131 Entretien n°11, S. Combe et C. Misto, agents d'insertion et de probation (SPIP) des prisons de Lyon. * 1132 Le discours porté par nos sociétés sur la santé est au contraire un discours valorisant qui tend à présenter le soin de soi et l'entretien de son corps comme des valeurs nobles. * 1133 « « Machine à exclure », « pourrissoir », « poubelle sociale », hôpital dépourvu de soignants, la prison est en passe de devenir un grand dépotoir destiné à enfermer bien des laissés pour compte, et pas seulement ceux que la loi punit en raison de leurs crimes et de leurs délits ». Mongin Olivier, « Prisons à la dérive », Esprit, octobre 1995, pp.101-103 * 1134 Entretien n°3, Mme Marié, directrice adjointe des prisons de Lyon depuis 1999. * 1135 C'est dans ce sens qu'une éducatrice souligne le risque de construire une image idéalisée de la santé : « Travailler sur ces thèmes aurait été, pour nous, travailler sur des normes sociales, c'est-à-dire avoir de l'homme une représentation idéalisée, homme sain, non-fumeur, sportif, à l'haleine pure et aux dents impeccables, qui renforce le sentiment d'exclusion de tous ceux qui n'y arrivent pas, malgré leur désir, ou tout simplement qui sentent que l'homme ne peut se résumer à une telle définition, parce qu'elle oublie la dualité de l'être humain, à la fois bon et méchant, à la fois aspirant à une vie saine et buveur ». Choukroun Odile, « Education pour la santé et insertion sociale », La santé de l'homme, art.cit., p.31. * 1136 Sfez L., La santé parfaite, critique d'une nouvelle utopie, Paris, Seuil, 1995. * 1137 En témoigne par exemple la phrase du président de l'Américan Medical Association, Wendell Philipps, qui fut l'auteur indirect de la définition de la santé de l'OMS et qui écrivait en 1926 : « Trop de nos concitoyens traversent la vie en s'accommodant d'une santé tout juste bonne. Tandis qu'ils accomplissent leurs tâches quotidiennes, ces hommes tout juste en forme ne connaîtront pas l'exultation et le bonheur de la parfaite santé. Le rôle du médecin de demain est un droit absolu pour tous. Plus de bonne santé débordante, c'est plus de bonheur, de confort, d'utilité et de valeur économique pour l'individu. Nous ne connaîtront pas de superman sans supersanté ». On trouve dans cette citation tous les éléments du modèle normatif de l'éducation pour la santé comme le rappelle Skrabanek : « La santé, c'est le bonheur et le bonheur c'est la santé. Tous les individus sains doivent être contrôlés en permanence [...] Mais le rôle de la médecine est -il de transformer les gens en robots économiquement utiles et heureux ? ». Skrabanek P. La fin de la médecine à visage humain, Paris, éditions Odile Jacob, 1995. * 1138 Fassin Didier, L'espace politique de la santé. Essai de généalogie, op.cit. * 1139 Raymond Massé rappelle ainsi que dès les 18 et 19ème siècles, la santé publique constituait un projet politique. En effet, la protection de la population contre les épidémies visait aussi à garantir l'existence d'une main d'oeuvre industrielle suffisante. La santé publique est rapidement apparue comme un projet de société, tel qu'en témoigne l'émergence d'un Etat-providence protégeant l'individu contre les différents risques sociaux. Massé Raymond, « La santé publique comme projet politique et comme projet individuel », Hours Bernard, Systèmes et politiques de santé, Paris, Khartala, 2001, pp.41-64. * 1140 Fassin D., « Les politiques de la médicalisation », art.cit., p.11. * 1141 op.cit., p.11. * 1142 Michel Foucault entend par le terme de « biopolitique » l'émergence d'une nouvelle forme de contrôle des populations par l'Etat qui dispose de nouvelles disciplines telle que l'hygiène ou la démographie. Cf. Foucault M., Histoire de la sexualité, vol.1 La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976. * 1143 Combessie Philippe, « Ouverture des prisons, jusqu'à quel point ? », art.cit., pp.95-97. * 1144 Chauvin Isabelle, La santé en prison, op.cit., p.83 et suiv. * 1145 Ibid., p.85. * 1146 Chauvin Isabelle, La santé en prison, op.cit., p.87. * 1147 Obrecht Olivier, « Des progrès pour la santé en prison », Projet, n°269, printemps 2002, p.114 * 1148 Muller Pierre, « Les politiques publiques comme construction d'un rapport au monde », in Faure Alain, Pollet Gilles, Warin Philippe, La construction du sens dans les politiques publiques, op.cit., pp.153-179. * 1149 Ibid., p.160. * 1150 Warin P., « Les politiques publiques, multiplicité d'arbitrages et construction de l'ordre social », art.cit., p.96. * 1151 Surel Yves, « Les politiques publiques comme paradigmes », art.cit., p.143. * 1152 Chauvenet Antoinette, « Les surveillants entre droit et sécurité : une contradiction de plus en plus aiguë », in Veil Claude, Lhuilier Dominique, La prison en changement, op.cit., p.156. * 1153 Cugno Alain, « Une aussi longue attente », Projet, n°269, printemps 2002, pp.55-56. * 1154 Hoffman Axel, « Santé et prison : une équation insoluble », art.cit., p.105. |
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