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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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Un renouveau du système d'action concret au regard des identités professionnelles

La réforme de la médecine pénitentiaire traduit la reconnaissance d'un nouveau référentiel en matière de politique sanitaire en milieu carcéral et une recomposition des rapports de force. Le nouvel équilibre qui découle de la réorganisation des soins en milieu carcéral peut être étudié à l'aide de l'analyse stratégique développée par le Centre de sociologie des organisations. En soulignant les objectifs hétérogènes poursuivis par les acteurs, qui ne sont pas nécessairement compatibles avec ceux de l'organisation, Michel Crozier et Erhard Friedberg insistent sur les stratégies en présence qui ne se comprennent que par rapport à la structuration des relations de pouvoir. Il s'agit, dès lors, de reconstituer le « système d'action concret » dans lequel se déroulent les interactions entre acteurs34(*). Ceux-ci mobilisent un ensemble de ressources d'ordres divers (compétences, informations, accès aux financements, prestige) afin de négocier leur marge d'action et de pouvoir dans un jeu commun : l'organisation du soin. La réforme de la médecine pénitentiaire doit ainsi être comprise à travers l'évolution des rapports qui lient les personnels sanitaire et pénitentiaire. La sociologie des professions est, à cet égard, importante. Outre leurs tâches respectives dans la détention, les différents professionnels se différencient par des schèmes culturels plus ou moins homogènes qui constituent les cadres interprétatifs de leurs comportements35(*). C'est dans ce sens que la réforme de la médecine pénitentiaire constitue, outre une recomposition des rapports de force, un processus de redéfinition des identités sociales des professionnels travaillant en milieu carcéral36(*).

Le modèle d'analyse de la sociologie des organisations nous invite dès maintenant à préciser les acteurs qui apparaissent pertinents au sein du système d'action concret que constitue le dispositif sanitaire. La mise en oeuvre de la réforme de l'organisation des soins en milieu pénitentiaire ne peut pas être comprise uniquement à travers le prisme des personnels médicaux. En effet, celle-ci met en confrontation les administrations sanitaire et pénitentiaire. Chacune de ces entités administratives ne constitue toutefois pas un groupe homogène. C'est pourquoi, une seconde distinction doit être opérée entre, d'une part, les médecins et infirmiers au sein des personnels soignants et, d'autre part, les cadres de administratifs37(*) et les surveillants parmi les personnels pénitentiaires. Il existe également de nombreux acteurs périphériques dont l'intervention apparaît déterminante dans l'application de la réforme, comme c'est le cas de la direction hospitalière ou des services sanitaires, tels que les Directions Départementales et Régionales des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS et DRASS). Enfin, on doit distinguer les acteurs qui occupent un rôle mineur dans la réforme, et dont il sera question occasionnellement, tels que les services sociaux, rattachés à l'administration pénitentiaire, ou les acteurs associatifs.

* 34 Par la notion de système d'action concret, Michel Crozier et Erhard Friedberg soulignent le caractère contingent, non déterministe et vérifiable empiriquement d'un ensemble humain qui est construit par les acteurs. Ce modèle d'analyse permet de mettre en évidence les mécanismes de jeux à travers lesquels les calculs rationnels « stratégiques » des acteurs se trouvent intégrés. Un système d'action concret peut-être défini comme un « ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre-ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d'autres jeux ». Crozier M., et Friedberg E., L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p.286. 500p. Il faut noter dès à présent que le système d'action concret ne se limite pas uniquement aux rapports qui existent au sein de l'institution carcérale mais aussi ceux qui se déroulent autour de la prison avec le reste de son environnement, tels que les magistrats mais aussi les établissements hospitaliers ou les autorités sanitaires.

* 35 En effet, au-delà d'une même étiquette, les dénominations professionnelles renvoient à des représentations cognitives ordinaires dont chacun dispose pour se repérer et agir en société. Les professions, perçues à travers la grille des catégories socioprofessionnelles de l'INSEE, structurent les représentations cognitives des acteurs : «Une représentation cognitive des catégories est impliquée par la mise en oeuvre d'une interprétation des catégories sociales, une image mentale qui sert aussi quotidiennement à chacun d'entre nous pour s'identifier et identifier les personnes avec lesquels il est en relation » Thévenot, Desrosières, Les Catégories socioprofessionnelles, Paris, la Découverte, 1988, p.34. Pour une analyse très détaillée de la profession de soignant en milieu carcéral, on peut se reporter à : Milly Bruno, Soigner en prison, op.cit.

* 36 C'est dans ce sens que Philippe Warin souligne le rôle des politiques publiques en tant que lieu de fabrication des identités sociales. En effet, si les politiques publiques contribuent à la production d'un ordre social, ce n'est pas à travers la reproduction d'un ordre dominant, contrairement à ce qu'estiment Pierre Muller et Bruno Jobert, mais par un processus de (re)définition des positions sociales des différents acteurs. Toute politique publique implique, en tant que processus de régulation sociale, une série d'arbitrages entre les représentations de chaque acteur concerné qui exercent une influence décisive sur les stratégies identitaires qu'adoptent les individus. Philippe Warin, "Les politiques publiques, multiplicité d'arbitrages et construction de l'ordre social", in Faure Alain, Pollet Gilles, Warin Philippe, La construction du sens dans les politiques publiques, L'Harmattan, 1995, pp.85-101.

* 37 Parmi lesquels on doit compter le personnel de direction, le personnel administratif présentdans l'établissement mais aussi les services déconcentrés de l'administration pénitentiaire comme les services régionaux.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe