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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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Université Lumière Lyon 2

Institut d'études politiques de Lyon

Ecole doctorale : Sciences humaines et sociales

Laboratoire d'accueil : Centre de politologie de Lyon CERIEP

Eric FARGES

La gouvernance de l'ingérable 

Quelle politique de santé publique

en milieu carcéral ?

Analyse du dispositif sanitaire des prisons de Lyon et perspectives italiennes.

Diplôme d'études approfondies

Politiques Publiques et gouvernements Comparés

Année académique 2002-2003

Directeur de recherche :

Monsieur le professeur Gilles Pollet

Volume 1

-Et pourtant rien n'échappe à la loi dans les prisons ?

-Non, c'est le rebut de la loi. On respecte la loi. La loi prévoit l'emprisonnement comme punition mais ne s'occupe absolument pas de voir comment cela est géré. Et c'est ingérable. Parce qu'il n'y a pas assez de moyens. Parce qu'il y a trop de monde. Parce que c'est un lieu aussi où il y a de nombreuses tensions. Tout cela fait que la structure est constamment hors-la-loi. On ne peut pas faire autrement car cela a lieu dans des conditions d'emprisonnement ingérables. Donc tant qu'on ne trouvera que ça comme solution, la prison, à mon avis, c'est un lieu de misère qui sera de pire en pire.

Entretien avec une des membres fondatrices de l'Observatoire International des Prisons (OIP)

Je tiens à remercier M.M Gilles Pollet et Didier Renard pour leur suivi tout au long de cette année. Je souhaite également remercier Monika Steffen et Henry Bergeron pour leurs conseils avisés.

J'exprime ma gratitude à toutes les personnes qui ont bien voulu consacrer le temps nécessaire pour répondre à mes questions. En particulier Sandro Libianchi, sans qui la mise en perspective entre la France et l'Italie n'aurait pas été possible.

Pour Christine, enfin, dont le soutien m'a été précieux durant ce difficile été 2003.

Sommaire

INTRODUCTION

PARTIE 1 LA MISE EN PLACE D'UN NOUVEAU DISPOSITIF SOIGNANT

CHAPITRE 1 : UNE CRISE DE GOUVERNANCE DE L'INSTITUTION CARCÉRALE

CHAPITRE 2 : LA RÉORIENTATION DES POLITIQUES SANITAIRES EN PRISON

PARTIE 2 LES CONTRADICTIONS D'UNE POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE EN PRISON

CHAPITRE 3 : UN RENOUVEAU DU CONFLIT ENTRE SOIN ET DÉTENTION

CHAPITRE 4 : UNE PRISE EN CHARGE SANITAIRE DES DÉTENUS INCONCILIABLE AVEC LES EXIGENCES CARCÉRALES

PARTIE 3. L'ÉMERGENCE D'UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION EN MILIEU CARCÉRAL

CHAPITRE 5 : DE LA TOXICOMANIE AU SIDA : LES PREMIÈRES POLITIQUES DE PRÉVENTION EN PRISON

CHAPITRE 6 : L'AFFIRMATION D'UNE DÉMARCHE DE PROMOTION DE LA SANTÉ EN PRISON : ENJEUX ET LIMITES

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

Introduction

L'article 2 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale, instaure une réorganisation complète de l'administration des soins en milieu carcéral : « Le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier. Il concourt, dans les mêmes conditions, aux actions de prévention et d'éducation pour la santé organisées dans les établissements pénitentiaires ». L'organisation et la mise en oeuvre de la prise en charge sanitaire des détenus, qui relevait auparavant de l'administration pénitentiaire, sont désormais confiées à des personnels hospitaliers. Chaque établissement pénitentiaire réalise un protocole avec un établissement public hospitalier qui s'engage à créer au sein de l'établissement pénitentiaire une Unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) composée uniquement de personnel hospitalier. La nouveauté est cependant moins, comme le remarque Bruno Milly1(*), organisationnelle que financière et statutaire. Il n'y a pas de déplacement géographique du lieu de soin. La loi prévoit un transfert de tutelle pour l'ensemble du personnel médical intervenant auparavant en prison. L'objectif proclamé par les pouvoirs publics est avant tout de séparer de façon distincte les fonctions de soin et de surveillance qui cohabitent au sein de la prison. La médecine pénitentiaire laisse la place à l'instauration d'une médecine généraliste exercée dans un milieu spécifique.

La réforme de 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale, va cependant au-delà de l'organisation des soins. L'article 3, qui stipule que toute personne entrant en prison est automatiquement « immatriculée » à la sécurité sociale française, assure le rattachement du détenu au dispositif de protection des risques dont il était auparavant exclu2(*). Cette modification traduit une reconnaissance du détenu en tant que citoyen doté de droits équivalents à ceux de toute personne libre. La loi du 18 janvier 1994 consacre ainsi la mise en oeuvre du principe juridique d'équivalence, selon lequel les détenus devraient pouvoir bénéficier des même droits que ceux qui existent à l'extérieur3(*). Elle marque la fin d'une exception carcérale et l'instauration d'un nouveau sens de la peine. La réforme de la médecine pénitentiaire apporte ainsi une nouvelle orientation aux politiques sanitaires développées jusqu'alors en milieu carcéral. Tandis que celles-ci se limitaient auparavant à assurer aux détenus les prestations curatives minimales, le législateur fixe au personnel soignant hospitalier une triple mission qui inclue, outre la délivrance de soins primaires, le développement de projets d'éducation pour la santé et la préparation à la sortie des détenus.

L'inscription d'une logique de santé publique en milieu carcéral

Ce passage de la notion de soin à celle de santé marque l'émergence d'une considération nouvelle qui est celle de la santé publique. Définir la santé publique est un exercice périlleux puisqu'elle correspond aussi bien, comme l'écrivent Jean-Pierre Dozon et Didier Fassin, à un savoir, un savoir-faire, une méthode, un état d'esprit, une situation d'expertise et une culture que l'on peut qualifier de « discipline incertaine »4(*). Si la santé publique est un « domaine d'action »5(*), comme l'affirme le Haut comité de la santé publique, il semblerait que l'institution carcérale relève désormais de son champ de préoccupation. En effet, le législateur a inscrit, par la réforme de 1994, la santé des détenus dans le domaine d'action de la santé publique. Les partisans de cette loi décrivent l'organisation des soins en prison comme un « enjeu de santé publique »6(*). C'est dans cet esprit que Guy Nicolas, rapporteur général du Haut comité de santé publique, écrit : « Mais il ne faudrait pas considérer la réforme accomplie si l'organisation mise en place limitait son action à la seule mission de soins. Le véritable enjeu est de considérer la période de détention comme un moment propice pour élaborer une réelle démarche de santé publique auprès d'une population souvent peu soucieuse de sa santé, peu motivée, voire réticente, et cet objectif répond à l'esprit des rédacteurs de la loi de 1994 »7(*). Cet enjeu, auquel se référent de nombreux auteurs, c'est le passage d'une conception curative à une conception préventive de l'action sanitaire, désormais orientée en vue de la libération et de la réinsertion du détenu8(*).

Cette réorientation des politiques de santé en milieu carcéral prend d'autant plus de sens qu'elle n'est pas un fait spécifique à la France mais s'inscrit dans une tendance générale en Europe. Au Royaume-Uni, une directive de 1999 recommande que le système sanitaire britannique, le National Health Service, et l'administration pénitentiaire, le Prison Service, travaillent de façon conjointe pour planifier et procurer les soins aux détenus, travail qui était auparavant confié au seul service pénitentiaire9(*). L'Italie a adopté une réforme dite de Riordino della medicina penitenziaria (Réorganisation de la médecine pénitentiaire) par la loi n.419 de 1998 et son décret législatif n°230 du 22 juin 1999 qui prévoit que soient transférées au Servizio sanitario nazionale les fonctions sanitaires remplies par l'administration pénitentiaire, à compter du 1er janvier 200010(*). Le décret 230 affirme le respect du principe d'équivalence entre la médecine « du dedans » et la médecine « du dehors » à travers l'article 1er, où il est établit que « les détenus et internés ont droit, de façon égale avec les citoyens en état de liberté, à des prestations de prévention, de diagnostic, de soin et de réhabilitation efficaces et appropriées, sur la base des objectifs de santé généraux et spécifiques et des niveaux essentiels d'assistance indiqués dans les Piani sanitari nazionali, régionaux et locaux ». La réorganisation du dispositif sanitaire carcéral a enfin fait l'objet d'un débat en Belgique qui s'est conclu par un refus de transférer les activités de santé vers le système sanitaire national11(*).

Il est manifeste, à travers les exemples cités, que la réforme française de 1994 ne doit pas être considérée comme un événement spécifique mais qu'elle relève d'un processus plus large qui traduirait une redéfinition des politiques de santé en milieu carcéral. Ce processus, difficilement circonscriptible à une aire géographique donnée, a été durant ces dix dernières années soutenu par les organisations internationales. C'est ainsi que l'organisme des Nations-unies pour le sida, ONUSIDA, préconisait, dans un document sur les « bonnes pratiques » de prévention des infections en milieu carcéral, le transfert des activités de soin au système sanitaire national : « Un changement structurel peut, a lui seul, avoir un formidable retentissement a long terme sur le Sida en prison. Il consiste à transférer le contrôle de la santé dans les prisons aux autorités de santé publique »12(*). Le Conseil de l'Europe notifiait dans une recommandation de 1998 que « la politique de santé en milieu carcéral devrait être intégrée à la politique nationale de santé et être compatible avec elle »13(*). La réorientation des politiques de santé en milieu pénitentiaire est ainsi présentée par les organismes internationaux comme une réponse globale face à l'épidémie de Sida, reconnue en tant que problème de santé publique depuis la fin des années quatre-vingts. Le transfert de la médecine pénitentiaire aux autorités sanitaires se situerait en continuation avec la mise en place des politiques de lutte contre le Sida, et notamment des politiques de réduction des risques14(*). Monika Steffen a mis en évidence les « apprentissages » induits par ces politiques, c'est-à-dire les évolutions structurelles qui ont été rendues possible par la gestion de l'épidémie. L'adaptation des politiques sanitaires aurait favorisé, de façon générale en Europe, l'émergence d'une culture de la santé publique par la coordination d'une multitude de mesures destinées à endiguer la progression du virus : « Leur mise en oeuvre simultanée est à l'origine d'une dynamique nouvelle et cohérente, dont l'effet fut de placer la santé publique, antérieurement reléguée à la périphérie du système médical, au centre de l'attention des responsables politiques »15(*).

* 1 Milly Bruno, Soigner en prison, Paris, PUF, 2001, p.99.

* 2 L'article 3 vient modifier l'article L. 381-30 du code de la sécurité sociale dans les termes suivants : «  Les détenus sont affiliés obligatoirement aux assurances maladie et maternité du régime général à compter de la date de leur incarcération ».

* 3 Magliona. B., «Accertamento sierologico dell'infezione da HIV, carcere e tutela dei diritti umani: dal concetto di popolazione speciale al principio di equivalenza", in Rassegna Italina di Criminologia, 1994, V, 4, pp.503-519.

* 4 Dozon Jean-Pierre, Fassin Didier (dir.), Critique de la santé publique, Balland, Paris, 2001, p.9.

* 5 « La santé publique est un domaine d'action dont l'objet est l'amélioration de la santé de la population. Elle est un ensemble de savoirs et de savoir-faire qui se situent entre l'administration de la santé et l'exercice de la profession médicale. Sa finalité est aussi la connaissance par la recherche ». Haut comité de la santé publique (HCSP), Santé en milieu carcéral, ENSP Collection Avis et Rapports du HCSP, janvier 1993, 68 p.

* 6 Titre d'un dossier spécial de la Revue française des affaires sociales, n°1, janvier-mars, 51 année, 1997.

* 7 Nicolas Guy, Dessaint Louis, Nicolas Christine, « La santé en prison : un enjeu de santé publique », Revue française des affaires sociales, op.cit., p.33-39.

* 8 Girard François, « Enjeu de santé publique », Revue française des affaires sociales, op.cit., p.13-15.

* 9 Marshall T., Simpson S., Stevens A., «Use of health services by prison inmates: comparisons with the community», Journal Epidemiology Community Health, 2001, n°55, pp.364-365.

* 10 Sarzotti Claudio, «L'assistenza sanitaria: cronaca di una riforma mai nata», in Anastasia Stefano, Gonnella Patrizio (dir.), Inchiesta sulle carceri italiane, Carocci, Roma, 2002, pp.109.

* 11 Jean-Marc Feron, médecin à la prison de Huy, rend compte de ce refus par une inadaptation de ce projet à la Belgique en raison, tout d'abord, de la structuration du système sanitaire où les compétences du ministre de la Santé sont réparties entre les autorités fédérales et communautaires, ce qui serait selon lui la source d'un morcellement. Cette réforme ne serait pas justifiée, ensuite, du fait qu'« en Belgique, les moyens utilisés pour les soins aux détenus sont au moins équivalents aux moyens utilisés pour la communauté ». Feron Jean-Marc, « La santé en prison : Santé publique ou ministère de la Justice ? », Santé conjuguée, 10/2002, n°22, pp.95-96.

* 12 ONUSIDA, Le SIDA dans les prisons, Collection ONUSIDA sur les meilleures pratiques, avril 1997, p.7

* 13 Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Recommandation R (98) 7, avril 1998.

* 14 La réduction des risques est aujourd'hui un principe reconnu de façon mondiale. Le premier objectif de cette politique était de limiter les risques d'infection à VIH encourus par les usagers de drogues par voie intraveineuse mais le terme a cependant rapidement englobé l'idée d'une prise en charge sanitaire globale. La prévention se fonde alors sur une stratégie visant à réduire les risques sanitaires liés à la consommation. La méthode comporte deux volets. Le premier consiste à éliminer la source directe de transmission virale : le partage de seringues, en fournissant aux toxicomanes des équipements d'injection sûrs. Le deuxième volet vise à substituer les prises de drogues par injection intraveineuse en administrant des médicaments sous contrôle médical. Ces traitements dits de « substitution » contournent ainsi les risques encourus par les toxicomanes. La réduction des risques peut alors être définie, selon le Conseil National du Sida comme « une politique de santé publique visant à minimiser les effets néfastes que l'usage de drogues peut entraîner chez le consommateur ». Cf., Steffen Monika, Les Etats face au Sida en Europe en Europe, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 2001, p.93 et Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, Rapport, avis et recommandations du Conseil national du Sida, adoptés lors de la séance plénière du 21 juin 2001, responsable de la commission : Alain Molla, 163p.

* 15 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.235.

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