L'abstentionnisme électoral au Cameroun a l'ère du retour au multipartisme( Télécharger le fichier original )par Augustin TALA WAKEU Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012 |
A Mon Cher oncle M. FEZEU WAKEM Faustin, pour son assistance. A feue ma mère TCHUANCHE Marthe, à qui je dis un grand merci pour tout. Mes remerciements vont principalement à l'endroit de tous les enseignants et responsables de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Dschang pour leur encadrement. Mes remerciements vont particulièrement au : Professeur TCHOUPIE André, qui a bien voulu guider mes premiers pas dans le domaine bien difficile mais passionnant de la recherche, mais aussi pour tous les conseils, la documentation et surtout la rigueur qu'il n'a cessé d'afficher à mon égard. Professeur FOBANJONG John, pour ses encouragements, ses conseils et son soutien. Docteur POKAM Hilaire de Prince, pour son soutien et ses encouragements qui n'ont cessés de me galvaniser. Docteur DOUNKENG Zélé Champlain, pour les nombreux documents qu'il a mis à ma disposition, pour ses encouragements et conseils. Docteur MOYE Godwin, pour ses précieux conseils. Docteur NGUEKEU Pierre, pour ses conseils et encouragements. J'exprime ma profonde gratitude à Maman TCHOUFFANG Anne, pour tout ce qu'elle a fait pour moi. J'exprime également ma sincère gratitude à Mademoiselle YIAGNIGNI MFOPA Marlise, pour tout le soutien et l'affection qu'elle n'a cessé de me témoigner. PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS ADD : Alliance pour la Démocratie et le Développement AFP : Alliance des Forces Progressistes ANDP : Alliance Nationale pour la Démocratie et le Progrès CEAN : Centre d'Etude d'Afrique Noire DIC : Démocratie Intégrale du Cameroun Dir. : Dirigé par ou sous la direction ELECAM : Elections Cameroon FNSC : Front National pour le Salut du Cameroun IBID. : Dans le même texte, au même endroit LA DYNAMIQUE : Dynamique pour la renaissance Nationale LGDJ : Librairie Générale de Droit et de jurisprudence MDR : Mouvement pour la Défense de la République MLJC : Mouvement pour la Libération de la Jeunesse Camerounaise MP : Mouvement Progressiste N° : Numéro ONEL : Observatoire National des Elections Op.Cit : Opuscule précité P. : Page Pp. : Pages PUF : Presses Universitaires de France RDPC : Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais SDF : Social Democratic Front UDC : Union Démocratique du Cameroun UFDC : Union des Forces Démocratiques du Cameroun UMS : Union des Mouvements Socialistes UNDP : Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès UPC : Union des Populations du Cameroun PREMIERE PARTIE : LA CONSTRUCTION PRATIQUE DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL 21 CHAPITRE 1 : LA CONSTRUCTION DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL AU MOMENT DE L'INSCRIPTION SUR LES LISTES ELECTORALES 23 SECTION 1 : LE DEVELOPPEMENT DES PRATIQUES SUSCEPTIBLES D'ENCOURAGER LA NON-INSCRIPTION VOLONTAIRE 24 SECTION 2 : LA MULTIPLICATION DES SOURCES DE LA NON-INSCRIPTION INVOLONTAIRE 48 CHAPITRE 2 : L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL AU MOMENT DE L'ELECTION 60 SECTION 1 : L'ORCHESTRATION DU DYSFONCTIONNEMENT DU PROCESSUS ELECTORAL 60 SECTION 2 : UNE CONSTRUCTION MARQUEE PAR L'INFLUENCE DES PESANTEURS SOCIO-ECONOMIQUES ET DU FAIBLE IMPACT DE LA CAMPAGNE ELECTORALE 77 DEUXIEME PARTIE : DE LA FLORAISON DES EFFETS PERVERS DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL A LA MULTIPLICATION DES TENTATIVES DE SA NEUTRALISATION 101 CHAPITRE 1 : LA FLORAISON DES EFFETS PERVERS DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL 104 SECTION 1 : ABSTENTIONNISME ELECTORAL ET DELEGITIMATION 105 SECTION 2 : LES BALBUTIEMENTS DE LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE 115 CHAPITRE 2 : LA MULTIPLICATION DES TENTATIVES D'ERADICATION DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL 123 SECTION1 : LA MOBILISATION DES RESSOURCES EXPRESSIVES ET INCITATIVES 124 SECTION 2 : LA MOBILISATION DES RESSOURCES REDISTRIBUTIVES ET COERCITIVES 139
INTRODUCTION GENERALE
Le pluralisme politique, fut-il imparfait, constitue un nouveau paradigme politique produisant des effets de croyances, de représentations et d'actions qui influencent en dépit de l'éventuelle stabilité des dirigeants (Sindjoun, 1999 :269). Il en résulte que, l'un des effets majeurs du pluralisme politique au Cameroun, est la construction de l'abstentionnisme électoral car, c'est avec le retour du pluralisme politique que ce phénomène est devenu autant considérable par ses proportions. Pourtant, il est nécessaire que la participation électorale soit importante dans un système démocratique, étant donné que seule la performance participative des acteurs détermine la performance de tout le système et facilite l'enracinement de la démocratie (Kamto, 1999 :101). Dans le cas contraire, l'interrogation de Mme Judith Shklar sur une certaine ironie dans le paradoxe d'une citoyenneté démocratique idéale qui ne séduit pas les gens qu'elle est supposée servir1(*) prend tout son sens, alors que l'un des hauts faits de la démocratie à travers l'histoire a été la lutte des exclus pour acquérir la pleine citoyenneté et avoir le droit de voter (Elan Tchoumbia, 2004 :56). Dès lors, qu'est-ce qui peut expliquer le non-vote de certains Camerounais, vu qu'il est difficilement admissible que des citoyens choisissent de ne pas s'exprimer et de se taire volontairement (Nna, 2009 :341). L'abstention électorale n'est donc pas un vote comme les autres car, elle constitue une réponse négative à une offre politique à un moment donné dans une conjoncture particulière (Subileau, 1997 :245). En général, l'abstentionnisme électoral se justifie par l'incapacité de la classe politique dans son ensemble à résoudre les problèmes économiques et sociaux, traduisant de fait l'hostilité des citoyens à l'égard du personnel politique qui ne songe qu'à conserver le pouvoir, les élections étant alors perçues comme un leurre dénué de toute réelle signification sociale et politique (Subileau,1997 :258). L'abstentionnisme électoral dans cette perspective traduit le comportement du « peuple-veto », qui manifeste plus la puissance de son refus que son souci d'autoriser et de légitimer. C'est une figure de « contre-démocratie »c'est-à-dire, de l'âge de la « désélection » (Perrineau, 2006 :38) ; or, la « contre-démocratie » n'est pas le contraire de la démocratie, mais plutôt la forme de la démocratie qui contrarie l'autre. En d'autres termes, la démocratie de la défiance face à la démocratie de la légitimité électorale2(*) selon M.Rosanvallon. Dans tous les cas, l'abstentionnisme électoral exprime tantôt un « défaut d'intégration politique », tantôt une forme de « contestation politique » ou encore, un « comportement stratégique ou rationnel »3(*). En conséquence, plusieurs approches peuvent expliquer l'abstentionnisme électoral. Les approches sociologiques donnent du phénomène des explications quasi- déterministes en soulignant les convergences entre statut social et participation électorale, bien que les politistes préfèrent insister sur les liens de causalité entre l'impact des enjeux politiques, le contexte et l'échelle de la participation électorale4(*). C'est ainsi qu'Alain Lancelot, s'inspirant des causes explicatives du suicide, a pu établir celles de l'abstentionnisme électoral5(*). En effet, si Emile Durkheim avait démontré que les gens qui se suicidaient n'étaient pas intégrés à la société, Alain Lancelot suivant la même démarche, démontre qu'il y'a une forte corrélation entre l'abstentionnisme électoral et le défaut d'intégration sociale. Pour ce dernier, l'abstentionnisme électoral est lié au défaut d'intégration sociale7(*) des citoyens. Ces approches mettent donc l'accent sur les structures et les régularités du comportement électoral. Elles cherchent à expliquer l'orientation de l'abstentionnisme électoral par l'appartenance des individus à une époque, à une société, à un territoire ou à un milieu donné (Mayer, 1997 :16). Il convient alors de noter que, les approches sociologiques ou holistes comme celles développées par les écoles de Columbia et de Michigan aux Etats-Unis, postulent que le comportement électoral est le produit du milieu d'appartenance de l'électeur saisi dans sa dimension sociale, économique et culturelle. Pour ces écoles, les choix politiques obéissent aux normes collectives propres aux groupes d'appartenance dans lequel l'individu se meut (Kouamen, 2009 :32). Cependant, l'école de Michigan avait orienté ses recherches sur la variable de l'identification partisane qu'elle définit comme étant l'attachement affectif durable de l'électeur à un parti politique. Dès lors, ces différentes approches sociologiques et écologiques récusent l'idée du citoyen éclairé, autonome et capable de décider en toute indépendance de ses orientations (Kouamen, 2009 : 41) politiques. C'est la raison pour laquelle, Paul Lazarsfeld estime qu' « une personne pense politiquement comme elle est socialement9(*) ». Mais, même s'il est vrai que les modèles ci-dessus ont des impacts significatifs sur le comportement électoral et peuvent par conséquent motiver l'abstention des électeurs, il faut toutefois noter qu'ils font seulement apparaître des prédispositions socialement façonnées qui peuvent pousser l'individu à s'abstenir (Mayer, 1997 : 16). Dans tous les cas, le vote des abstentionnistes va davantage révéler plus de choses (Subileau, 1997 : 245) dont-il est important d'en percer le mystère. A cet effet, la raison n'est pas nécessairement dans le vote, mais plutôt dans l'abstention (Lipset, 1963 : 5) ; puisque, si la raison du vote peut a priori être connue, si on prend en compte les offres électorales, celle de l'abstention n'est pas évidente. Toujours est-il que, si une partie importante du corps électoral décide de s'abstenir c'est qu'elle a certainement de bonnes raisons de le faire (Hastings, 1996 : 63). Ce qui suppose que, l'abstention est souvent la conséquence d'un certain nombre de calcul, d'où le problème de la rationalité de l'électeur, formulé par les partisans de la théorie du rational choice. Selon ses défenseurs, l'abstentionnisme électoral peut-être expliqué par le fait que, la probabilité pour qu'un vote influ sur les résultats étant faible que les « coûts » de participation, devrait rationnellement dissuader les potentiels électeurs de se déplacer ; ce qui entraîne l'inutilité du vote, parce que l'influence de chaque vote est infinitésimale sur les résultats électoraux (Lipset, 1963 :5). Dès lors, nous comprenons pourquoi l'électeur peut-être tenté de s'abstenir, ce qui illustre bien la rationalité de l'électeur. En fait, la particularité de l'électeur « rationnel » ou « stratège » est qu'il est débarrassé de toutes formes d'allégeance le prédisposant à un choix électoral déterminé. Dans cette logique, son choix électoral est fonction du contexte, des enjeux et de ses intérêts. C'est un électeur « éclairé », qui fait son « marché », il est instable, étant donné qu'il peut donner une explication à son abstention. Il est politisé c'est-à-dire « dans le jeu » parce qu'il est capable de produire un jugement articulé, cohérent et stable (Blondiaux, 1996 : 756). Contrairement à l'électeur « flottant » qui ne peut expliquer son choix électoral vu sa méconnaissance de la politique10(*), il est dit « hors du jeu ». De même, la rationalité de l'abstentionniste peut s'expliquer par la montée de « l'individualisation » qui n'est pas l'individualisme. L'individualisation est la culture du « chacun son choix » et non la culture du « chacun pour soi » comme l'individualisme. Avec « l'individualisation », les choix électoraux ne sont pas automatiques, ils font l'objet. d'hésitations chacun estimant avoir le droit de faire ses propres expériences. L'individualisation correspond donc, à la rationalisation des choix électoraux (Brechon (a), 2007 : 1). Ceci étant, la rationalité conduit les citoyens à moins se préoccuper de la victoire d'un camp ou de son orientation politique, que de ce qu'ils pourraient retirer de leurs votes (Gaxie, 2000 : 43) parce qu'ils votent dans l'optique de ressentir les effets de cet acte dans leur vie quotidienne. C'est la raison pour laquelle, M. Nietzsche pense que, les citoyens ont le droit de restituer le suffrage universel, s'il ne donne pas satisfaction à leurs espoirs11(*). De toute évidence, la construction de notre objet de recherche s'impose (I) avec la même importance que le déploiement des procédés d'analyses (II). I- LA CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ETUDE Il est question dans la construction de l'objet de prendre en compte la représentation rationnelle comprenant les attributs essentiels d'une classe de phénomène (Grawitz, 1996 : 18) car, l'emprise des notions communes est si forte que, toutes les techniques d'objectivation doivent être mises en oeuvre pour accomplir effectivement une rupture (Bourdieu et als, 1983 : 28). Dans cette logique, nous procedérons au préalable par la clarification conceptuelle et ensuite par l'abstraction du domaine factuel d'analyse. A- LA CONSTRUCTION SUR LE PLAN CONCEPTUEL : comment approcher le phénomène de l'abstentionnisme électoral ? L'abstentionnisme électoral peut être analysé comme la non-participation des électeurs à un vote auquel ils sont convoqués (Alcaud et als, 2004 : 1). En effet, à l'occasion d'une élection, une partie non négligeable de l'électorat peut, pour plusieurs raisons, décider de ne pas y participer. Dans le cas du Cameroun, il ne s'agit pas de la violation d'une règle de droit, mais du manquement à un devoir civique. Leur pourcentage lorsqu'il est important et parfois plus élevé que celui des votants, effrite de manière sérieuse la légitimité des gouvernants. Il en résulte que, le taux d'abstention est le rapport de la différence entre le nombre d'électeurs inscrits et le nombre de votants sur cent (Bournet, 2004 : 1). De manière concrète, l'abstention électorale renvoie aux électeurs qui exercent leur droit en choisissant de ne pas voter (Lipset, 1963 : 13). C'est un droit dont l'exercice peut être considéré comme contradictoire à l'exercice du devoir de citoyen qui est généralement encouragé et parfois sacralisé ; ce qui bien sûr n'empêche pas certains citoyens d'y renoncer très souvent de manière « conjoncturelle » ou « systématique » selon les cas. L'abstentionnisme électoral préconise donc la non-participation à l'élection (Barbet, 2007 :3), faisant de celui qui s'abstient dans une votation un abstentionniste. Au-delà de cette interprétation, il est important de rappeler l'origine de cette trilogie : de l'abstention, l'abstentionniste et l'abstentionnisme. En effet, comme l'abstentionniste, l'abstentionnisme est dérivé du mot « abstention » qui signifie dans son acception le plus large, « L'action de s'abstenir dans l'exercice d'une fonction, d'un droit » (Barbet, 2007 : 3). Cependant, « abstention » tout comme « abstinence », vient de la souche « abstinere » (d'origine latine) ; mais, tandis que « abstinence » conservera le sens de privation notamment religieuse, l'abstention quant à elle prendra progressivement à partir de 1866 plutôt un sens politique (Barbet, 2007 : 3). C'est donc à partir du mot « abstention » que dériveront les mots « abstentionnisme » et « abstentionniste » qui, d'emblée, seront dotés d'une signification principalement et exclusivement politique, du fait qu'ils désignent des individus non concernés par le développement du fait électoral (Barbet, 2007 : 4). C'est en passant peut-être par l'abstention des élus dans les assemblées qu'on est venu à parler de l'abstention des électeurs et que, par analogie et élargissement, le terme a été retenu pour désigner le non-vote de certains citoyens (Barbet, 2007 : 4). Autrement dit, l'attitude d'un citoyen en âge de voter qui ne se déplace pas pour voter alors qu'il est invité à le faire par le système politique (Brechon(a), 2007 : 1). Néanmoins, en définissant l'abstentionnisme électoral stricto sensu, c'est-à-dire par rapport aux inscrits qui ne votent pas, on sous évalue le phénomène et partant le taux d'abstention ; il en résulte que, les non-inscrits faussent largement le taux d'abstention (Bournet, 2004 : 1). C'est fort de ce constat que nous avons été amenés à envisager les non-inscrits comme des abstentionnistes surtout dans un pays comme le Cameroun où l'inscription sur les listes électorales est un droit12(*) ; contrairement à la France où elle est plutôt une obligation qui se fait d'ailleurs de façon automatique sauf en cas de changement d'adresse13(*). Au regard de ces analyses, il serait pertinent de considérer l'abstentionnisme électoral dans son sens large, c'est-à-dire en y incluant d'une part les non-inscrits (Lipset, 1963 : 8) qui constituent généralement l'essentiel des abstentionnistes, les votes nuls14(*) et d'autre part ceux qui ne se déplacent pas pour aller voter alors qu'ils sont inscrits sur les listes électorales. En ce qui concerne les votes nuls, M. Delwit (1993 : 6) pense que, parce qu'ils n'expriment pas des votes pour une des forces politiques en compétition ils sont rangés parmi les abstentions. Par ailleurs, l'abstentionnisme électoral peut-être, soit conjoncturel, soit systématique. S'agissant de l'abstentionnisme « conjoncturel », il est généralement lié à la conjoncture politique, au contexte électoral, à la nature de l'élection et à ses enjeux (Kouamen, 2009 : 99) qui sont les facteurs majeurs pouvant déterminer ce phénomène. Les citoyens qui pratiquent ce type d'abstentionnisme sont politisés et généralement majoritaires, contrairement aux abstentionnistes « constants » ou « systématiques » qui, d'après Anne Muxel (2007 : 49), sont des électeurs « hors du jeu » puisqu'ils ne s'intéressent pas à la politique, ne se sentent proches d'aucun parti politique et restent loin de toute forme de participation politique, trahissant leur faible degré de politisation. Parallèlement, Françoise Subileau (1997 : 259) met en exergue l'abstentionnisme « protestataire » qui exprime plus le rejet du système politique tel qu'il fonctionne et s'apparente au vote contre le système politique, social et à l'offre politique (Perrineau, 2006 : 33) ; il se rapproche de l'abstentionnisme « hors du jeu ». Il en ressort que, l'abstentionnisme électoral est une forme de participation électorale dans laquelle, sans prendre part au vote, les électeurs utilisent l'occasion du vote pour exprimer un mécontentement ou un découragement (Nna, 2009 : 344). Ainsi, comme ce phénomène traduit un choix de la part des citoyens, nous pouvons le rapprocher de « l'escapisme » qui signifie que face à la volonté du régime d'obliger les citoyens à le légitimer au travers d'élections, ceux-ci vont recourir à l'abstentionnisme électoral qui, loin d'être un acquiescement silencieux, peut être perçu comme une forme de contestation (Alcaud et als, 2004 : 4). Toutefois, c'est un phénomène qui n'est pas toujours volontaire puisqu'il est parfois involontaire ou même forcé. En tout état de cause, s'il remet en cause l'universalité du suffrage, il ne s'apparente cependant pas à un suffrage restreint, mais correspond plutôt à un impératif démocratique et ne saurait être assimilé au suffrage censitaire (Lipset, 1963 : 14). En définitive, les non-inscrits sont nécessairement des « abstentionnistes obligatoires » (Lipset, 1963 : 8) bien que la non-inscription sur les listes soit insensible aux circonstances du vote (Panke-shon, 2007 : 3). De même, le vote nul, parce qu'il n'exprime aucun vote pour l'une des forces politiques en compétition, est assimilé à l'abstentionnisme électoral. Ainsi entendu, le concept de l'abstentionnisme électoral sera examiné dans son sens large, c'est-à-dire, en prenant en compte la non-inscription sur les listes électorales, le vote nul et le non-vote des électeurs inscrits sur les listes électorales. Ce qui nous conduit préalablement à l'abstraction de son domaine factuel d'analyse. B- ABSTRACTION DU DOMAINE FACTUEL D'ANALYSE L'abstraction du domaine factuel d'analyse nous permet de sélectionner les faits qui seront au centre de notre étude. Cette sélection se réalise par l'adoption d'une approche théorique pour traiter le problème suivant un fil conducteur. C'est ainsi que nous présenterons d'une part la problèmatique et d'autre part l'hypothèse. 1-Problématique L'élection constitue le principe de base des démocraties représentatives, car elle assure aux gouvernants la légitimité politique (Nna, 2009 : 339) dont ils ont besoin pour agir au nom du peuple. Or, cette légitimité ne se transmet que par la participation massive du peuple au vote de ses dirigeants. Le vote est dans cette logique un mode pacifique de transmission du pouvoir. A cet effet, par lui le peuple renonce à la violence car, il est un moyen de pacification de l'action politique15(*). En permettant d'exprimer fidèlement la souveraineté du peuple, le vote acquiert les attributs symboliques du sacré, débouchant alors sur un ordre conventionnel qui « désarme la violence » (Ihl, 1993 : 6). Ainsi, au-delà de la légitimité politique, le vote à travers son caractère concurrentiel permet aux partis politiques de mesurer leur importance après le décompte des voix (Owona Nguini, 1997 : 221), d'acquérir une notoriété sur la scène politique et électorale. Au regard de ces aspects, le vote est donc un instrument important de la démocratie, surtout lorsque le peuple dans sa majorité est impliqué ; sinon, il sera considéré comme un simple sondage d'opinion de moindre qualité (Lipset, 1960 : 15) puisqu'il ne permet pas, dans cette perspective, à l'ensemble des citoyens de s'exprimer, mais plutôt à une portion parfois très négligeable. Point n'est donc besoin de rappeler que la participation massive des citoyens en âge de voter est vitale pour la démocratie, car, elle constitue un indice de bonne santé pour la démocratie (Lipset, 1960 : 4). Pourtant, de plus en plus, les peuples sont de moins en moins représentés, ce qui se matérialise par leur forte tendance à la pratique de l'abstentionnisme électoral. En effet, c'est un phénomène récurrent qui n'est pas particulier au Cameroun. Bref, à travers le monde, malgré l'extension du droit de vote, un grand nombre de citoyens en âge de voter continue de s'abstenir (Duval, 2005 : 01). Concernant le Cameroun, depuis 199216(*), le vote n'est plus obligatoire comme ce fut le cas pendant la période du monopartisme où les taux d'abstention étaient faibles, étant donné que, les forces de l'ordre avaient la possibilité lors d'un contrôle, de vérifier les cartes d'électeur (Kamga, 1985 : 39-40) afin de s'assurer que les citoyens étaient inscrits et qu'ils votaient effectivement malgré le caractère non concurrentiel des élections. Néanmoins, depuis les premières élections pluralistes post- parti unique, le Cameroun connait des taux d'abstention de plus en plus importants, suscitant moult interrogations ; car, si le vote a pour fonction latente de légitimer le pouvoir des dirigeants, l'abstention quant à elle peut signifier la disqualification de l'ensemble de la classe politique aux yeux des masses (Afom Ndong, 2007 : 98). Ce qui entraine des interrogations sur les explications et les diverses conséquences de l'abstentionnisme électoral. C'est pour cette raison que, partant de l'analyse d'André Sigfried selon laquelle il n'y a pas d'explication unique du vote17(*), on peut par analogie dire qu'il n'y a pas d'explication unique de l'abstentionnisme. Toujours est-il que, selon Parfait Songué : il y a une forte démobilisation électorale au Cameroun qui date de 199018(*). C'est pourquoi depuis 1992, l'un des enjeux principaux de l'élection est la participation, vu la configuration significative de l'abstentionnisme électoral existant désormais au Cameroun (Owona Nguini, 1997 : 721) qui, d'une manière comme d'une autre pose parfois le problème de la légitimité des dirigeants et des institutions républicaines, justifiant pourquoi : même les régimes les plus liberticides s'enorgueillissent du taux de participation électorale remarquable (Lipset, 1963 : 18). Il n'est donc pas superflu de s'interroger sur le pourcentage de participation des citoyens au vote, même si nos représentants ont été élus (Nna, 2009 : 344) et agissent au nom, en lieu et place de l'ensemble des citoyens, même de ceux qui n'ont pas pris part au vote. Dans cette logique, on n'est plus tenté de s'interroger sur la volonté populaire exprimée par la participation, mais sur celle exprimée dans la non-participation c'est-à-dire sur le refus des citoyens de prendre part aux votes auxquels ils sont convoqués. Bien que les forts taux d'abstention ne soient pas de nature à affecter en pratique la stabilité d'un régime,19(*) l'abstentionnisme électoral est analysé comme le refus des abstentionnistes d'appartenir à la communauté électorale nationale. En effet, le fait de voter signifie au-delà de l'expression d'un choix, que celui-ci ait une motivation morale ou politique et qu'on continue de faire partie de la communauté politique nationale (Blondiaux, 1996 112). L'abstentionnisme électoral constitue la preuve que, la plupart des citoyens ont compris qu'ils ne font plus l'histoire politique du pays et en conséquence ils se désintéressent de l'élection (Bouthoul, 1969 : 19). Faute de ne pas y trouver leur compte, une partie non négligeable des citoyens se détourne du vote, sans intention de remettre en cause l'idéal démocratique auquel ils sont attachés, même s'ils ne croient plus forcément au vote qui en est l'un des piliers fondamentaux. Cette situation est révélatrice d'un « malaise » soit de la politique, soit de la représentation, soit des citoyens (Barbet, 2007 : 1). Dans tous les cas, malgré les efforts de mobilisation, les camerounais sont de plus en plus nombreux à renoncer à leur droit de vote. En somme, les élections « made in Cameroun » ont toujours un grand vainqueur : c'est l'abstention, étant donné que le grand absent c'est le corps électoral qui est toujours réduit à son expression la plus chétive (Kamga, 1999 : 69). C'est au regard de toutes ces analyses que nous avons été amenés à nous interroger sur la question de savoir comment les acteurs sociopolitiques construisent-ils le phénomène de l'abstentionnisme électoral au Cameroun depuis le retour du multipartisme et quelle est l'influence de cette construction sur la dynamique sociopolitique du pays ? 2-Hypothèse L'hypothèse constitue une proposition de réponse à la question posée et tend à formuler une relation entre des faits significatifs (Grawitz, 1996 : 18). Celle sur laquelle reposera notre étude est la suivante : Les acteurs du champ sociopolitique camerounais construisent volontairement et involontairement l'abstentionnisme électoral à travers diverses actions et interactions. Ce qui débouche sur une multiplication des effets pervers et suscite la production des mécanismes de sa neutralisation. Dès lors, l'étude de la construction de ce phénomène impose que nous adoptions des procédés d'analyse rigoureux. II- PROCEDES D'ANALYSE L'objectif de la recherche scientifique n'est pas seulement de rendre la réalité accessible mais aussi d'y accéder de façon compréhensible à travers des analyses méthodiques capables de rendre le raisonnement plus clair. Il est donc important pour nous de relever les éléments permettant de valider le caractère scientifique de la recherche. A cet effet, nous envisagerons d'une part les méthodes et d'autre part les techniques. A- LES METHODES Les méthodes constituent un ensemble de normes permettant de sélectionner et de coordonner les techniques (Grawitz, 1996 : 318). Elles permettent ainsi d'organiser le travail afin de favoriser sa bonne compréhension à travers un cheminement clair. En conséquence, sans méthodes, il est difficile de saisir la réalité scientifique (Grawitz, 1996 : 317). C'est la raison pour laquelle le choix des méthodes ne se fait pas au hasard sinon on ne parviendrait pas au résultat escompté. Il en résulte que la sélection de chaque méthode est liée aux particularités que chacune d'elle possède car il ne suffit pas seulement d'être une méthode pour servir à toutes les démonstrations. Dans cette perspective, à coté du constructivisme, entre aussi en jeu l'interactionnisme stratégique. 1- Le constructivisme L'analyse constructiviste met en relation la production, la reproduction des pratiques et usages sociaux avec leurs caractères situés dans les contextes particuliers (Klotz et Lynch, 1999 : 51). Elle nous permet d'appréhender les réalités sociales comme le fruit des acteurs sociaux conditionnés par la conjoncture qui prévaut lors de la construction. Elle permet également d'observer la manière et de comprendre comment les agents sociaux et les structures se construisent réciproquement. Dans cette optique, les réalités sociales sont appréhendées comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs (Corcuff, 1995 : 17). De ce fait, les pratiques et symboles des acteurs participent à la production et à la reproduction des réalités sociales. Bien plus, la réalité sociale est une construction fondée sur l'interaction entre les agents sociaux. Le constructivisme repose donc sur l'idée que nos représentations, nos connaissances, ou les catégories structurant ces connaissances, ces représentations ne sont que le produit de l'entendement humain et non le reflet exact de la réalité20(*). En outre, la réalité sociale est dotée d'une autonomie qui l'amène en retour à déterminer l'existence des agents sociaux qui l'ont produite (Tchoupie, 2004 : 43). Cependant, cette construction ne dépend pas souvent de la volonté des acteurs. De ce fait, comment ne pas reconnaître que les agents sociaux ont la capacité et la volonté d'adopter des attitudes délibérées à l'égard du monde et de lui donner sens ? Ainsi, cette approche tend à écarter la recherche des lois générales et universelles à partir desquelles serait expliqué le particulier, pour ne mettre l'accent que sur l'individu, sur son action, sur ses choix et sur l'impact de ses choix (Tchoupie, 2004 : 44). Elle est fondée sur les particularités de la réalité observable et met en évidence ses traits significatifs. C'est cette capacité qui permet de donner naissance aux réalités sociales21(*). Or, ce rôle important des acteurs dépend généralement de leur identité et détermine leurs agissements. Bien que ce que pensent et souhaitent pouvoir accomplir les acteurs guident leurs actions, il n'est pas possible d'admettre dans ces conditions que les normes ou les institutions naissent dans le vide (Klotz et Lynch, 1999 : 59). En plus, cette méthode a l'avantage de permettre la quantification et l'utilisation d'échelle numérique et des données statistiques car, l'utilisation d'échelle numérique permet d'évaluer le degré de déviation par rapport aux limites idéales (Cazeneuve, 1976 : 95-97). Malgré le fait que les réalités dans lesquelles nous vivons sont conceptualisées par le constructivisme comme socialement construites22(*), cette méthode objecte l'impossibilité de rencontrer la discontinuité dans la réalité (Bourdieu, 2000 : 93). Elle donne la possibilité d'expliquer l'origine des intérêts et les conditions dans lesquelles ces acteurs agissent. D'où la question de savoir qui sont les acteurs et que font-ils d'important (Klotz et Lynch, 1999 : 57). Par cette méthode, il sera aisé de mettre de l'ordre dans les données de l'expérience et sa fonction est de permettre les descriptions en terme qui les rendent comparable afin que, appliquée à un cas particulier, elle permette de prévoir avec une certaine probabilité ce que l'on peut attendre dans d'autres cas (Cazeneuve, 1976 : 95). L'application du paradigme constructiviste à l'analyse du phénomène de l'abstentionnisme électoral nous permettra de démontrer non seulement comment les acteurs (individuels et collectifs) sociopolitiques camerounais, dans leurs actions historiques et quotidiennes, participent non seulement volontairement ou involontairement à la construction du phénomène, mais aussi comment l'abstentionnisme électoral construit à son tour les acteurs. Ces derniers sont dans une lutte politique qui est une lutte pour maintenir ou changer la vision du monde social en conservant ou en modifiant les catégories de perception du monde, en travaillant à la constitution d'un sens commun (Bourdieu, 2000 : 19). Mais, si les acteurs sont au coeur de la construction, celle-ci tend souvent à les échapper. Dans tous les cas, par leurs usages, pratiques, symboles quotidiens et historiques, les acteurs participent à la production et la reproduction de l'abstentionnisme électoral puisque, selon Alfred Schutz, les phénomènes sociaux sont construits, institutionnalisés et transformés en traditions23(*) . En définitive, le constructivisme contribuera à l'examen de l'implication effective des agents sociaux dans une permanente dialectique de construction et de déconstruction (Tchoupie, 2004 : 45) de l'abstentionnisme électoral. Cependant, il sera important de souligner la conjoncture particulière qui prévaut dans le processus de construction et sa logique interactionniste. 2- L'interactionnisme stratégique L'analyse stratégique fait appel à l'identification des acteurs, à la compréhension de leurs enjeux, aux différents pouvoirs dont ils disposent pour les faire valoir et à l'identification des zones d'incertitude sur lesquelles ils s'appuient (Morin, 2002 : 58). L'interactionnisme postule alors la prise en considération des sujets en tant qu'acteurs susceptibles de choix, d'initiatives, de stratégies ; il fait de l'acteur individuel une unité d'analyse (Ansart, 1990 : 217). L'importance est donc mise ici sur les acteurs, leurs interactions et leurs enjeux. C'est dans cette logique que M. Crozier estime que, chaque acteur est un stratège parce que chacun d'eux se réfère à ses propres enjeux et détient un pouvoir suffisant pour s'efforcer de les atteindre grâce à ses compétences, ses informations, sa connaissance des règles internes, tout en exploitant leurs zones d'incertitude pour faire valoir ses enjeux et préserver une part d'autonomie24(*). Il convient cependant de préciser que les zones d'incertitude sont des éléments utiles pour un acteur même si le contrôle lui échappe (Rojot, 2003 : 22). Ce qui implique la nécessité de les maîtriser. Dans tous les cas, les acteurs dans leurs interactions et profitant de leur position, cherchent à imposer leur volonté aux autres. Tirant ainsi avantage de leur position ils ont une volonté de s'adapter, vu que l'importance est la préservation de leurs intérêts. Ils ont donc un comportement actif. Les acteurs dans ce cas sont soit des individus, soit des groupes dont le niveau hiérarchique importe peu (Rojot, 2003 : 216). L'intervention d'un acteur dans le système dépend de l'intérêt qu'il recherche. Etant donné que les interactions entre les acteurs se jouent comme une pièce, ce qui leur permet d'effectuer des adaptations opportunistes au système au lieu de l'innovation volontariste dans la création (Morin, 2002 : 59). Ceci étant, les interactions visent des objectifs, justifiant la non-gratuité d'un acte (Rojot, 2003 : 217). Dans cette perspective, pour atteindre leurs objectifs, les acteurs entretiennent entre eux une multitude d'échanges en vue d'obtenir des choses matérielles ou non matérielles. Cependant, ceux-ci doivent posséder des ressources qui vont leur permettre d'y arriver tout en gardant à l'esprit que les objectifs varient en fonction des contextes. Ces ressources sont inhérentes à certains acteurs et extérieures à d'autres. C'est la raison pour laquelle le choix des ressources n'est pas neutre. En général, le caractère stratégique des interactions procède du fait que chaque acteur doit savoir évaluer les ressources disponibles dans la situation affrontée, hiérarchiser ses objectifs en termes de préférence et anticiper les réactions d'autrui susceptibles d'affecter le niveau des profits et des coûts escomptés (Tchoupie, 2004 : 48). Par ailleurs, les contraintes peuvent sérieusement compromettre les objectifs des acteurs (Rojot, 2003 : 220). En tout état de cause, les acteurs sont des « stratèges » qui, pour parvenir à leurs objectifs, doivent employer des stratégies appropriées ; sachant que les stratégies leur permettent d'élargir leur propre marge de manoeuvre, de comportement arbitraire possible et à réduire celle des autres (Rojot, 2003 : 230). Bien plus, la stratégie selon M. Bangoura n'est rien d'autre que, l'ensemble des opérations intellectuelles et physiques indispensables pour concevoir, préparer et conduire toute action collective ou individuelle finalisée surtout dans le cadre d'une interaction25(*). Les stratégies sont donc déterminantes pour les acteurs, leur absence causant des difficultés dans la poursuite de leurs objectifs. Alors qu'elles exigent de l'acteur qu'il soit rationnel dans le cadre de ses limites et de ses perceptions (Rojot, 2003 : 223). C'est pour cela que M. Bourdieu (1994 : 150) soutient que : « ...Les agents sociaux ne font pas n'importe quoi, qu'ils ne sont pas fous qu'ils n'agissent pas sans raison ». C'est la preuve que, les acteurs interagissent en fonction de leur rationalité afin de profiter de leur position pour imposer leur volonté aux autres qui, à leur tour, interagissent aussi pour ne pas se voir imposer une volonté. Ainsi entendu, l'interaction stratégique constituera pour nous un instrument important dans l'analyse de l'abstentionnisme électoral. Ceci nous permettra en effet, de rendre compte des interactions entre les acteurs qui participent à la construction de l'abstentionnisme électoral depuis le retour du multipartisme au Cameroun. Cette méthode nous permettra de rendre également compte des comportements stratégiques des acteurs, de savoir pourquoi ceux-ci, dans leurs comportements, participent à travers leurs différentes actions et interactions, à la construction de l'abstentionnisme électoral. Ce qui n'est possible que si un certain nombre d'outils organisés par les methodes, sont mis à la disposition de notre étude. B- LES TECHNIQUES DE COLLECTE DES DONNEES La construction de l'objet n'accède à la dignité scientifique que si elle se prête à l'application des techniques (Bourdieu et als, 1983 : 53). Ces dernières, bien que se limitant aux faits, constituent des moyens pour atteindre un but. Elles ne sont donc que des outils mis à la disposition de la recherche. C'est-à-dire des moyens matériels pour la collecte et le traitement des données. A cet effet, nous utiliserons dans le cadre de notre étude, les techniques documentaires et les techniques vivantes. 1- Les techniques documentaires Les techniques sont des outils, des instruments organisés par la méthode et mis à la disposition de la recherche. Elles permettent de collecter et de traiter les données. C'est pour cette raison qu'elles sont définies comme des procédés opératoires rigoureux bien définis, transmissibles, susceptibles d'être appliqués à nouveau dans les conditions adaptées au genre de problème et de phénomène en cause. Le choix des techniques dépend de l'objectif poursuivi en ce sens que, choisir les techniques, étant donné les particularités et les limites de chacune d'elle, c'est sélectionner à l'avance les matériaux qu'elles recueilleront (Grawitz, 1996 : 446). C'est au regard de ces analyses que nous nous sommes orientés vers un certain nombre de documents généraux portant sur les élections en général et sur l'abstentionnisme électoral en particulier. De là, grâce à ces documents écrits, nous sommes entrés en possession d'un nombre important d'informations quantitatives et qualitatives. Ces documents ont orienté nos recherches en tant que modèles d'analyse et nous ont situé par rapport aux exigences scientifiques que requiert le travail de recherche. Ces documents ont aussi eu le mérite de nous plonger dans l'histoire électorale récente du Cameroun. Les documents officiels (la constitution, les lois et les décrets) quant à eux, nous ont permis de nous imprégner des règles régissant la compétition électorale au Cameroun et de comprendre certaines motivations des acteurs politiques à l'égard du processus électoral. A travers ces documents, nous avons constaté qu'une bonne partie de la compétition électorale se joue au niveau de la définition des règles du jeu et que c'est justement le déficit de consensus autour de celles-ci qui explique en grande partie l'abstentionnisme au Cameroun. Les travaux universitaires (thèses et mémoires) tout comme les périodiques et les revues scientifiques ont constitué des sources importantes d'inspiration. Ces documents scientifiques nous ont permis d'avoir les bases théoriques sans lesquelles notre étude aurait perdu sa valeur scientifique du fait qu'ils nous ont servi de prototypes pour la construction de notre étude en nous fournissant les techniques d'approches nécessaires à la collecte des données. Les documents affichés comme les tracts et les banderoles et bien d'autres nous ont tout aussi été utiles. En effet, y ont été extraits les appels et les contre-appels aux inscriptions sur les listes électorales et aux votes. Tous ces documents nous ont facilité l'extraction des consignes et des contre-consignes des acteurs politiques. C'est pourquoi l'exploitation de tous ces écrits nous a conduit à extraire des informations factuelles (statistiques ou faits bruts) (Mace et Pertry, 2000 : 90) et non factuelles. Dans cette logique, les documents offrent l'avantage d'être un matériau objectif en ce sens qu'ils soulèvent les interprétations différentes, ils permettent une étude dans le temps et facilitent l'obtention des données qualitatives et quantitatives (Grawitz, 1996 : 479 et 482). Dans la même logique, les médias tels que la télévision, la radio ou encore l'internet ont suscité notre attention. Ces instruments ont permis que nous puissions avoir des données en temps réel sur l'état des taux d'abstention électorale au sens large à travers des débats et des émissions politiques comme « Espace politique » sur la Crtv-télé, comme « Tous à l'antenne » ou « Canal Presse » sur Canal2 et sur d'autres chaines. Nous avons consulté les sites internet des partis politiques à l'instar du RDPC, du SDF, et de l'institution chargée de l'organisation des élections au Cameroun à savoir ELECAM (Elections Cameroon). Ce qui nous a permis de nous procurer certaines données statistiques sur les taux d'inscriptions et les stratégies mises en place pour amener les gens à s'inscrire sur les listes électorales ainsi que sur d'autres informations tout aussi importantes. La radio quant-à elle nous a permis de d'écouter les émissions et débats politiques, de connaître les positions de certains acteurs politiques par rapport à la participation et à la non participation électorale des citoyens et des partis politiques. La presse écrite n'était pas en reste, car elle nous a plongée dans l'histoire électorale du Cameroun, en nous faisant état de son atmosphère politique, de ses résultats électoraux, avec ses conséquences. Les techniques vivantes n'ont pas été en reste car, elles nous ont permis de nous confronter avec la réalité des faits. 2- Les techniques vivantes L'entretien quant à lui, a été important dans la collecte des informations à nos interlocuteurs sous forme de récits indirects oraux sur des faits présents ou passés ou encore sur leurs opinions. Ainsi, il nous a permis d'obtenir des informations déterminantes pour notre étude étant donné que nos interlocuteurs ont été des acteurs impliqués dans la compétition électorale soit comme responsables politiques, soit comme responsables chargés de la gestion du processus électoral. C'est dans cette logique que s'inscrivent les entretiens que nous avons eu avec M. Ni John Fru Ndi sur les événements électoraux actuels et passés, ainsi qu'avec le responsable régional d'ELECAM (Ouest), départementaux et communaux d'ELECAM, aussi bien dans la Menoua, que dans la Mifi. L'entretien a donc constitué un tête-à-tête sérieux et confidentiel entre l'enquêteur et l'enquêté (Grawitz, 1996 : 586). Cet instrument nous a permis par le biais des questionnaires préalablement élaborés d'accroître le niveau d'informations que nous voulions atteindre. Toutefois, nous avons préféré pour nos entretiens, le procédé de « l'entretien à questions ouvertes » qui laisse la latitude à l'enquêté de répondre et de développer ses opinions comme il le désire, à condition bien sûr de rester dans le cadre de la question (Tchoupie, 2004 : 59). En outre, l'observation a constitué pour nous un procédé d'investigation important. Elle nous a d'ailleurs permis d'observer le déroulement de certaines inscriptions sur les listes électorales. C'est grâce à elle que nous avons observé les inscriptions sur les listes électorales dans la ville de Dschang au siège communal, départemental d'ELECAM et au campus « A » de l'Université de Dschang. En conséquence, la construction de l'objet et les procédés d'analyse nous ont permis d'orienter notre démarche scientifique autour de la construction pratique de l'abstentionnisme électoral (prémiere partie) et de la multiplication des effets pervers engendrant une dynamique de sa neutralisation (deuxième partie). PREMIERE PARTIE : LA CONSTRUCTION PRATIQUE DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL
Le retour du multipartisme dans les années 1990 va conduire le Cameroun à ses premières élections concurrentielles post-parti unique. Cependant les élections pluralistes vont drainer avec elles une série de conséquences dont l'une des plus importantes est l'abstentionnisme électoral. Par conséquent, le droit de voter aura pour corollaire celui de ne pas voter, ce qui explique pourquoi, depuis les élections législatives de 1992 ce phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur dans l'ensemble des élections organisées au Cameroun, avec des degrés divers selon le type d'élection et en fonction des localités. En effet, c'est un phénomène qui ne se construit pas de la même manière selon les localités et les types d'élections. Dès lors, les premières élections pluralistes en seront une parfaite illustration puisqu'elles se dérouleront dans une atmosphère d'appel et de contre-appel au boycott. L'appel au boycott constituera ainsi une stratégie de participation électorale de grande importance aux yeux de certains partis politiques (Nna, 2009 : 344) ce qui n'est pas sans conséquence sur le caractère universel du suffrage. Au delà du boycott, plusieurs autres facteurs vont contribuer à la construction de l'abstentionnisme électoral. Il se construit dès lors, au moment de l'inscription sur les listes électorales et au moment de l'élection. CHAPITRE 1 : LA CONSTRUCTION DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL AU MOMENT DE L'INSCRIPTION SUR LES LISTES ELECTORALES Le vote est un instrument dont la valeur dépend de l'homme qui en use et de la fin pour laquelle il s'en sert (Njoya, 2003 : 65). Donc, chaque citoyen peut s'il le souhaite, décider de s'en servir ou de ne pas s'en servir. C'est dans cette optique que la plupart des citoyens décident souvent de renoncer à l'exercice de leur droit de vote (Brechon (a), 2007 : 3) parce qu'il ne leur procure aucune satisfaction, ils ont l'impression de perdre beaucoup de temps inutilement. Dès lors, la renonciation au droit de vote commence par la non-inscription sur les listes électorales (Panke-shon, 2007 : 3). Néanmoins, la non-inscription est le fait pour un citoyen en âge de voter de ne pas s'inscrire qu'elle qu'en soit la raison (Verrier, 2007 : 62) étant donné que l'essentiel en matière de participation se joue dans l'inscription sur les listes électorales (Braconnier et Dormagen, 2007 : 27). En effet, l'inscription sur une liste électorale est la toute première démarche à remplir pour tout citoyen en âge de voter si celui-ci tient à voter26(*). Les non-inscrits sont donc nécessairement des « abstentionnistes obligatoires 27(*)». Donc, c'est parce que les inscriptions massives de la part des citoyens en âge de voter sur les listes électorales contribuent à la crédibilisation du corps électoral28(*) que la non-inscription sur les listes électorales est considérée comme le « degré zéro » de l'abstentionnisme électoral ou encore comme le degré le plus faible de la participation à la vie politique, du moins dans ses formes conventionnelles29(*). Cependant, la non-inscription sur les listes électorales peut-être volontaire ou involontaire, c'est-à dire qu'elle peut soit découler de la volonté même du citoyen sans influence extérieure, soit découler des influences extérieures au citoyen, conduisant dans les deux cas à l'abstentionnisme lors des inscriptions sur les listes électorales. Dans cette perspective, nous présenterons la non-inscription volontaire et la non-inscription involontaire. * 1Cité par LIPSET, S, M., L'homme et la politique, Paris, Seuil, 1963, p 4. * 2 Cité par PERRINEAU, P., « Les usages contemporains du vote », In Pouvoirs, Revue Française d'Etudes Constitutionnelles et Politiques, N°120-2006, Paris, p. 38. * 3 Lire MONGOIN, (D) : l'abstention électorale, In http /www/ .juspoliticum.com/politische.Und,rechtichu,hml.p7. Consulté le 12/06/2010, p. 2. * 4 Ibid. * 5 6 Cité par Blaise KOUAMEN., La dynamique évolutive des paradigmes de l'abstentionnisme électoral en France : proportion du concept du déficit d'intérêt esquisse. Université LilleII, 2009, p. 38. * 78 Ibid. * 9 Cité par MAYER, N., « Qui vote pour qui et pourquoi », In Pouvoirs, Revue Française d'Etudes Constitutionnelles et Politiques, N°120-2007, Paris, p .18. * 10 Lire à ce propos Séquence-6 : règles et comportements électoraux, in CNED-ACADEMIE, consulté le 12/06/2010, p. 95. * 11 Cité par BOUTHOUL, G., L'art de la politique, Paris, Seghers, 1969, p. 479-480. * 12 Lire à ce propos l'article 33 al 3, du code électoral Camerounais. * 13 Lire à ce propos l'article L-9 du code électoral Français. * 14 Les votes nuls sont considérés par Mme. VILLETTE cité par M.LIPSET, op. cit., p. 8. * 15 Voir à propos Zelao, A., « Le vote comme formule de civilisation des moeurs politiques au Cameroun au détour du procès démocratique », In alazelao@yahoo.fr.P.81. Consulté le 12/06/2010. * 16 Au moment des premières élections pluralistes post parti unique. * 17Cité par Pascal PERRINEAU, op. cit., p. 35. * 18 Propos tenus sur Canal2 à l'émission « Canal presse » du 22/08/2010. * 19 Voir à propos MONGOIN (D), op. cit., p. 5. * 20 A ce propos lire le document Wikipédia (l'encyclopédie) sur le constructivisme, consulté le 13/05/2011, sur Google. * 21 Voir à ce propos BRASPENNING, T : Constructivisme et refléxivisme en théorie des relations internationales, in Afri, volume3, p. 5. * 22 Lire à ce propos WILGA, M : Le constructivisme dans le domaine de l'intégration européenne. p. 81. * 23 A ce propos, lire le document Wikipédia (encyclopédie), sur le constructivisme, consulté le 13/05/2011, sur Google. * 24 Cité par MORIN, J-M., Précis de sociologie, Paris, Nathan, 2002, p. 58. * 25 Cité par André TCHOUPIE., L'Ouest dans la conjoncture de libéralisation politique au Cameroun (1990-2004). Genèse et usages sociopolitiques contextuels d'un champ régional. Université de YaoundéII-Soa, 2004, p. 47. * 26 Lire à ce propos MONGOIN, D, op. cit., p. 7. * 27 Ibid. p8. * 28 Rapport Général de l'ONEL., Sur le déroulement des opérations électorales des élections législatives et municipales, 2002, p. 14. * 29Séquence-6. op. cit., p. 89. |
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