L'abstentionnisme électoral au Cameroun a l'ère du retour au multipartisme( Télécharger le fichier original )par Augustin TALA WAKEU Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012 |
B- AU NIVEAU DES ENJEUX ELECTORAUXL'enjeu de l'élection est censé stimuler la participation électorale. Or, ceci n'est possible que si les acteurs politiques sont divisés sur ses définitions et ses solutions. Ces divisions et propositions doivent être clairement perceptibles par l'opinion publique (Kouamen, 2009 : 117-118). Selon M. Franklin plus l'élection est compétitive, plus les enjeux sont forts et la marge de victoire serrée, plus l'électorat est libre de se rendre aux urnes166(*). L'une des réalités les plus frappantes en Afrique comme au Cameroun est le déficit de débat politique, étant donné que les partis ne réfléchissent pas aux problèmes fondamentaux de la société (Michalon, 1984 : 40) pourtant, c'est à l'issue des débats politiques que sont perçus les enjeux d'une élection. Dans cette logique, l'école de Michigan a présenté trois conditions pour cristalliser la pertinence d'un enjeu sur le citoyen à savoir qu'il doit être connu de l'électeur, provoquer une réaction chez lui et il doit enfin percevoir l'un des partis comme ayant sur cet enjeu des positions plus proches des siennes167(*). En effet, Pierre Martin estime que l'enjeu est considéré comme proche pour l'électeur si celui-ci le ressent avec des questions de sa vie quotidienne, sinon il sera présenté comme étant éloigné168(*). Or, l'enjeu ressort à travers les programmes politiques qui constituent les bases de la mobilisation électorale. Ceci étant, se sont eux qui définissent les objectifs mobilisateurs, donnent envie de participer au vote et de voter pour un candidat, un parti lui permettant ainsi de se singulariser des autres tendances (Brechon(b), 2007 : 116). Si l'électeur n'est pas convaincu par la capacité pour le système politique d'apporter des améliorations à sa condition d'existence, il cultivera une attitude d'indifférence à l'égard de la politique (Braud, 1991 : 35) et aura tendance à se soustraire de la participation électorale, d'où l'abstentionnisme. Mais, l'indifférence conduit parfois, selon M. Pammet et M. Leduc à un sentiment d'inutilité qui s'accompagne d'une opinion négative quant-à la compétition électorale, c'est-à-dire au sentiment que leur vote ne changera rien au résultat final169(*). Ainsi, l'analyse stratégique amène l'électeur à calculer comme un « homo eoconomicus » du fait qu'il prend en compte la campagne électorale avec ses enjeux, ses thèmes saillants, les personnalités qui la mènent et les gains qu'il peut en profiter. Cependant, lorsque les actions d'explication des enjeux ne sont pas efficaces, il est difficile de convaincre les citoyens à aller voter (Brechon(a), 2007 : 6) surtout lorsqu'ils doutent de la crédibilité de l'élection et ne ressentent pas une certaine concurrence sur la scène électorale. C'est pourquoi, il est fréquemment affirmé qu'il y aurait une corrélation positive entre le taux d'abstention et le degré d'ouverture du jeu électoral (Otayek, 2002 : 99). Ce qui signifie que le non-vote des citoyens est souvent lié à l'opacité du jeu électoral et au caractère déloyal de la compétition électorale. En outre, le retrait des citoyens de la scène électorale s'explique aussi par le fait que, le « coût » de leurs investissements ne peut être compensé. Or, peu de citoyens sont prêts à faire des investissements sans bénéfice car, selon Pierre Bourdieu (1994 : 150) il n'y a pas d'acte gratuit. En effet, l'incapacité des partis politiques camerounais à proposer aux électeurs de véritables projets de société a contribué à la construction d'un environnement électoral non-concurrentiel dans lequel un seul parti ou candidat connu d'avance est capable de gagner, affaiblissant l'opposition et démontrant son incapacité à impulser un changement, vu l'absence de dimension programmatique dans les débats politiques (Buijtenhuijs, 1994 : 119). C'est pour cette raison que nous admettons que, la participation électorale, recule lorsque les incitations proprement politiques à participer aux scrutins s'affaiblissent (Gaxie, 2000 : 58), ce qui se justifie par le fait que, les citoyens ont de plus en plus du mal à percevoir la pertinence de l'élection face aux problèmes de la société et les solutions vagues semblent être les mêmes pour tous les partis. Dans ces conditions, l'abstention est la solution qui satisfait le mieux les citoyens, étant donné qu'elle n'implique aucune tracasserie pour des résultats qui sont considérés comme connus d'avance. De toute évidence, les électeurs ne parviennent pas à percevoir l'enjeu du vote principalement à cause de l'absence de suspense qui régit les élections au Cameroun. Pour preuve, les gens ont plus confiance aux élections dans les pays où elles ont débouché sur une alternance de groupe de dirigeants (Bratton, 2007 : 5). En plus, lorsqu'ils constatent que les maux décriés depuis des années comme : le chômage, l'insécurité, l'impunité, la fuite des capitaux, le manque de transparence, persistent (Ndjock, 2007 : 95) il leur est très difficile de voter. L'abstentionnisme au moment de l'élection est le fruit de la combinaison de plusieurs facteurs. De ce fait, on peut en déduire qu'il n'y a pas de facteur unique permettant d'expliquer le phénomène, mais qu'il combine à la fois les logiques sociologiques, rationnelles, (Perrineau, 2006 : 35) institutionnelles, conjoncturelles et bien d'autres facteurs qui sont autant déterminants. Toujours est-il que, la construction de ce phénomène pose le problème de ses effets pervers et celui des tentatives de sa neutarlisation. DEUXIEME PARTIE : DE LA FLORAISON DES EFFETS PERVERS DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL A LA MULTIPLICATION DES TENTATIVES DE SA NEUTRALISATION Les actions et interactions qui conduisent à la construction du phénomène de l'abstentionnisme électoral au Cameroun ne sont pas sans impact sur la démocratie représentative du pays ; ce qui entraine des réactions en chaîne de la part des acteurs sociopolitiques. En effet, si les partis politiques comme les hommes politiques proposent divers types de « biens » pour obtenir la confiance et le crédit de leurs concitoyens, c'est dans le but de pouvoir parler, agir en leur nom et à leur place (Gaxie, 2000 : 1243). Nous en déduisons que, le vote permet aux citoyens de choisir leurs représentants. Or, il est établi que tout le monde ne peut voter et ne vote d'ailleurs pas. Ce qui fait que les élus sont souvent issus de la volonté de la minorité des électeurs (Lipset, 1963 : 15). Ceci étant, ils bénéficient du « coup de force symbolique170(*) » de la représentation, définie par Philippe Braud (1998 : 411) comme le fait que l'élu d'une majorité d'électeurs soit considéré comme le représentant de tous les citoyens y compris ceux qui se sont abstenus. En conséquence, bien que M. Huntington estime qu'une trop forte participation entraînerait l'entrée en jeu d'abstentionnistes perturbateurs par nature hostiles aux principes démocratiques171(*), il n'en demeure pas moins que, la participation électorale est un indice de la bonne santé de la démocratie. En conséquence, l'absence de participation aux consultations électorales sape la légitimité des décisions qui pourront être prises172(*) et des élus eux-mêmes. C'est pour cela que l'élection est considérée comme le moyen par excellence qui permet aux citoyens de choisir leurs représentants, d'où l'exigence de la forte participation sinon le vote risque d'être considéré comme un sondage et même de moindre qualité (Lipset, 1963 : 15). Car, si l'élection confère un surcroît d'autorité à ceux qui exercent le pouvoir et réactive chez les gouvernés le sens de leur appartenance au grand groupe grâce à l'exercice collectif d'une prérogative partagée (Braud, 1998 : 305), elle constitue cependant le moment majeur de la procédure démocratique. L'abstentionnisme électoral constitue néanmoins sa remise en cause et interprète le mieux la crise de la démocratie (Dabrowski et Guillou, 2005 : 31). Il en résulte que, la crise de la démocratie compromet la légitimité du système représentatif, faisant de l'abstention électorale l'indicateur de l'état de santé du système démocratique (Muxel, 2007 : 43 et 55). Le risque étant certainement le déficit de légitimité et de représentativité des élus. D'ailleurs, personne ne se satisfait réellement de la faible participation électorale des citoyens, et c'est pourquoi même les régimes les plus liberticides s'enorgueillissent des taux de participation électorale remarquable (Lipset, 1963 : 18) et veillent à ce qu'ils soient les plus élevés possibles. C'est ce qui justifie les initiatives entreprises dans le but de neutraliser l'abstentionnisme électoral. En effet, la scène électorale camerounaise depuis le retour du multipartisme constitue le théâtre de nombreuses démarches de la part des acteurs sociopolitiques visant à combattre la non-participation électorale des citoyens aux consultations électorales. Au regard de ces analyses, nous sommes amenés à présenter d'une part la floraison des effets pervers de l'abstentionnisme électoral et d'autre part la multiplication des tentatives de sa neutralisation. CHAPITRE 1 : LA FLORAISON DES EFFETS PERVERS DE L'ABSTENTIONNISME ELECTORAL L'abstention électorale, selon M. Huntington, illustrerait un état d'apaisement, une absence de conflit majeur dans une communauté politique173(*). Ce qui dissimule néanmoins mal, la réalité selon laquelle elle est de nature à permettre la prise du pouvoir par une minorité (Lipset, 1963 : 15). Cette situation pose sans équivoque le problème de la légitimité et de la représentativité des élus. Dans tous les cas, le principe de la légitimité des gouvernants est déterminant dans toute démocratie même s'il est contrarié par l'expression de la défiance citoyenne vis-à-vis des pouvoirs. C'est ce que M. Rosanvallon qualifie de « contre- démocratie » qui n'est pas le contraire de la démocratie, mais plutôt la forme de la démocratie qui contrarie l'autre c'est-à-dire celle de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale174(*). Toutefois, les citoyens qui refusent de prendre part au vote font tourner à vide la machine démocratique car la démocratie repose sur l'idée que si les citoyens participent aux choix de leurs dirigeants politiques, ils manifestent davantage leur attachement au système politique global (Cot et Mounier, 1974 : 48). Dans le cas contraire, ils seront incités à remettre en cause les décisions politiques des dirigeants. D'où la nécessité que ces derniers soient les plus représentatifs possible. C'est pour cela que, plus large sera la participation des citoyens aux élections, plus grande sera l'autorité des élus pour exprimer la volonté générale du peuple. C'est ainsi que les risques de troubles politiques proviennent de ce que l'autorité des organes de l'Etat peut porter à contestation parce qu'ils sont élus par une minorité de citoyens (Gandolfi et Lambert, 1987 : 291-292). Il est donc important pour la démocratie que l'élection soit l'instrument permettant de faire des citoyens les complices de leur propre domination puisque le pouvoir légitime vise à transformer les citoyens en soutien effectif (Hastings, 1996 : 32) et à assurer la stabilité tout comme la survie de la démocratie. De cette analyse, il convient de présenter d'une part l'utilisation de l'abstentionnisme électoral comme élément de délégitimation et comme expression de la volonté de la minorité et d'autre part, les balbutiements de la démocratie représentative au Cameroun. * 166 op. cit., p. 48. * 167 Cité par Blaise KOUAMEN, op. cit., p. 118. * 168Ibid. * 169 Cité par M.DUVAL, op. cit., p. 46. * 170 C'est une expression empruntée à Pierre BOURDIEU. * 171 Cité par M.LIPSET, op. cit., p. 4. * 172 Lire à ce propos séquence-6, op. cit., p. 90. * 173 op. cit., p. 5. * 174 op. cit., p. 38. |
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