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L'abstentionnisme électoral au Cameroun a l'ère du retour au multipartisme

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par Augustin TALA WAKEU
Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012
  

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SECTION 1 : L'ORCHESTRATION DU DYSFONCTIONNEMENT DU PROCESSUS ELECTORAL

La participation des citoyens aux consultations électorales est stimulée par un nombre important de facteurs sans lesquels ceux-ci peuvent être tentés de s'abstenir. Parmi ces facteurs, l'organisation de l'élection et son déroulement en sont les piliers car la fiabilité de l'élection y réside. Mais, pour plusieurs raisons, certains partis politiques peuvent être tentés de boycotter les élections entrainant avec eux la non-participation de certains citoyens. Ce type d'abstentionnisme lié au dysfonctionnement du processus électoral ne dépend pas de la volonté manifeste des citoyens ; c'est pour cela qu'il est dit « abstentionnisme involontaire ». Toujours est-il que ce dysfonctionnement même s'il n'est pas le fait direct des citoyens, est celui des acteurs en charge du processus électoral qui, volontairement ou involontairement entraîne cette situation. Ce qui a inéluctablement un impact significatif sur la participation des citoyens aux élections. Dès lors, nous envisagerons dans cette perspective non seulement l'abstentionnisme inhérent à l'organisation parfois chaotique des élections mais aussi celui lié à l'entretien d'une atmosphère propice à une organisation non harmonieuse des élections.

PARAGRAPHE 1 : UNE ORGANISATION PARFOIS CHAOTIQUE DE L'ELECTION

L'organisation et le déroulement de l'élection peuvent, lorsque certaines conditions sont réunies, constituer des cartalyseurs pour l'abstentionnisme électoral au point d'entacher considérablement la crédibilité de l'élection. Dans cette logique, nous présenterons tour à tour l'abstentionnisme lié aux problèmes de cartes d'électeurs et des listes électorales, celui inhérent aux problèmes d'urnes, de bulletins, au non repérage des bureaux de vote et de leur éloignement.

A- LA GESTION PROBLEMATIQUE DES CARTES D'ELECTEUR ET DES LISTES ELECTORALES

L'inscription sur les listes électorales des citoyens ne garantit pas de manière automatique leur participation au vote. Celle-ci doit déboucher sur la présence de leurs noms sur les listes électorales et sur la possession effective des cartes d'électeurs. Ce qui n'est pas toujours le cas, entraînant parfois l'abstention. C'est une situation que connaît de façon récurrente de nombreux électeurs camerounais. En conséquence, certains ne peuvent voter en raison de l'absence de correspondance entre le nom et le numéro d'ordre sur les cartes et les listes électorales (Owona Nguini, 1997 : 762).

En effet, en ce qui concerne le problème de listes électorales, de nombreux citoyens sont souvent confrontés à l'absence de leur nom sur les listes électorales malgré les formalités d'inscription qu'ils sont censés avoir accomplis. Plusieurs facteurs peuvent être à l'origine d'une telle situation car, si certaines personnes peuvent souvent se prévaloir de leur inscription sur les listes après avoir accompli les formalités requises, il peut cependant arriver que leurs noms ne figurent pas sur les listes le jour du vote ou que les listes électorales aient été déchirées (Owona Nguini, 1997 : 771) ; ce qui peut parfois s'expliquer par les inscriptions effectuées sur les feuilles volantes111(*) ou sous toute autre forme de légèreté. L'ONEL a ainsi relevé de nombreux cas où, des personnes qui affirmaient s'être inscrites n'ont pourtant pas retrouvé leurs noms sur les listes en 2002, ce qui entraîna leur abstention112(*). C'est pourquoi les citoyens qui viennent regarder leurs noms sur les listes sont souvent découragés lorsqu'ils ne les retrouvent pas, et parce que la procédure d'inscription n'à pas été elle-même facile, ils n'entreprendront généralement aucune action pour les vérifications. En outre, le non affichage des listes électorales a empêché de son côté plusieurs citoyens de participer au vote. Ce fut le cas en 2002 lorsque sur l'ensemble du territoire, 26.6% des listes n'étaient pas affichées devant les bureaux de vote, soit un total de 4954 bureaux de vote qui n'ont pas connu d'affichage de listes électorales113(*). La répartition dans les 10 régions du pays fut la suivante :

Tableau n°11 : LA REPARTITION PAR REGION DES BUREAUX DE VOTE DONT LES LISTES NE SONT PAS AFFICHEES LORS DES ELECTIONS LEGISLATIVES ET MUNICIPALES DE 2002

REGIONS

% DES BUREAUX DE VOTES DONT LES LISTES ELECTORALES NE SONT PAS AFFICHEES

ADAMOUA

21.2

CENTRE

24.3

EXTREME-NORD

33.1

EST

31.0

LITTORAL

16.1

NORD

33.6

NORD-OUEST

27.7

OUEST

28.6

SUD-OUEST

29.2

SUD

19.9

Source : Rapport général de l'ONEL sur les élections législatives et municipales de 2002.

Il est évident que le non affichage des listes ne peut rester sans effet sur le comportement électoral, étant donné que cela constitue un puissant facteur de découragement. Dans tous les cas, le problème de listes électorales s'est posé presque partout sur l'ensemble du territoire, mais surtout dans les localités à forte densité démographique. Par ailleurs, lors des élections législatives de 1992, les citoyens ayant pris part au vote dans un bureau précis, n'ont pas retrouvé leurs noms sur la liste des électeurs inscrits dans ce même bureau lors de la présidentielle alors qu'ils y ont été inscrits. C'est ce qui semble résulter des conclusions de M. Fabien Eboussi Boulaga (1997 : 127) selon lesquelles : les observateurs ont été témoins à Bokle près de Garoua du fait que 138 électeurs ont déclaré que leurs noms avaient été rayés du registre des inscriptions. Cependant, l'absence des noms sur les listes est parfois liée à leur présence dans un autre bureau qui n'est pourtant pas celui dans lequel les personnes se sont inscrites. Ce qui peut signifier qu'ils sont « mal inscrits », c'est-à-dire que leur bureau de vote ne correspond pas à leur lieu de résidence effectif ou d'inscription. En conséquence, ces personnes ne peuvent voter (Braconnier et Domargen, 2007 : 7) à cause de leur mal inscription. Le plus intéressant dans cette situation est que le citoyen n'imagine pas que son nom peut être ailleurs. Dans tous les cas, l'absence de noms de certains citoyens sur les listes conduit à l'abstention car, selon le code électoral camerounais114(*)  « nul ne peut-être admis à voter s'il n'est inscrit sur la liste électorale du bureau de vote concerné ». Toutefois, dans cette logique, l'abstention des citoyens n'est pas volontaire c'est-à-dire qu'elle ne dépend aucunement de ces derniers, mais du dysfonctionnement du processus électoral et peut dans ce cas être considérée comme « involontaire ». De même, la non-participation au vote peut-être liée au fait que les noms sont mal écrits sur les listes. Nonobstant ces situations, on observe aussi ceux des inscrits qui ayant leurs noms sur les listes ne pourront voter cette fois pour non-possession des cartes d'électeurs.

Le non-vote lié au problème de cartes d'électeur mine sérieusement le processus électoral camerounais car, plusieurs citoyens ne prendront pas part au vote pour défaut de cartes d'électeur. Cette situation dépend souvent involontairement ou pas de certains acteurs en charge du processus électoral. Ainsi, lors des élections municipales et législatives de 2002, l'ONEL a noté la non délivrance des cartes d'électeur dans 290 bureaux de vote dans l'ensemble du pays, soit un pourcentage de 2.47%115(*). Dans cette logique, la non délivrance des cartes d'électeurs s'inscrit parfois dans la stratégie de la « distribution sélective » ou discriminatoire des cartes d'électeur, ceci en fonction des objectifs des intérêts que se fixent et défendent ceux des acteurs en charge du processus électoral qui décident d'avoir une telle attitude à l'égard de certains électeurs étant donné que, s'il y a distribution arbitraire des cartes, c'est parce qu'il y a un but visé. Toutefois, il est établi que la non-délivrance des cartes est aussi due à la négligence de certains responsables en charge du processus : ces derniers dans certains cas, en possession des cartes d'électeur n'ont pas veillé personnellement à leur redistribution laissant ainsi le soin à chaque électeur d'y fouiller la sienne, dans un désordre tel que le risque que certains emportent plusieurs cartes était grand. Nombreux sont les électeurs victimes qui, au moment propice, n'ont pas pu rentrer en possession de leurs cartes116(*) soit parce qu'elles avaient été exposées à toute sorte d'intemperies, soit parce qu'elles avaient déjà été retirées, soit parce qu'elles s'etaient égarées et emportées par le vent ou même abimées.

De même, le manque d'information suffisante par endroit au sujet des horaires de distribution obligera certains camerounais à ne pas exercer leur droit. Dès lors, ces cartes non distribuées tant par amateurisme que du fait d'une stratégie émanant de certaines autorités, resteront en souffrance dans ces différents lieux de distribution. Et face à cette situation, ces autorités ne prendront même pas la peine de transporter ces cartes dans les différents bureaux le jour du vote117(*) tel qu'il est souvent recommandé, afin de permettre aux citoyens de les retirer à leur arrivée. C'est ainsi que certains électeurs ont été rencontrés sillonnant des dizaines de bureaux de vote sans trouver leurs cartes118(*). D'où les accusations faites contre les chefs traditionnels de retenir indûment les lots de cartes d'électeurs119(*) ; ces accusations peuvent être justifiées : on a souvent au Cameroun vu des chefs traditionnels être candidats aux élections ou même soutenir ouvertement un candidat. Ce fut par exemple le cas du chef supérieur Bandjoun qui était le deuxième sur la liste RDPC en 2007 à Bandjoun comme conseiller municipal. On peut alors comprendre que ce refus de distribuer ou de faciliter la possession des cartes d'électeurs s'inscrit dans une tactique claire d'exclure stratégiquement les personnes pouvant compromettre la victoire du « chef-candidat » ou du camp qu'il soutient, compte tenu du fait que le village ou le quartier n'étant pas très peuplé, ledit chef a la possibilité de connaître certains des sujets qui ne partagent pas la même affinité partisane que lui. C'est pourquoi, Fabien Eboussi Boulaga qualifiera : « d'affinité élective » la distribution arbitraire des cartes d'électeurs. Toujours est-il que cette distribution sélective s'inscrit dans une certaine mesure, dans une stratégie claire et savamment orchestrée par ceux qui y ont intérêt : puisqu'il n'existe pas d'acte gratuit, le comportement de chacun est orienté vers un but (Rojot, 2003 : 217). Ce qui rejoint la position de Pierre Bourdieu (1994 : 150) selon laquelle les agents sociaux ne sont pas fous, ils n'agissent pas sans raison.

En effet, la distribution sélective des cartes d'électeurs participe à la construction de l'abstentionnisme électoral comme le dénonce l'UNDP en ces termes : « ...la grande majorité des citoyens en âge de voter a été dépossédée de son droit de vote par le biais...du refus de délivrance des cartes d'électeur aux militants et sympathisants de l'opposition » (Afom Ndong, 2007 : 65). C'est la preuve que cette distribution ou cette rétention sélective des cartes d'électeur n'est pas innocente. Il n'est donc pas imprudent de parler de la rétention des cartes d'électeur (Menthong, 1998 : 48) comme technique de construction de l'abstentionnisme « forcé ». Visiblement, cela semble arranger certains acteurs politiques sinon il n'y aurait aucun intérêt à l'entretenir. C'est le cas des membres de la commission mixte qui représentant leur parti politique, sélectionnent parfois de façon arbitraire les cartes de leurs militants et lorsque les autres membres ne sont pas présents ou ne sont pas vigilants, ils cachent celles des militants des autres partis politiques, les confisquent et parfois les détruisent120(*). Selon les observateurs internationaux, les partis politiques, les organisations non gouvernementales et les organisations civiques locales, la distribution sélective des cartes d'électeur aurait contribué à priver en 1997 environ deux millions de camerounais de leur droit de vote (Mouiché, 2009 : 31).

Par ailleurs, on peut noter que le fait pour un citoyen de ne pas avoir sa carte d'électeur n'est pas toujours lié à la « distribution sélective » ou à sa « rétention », mais il peut aussi être lié au fait que, malgré la présence de son nom sur la liste électorale, la carte n'ait pas été confectionnée. A l'exemple d'un étudiant qui, ayant validé toutes ses unités d'enseignement, ne reçoit malheureusement pas son diplôme. Ceci est un acte dont l'objectif n'est pas nécessairement orienté contre l'étudiant pour le nuire, c'est tout juste une erreur qui peut immédiatement être réparée si l'étudiant fait la requête. Ce qui n'est pas souvent le cas avec les électeurs victimes car dans la plupart des cas, les citoyens ne savent même pas ce qu'il faut faire pour que le tort soit réparé (Kamga, 2002 : 20). Parallèlement aux problèmes liées aux listes et aux cartes d'électeur, on rescense les problèmes d'urnes, de bulletins, de non repérage des bureaux de vote et de leur éloignement qui conduisent également à l'abstentionnisme électoral.

* 111 Lire le Rapport Général de l'ONEL., 2002, op. cit., P. 16 et 19.

* 112 Lire le Rapport Général de l'ONEL., 2004, op. cit., p. 42.

* 113 Ibid. p. 88.

* 114 Il s'agit de l'article 80.

* 115 Lire à ce sujet le Rapport General de l'ONEL., 2002, op. cit., p. 52.

* 116 Lire à ce sujet le Rapport General de l'ONEL., 2004, op. cit., p. 42.

* 117 Ibid.

* 118 Lire à ce sujet le journal l'action n°304, du 26/07/2002, p. 3.

* 119 Ibid. p. 81.

* 120 Lire à ce propos le Rapport Général de l'ONEL., 2002, op. cit., p. 53.

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