L'abstentionnisme électoral au Cameroun a l'ère du retour au multipartisme( Télécharger le fichier original )par Augustin TALA WAKEU Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012 |
SECTION 2 : LES BALBUTIEMENTS DE LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVELa démocratie dépend avant tout de la libre adhésion des citoyens et les pays où une grande partie de la population fait preuve d'apathie et d'indifférence ne peuvent prétendre que le régime en vigueur fait l'objet d'une adhésion. Cette position va à contrario de celle de M. Tingsten lorsque, prenant l'exemple de l'Allemagne, qui avait connu des taux de participation extrêmement élevés au moment où la démocratie était sur le point de disparaître, conclut que la forte participation n'est pas toujours bénéfique pour la stabilité de la démocratie186(*). Pour cet auteur, l'abstentionnisme électoral n'est donc pas nécessairement nocif pour le fonctionnement et la vitalité de la démocratie. Bien qu'il traduise un « malaise », surtout lorsqu'il devient de plus en plus croissant comme c'est le cas au Cameroun. Il peut alors signifier que la démocratie telle qu'elle est pratiquée ne convainc pas d'où son rejet. Le constat dans tous les cas est que la désaffection des citoyens rapproche la culture politique démocratique de la culture politique autoritaire à travers la commune soumission des citoyens nantis de ces cultures opposées à la domination politique des dirigeants (Kamto, 1993 : 195-196). En effet, c'est la traduction de l'affaiblissement de la compétition électorale concurrentielle et de l'amenuisement des possibilités d'alternance par la voie électorale. PARAGRAPHE 1 : L'AFFAIBLISSEMENT DE LA COMPETITION ELECTORALE CONCURRENTIELLELa démocratie est un régime dont le fonctionnement et la légitimité reposent ultimement sur la confiance des citoyens (Lipset, 1963 : 15) parce que sans cette confiance la démocratie risque de perdre sa légitimité. Le déficit de confiance qui existe entre les citoyens et leur régime démocratique constitue ce que certains auteurs ont qualifié de : « crise de la démocratie » car la faible participation électorale fait perdre à la démocratie sa crédibilité, faute de compétition concurrentielle. D'ailleurs, il n'y a pas de démocratie sans concurrence (Duverger, 1998 : 143) puisque la concurrence est un facteur de mobilisation (Quero et Voilliot, 2001 : 36) et sans elle, les citoyens ne trouveront aucun enjeu à l'élection. C'est dans cette perspective que M. Rosanvallon(1991 : 8) soutient que le déficit de grands affrontements structurant la vie politique nationale constitue le « déclin des passions politiques ». Dans tous les cas, le désintérêt de la population pour le fonctionnement des institutions démocratiques finit par fausser les résultats des élections et affaiblit à la longue la démocratie elle-même (Aletum, 2008 : 161). Cependant, l'affaiblissement de la démocratie au Cameroun se matérialise par l'ultra domination de la scène politique par le parti au pouvoir entraînant de facto un effritement du débat contradictoire et celui de la valeur du vote. A- L'ULTRA DOMINATION DE LA SCENE POLITIQUE PAR LE PARTI AU POUVOIR ET L'AFFAIBLISSEMENT DU DEBAT CONTRADICTOIRELa démocratie ne peut se réaliser sans l'existence d'une opposition légitime. C'est ce qui a amené Giovanni Sartori à considérer l'opposition comme l'ensemble des forces qui ont pour vocation de prendre le pouvoir, d'alimenter une critique des gouvernants actuels et de définir une alternative programmatique187(*). Il en résulte que, dans un système concurrentiel, il y a nécessité que les concurrents existent afin que la compétition puisse avoir tout son sens et toute sa saveur. Mais, depuis le retour du multipartisme, on constate que le « marché » politique ne cesse de se rétrécir en entraînant une fermeture progressive de la concurrence et une tendance à la dérive monopartisane avec le risque d'immobilisme que cela peut entraîner (Njoya, 2003 : 90-91). En effet, le pluralisme est une façon de gérer l'incertitude. Ce qui constitue le sens même de la démocratie (Abeles, 1991 : 3). Cependant, au Cameroun, les élections connaissent rarement de suspens. D'ailleurs, certains militants du parti au pouvoir ne se privent pas de souligner à certaines occasions qu'ils n'ont pas d'opposition. Ce qui constitue naturellement un handicap pour la démocratie. En fait, les scores du RDPC aux différentes élections organisées au Cameroun depuis la présidentielle de 1992 démontrent que ce parti n'a presque jamais perdu les élections et prouvent que l'opposition est presque inexistante. Ce qui traduit le caractère non relativement concurrentiel de la compétition électorale au Cameroun. C'est une réalité qui se matérialise par les multiples défaites de l'opposition alors qu'il est admis que la démocratie ne saurait longtemps survivre sans que les citoyens donnent naissance à une culture politique de participation (Dahl, 1998 : 52) qui n'est possible que si la scène politique est réellement concurrentielle. En tout état de cause, c'est la performance participative des acteurs qui détermine la performance de tout le système et facilite l'enracinement de la démocratie (Kamto, 1993 : 197). Or, dans le système camerounais, le déficit de compétition électorale concurrentielle n'est pas propice à l'enracinement de la démocratie, puisque par abus de position dominante, le RDPC provoque la marginalisation de l'opposition (Njoya, 2003 : 91). Ce qui contribue davantage à l'éviction de la concurrence dans le champ électoral. C'est justement l'ultra domination du RDPC et la satellisation de tous les autres partis politiques jusque dans leurs fiefs respectifs (Mouiché, 2009 : 24) qui constituent un problème pour la concurrence électorale. Etant donné que, si ces partis ne sont plus certains de pouvoir glaner des victoires, ils seront tentés de s'exiler de la compétition électorale. D'où les multiples menaces et boycotts qui structurent la scène électorale camerounaise depuis 1992. C'est la preuve que l'abstention relativise l'intégration du champ électoral (Sindjoun, 1999 : 312) en jouant en permanence au profit du parti au pouvoir qui, par sa position dominante, construit une compétition électorale « déloyale ». Or, il est établi comme le confirme M. Powell que, la dominance d'un parti influe négativement sur la concurrence électorale188(*). L'abstentionnisme illustre bien la faiblesse de la compétition électorale et donc un déficit énorme de concurrence. Ce qui participe à la construction des élections sans incertitude. Pourtant, c'est elle qui justifie et motive la concurrence. Cependant, malgré la pluralité de la compétition électorale, ils leurs seront soustrait l'élément compétitif (Kamto, 1999 :101). Il en résulte que, le faible degré de concurrence électorale constitue un handicap pour la démocratie. Ceci d'autant plus que le vote n'a plus toute son importance vu que certains le considère comme étant incapable d'apporter des solutions à leurs problèmes mais surtout d'assurer une alternance. * 186Cité par M.LIPSET, op. cit., p. 240. * 187Cité par HOLO, T. op. cit., p. 4. * 188 Cité par M. DUVAL, op. cit., p. 75. |
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