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L'abstentionnisme électoral au Cameroun a l'ère du retour au multipartisme

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par Augustin TALA WAKEU
Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012
  

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SECTION 2 : LA MOBILISATION DES RESSOURCES REDISTRIBUTIVES ET COERCITIVES

Depuis les législatives de 1992, un certain nombre d'actions ont été entreprises dans le champ sociopolitique camerounais pour inciter à la fois les partis politiques et les citoyens à prendre part aux élections. C'est ainsi qu'afin d'inciter les partis politiques d'opposition à participer à l'élection présidentielle anticipée de 1992, le président de la République va reporter la date du scrutin au 1er mars (Owona Nguini, 1997 : 698). En effet, l'abstentionnisme va conduire les acteurs sociopolitiques à prendre des dispositions fortes dans le but d'améliorer la participation électorale. Ce qui va permettre la mise en oeuvre des mesures liées à la carte nationale d'identité et aux partis politiques ; la création de nouvelles institutions compétentes en matière électorale et la mise en garde contre les tentatives de perturbation du déroulement de l'élection.

PARAGRAPHE 1 : LA MISE SUR PIED DES MESURES LIEES A LA CARTE NATIONALE D'IDENTITE ET AUX PARTIS POLITIQUES

Il est question pour nous de présenter d'une part les mesures inhérentes à la carte nationale d'identité et d'autre part celles liées aux partis politiques.

A- LA MISE SUR PIED DES MESURES LIEES A LA CARTE NATIONALE D'IDENTITE

Les stratégies variées ont été mises sur pied pour permettre à tous ceux qui n'ont pas de cartes d'identité d'en posséder puisque, sans carte d'identité personne n'est autorisé à s'inscrire sur une liste électorale. C'est dans cette optique que le président de la République a pris une série de mesures visant à permettre aux citoyens de disposer d'une carte d'identité. D'où la signature le 19/05/2011 du décret rendant l'établissement des cartes d'identité gratuite afin de pallier a leur coût élevé et encourager dans la foulée les inscriptions sur les listes électorales. Cette mesure fut la bienvenue étant donné que l'un des obstacles majeurs des inscriptions des citoyens est le manque de cartes nationales d'identité. Par ailleurs, cette mesure du chef de l'Etat n'est pas la première. Elle rejoint bien d'autres qu'il avait déjà prises par le passé comme celles de 2002 sur proposition de l'ONEL. En fait, l'ONEL avait proposé au gouvernement le maintien de la validité de la carte nationale d'identité en carton pour les inscriptions lors des élections législatives et municipales de 2002. Répondant à cette proposition, par décret n°2002/023 du 23/01/2002 le président de la République décida de proroger la validité de la carte d'identité en carton jusqu'au 31/12/2003. Par un autre décret, il prorogea à nouveau ledit délai245(*). L'objectif une fois de plus était de permettre à un maximum de citoyens de s'inscrire sur les listes afin d'exercer le moment venu leur droit de vote. Ainsi, des mesures allégeant les formalités en matière d'établissement et de délivrance de la carte nationale d'identité informatisée seront entreprises par le chef de l'Etat. Par décret il ordonnera la réduction de moitié les frais d'obtention de la carte, la faisant passer désormais de 5000f à 2500f246(*). Suivant la même logique, il fera passer cet instrument de 5000f (officiellement) à 2800f jusqu'au mois d'Août 2011 et c'est à la suite de multiples chantages de la part de certaines élites à l'égard des citoyens qu'il semblerait que la mesure de la gratuité a été prise. D'après certaines indiscrétions, certaines élites et responsables du parti au pouvoir n'hésitaient pas à conditionner l'établissement de cet instrument aux populations au vote du candidat Paul Biya à la prochaine élection présidentielle. Ce qui peut s'illustrer par cette position de M. Henri Eyebe Ayissi, lorsqu'il déclare que : « Nous sommes prêts à supporter les 2800 f.cfa de frais d'établissement de la carte nationale d'identité, à condition que nous soyons sûrs qu'ils vont voter Paul BIYA247(*) ». S'inscrivant dans la dynamique entreprise par le chef de l'Etat liée à la gratuité de la carte nationale d'identité, le Délégué Général à la Sureté Nationale entreprendra la création des postes d'identification mobiles surtout dans les zones rurales248(*). En effet, celui-ci prendra six (06) mesures249(*) pour accompagner la décision du chef de l'Etat. Elles sont entre autre :

- Le déploiement des équipes mobiles d'identification chargées chacune de couvrir au moins un département du territoire national.

- L'identification de proximité par la mise en mouvement des groupes mobiles d'identification gravitant autour des centres d'identification pour se rapprocher le plus possible des demandeurs de cartes nationales d'identité.

- L'amélioration du fonctionnement des 350 postes d'identification fixes existants, disséminés sur l'ensemble du territoire national pour un rendement qualitatif et efficient.

- La réouverture des postes d'identification jusqu'alors fermés et éventuellement la création des nouveaux postes d'identification au gré des besoins exprimés.

- Le renforcement des équipes de travail dans les postes d'identification ainsi que dans les centres d'authentification et les structures de production.

- L'intensification de la distribution de proximité des cartes nationales d'identité en souffrance.

En conséquence, on peut constater que depuis le décret ordonnant l'établissement gratuit des cartes d'identité, les commissariats ne désemplissent pas de monde. L'argumentaire de son coût élevé comme cause importante de la non-inscription sur les listes électorales prend donc tout son sens. Ainsi, à la lecture des chiffres publiés par la direction générale des élections, l'on est passé de 1,6 million en mai 2011 à 1,8 million au 30 juin 2011. Une progression qui aurait un rapport avec la mesure présidentielle instaurant la gratuité de la carte nationale d'identité informatisée sur l'ensemble du territoire camerounais, mesure qui court jusqu'à la fin du mois d'août 2011250(*). Pour rendre cet objectif davantage efficace, le Directeur général d'ELECAM, M. Mohaman Tanimou a indiqué que, l'on pouvait désormais s'inscrire auprès des antennes d'ELECAM ou des commissions de revision des listes électorales sur la base d'un récépissé de la carte nationale d'identité, accompagnée de la copie d'acte de naissance251(*). Dans tous les cas, depuis la mise en oeuvre combinée de ces mesures les inscriptions ont évolué. A titre d'exemple, M. Hippolyte Tchoutezo déclare que depuis la gratuité de la carte nationale d'identité, ils ont déjà procédé à l'inscription de plus de 2408 personnes dans la Mifi-centre252(*). En réalité, toutes ces mesures se font ressentir sur l'évolution des taux d'inscription sur les listes électorales dans l'ensemble du pays depuis Novembre 2010.

Tableau n°24 : L'EVOLUTION DES INSCRIPTIONS SUR LES LISTES ELECTORALES PAR REGION DE NOVEMBRE 2010 A JUIN 2011.

 

REGIONS

INSCRITS
NOV. 2010

INSCRITS
DEC. 2010

INSCRITS
JAN. 2011

INSCRITS
FEV. 2011

INSCRITS
MAR.2011

INSCRITS
AVR. 2011

INSCRITS
MAI. 2011

INSCRITS AU 10 JUIN 2011

ADAMAOUA

42 525

65 019

79 953

92 304

106 358

124 326

132 944

136 485

CENTRE

52 456

88 371

115 937

150 353

190 225

264 834

298 548

309 920

 EST

48 463

58 760

67 206

75 746

84 390

92 606

97 242

99 795

EXT-NORD

55 254

109 361

142 332

164 016

189 511

218 495

238 619

249 313

LITTORAL

31 110

59 300

83 254

111 920

147 926

180 851

200 581

207 624

NORD

58 308

91 845

106 326

121 364

137 607

153 498

162 614

166 406

NORD-OUEST

39 087

55 010

68 828

84 787

102 526

130 051

142 707

149 936

OUEST

45 889

75 926

96 175

124 646

127 189

168 424

177 051

184 224

SUD

24 582

38 831

48 038

52 606

58.339

71 877

77 780

78 322

SUD-OUEST

34 629

48 223

62 338

77 184

95 385

119 068

132 813

136 924

TOTAL

432 303

690 646

870 387

1 054 926

1 239456

1 524 030

1660 899

1 718 949

Source : www.Elecam.Cm

Il convient donc de dire à partir du tableau ci-dessus que ces mesures ont eu un impact significatif sur le rythme des inscriptions sur les listes électorales. Etant donné que, même avant la gratuité de la carte nationale d'identité plusieurs responsables du parti au pouvoir organisaient déjà les campagnes d'établissement de celle-ci dans plusieurs localités du pays. Ce qui avait permis l'établissement de milliers de cartes nationales à de nombreux citoyens. C'est ainsi, que dans la région du centre, le responsable du comité communal du RDPC chargé des inscriptions sur les listes électorales à Ndikinimeki a établi 3000 cartes nationales d'identité afin de permettre aux citoyens de s'inscrire sur les listes253(*). Pareillement, le Maire de Nkongsamba a fait confectionner plus de 500 cartes nationales d'idendité et collecter pour le compte du RDPC, 3.850.000 f.cfa, pour couvrir les campagnes d'inscriptions sur les listes électorales dans le Moungo254(*). Il est donc clair que toutes les actions qui ont été entreprises au profit de la carte nationale d'identité contribuent à justifier dans une certaine mesure les chiffres du tableau suscité. Ces actions n'ont pas été entreprises exclusivement par le parti au pouvoir et le chef de l'Etat, les organisations non gouvernementales y ont aussi énormement oeuvré.

Il s'agit par exemple d'« Horizon femme » qui avant la gratuité, permettait aux femmes de payer 1000f.cfa pour celles qui souhaitaient se faire établir la carte nationale d'identité à condition qu'elles soient disposées à se faire inscrire sur les listes électorales255(*). Dans tous les cas, les mesures liées à la carte nationale n'ont pas parfois suffis car, il s'est souvent posé le problème du défaut d'actes de naissance suscitant dans la foulée la prise de certaines dispositions. C'est ce qui a motivé l'établissement des actes de naissance à ceux qui n'en n'avaient pas à travers l'organisation des « audiences foraines ». Ce fut assurément le cas à Abong-Mbang, où de nombreux camerounais se sont fait établir les actes de naissance256(*). Ces différentes mesures, ont pour objectif de favoriser les inscriptions sur les listes, ce qui semble porter des résultats si on se refère au tableau suscité. Cette quête éffrénée aux potentiels électeurs n'est pas neutre car, elle vise à faire participer un maximum de citoyens aux élections, avec pour objectif la légitimation de l'élu à travers la neutralisation de l'abstentionnisme électoral. C'est la preuve que les gens n'accomplissent pas des actes gratuits (Bourdieu, 1994 : 150).

Par ailleurs, l'Assemblée Nationale réunie en session extra-ordinaire en date du 07/07/2011, a examiné le projet de loi portant sur le vote des camerounais de l'étranger. D'après ce projet, ils prendront désormais part au vote du président de la République et au réferendum, mais seront exclus du vote des députés et des conseillers municipaux257(*). En effet, c'est une mesure qui vient mettre fin au non-vote de ces derniers et qui répond à la volonté qu'ils ont souvent exprimé de prendre part au vote de leurs dirigeants, même s'il reste que le problème de la double nationalité continue à se poser et empêchera ceux des camerounais vivant dans cette situation de voter. C'est pourquoi l'un des nombreux camerounais vivant au Canada pense que : « 90% de compatriotes vivant à l'étranger ont la double nationalité. Ce qui les exclut d'office de l'exercice du vote concédé258(*)». Dans tous les cas, c'est une mesure qui ne cesse de susciter des contestations au sein de la diaspora comme le témoigne cette position du « CODE »259(*) selon laquelle : « Ce projet apparaît clairement comme une diversion de la part du régime sclérosé Rdpc au pouvoir au Cameroun. A moins qu'il ne s'agisse d'un argumentaire en construction pour justifier, le cas échéant, un report du scrutin dont la date est comme toujours confisquée par M. Biya». Toujours est-il que, la variété de ces mesures sera complétée par celles prises en direction des partis politiques.

B- LA MISE SUR PIED DES MESURES EN DIRECTION DES PARTIS POLITIQUES

La compétition électorale ne peut se jouer valablement sans la participation des partis. C'est dans cette optique que plusieurs dispositions seront mises en oeuvre pour les encourager à participer aux élections. A cet effet, le gouvernement a pris en 1992 des dispositions visant à assouplir les conditions légales de déclaration de candidature (Owona Nguini, 1997 : 699) ; ce qui avait bien évidemment pour objectif d'inciter les partis à participer aux élections législatives. Cela va entraîner la réception des dossiers de candidature même après le délai légal de dépôt, sans pourtant changer automatiquement la position des partis tels le SDF et l'UDC qui vont camper dans leur stratégie de boycott. De même, le gouvernement fît à l'égard de l'opposition des promesses de gratifications ou de récompenses (Owona Nguini, 1997 : 700) à ceux des partis qui accepteront de participer aux élections. C'est ainsi que le 07/02/1992 le président de la République à la suite d'un entretien radiotélévisé, se proposa de financer la participation des partis politiques aux législatives à hauteur de 500 millions de f.cfa. En effet, cette offre visait à neutraliser les velléités abstentionnistes de certains partis de l'opposition dite « radicale », comme si le problème de leur participation électorale pouvait se résoudre par la rétribution financière. Dans tous les cas, cette offre sera critiquée par les médias proches de l'opposition comme étant « De la grande corruption électorale », ce qui n'empêchera pas certains partis de l'opposition de la saisir. Ce fut ainsi, le cas de M. kodock secrétaire général de l'UPC, qui après l'annonce de cette mesure présidentielle décida de conduire son parti aux élections législatives de 1992.

L'autre tactique déployée par le pouvoir s'est opérée à l'égard de l'UNDP. En fait, pour pousser ce parti à participer aux élections, le pouvoir entreprit la reconnaissance de M. Bello Bouba comme leader de ce parti en lieu et place de M. Samuel Eboua qui, lui, était radicalement opposé à la participation de son parti. Cette reconnaissance était conditionnée par sa participation aux élections du 1er mars. De même, comme autre mesure d'incitation à la participation électorale, le chef de l'Etat avait mis à la disposition des partis politiques en lice des moyens de locomotion pour leur permettre de se rendre dans les régions du septentrion lors des législatives de 2007. Elle se matérialisera par l'affectation d'un avion militaire C130 par le chef de l'Etat en vue d'effectuer des rotations sur l'itinéraire Douala-Garoua via Yaoundé durant la campagne électorale260(*). Au-delà des mesures liées à la carte nationale d'identité et aux partis politiques, d'autres seront prises. Il s'agira essentiellement non seulement de la mise en oeuvre de nouvelles institutions compétentes en matière électorale mais aussi des mises en garde contre les multiples tentatives de perturbation de ce dernier.

* 245 Cameroon Tribune n° 8918/5117, du 23/08/2004, p. 10.

* 246 Ibid.

* 247 op. cit.,

* 248 Information relayée par le poste national de la CRTV en date du 22/05/2011, au journal de 13h.

* 249 Voir à ce sujet le site www.Camer.Be.Cm, consulté le 07/07/2011.

* 250 Lire à ce sujet Cameroun-Info.net, consulté le 27/07/2011. Propos tenus par la Rédaction de Cameroon-Info.Net

* 251Voir à ce propos le site www.Cameroon-Online.Cm. Consulté le 30/06/2011.

* 252 Il est le président de l'OJRDPC de la Mifi-centre dans la région de l'Ouest, il a ténu ces propos le 24/06/2011. Voir le site www.Cameroon-Online.Cm, le consulté le 11/07/2011.

* 253 Cette information a été relayée par la CRTV-télé, en date du 05/12/2010 au journal de 20h 30min.

* 254 Voir à ce propos le site www.Scores2000.Info. Consulté le 30/06/2011.

* 255 Cette stratégie a été développée par un responsable de « Horizon femme », sur Canal2 à l'émission « Tous à l'antenne » du 08/02/2011.

* 256 Cette opération a été organisée dans cette localité le 29/04/2011, selon les informations diffuséespar le poste national de la CRTV, en date du 29/04/2011.

* 257Information diffusée par Canal2, sur l'émission «La revue de Presse », du 07/07/2011, à 7h30min.

* 258Cité par la rédaction de Cameroun-Info.net, consulté le 27/07/2011.

* 259Le « CODE », est une organisation des camerounais de la diaspora. Il a tenu ces propos le 13/07/2011, à la rédaction de Cameroun-Info.net, consulté le 27/07/2011.

* 260 Cameroon Tribune n°8892/5091, du 17/07/2007, p. 9.

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