Les clés de l'offensive politico-diplomatique du Japon en direction de l'Afrique et du Cameroun depuis 1991( Télécharger le fichier original )par Serge Christian ALIMA ZOA Université Yaoundé II - DEA 2008 |
A mon regretté père Joseph Zoa ma mère Catherine Mekongo épouse Zoa ma grand-mère Isabelle Mballa Deus virum bonum amat eique favet Nous témoignons notre reconnaissance et notre profonde gratitude au Professeur Louis-Paul Ngongo, qui malgré ses nombreuses occupations a bien voulu diriger la présente étude. Nous le remercions pour tous les conseils reçus et l'esprit de rigueur dont il a fait montre tout au long de ce travail. Il nous est ensuite agréable de présenter notre profonde gratitude à tous les enseignants du département de Science Politique. Ils nous ont permis d'acquérir quelques outils intellectuels, ceux-là mêmes qui furent nécessaires à la réalisation de cette recherche. Nous avons l'immense devoir de reconnaissance à l'endroit de M. Louis EYEYA ZANGA, Benoît Bienvenu ETO, Félix François NKOLO, Dieudonné MVILONGO, Ernest ESSONO et leur épouse respective ainsi que aux abbés Lucien Bède NAMA et Isidore ONGOLO pour leur soutien moral et matériel décisif. Notre reconnaissance va de même à l'endroit de M. Bruno Alkis DOMYOU, Roger NZIE, Désiré MEDJO NKOTO et à la princesse Lydia MANGA. Que ces amis soient assurés que leur soutien a été des plus précieux. Nous remercions M. Jean-Paul ESSOMBA ZIBI, Octave Henri NYAM et son épouse, Mme Joséphine BILONG BI NKEN, Maximilienne OVOUNDI, Josiane NDZIE MBOA, Cunégonde NTSAMA qui n'ont cessé de nous encourager dans le chemin passionnant de la recherche. Nous ne sommes pas prêts d'oublier le soutien déterminant de nos condisciples de cette promotion de DEA, particulièrement Gaétan OMGBA, Paul Elvic BATCHOM, Emile Sédar BOKALLY, Patrick Roger MBIDA, Rabiatou OUSMANOU, Marie Michou NGO LIBOCK et Martial Arnold ATEBA. Nous disons sincèrement merci à nos amis, Pierre Désiré EFFA, Armand FOE, Augustine CHI, Serasin ABAG, Yves TSALA, Ahmadou SALI, Flora NAH, Euloge ZENGUI, Alain Dieudonné ZOA, Marie-Thérèse EYENGA, Roger SOUGA, Sonia Michèle WATON, Raoul BINIGA, Diane NGONO, Mahamat TORI, Véronique BIKAÏ et Rosalie DANG pour leur dévouement pour la réussite de cette étude. A ce même hommage, nous associons non seulement nos frères et nos soeurs Raphaël ALIMA, Marie-Noëlle ETETEBE, George ZOA, Bertrand ATANGA, Josiane NGONO, Sylvie MBALLA et Marcel AMBOMO, mais aussi notre dulcinée Marie Claire BETSENGUE. Merci grandement à tous ceux qui nous ont aidés, trop nombreux pour être cités tous. Tout en nous excusant, nous les assurons que l'anonymat pour nous n'est pas signe d'oubli, mais d'estime et de considération. LISTE DES GRAPHIQUES ET PHOTOS vii GLOSSAIRE DE QUELQUES TERMES JAPONAIS xi III. LA DEFINITION DES CONCEPTS 11 IV. LA REVUE DE LA LITTERATURE 17 VI. LE CADRE THEORIQUE D'ANALYSE 23 VII. LES CONSIDERATIONS METHODOLOGIQUES 26 PREMIERE PARTIE LES BASES ET LES MANIFESTATIONS DE L'OFFENSIVE POLITICO-DIPLOMATIQUE DU JAPON 28 CHAPITRE I : LES FONDAMENTAUX D'UNE ORIENTATION DIPLOMATIQUE 29 SECTION I : LE JAPON : UNE MOYENNE PUISSANCE DANS L'ANALYSE DE SES RELATIONS EXTERIEURES 30 A - Environnement politique, économique et social de l'Empire du Soleil-Levant 30 B - Les données thématiques de l'action internationale nippone : des paramètres d'un champ diplomatique 35 C- L'ambivalence réactivisme/proactivisme : une discussion théorique omniprésente 38 SECTION II : LES CONDUITES ET LES ACTEURS COMME SITES D'OBSERVATION D'UNE ATTITUDE SUR LA SCENE INTERNATIONALE 40 A- L'élaboration de la politique étrangère nippone 41 B- Le style de l'entrepreneur diplomatique japonais : un mélange de détermination, de flexibilité et de pragmatisme 49 C- Les instruments du projet de rayonnement diplomatique nippon 52 SECTION III : L'APD DANS LA POLITIQUE ETRANGERE : UN « CHEVAL DE TROIE » DESTINE A ACCROITRE L'INFLUENCE ET L'AUTONOMIE NIPPONES SUR L'ECHIQUIER INTERNATIONAL 57 A- L'APD : un répertoire récent d'actions pour définir un champ d'intervention diplomatique 57 B- L'« hétérodoxie » de la philosophie de l'APD japonaise à partir de sa charte 60 CHAPITRE II : LES MANIFESTATIONS DE L'OFFENSIVE NIPPONE EN DIRECTION DE L'AFRIQUE 64 SECTION I : LE JAPON ET L'AFRIQUE AVANT 1991 : LA DYNAMIQUE D'UNE DIPLOMATIE DE L'IMMOBILISME 65 A- Les balbutiements nippons en direction de l'Afrique : évocation de quelques faits structurants d'une approche diplomatique 65 B- Les relations entre le Japon et l'Afrique jusqu'en 1990 : entre atonie et modestie 69 SECTION II : L'OFFENSIVE PROPREMENT DITE DE L'EMPIRE DU SOLEIL-LEVANT DEPUIS 1991 : UN REVIREMENT D'ATTITUDE PATENT CONSACRANT UNE NOUVELLE ERE 74 A- Les territoires d'Afrique comme nouveaux domaines propices à une « expérimentation diplomatique » du Japon 74 B- Une ambition de la diplomatie japonaise affirmée : devenir le principal soutien de la renaissance de l'Afrique 78 SECTION III : LA TICAD COMME TECHNOLOGIE DE CONSOLIDATION DE LA « DOCTRINE » AFRICAINE DU JAPON 87 A- La TICAD comme modèle d' « affectio societatis » 88 B- Les réalisations marquantes comme preuves de l'opportunité de la mise sur pied de la TICAD 92 DEUXIEME PARTIE : LES EFFETS ET LES ENJEUX DE L'OFFENSIVE POLITICO-DIPLOMATIQUE DU JAPON 98 CHAPITRE III : LES EFFETS DE L'OFFENSIVE NIPPONE A LA LUMIERE DE LA COOPERATION ENTRE LE JAPON ET LE CAMEROUN 99 SECTION I : LE RECHAUFFEMENT POLITICO-DIPLOMATIQUE ET CULTUREL 100 A- Le Japon et le Cameroun : des relations politico-diplomatiques progressivement « replètes » 100 B- Le Japon et le Cameroun : des relations socioculturelles en développement 108 SECTION II : LES LIENS COMMERCIAUX ET ECONOMIQUES ANCIENS ET DENSES 114 A- La consistance des relations commerciales nippo camerounaises 114 B- La tangibilité de la coopération économique nippo camerounaise 117 SECTION III : LES FRUITS JUTEUX DE L'AIDE JAPONAISE AU DEVELOPPEMENT 121 A- La construction des écoles comme fleuron de la coopération nippo camerounaise 121 B- Le champ des besoins humains basiques : un terrain privilégié de la mise en oeuvre de l'aide nippone au Cameroun 125 CHAPITRE IV : LES ENJEUX DE L'OFFENSIVE NIPPONE EN DIRECTION DE L'AFRIQUE 130 SECTION I : L'OBTENTION DU SIEGE DE MEMBRE PERMANENT DU CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES : UNE OBSESSION DE LA DIPLOMATIE NIPPONE 131 A- La réforme du Conseil de Sécurité : un viatique pour un nouveau rôle international 131 B- Le plaidoyer pro domo japonais comme technologie d'un discours diplomatique 135 SECTION II : LE JAPON EN AFRIQUE OU LES LOGIQUES D'UNE COURSE A L'INFLUENCE INTERNATIONALE 139 A- Les intérêts utilitaristes comme paramètres d'une consolidation graduelle de la présence nippone en terres africaines 140 B- La matérialisation d'une lutte de positionnement et d'ascendance 145 SECTION III : L'ECHIQUIER AFRICAIN : LE NECESSAIRE SURSAUT DU CONTINENT NOIR 150 A- La crise comminutive du développement de l'Afrique 150 B- La coruscation du modèle japonais ou l'ambition modernisatrice 155
LISTE DES GRAPHIQUES ET PHOTOS I- Graphiques Graphique 1 : Les pays africains les plus aidés par le Japon en 2000 86 Graphique 2 : Financement des opérations de maintien de la paix de l'ONU en Afrique 136 Graphique 3 : Les exportations japonaises en véhicules neufs en Afrique en 2000 et 2001 143
II- Photos Photo 1: Les chefs d'Etat africains autour du Premier ministre japonais, Junichori Koïzumi lors du 10 ème anniversaire de la TICAD en septembre 2003 90 Photo 2 : le Président camerounais Paul Biya et son épouse en compagnie de sa majesté impériale Akihito lors de la visite officielle d'avril 2006 à Tokyo. 107 Photo 3 : Le Président camerounais Paul Biya et le Premier ministre japonais, Junichori Koïzumi lors de la visite officielle d'avril 2006 à Tokyo. 107 Photo 4 : Timbre poste exaltant l'excellence des relations nippo camerounaises 111 Photo 5 : un fleuron de la coopération nippo camerounaise : l'école primaire de Ngoa-ekelle à Yaoundé 124
Tableau I : Ligues bilatérales parlementaires d'amitié avec les pays de l'Afrique subsaharienne en mars 1990 43 Tableau II:Organigramme du ministère des affaires étrangères du Japon 45 Tableau III :Volontaires Japonais du JOVC en Afrique Subsaharienne entre 1965 et 1992 54 Tableau IV: APD bilatérale des principaux donateurs du CAD en faveur de l'Afrique subsaharienne (versements nets en millions de dollars US aux taux de change de 1996) 59 Tableau V:Visites officielles des chefs d'Etat d'Afrique subsaharienne au Japon avant1990 68 Tableau VI : Visites officielles des personnalités japonaises en Afrique subsaharienne entre 1960 et 1988 70 Tableau VII : Ambassades japonaises ouvertes en Afrique subsaharienne avant 1990. 71 Tableau VIII:Ambassades africaines ouvertes à Tokyo avant 1990. 72 Tableau IX : Visites officielles des personnalités camerounaises au Japon 104 Tableau X : Visites officielles des personnalités japonaises au Cameroun 105 Tableau XI : Fiche d'identité de l'entreprise Sumoca 116 Tableau XII : Récapitulatif des rééchelonnements nippons de la dette camerounaise 118 Tableau XIII : Les 30 premiers projets bilatéraux financés par le Japon au Cameroun en yens (1 yen = 5 F CFA) 119 Tableau XIV : Projets des écoles primaires japonaises au Cameroun 122 Tableau XV : Quote-part de quelques contributeurs aux budgets réguliers des Nations Unies entre 2004 et 2006. 136 Tableau XVI : Contrats d'exploration pétrolière en 2005 en Libye 144
Abréviations Cf. : Confère Dir : Direction Ed : Editions Http : Hyper Text Transfer Protocol N° : Numéro P : Page Vol : Volume www : World Wide Web Sigles AABF : African Asia Business Forum ACRI : African Crisis Response Initiative APD : Aide Publique au Développement BAD : Banque Africaine de Développement CMA : Coalition Mondiale pour l'Afrique CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique CNUCED : Conférence des Nations Unies Pour le Commerce et le Développement EPA : Economic Planification Agency FAA : Forum Asie Afrique FAO : Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture FMI : Fonds Monétaire International FNUAP : Fonds des Nations Unies pour la Population FPA : Foreign Policy Analysis G8 : Groupe des huit pays les plus industrialisés HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés HSC : Human Security Commission IDA : International Development Association IDE : Investissement Direct Etranger IDH : Indicateur de Développement Humain IFI : Institutions Financières Internationales JBIC : Japan Bank for International Cooperation JETRO : Japan External Trade Organization JICA : Japan International Cooperation Agency JOVC : Japan Overseas Cooperation Volunteers KEIDANREN : Keizai Dantai Rengok MINREX : Ministère des Relations Extérieures MITI : Ministry of International Trade Industry MOF : Ministry of Finance MOFA : Ministry of Foreign Affairs NEPAD : New Partnership for Africa's Development OCDE : Organisation de la Coopération et le Développement Economiques ODA : Official Development Assistance OMC : Organisation Mondiale du Commerce OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement OMP : Opération de Maintien de la Paix ONG : Organisation non Gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies PAS : Programme d'Ajustement Structurel PED : Pays en Développement PIB : Produit Intérieur Brut PLD : Parti Liberal-Democrate PMA : Pays les Moins Avancés PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement PPTE : Pays Pauvres Très Endettés RECAMP : Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix RD CONGO : République Démocratique du Congo (Ex-Zaire) TICAD : Tokyo International Conference on African Development UA : Union Africaine UE : Union Européenne UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture UNICEF : Fonds des Nations Unies Pour l'Enfance URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques USA : United States of America GLOSSAIRE DE QUELQUES TERMES JAPONAIS
INTRODUCTION GENERALEIl s'agit pour nous de présenter le sujet par des généralités, d'en motiver le choix, de procéder à une clarification conceptuelle et de dresser une revue critique de la littérature relative à notre thématique. Cette partie définit également la problématique et dégage le cadre théorique de notre analyse. A- Généralités sur le Japon, l'Afrique et le Cameroun Bien positionné dans différentes branches de l'économie mondiale que sont l'automobile, l'informatique, les télécommunications, les biotechnologies, les nouveaux matériaux, les constructions navales, la robotique, l'industrie des appareils photographiques et de jeux de vidéo, l'Empire du Soleil - Levant, deuxième puissance économique de la planète reste paradoxalement la nation industrialisée la plus méconnue et la plus caricaturée. D'après Jacques Pezeu -Massabuau (1986 : 3), « peu de pays au monde sont demeurés jusqu'à nos jours à ce point prisonniers d'un réseau de mythes et de croyances fondés sur l'imagination de romanciers ». Claude Chancel (1990 : 9) nous apprend que c'est même la Chine qui a donné son nom à l'archipel : Je -pen en chinois (d'où notre Japon) ; c'est-à-dire « le pays du soleil levant». Mais sa véritable appellation est Nippon ou Nihon, ce qui signifie «Lever du soleil». C'est en 1870 que le cercle rouge au coeur d'un rectangle blanc devient le symbole du pays. Le drapeau national Hi-no-maru est «le rond du soleil». Les paroles de l'hymne national, le Kimigayou, tirent leur origine d'un poème de 31 syllabes ou Waka écrits au Xème siècle. La chanson est une prière pour la paix et la prospérité du Japon. La capitale est Tokyo et la monnaie utilisée est le yen. Selon la légende japonaise, l'empire aurait été fondé en 660 avant Jésus-Christ par l'empereur Jimmu. Par contre, les historiens classent le Japon parmi les pays les plus jeunes de l'ancien monde. L'Etat n'apparaît qu'au V ème siècle et l'empire, 1000 ans après Jésus-Christ. Entre 1192 et 1867, il est dominé par les Shoguns (seigneurs de la guerre). Le commodore Perry et ses bateaux noirs, en pénétrant dans la baie d' Edo, ont mis fin dès 1853 à l'isolement volontaire qui caractérise le Japon depuis l'instauration du gouvernement Tokugawa au début du XVII ème siècle- interdiction du catholicisme, impossibilité de voyager hors de l'archipel, contrôle rigoureux du commerce extérieur, refus d'accueillir les étrangers non chinois ou hollandais. Cette entrée par effraction jette le pays dans une crise profonde (Itoh, 1998 ; Morley, 1974). Après quelques années d'agonie, s'ouvre en 1867 l'ère de la restauration impériale qui marque le début d'un règne glorieux, véritable point culminant de l'histoire du Japon. Un double objectif mené par l'empereur Meiji est poursuivi sur l'échiquier des politiques de puissance : accélérer la modernisation militaire, créer une armée de terre et une marine afin de rattraper les grandes puissances occidentales, maintenir et approfondir l'entente et la coopération internationales, particulièrement avec les nations anglo saxonnes en ce qui concerne l'industrialisation. A l'aube du XX ème siècle, les victoires sur la Chine (1894-1895) et la Russie (1904-1905) mais aussi l'alliance avec l'Angleterre (1902) et la neutralité bienveillante des Etats-Unis d'Amérique accroissent le rayonnement mondial du Japon. La révolution Meiji est considérée comme l'une des périodes les plus remarquables de l'histoire universelle. Le petit archipel de 377 864 km² de superficie, est émietté en 4000 îles. De toutes, quatre seulement sont importantes et forment 98% du territoire. Du Nord au Sud : Hokkaido «la Nordique» dont l'ancien nom est Yeso, «la sauvage», Hondo (Honshu) ou Nippon est l'île principale (ce que son nom signifie) avec ses 230 000 km2. Sikok (Shikoku) dont le nom signifie « les quatre provinces » se situe de l'autre côté de la mer intérieure. Enfin Kiou-siou (Kyushu), « les neuf contrées », est l'île la plus méridionale. Les montagnes dont le point le plus élevé est le Fuji-Yama «montagne du Dieu du Feu» et les collines stérilisent environ 85% de l'espace. La population, de race jaune, est estimée à plus de 127 millions d'habitants. Les Japonais seraient issus à la fois de peuples aborigènes et surtout du mélange précoce, datant du IIIème siècle avant Jésus-Christ, d'abord des caucasoïdes venant du Nord, ensuite des mongoloïdes venant du continent. Sans ressources naturelles, situé sur l'arc de feu du Pacifique, au bout de l'Orient, à la lisière de l'immense ex Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), à 1200 km du coeur de l'Europe occidentale, à 900km de l'Amérique, le Japon est décidément au bout du pays des hommes (Braudel cité par Chancel, 1990 : 9). Ce pays découpé en 47 préfectures, est la première nation non occidentale développée du monde et réalise aujourd'hui 15% des richesses mondiales. « Cette irruption du Japon dans le monde est la conséquence d'un des grands bouleversements de l'histoire de ce peuple : la prise de conscience de la réalité internationale et des possibilités ainsi offertes à l'expansion » (Pezeu- Massabuau, 1986 : 4). Rares sont les pays ou les Etats qui ont abouti à une littérature aussi laudative. Ceci est dû, prima facie, à la facilité apparente du relèvement face à la défaite militaire de 1945, la rapidité de son ascension, la capacité à défier les Etats-Unis d'Amérique ou l'Union Européenne (UE), la faiblesse de la base matérielle de sa croissance (sources d'énergie, matières premières) par rapport à l'abondance dont disposent ses concurrents. Ce succès, le Japon le doit « à une modernisation constante de ses structures et à la pointe des technologies les plus avancées » (Biwole Meke, 1989 : 2). Avec plus de 30 000 000 km2, l'Afrique, troisième continent par la superficie, représente un quart des terres émergées. Elle est baignée par les océans indien et atlantique et s'étend de part et d'autre de l'équateur, séparée de l'Europe par la Méditerranée au Nord, de la péninsule arabique par la mer rouge à l'Est, communicant avec l'Asie par l'isthme de Suez. Continent massif, son altitude moyenne est de 675 mètres. Le Kilimandjaro, situé en Tanzanie est avec ses 5 895 mètres, le point culminant du berceau de l'humanité (découverte de Lucie en Afrique de l'Est, d'Abel au Tchad et très récemment de Toumaï). Les fleuves les plus importants du monde comme le Nil (6 670 km) et le Congo (4 700 km), de nombreux et immenses lacs comme ceux de Victoria, Tanganyika, donnent à l'Afrique un réseau hydrographique consistant (Dubresson et Raison, 2003). Bien qu'ayant une croissance démographique exceptionnelle, l'Afrique est cependant le continent le moins peuplé (750 millions d'habitants). La densité moyenne est faible avec quelques 25 habitants au km2. Le Nigeria, l'Egypte et l'Ethiopie sont les pays les plus peuplés. Au lendemain des indépendances dans les années 1960, les Etats africains font face à un grand nombre de difficultés liées pour la plupart à leur développement et aux besoins sans cesse croissant de leurs populations (Foirry, 2006 ; Brunel, 2004 ; Annan, 1998). Dans le même temps, les taux d'épargne nationale sont très faibles et le potentiel productif est insuffisant. Ils entraînent dans cette mouvance d'importants besoins de productivité et une dégradation de la compétitivité de certaines productions nationales. Les nombreux handicaps historiques qui constituent « l'héritage du passé » (Nyambal, 2006 ; Mbembe, 2005 ; Simo, 1998) auxquels viennent s'adjoindre certaines contraintes de nature structurelle, ont continué à peser lourd sur les décisions et les actions qui ont été prises et engagées dans la voie du redressement. Ce sont : le poids excessif du secteur public dans l'économie, le fonctionnement approximatif des marchés, l'absence de la concurrence, les déficits budgétaires élevés, les systèmes financiers embryonnaires et inadaptés, « une faible productivité, des faibles revenus et une forte distribution » (Gouveritch, 2006). A l'exception de certains domaines culturels, l'Afrique subsaharienne précisément apparaît mondialisée mais peu « mondialisatrice » (Banque Mondiale, 2007 ; Ki- Zerbo, 2003). Elle ne représente en 2007 que 1 % du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial, 1 % des flux d'investissements directs à l'étranger (10 milliards de dollars), essentiellement dans les ressources naturelles, avec une légère reprise et moins de 2 % du commerce mondial. Son économie demeure une économie de rente. Les Indicateurs de Développement Humain (IDH) sont les plus faibles du monde1(*). La pauvreté absolue touche plus de la moitié de la population au point de décomplexer les observateurs les plus méprisants du continent2(*). « Seuls quelques rares pays, tels que l'Afrique du Sud, le Botswana et l'Ile Maurice, possèdent un environnement macroéconomique favorable, un taux de corruption faible, des institutions qui fonctionnent et des technologies avancées » (Hugon, 2005 : 398). L'Afrique reste cependant, un important enjeu stratégique en raison des métaux et hydrocarbures qu'on retrouve dans son sous- sol (Kounou, 2006 : 23). La production de 3.8 millions de barils de pétrole par jour en 2005 qui devrait passer à 6.6 millions d'ici à 2009 attire de nombreux investissements étrangers, américains, européens et asiatiques notamment. « Dans un tel contexte, l'Afrique est sommée de se ressaisir et de commencer à compter surtout sur ses propres forces » (Diop, 2006 : 82), en faisant fi des préjugés, clichés, lieux communs qui partent de faits établis pour s'élargir à des constructions imaginaires ou mal étayées (Courade, 2006 : 37). Le Cameroun est un Etat d'Afrique centrale, limité au Nord Ouest par le Nigeria (frontière de 1700 km), à l'Est par le Tchad (1100 km) et la République Centrafricaine (800 km), au Sud par le Congo (520 km), le Gabon (300 km) et la Guinée Equatoriale (190 km), à l'Ouest par le Golfe de Guinée (400 km). Il a une superficie de 475 442 km2 qui le classe au 52 ème rang des 192 membres de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Avec des kilomètres de côtes, de montagnes arrondies, de plaines arides et de plateaux verdoyants, de forêts denses aux arbres gigantesques de 30 à 50 mètres de haut, mais aussi de forêts claires qui cèdent la place peu à peu aux savanes, « le Cameroun est une terre de contrastes » (Ben Yahmed, 2006 : 7). De nombreux cours d'eau irriguent le territoire comme la Sanaga (920 km), le Nyong (800 km) et la Bénoué (1400 km dont 350 km en territoire camerounais). La plupart prennent leur source des « deux châteaux d'eau » du pays ; c'est-à-dire la zone montagneuse de l'Ouest et le plateau de l'Adamaoua. L'ensemble est dominé par le mont Cameroun (4095 mètres). Le Cameroun compte environ 16.5 millions d'habitants en 2006 et un taux de croissance de la population de 1.6 % par an (2005-2006). La capitale du Cameroun est Yaoundé et la monnaie utilisée est le franc CFA. Après deux décennies de croissance soutenue à partir du milieu des années 1960, l'économie de ce pays a connu une récession dès 1985. Depuis, le Cameroun s'est engagé dans un processus de réformes économiques avec le soutien des institutions de Bretton Woods et d'autres bailleurs de fonds multilatéraux comme l'UE ou la Banque africaine de développement (BAD). La croissance du PIB est remontée en moyenne à 4.7 % sur la période 1995-2000, puis à 3.8 % sur 2001-2005. Elle devrait s'établir à 4.6 % en moyenne par an de 2007 à 2009 (Banque Mondiale, 2007). L'IDH est de 35.6 % de la population et celui du développement humain de 0.506 sur 1 en 2004, d'après le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Le Cameroun se classe, selon le rapport 2006 au 144ème rang mondial sur 177 pays en matière de développement. Il doit consentir d'énormes efforts pour mettre ses infrastructures au niveau attendu par la population et requis pour son décollage économique (Courade, 2000). Il serait maintenant intéressant de noter quelques généralités sur la rentrée diplomatique nippone. B- Généralités sur la rentrée diplomatique nippone La politique étrangère du Japon se résume pratiquement à deux points essentiels : - l'engagement pacifique qui succède à l'expansion militaire ; - l'alliance avec les Etats-Unis d'Amérique, le protecteur militaire. Ces orientations de la diplomatie nippone (le multilatéralisme et la recherche systématique de solutions pacifiques) sont la conséquence de la réorganisation institutionnelle de l'Empire du Soleil-Levant sous la tutelle américaine. Elle se fonde sur des documents tels que la constitution de 1949 énonçant la renonciation par le Japon de l'usage et de l'acquisition des moyens militaires, le traité de paix de San Francisco de 1951 par lequel le Japon abandonne toutes ses possessions coloniales à l'exemple des îles Kouriles, ou encore le traité de sécurité nippo américain de 1951 (Serra, 2005 ; Reischauer, 2001 ; Schoppa, 1997). La mise en oeuvre de la politique étrangère du Japon est du ressort du Ministry of Foreign Affairs (MOFA) encore appelé Gaimusho. Il s'agit d'un ministère dont l'influence sur la politique gouvernementale est faible comparativement à celle des ministères chargés des problèmes économiques, « plus encore le Ministry of Finance (MOF), le Ministry of international Trade and Industry (MITI) qui multiplie ses interventions et influe de façon décisive sur l'activité nationale » (Moreau, 1973 : 311). Grâce au MOFA, le Japon parvient néanmoins à être admis à la Banque Mondiale en 1952 et au Fonds Monétaire International (FMI) en 1955. Ces admissions manifestent la réhabilitation du pays du Soleil - Levant auprès du reste du monde dans un environnement international alors dominé par la Guerre Froide. Cette réhabilitation est confirmée par l'entrée à l'ONU en 1956 et à l'Organisation de la Coopération et le Développement Economiques (OCDE) en 1963, à la Banque Asiatique de Développement, enfin en 1975 au groupe des sept pays « occidentaux » les plus industrialisés (G7) dont le sommet se réunit pour la première fois à Tokyo en 1979. En reconnaissance de son rayonnement, le Japon est même choisi pour accueillir en 1964, les jeux olympiques. Mais il est surtout engagé dans une politique de rationalisation de son économie qui consiste non seulement à encourager dans les branches industrielles- devenues tour à tour prioritaires-, la concentration afin de réaliser des économies d'échelle mais aussi à adopter des stratégies d'anticipation de la demande mondiale. En dehors de l'implantation des missions diplomatiques et de la signature des accords de coopération dans le monde en général et en Afrique en particulier, au Cameroun par exemple dès 1960, le MOFA s'investit davantage dans les cas de routine que dans les cas controversés qui sont réservés au Cabinet et au puissant parti au pouvoir, le Parti Libéral- Démocrate (PLD). C'est à la faveur de la chute du mur de Berlin le 09 novembre 1989 précipitant la fin de la Guerre Froide que la carte géo politique mondiale est redessinée, « en mettant un terme au face à face des deux super puissances américaine et soviétique » (Blom et Charillon, 2001 : 26). Ecarté jusque là des grandes questions internationales après sa défaite militaire de 1945, le Japon entend profiter de ce nouvel ordre que Zaiki Laïdi (1992) qualifie de « relâché », pour revenir ostensiblement sur la scène diplomatique mondiale. Dans ce contexte d'après Guerre Froide, le développement de l'Afrique est devenu plus que jamais un sujet de première importance ; tant la paix et la sécurité de la communauté internationale en dépendent dans une certaine mesure. Plusieurs signes forts matérialisent à cet effet, de ce que nous nous sommes convenus d'appeler « l'offensive politico-diplomatique du Japon en Afrique ». D'abord, la déclaration de l'Empire du Soleil-Levant en septembre 1991 à la tribune de la 46 ème Assemblée Générale des Nations Unies. Au cours de cette assise, le Japon surprend la communauté internationale en déclinant son intention d'organiser une conférence sur le développement de l'Afrique dans la finalité de forger un consensus au niveau des partenaires internationaux sur la nécessité d'agir et de mobiliser des ressources pour ce continent. Ensuite, l'adoption en juin 1992 de la Charte de l'Aide Publique au Développement (APD) par le gouvernement nippon. Passant de la parole à l'acte, le Japon devient premier pays donateur mondial avec un volume annuel de versements nets de 13.5 milliards de dollars US pour l'Afrique, supplantant les Etats-Unis d'Amérique avec ses 10 milliards de dollars (Niquet, 1999 : 234 ; Gabas et Mainguy, 1998 : 36). Puis, la mise sur pied en octobre 1993 de la première Tokyo International Conference on African Development (TICAD), afin de dégager les grandes orientations devant être réalisées. En juillet 1995, le Président Sud Africain Nelson Mandela se rend à Tokyo. Une visite qui a la particularité d'impulser la poursuite de l'assistance japonaise en Afrique (Ampiah, 2003; Aicardi de Saint-Paul, 1998 ; Morikawa, 1997). En 1998, le plan d'action de Tokyo est adopté par la TICAD II. Il crée un cadre d'orientation pour ce processus, en vue de définir les objectifs et les principes directeurs pour les mesures à prendre par les pays africains, le Japon et les autres partenaires de développement. « Dans la même perspective, trois Présidents africains : le Sud Africain Mbeki, le Nigérian Obasanjo et l'Algérien Bouteflika, s'entretiendront avec le groupe du G8, en juillet 2000, à l'initiative du Premier ministre japonais » (Ntuda Ebode, 2003 : 122). Il y a surtout en janvier 2001, la première visite d'un chef de gouvernement japonais en Afrique, en la personne de Yoshiro Mori. Cette tournée est considérée par les observateurs politiques comme « le point d'orgue de l'offensive diplomatique nippone en direction du continent noir » (Jeune Afrique l'Intelligent n°2139, 08 au 14 janvier 2002). La tenue dans la capitale nippone de la conférence ministérielle Japon - Afrique, les 3 et 4 décembre 2001, permet aux diplomates et ministres des affaires étrangères de cinquante deux nations africaines d'examiner l'état de la coopération et de réitérer l'engagement de la communauté internationale en faveur du développement de l'Afrique dans le cadre du New Partnership for Africa's Development (NEPAD). En septembre 2003, le 10ème anniversaire de la TICAD est célébré et suscite un nouvel intérêt pour le continent africain3(*). Le Premier ministre nippon Junichiro Koïzumi fait de 2005, « l'année de l'Afrique ». C'est ainsi qu'en avril 2005 à Jakarta, à l'occasion du sommet Asie- Afrique, il annonce que l'APD japonaise en direction de l'Afrique (d'environ 10 milliards de dollars US en février 2006) doublerait au bout de trois ans. En décembre de la même année à Hong Kong, au cours de la conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), la « nouvelle initiative du Japon pour le développement en faveur du commerce» est lancée .C'est une mesure globale d'aide aux Pays En Développement (PED) avec une enveloppe d'environ 10 milliards de dollars US pour les trois ans à venir. Les 16 et 17 février 2006 à Addis-Abeba en Ethiopie, Tokyo organise la conférence sur la consolidation de la paix et l'appropriation par les pays africains de leur processus de développement et la sécurité humaine (Jeune Afrique n°2355, 26 février au 04 mars 2006). Les 15 et 16 février 2007 à Cannes en France, le Japon est invité à participer au 24ème sommet France-Afrique. Une grande première qui n'est pas passée inaperçue. Enfin, en mars 2007 à Nairobi au Kenya dans le cadre de la TICAD, le gouvernement japonais organise une conférence au niveau ministériel avec pour thème « l'énergie et l'environnement pour un développement durable ». Cette réunion est basée sur la reconnaissance du fait qu'améliorer l'accès à l'énergie et maintenir un environnement adéquat sont d'une importance vitale pour le développement durable en Afrique. En 2008, le Japon présidera le sommet du G8 et organisera la TICAD IV. La coopération entre le Cameroun et le Japon quant à elle s'est développée ces dernières années dans le cadre de la TICAD. Bien que ce pays d'Afrique centrale ne compte pas parmi les principaux clients ou fournisseurs de l'Empire du Soleil-Levant sur le continent noir (Gabas et Mainguy, 1998 : 44 ; Morikawa, 1997 : 24). L'un des volets les plus palpables de cette coopération est le programme de construction des écoles primaires dans les quartiers populeux de certaines agglomérations urbaines. Au terme de l'opération en 2007, le Cameroun comptera quelques 1235 salles de classe dans ses 96 « écoles japonaises » (Cameroon Tribune n°8614/4813, 21juin 2006). Multiforme et fonctionnelle, la coopération japonaise s'analyse actuellement à travers trois volets : l'aide générale non remboursable dirigée essentiellement vers les projets touchant les Base Human Needs (BHN), les prêts pour projets d'assistance et la formation des ressources humaines à travers des stages de formation des Camerounais et Africains au Japon (Koumealo, 2001 ; Ambassade du Japon au Cameroun, 2000). En bout de ligne, quel est l'intérêt qui motive le choix de notre sujet ? Cette étude sur les clés de l'offensive diplomatique nippone en direction du continent noir revêt pour nous un intérêt à la fois scientifique et stratégique. Aujourd'hui, en héritage d'un passé glorieux, des pays européens occupent dans les grandes institutions internationales une place et exercent un pouvoir qui ne tient plus compte de leur poids économique. Sur les cinq grandes puissances disposant du droit de veto au Conseil de Sécurité de l'ONU, trois sont européennes. Cet héritage de l'immédiat après guerre sera de moins en moins justifié et devra être revisité. L'irruption de la Chine et celle demain de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud nous annoncent une configuration nouvelle du monde. C'est donc dans une scène internationale désormais « habitée de stratégies multiples d'Etats qui s'affaiblissent, résistent ou prospèrent en jouant sur des registres variés, mêlant et bricolant des partitions, passant tour à tour dans la force et la faiblesse des compromis puissants ou boiteux » (Badie, 1999 : 16), que le Japon entend élargir sa zone d'influence en prenant appui sur le continent africain. Il est important de noter l'absence d'études sur l'engagement du Japon en Afrique dans l'analyse de la politique étrangère nippone, en particulier dans les travaux récents qui relèvent son caractère fondamentalement ambitieux et proactif. L'intérêt scientifique du présent exercice académique est donc d'évaluer la pertinence de cette offensive de l'Empire du Soleil-Levant dans son ambition d'étaler son rayonnement sur un espace plus grand, autour de lui. Ce postulat éprouve une fois encore les bases de la puissance nationale en rapportant celles-ci à l'interdépendance avec les autres puissances en présence. D'ailleurs pour Jean Esmein (1988 : 215), « la diplomatie japonaise devrait être mieux connue. On parle peu de ses actions et pourtant on pourra en faire une histoire particulière ». Pendant longtemps, Tokyo n'a eu que très peu d'intérêt pour l'Afrique (Kamo, 2004 ; Ampiah, 2003 ; Morikawa, 1997). C'est précisément pour cette raison, que le revirement d'attitude du Japon en matière de politique étrangère à l'égard du continent depuis la fin de la Guerre Froide est heuristique. Il confirme que l'étendue du changement de politique étrangère dépend de l'intensité du changement de la configuration de puissance à l'échelle internationale ; mais aussi que l'orientation de ce changement de politique étrangère dépend du processus interne. Ce revirement d'attitude met en lumière les motivations et indicateurs essentiels qui déterminent les tendances générales de la politique étrangère nippone, en soulignant ce que Luc Sindjoun (1999 : 13) appelle « l'articulation entre l'interne et l'international ». Aussi, dans le cadre de notre thématique, les observateurs que nous sommes, au rythme même de l'évolution des sociétés et de l'état du monde, sont contraints de revenir sur des questions inhérentes à la politique étrangère, la coopération, l'interdépendance, la diplomatie ou la puissance, auxquelles sont soumises notre intelligibilité. Encore que pour certains auteurs à l'instar de Zaiki Laïdi (1993 : 62), la temporalité politique de l'Empire du Soleil-Levant « redonne vie à des grilles de lecture classiques du système international ». Le Japon qui apparaît aujourd'hui, dans le paysage géopolitique africain comme « une puissance d'appoint stratégique » (Ntuda Ebode, 2003 : 129) constitue ainsi une intéressante piste de recherche. Décrypter la doctrine africaine du Japon permet d'espérer une prise de conscience stratégique, un véritable sursaut qui inspirerait aux Africains et aux Camerounais assez d'humilité et beaucoup de détermination pour s'inscrire à l'école japonaise. Tout au moins dans ce qu'elle compte de matières de base : discipline, culte du travail, fierté nationale. « C'est par la métamorphose intellectuelle que l'esprit japonais, contraint à la re-création, s'est trouvé à son tour à l'origine d'une réaction en chaîne de cette matière inépuisable : l'intelligence humaine » (Servan-Schreiber, 1983:10). A la racine de chacune des performances japonaises, dans chacun des secteurs où ils ont progressé, on trouve encore et toujours, le même matériau, le même « explosif » : l'intelligence. Pour le continent noir, regarder du côté du pacifique devient un impératif s'il est résolu à accomplir le changement d'un pas ferme, sûr et prompt. En plus de son expérience fort utile, l'Extrême- Orient avec le Japon et bientôt la Chine sera la zone la plus dynamique de la planète du XXI ème siècle, le plus important pôle de modernité et foyer de la civilisation, souligne Elenga-Ngaporo (2004). Dans cette mouvance, du fait d'une vision rétrécie qui la confine à ne considérer que ses seuls intérêts immédiats, l'Afrique manque de voix de grand ton, cordiales et visionnaires pour démontrer que le plus important dans tout partenariat c'est de savoir ce que l'on veut. De nos jours, il faut négocier habilement avec les donateurs et les prêteurs. Les Africains doivent apprendre à se servir de ce que Chabal et Daloz (1999 : 117) appellent « la politique du miroir ». Cette politique consiste essentiellement à s'adresser à l'autre, dans ce cas aux donateurs potentiels, dans un langage analogue au sien et plus important encore dans un langage qui renforcera sa conviction qu'il (le donateur) sait exactement ce dont (les bénéficiaires) ont besoin. Un regard attentif sur le Japon peut nous aider à utiliser cette capacité à juger (Baenga Bolya, 1995 ; Kabou, 1991). L'objectif de cette étude vise au demeurant à montrer qu'en optant pour des choix stratégiques de rayonnement, l'Empire du Soleil-Levant est un exemple. Il s'inscrit ainsi dans la dialectique des intelligences et confirme à l'occasion la belle formule de l'historien A. Toynbee selon laquelle, une civilisation est caractérisée par sa riposte à un défi. Notre motivation du choix du sujet repose sur la nécessité d'approfondir les recherches sur la politique africaine de ce temple de la haute technologie, pépinière prolifique d'ingénieurs polyvalents, qu'est le Japon. Il est question de comprendre d'abord, les variables et les déterminants. Ensuite, de mettre en lumière les traits distinctifs de cette politique. Nous voulons susciter une relecture, une refondation sur l'intensité des initiatives diplomatiques nippones en Afrique. Qualifié par certains observateurs de « géant économique » et de « nain politique » Seizelet (1999) ou encore d'hypertrophie économique et d'atrophie politique, le Japon, ivre de son savoir faire et solidement assis sur ses certitudes, entend désormais s'affirmer sur la scène mondiale. Cette ambition de la diplomatie de l'Empire du Soleil - Levant dans le circuit international se peaufine progressivement, ce d'autant plus qu'elle est nimbée d'un arrière fond culturel dominé à la fois par la coopération harmonieuse et par l'éthique guerrière (Bushido)4(*) qui consacre la lutte pour une cause perçue comme juste, même si elle va à l'encontre d'un idéal (Chancel, 1990). Pour le Japon, les relations extérieures sont, d'après Michel Vie (1995 : 2), « le moteur de l'histoire, parce qu'il forme une société fermée orientée vers sa sécurité et capable de répondre par la conquête ou par l'indifférence aux menaces, aux protections, ou encore aux chances que représente pour elle tour à tour l'environnement international ». Une meilleure intelligibilité de notre recherche nous conduit à présent à définir les concepts. III. LA DEFINITION DES CONCEPTS Pour Madeleine Grawitz (1999 : 94), « le chercheur prudent indiquera la définition adoptée pour les concepts à utiliser ». Dans le cadre de notre travail, trois concepts au préalable retiennent notre attention : la politique étrangère, la diplomatie et la coopération. Par la suite, nous profitons de clarifier les termes récurrents. A- Clarification des concepts proprement dits Une grande diversité dans les conceptions des auteurs apparaît lorsqu'il s'agit des études de politique étrangère. Pour chacun d'eux, les paradoxes et les dilemmes sont nombreux. Selon Frédéric Charillon (2002), la politique étrangère est l'instrument par lequel l'Etat tente de façonner son environnement politique international. Janice Stein (1972) la définit comme un ensemble de comportements qui traduisent les préoccupations de l'Etat. Plus précis, James Rosenau (1968 : 197) parle à ce propos, d'une « ligne d'action que les responsables officiels d'une société nationale suivent pour présenter ou modifier une situation dans le système international afin qu'elle soit compatible avec les objectifs définis par eux-mêmes ou leurs prédécesseurs ». Pour d'autres, à l'instar de Charles Zorgbibe (1994 : 55), la politique étrangère correspond soit « aux principes qui orientent l'action des gouvernements dans certaines circonstances telles que les doctrines Stimson ou Monroe », soit « aux engagements pris et garantis par les traités » soit encore « à l'ensemble des actions et des décisions exécutées chaque jour par une organisation bureaucratique ». Au même titre qu'une politique énergétique ou une politique sanitaire, la politique étrangère peut être comprise comme une politique publique, c'est-à-dire une politique mise en oeuvre par les services étatiques avec des moyens précis dans le but d'atteindre des objectifs bien définis. Mais il s'agit d'une politique publique très particulière car, son rayon d'action dépasse par définition le territoire national. Elle consiste souvent à réagir ou à s'adapter à des événements externes sur lesquels les décideurs n'ont aucune prise (Charillon, 2002 ; Kessler, 1999). Souvent considérée comme la gardienne des intérêts à long terme d'un Etat, ladite politique publique subit d'importantes transformations permanentes (Barston, 1997). La politique étrangère n'est plus seulement une affaire de relations entre des gouvernements ou encore un instrument administratif docile d'une machine d'Etat à la poursuite d'un intérêt national clair. Elle a même aujourd'hui parmi ses priorités grandissantes, deux dimensions. La dimension économique et commerciale d'abord, dont on peut avoir l'impression qu'elle triomphe depuis la fin de la Guerre Froide par le truchement entre autres de l'aide aux exportations ou bien la gestion de la dette. La dimension « règlement de conflit », qui vient ensuite mettre en mouvement les diplomaties les plus importantes et rappeler par là même aux décideurs que la force compte toujours, que la puissance n'est pas seulement « souple », pour reprendre le qualificatif de Joseph Nye (1990). Une politique étrangère doit en l'occurrence savoir intervenir ou éviter d'intervenir, de façon neutre ou engagée. Mais comment l'évaluer ? Les travaux de Graham T. Allison (1971) sont de ceux qui font le plus autorité. En procédant par des cadres d'analyses conceptuels plutôt qu'empiricistes, la politique étrangère est étudiée en tant que processus décisionnel (decision, making, process). En fin de compte, nous nous apercevons que la politique étrangère est davantage un ensemble de programmes, principes, orientations, ententes, actions et institutions qui fondent les relations d'un Etat avec les autres Etats. Aussi, la politique étrangère pour les réalistes « est circonscrite aux relations diplomatiques et stratégiques et vise essentiellement à préserver ou à maximiser la puissance militaire et politique de l'Etat national » (Ethier, 2003 : 127). La diplomatie peut être définie empiriquement comme la branche de la politique qui concerne les relations internationales. Pour Funck-Brentano et Sorel (1990 : 74), elle est « la science de la constitution sociale et politique des Etats et l'art d'en concilier les devoirs, les droits et les intérêts. Son but est de maintenir, d'affermir et de développer les relations pacifiques entre les Etats ». Puisée dans le droit international public, fruit à la fois du fondement et du résultat des négociations internationales, elle génère deux droits en général corrélatifs. D'abord, le droit de légation actif ou possibilité d'envoyer des agents diplomatiques. Ensuite, le droit de légation passif ou possibilité d'en recevoir. La diplomatie est présentée par l'école réaliste comme « la conduite du commerce avec les autres unités politiques, l'art de convaincre sans employer la force » (Aron, 1984). Elle s'oppose par ricochet à un autre concept : la stratégie. Il s'agit ici de la conduite d'ensemble des opérations militaires qui n'exclut pas le recours à la force armée. La diplomatie tire son essence dans le fait qu'aucun Etat ne peut défendre ses intérêts sans tenir compte de ceux des autres Etats ; chaque pays étant une composante de la communauté internationale. Dans la relation diplomatique, Diane Ethier (2003) y lit une dimension essentielle, celle de l'autorité ou de la légitimité d'un Etat dans la mesure où l'indépendance de celui-ci repose sur l'habilité à obtenir la reconnaissance, l'appui des avantages des autres Etats. C'est pourquoi, « le dialogue entre Etats, les rouages par lesquels leurs gouvernements conduisent ce dialogue et les réseaux de promesse, de contrat, d'institutions et de codes de bonne conduite qui en résultent, constituent la substance de la diplomatie » (Watson, 1992 : 14-15). La diplomatie fait apparaître un phénomène contradictoire : l'antagonisme des Etats en présence mais également leur volonté de coopération. Cette volonté de coopération conduira chacun des partenaires antagonistes à ne pas imposer à l'autre une capitulation totale, afin de donner des satisfactions à chacune des parties. Selon Peter Toma et Robert Gorman (1991 : 166), la négociation et le marchandage sont la raison d'être et le principal instrument de la diplomatie. Toute entente entre Etats est le résultat d'une négociation et d'un échange. La nouvelle diplomatie à en croire ces deux auteurs a une forme hybride car elle combine les négociations sécrètes ou privées avec des déclarations publiques sur les résultats obtenus lors de ces négociations. Etablies d'un commun accord par deux gouvernements qui se sont mutuellement reconnus, les relations diplomatiques aboutissent à échanger des missions à la tête desquelles seront placés des chefs de poste (ambassadeurs) entourés de collaborateurs à vocation plus ou moins spécialisés comme des attachés militaires, culturels ou commerciaux. Les analyses classiques à l'instar de celles de Keith Hamilton et Richard Langhorne (1995) ont recensé cinq fonctions diplomatiques principales : la représentation, l'information, le conseil, la négociation et la protection des intérêts de l'Etat accréditant et de ses ressortissants dans les rapports avec l'Etat accréditaire. Toutefois, la sociologie de la diplomatie par ailleurs développée par Samy Cohen (2002), permet de mettre en évidence d'autres fonctions émergentes notamment celles de la préparation et de l'explication des décisions et autres traités respectivement avant et après l'action internationale. En somme, la diplomatie est ce concept qui encourage les Etats à résoudre leurs différends par le dialogue et la négociation d'ententes juridiques. Quoique principalement fondée sur la confiance, elle n'est pas exempte de méfiance, ce qui explique que la diplomatie fasse appel, d'après Romain Yakemtchouk (2002), à la ruse, au mensonge, aux menaces et au chantage tout autant qu'au dialogue franc et ouvert. En relations internationales, la coopération davantage assimilée à la paix, est un concept central (Barash, 2000). Les acteurs préfèrent ce mode relationnel en raison de sa nature pacifiste et sincère. On choisit la paix plutôt que la guerre, la coopération plutôt que la paix. Deux états par ailleurs tenus pour antithétiques par l'école réaliste. La coopération est le fruit d'un comportement vertueux, non belliqueux caractérisé par l'absence de toute tension grave susceptible de mettre fin à la situation d'équilibre existante. Elle réduit ainsi l'incertitude, favorise le commerce, l'échange et la prospérité (Axelrod, 1992) et peut à la limite apparaître comme une simple parenthèse entre deux guerres (Aron, 1984). En fait, la coopération est un double processus : politique et social. D'abord, politique parce qu'il s'agit d'amener les acteurs en conflit à trouver un compromis, à restaurer le dialogue, à mettre fin à l'affrontement (Annan, 1998 ; Boutros-Ghali, 1992). En la matière, c'est la diplomatie qui est activée et les techniques de négociations mobilisées (Berton, Kimura and Zartman, 1999). Social ensuite, car d'après Amelie Blom et Frederic Charillon (2002), la construction de la paix peut nécessiter la reconstruction d'un Etat, avec sa société civile, où le dialogue entre communautés doit être établi et où la confiance doit être restaurée. La viabilisation de cette reconstruction doit naturellement s'inscrire dans un système international où est logé un cadre relationnel apte à prévenir ou à régler pacifiquement les tensions. Au demeurant, même le conflit tant décrié n'est plus perçu comme un dysfonctionnement, mais plutôt comme une forme de dialogue qui implique l'usage commun, encore qu'il est latent dans les tensions qui jalonnent les périodes de coopération. A cet effet, selon Georg Simmel (1995), « le conflit est une source de régulation qui traverse et structure une multitude de champs et de formes sociales (...) il structure les relations collectives et renforce, quand il ne crée pas, l'identité sociale ». Pour autant, la coopération demeure l'instrument révélateur de la capacité des acteurs à gérer les crises. Plusieurs Etats entretiennent aujourd'hui de nombreux conflits d'intérêts tout en poursuivant leur coopération, à l'instar du modèle de l'intégration régionale, pertinente manifestation de l'objectif de paix. De plus, on se rend compte que « dans le passé, le terme coopération a souvent été utilisé comme euphémisme à la place de celui d'aide, pour des raisons psychologiques ou politiques» (Salmon, 2000 : 269). De ce fait, les Nations Unies ont recommandé dès 1959, de substituer le mot coopération à celui d'aide en ce qui concerne l'assistance technique ; l'étendue de la réciprocité et la portée synallagmatique des dispositions de celle-ci variant évidemment, en fonction du niveau de développement des Etats souverains en présence (Mouelle Kombi, 1996 : 86). Au total, qu'on la considère comme une absence de guerre ou comme une gestion de conflits ou encore comme assistance technique, la coopération comme concept s'impose. Il en est de même de l'utilité dans notre étude, de clarifier les termes récurrents. B- Clarification des termes récurrents Cerner les termes récurrents est un préalable impératif pour l'intelligibilité de toute entreprise de recherche. Aussi il est utile de clarifier les mots de notre étude tels que : offensive, clés, bases, manifestations, effets et enjeux. Nous les élucidons et les opérationnalisons tout d'abord à partir de la conception qu'en ont les militaires. Le mot « offensive » renvoie à une action d'envergure menée par une force armée et destinée à imposer à l'ennemi sa volonté, à le chasser de ses positions et à le détruire. Nous intégrons de cette définition, l'idée d'une grande entreprise diplomatique aspirant, au sens où l'entend James Rosenau (1990), à augmenter et à afficher sa puissance sur une zone d'influence déterminée. Nous abordons l'offensive comme une importante initiative diplomatique dont la finalité est d'occuper une forte position sur la scène internationale. Les « clés » quant à elles sont des pièces métalliques qui permettent d'ouvrir ou de fermer les serrures, de monter ou de démonter le ressort d'un mécanisme. Elles désignent dans notre travail, des renseignements théoriques et empiriques que nous utilisons comme variables explicatives du déploiement diplomatique du Japon sur le continent noir. Nous en avons retenu quatre à savoir : les bases, les manifestations, les effets et les enjeux. Ces clés seraient de nature à montrer que « la politique étrangère est formulée de manière à tirer profit des opportunités offertes par les changements de puissance au niveau international » (Guzzini et Rynning, 2002 : 34). Les « bases » dans la conception militaire sont des zones où sont disposées des unités, des stationnements de mise en oeuvre des opérations militaires, des lieux où sont réunis toutes les installations nécessaires à la préparation, au lancement, au contrôle d'une attaque. Dans le cadre de notre thématique, les bases nous renvoient à un ensemble d'informations à caractère historique, politique, économique, sociologique et culturel qui concourent à l'aménagement d'une conquête nippone de l'espace international. Les « manifestations » sont entendues comme des signes matériels, des marques, des empreintes servant à reconnaître et à identifier cet activisme diplomatique. Le terme « effet » signifie ce qui résulte d'une action, d'un fait, d'un principe, d'un calcul. Dans notre approche, il s'agit des réalisations concrètes et palpables. En ce qui concerne le mot « enjeu », il désigne une somme d'argent ou un objet que l'on risque dans une partie de jeu et qui revient au gagnant. Il est compris dans notre étude dans le sens de gains ou de pertes auxquels les différents acteurs « rationnels » sont exposés à travers la proactivité japonaise ; celle-ci pouvant du reste être mise en exergue par la revue de la littérature. IV. LA REVUE DE LA LITTERATURE D'emblée, il convient de souligner que cette revue de la littérature n'est pas exhaustive. A ce titre, nous avons remarqué que la production scientifique sur les relations internationales et parallèlement les représentations faites sur le Japon, continuent de bénéficier d'une attention soutenue du public et de la critique. L'exploitation à cet effet d'ouvrages généraux sur l'Empire du Soleil-Levant - quatre d'entre eux ont retenu notre attention par la richesse de leurs analyses- nous a paru indispensable. Le premier, direxit Jean Eismein (1988), issu d'un cycle de conférences magistrales pour le compte de la fondation française pour les études de défense nationale, a parmi ses mérites, celui de récapituler et critiquer les raisons que l'on avance pour dire que le Japon est appelé à jouer un grand rôle dans la politique mondiale. Le second, publié pour la première fois en 1946 et depuis lors complété et réédité, est un véritable classique qu'on ne pourrait se permettre de ne pas consulter. Edwin Reischauer (2001), l'ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique à Tokyo de 1961 à 1966 et professeur à Harvard, y soutient que l'occupation américaine au Japon, sans doute à cause de son inspiration quasi révolutionnaire, est la plus belle réussite de la politique asiatique des Etats-Unis. Le troisième, sous la plume de Karel Van Wolferen (1997) rompt avec l'explication traditionnelle et cherche à comprendre comment le Japon est gouverné. Son analyse dissipe quelques mythes soigneusement entretenus. Ainsi, derrière une façade d'institutions et d'usages qui le rendent apparemment proche des démocraties occidentales, se déploie en réalité un système largement informel et d'autant plus puissant que le pouvoir y est diffus, comme insaisissable. Le quatrième et dernier est celui de Marlis G. Steinert (1987). Il soutient que le Japon appartient à deux triangles, occidental et asiatique qui se recoupent et où sa position varie en fonction des domaines politique, économique et militaire. Ces auteurs ont apporté beaucoup d'éclairages à notre travail, en reconnaissant en quoi consiste la puissance que l'on prête au Japon. Toutefois, ils n'ont pas proposé véritablement d'éléments de comparaison avec d'autres sphères, comme d'autres par ailleurs l'ont fait. Sur le plan théorique justement, Kent Calder (1988) nous aura apporté un plus, ceci en faisant ressortir la thèse de « l'Etat réactif » de la politique étrangère nippone. Il a fortement influencé au cours de ces vingt dernières années toutes les études afférentes à l'activité diplomatique japonaise notamment celles de Robert Orr (1990). Qualifiée de réactive et passive, Calder démontre que la politique étrangère japonaise est moins le résultat d'un processus indépendant de décisions ou de choix dans l'intérêt supérieur du pays, par les autorités nationales, qu'une conséquence de pressions extérieures et plus particulièrement celles des Etats-Unis d'Amérique. Malheureusement, cette thèse est battue en brèche par un double constat. D'abord, le Japon a parfois réagi directement aux propos des pays africains, lorsque ceux-ci par exemple ont critiqué ses relations commerciales avec l'Afrique du Sud durant l'apartheid. Ensuite, le caractère réactif de la diplomatie nippone ne peut être assimilé à de la passivité. Le gouvernement japonais a souvent utilisé l'argument de la pression extérieure pour apporter des solutions définitives à des problèmes internationaux persistants. Loin d'avoir des réactions instructives aux directives des Etats-Unis d'Amérique, Donald Yasumoto (1995) conclut que le Japon adopte des actions indépendantes, basées sur une évaluation de ses intérêts nationaux. Cette analyse de la conduite nippone reste cependant imprécise aussi bien sur le plan de sa structuration que de ses modalités. Michel Vie (1995) et Scarlett Cornelissen (2004a ; 2004b) parviennent partiellement à combler cette insuffisance, en ce sens que pour eux, Tokyo affronte le monde en faisant de la recherche de la sécurité économique, l'objet fondamental de sa politique. Par conséquent, l'intervention de l'Empire du Soleil - Levant, lorsqu'elle a lieu ne modifie jamais substantiellement le rapport de force dans la partie du globe où elle s'applique. En acceptant le monde tel qu'il est, multipolaire et multi conflictuel, la politique étrangère du Japon lui confère le statut de puissance moyenne. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux travaux de Kwekuh Ampiah (2004 ; 2003 ; 1997), Jun Morikawa (1997), Shozo Kamo (2004 ; 2003), Reinhart Drifte (2000 ; 1998), Marc Aicardi de Saint-Paul (1999 ; 1998 ; 1993) et Minoru Obayashi (2004 ; 2003 ; 1996). Même si pour la plupart, ils ont polarisé leur attention sur la relation nippone avec l'Afrique du Sud, leurs recherches paraissent néanmoins être celles qui ont le mieux systématisé le caractère spécifique de la diplomatie de l'Empire du Soleil-Levant vis-à-vis de l'Afrique. Ces études ont mis l'accent sur l'attitude distante que le Japon a eu envers le continent pendant longtemps, conséquence de la distance à la fois sociale, culturelle et géographique entre les deux entités, avec pour résultats des rapports limités. Ces rapports sont aujourd'hui principalement destinés à servir uniquement ses préoccupations économiques et stratégiques. Et c'est justement là où lesdits travaux nous laissent un goût d'inachevé car ils ne nous disent pas clairement si la montée du Japon en Afrique représente une véritable chance pour le continent. De leur côté, Eugène Nyambal (2006), Elenga-Ngaporo (2004), Ntuda Ebode (2003) et Baenga Bolya (1995 ; 1991) suggèrent que l'Afrique pour sortir de son immobilisme, au mieux de sa léthargie pluriséculaire, serait bien inspirée de regarder vers l'Asie et plus précisément le Japon, une société traditionnellement fermée qui par la seule volonté de sa classe dirigeante, a été radicalement transformée puis modernisée. Pour les pays ayant subi la colonisation européenne, le Japon serait donc une nation qui aurait su transcender l'opposition entre tradition (asiatique) et modernité (occidentale). Mais on sait bien que cette opposition là est illusoire, car fondée sur une vision ethnocentrique du monde où toutes les sociétés devraient connaître la même évolution vers une même finalité. La Chine est à présent une source d'incertitudes et de pronostics divers pour l'ensemble de la scène internationale et, a fortiori pour le Japon. C'est pourquoi son ombre ne peut ne pas planer sur notre étude. Les travaux parmi tant d'autres de Jacques Mistral (2006), de Valerie Niquet (2006), d'Adama Gaye (2005) ou encore de Guangkai Xiong (1997) sont à ce propos édifiants. On y découvre que Pékin ne craint pas de placer le respect de la souveraineté comme l'un des paradigmes dominants de son rapport à l'Afrique. En mêlant prêts concessionnels, annulations de dettes, fournitures de services dans des secteurs aussi essentiels que les infrastructures, la santé ou l'éducation, il tranche avec les conditionnalités qu'imposent les autres puissances. Mais ce déluge des aides économiques et commerciales et la douceur des formules de coopération que les chinois ont déroulé devant l'Afrique, ne doivent pas nous faire perdre de vue, la nécessité de lire les intentions de cet allié si prévenant, pour mieux peser sur l'orientation de sa relation stratégique. Les articles de la Foundation Foreign Press Center (FFPC) constitués de synthèses de déclarations de personnalités et d'éditoriaux récents de journaux japonais sur l'environnement politique, diplomatique, social et économique de l'Empire du Soleil-Levant, nous ont assurément beaucoup apporté en termes d'éclairages actualisants. Le chercheur en effet, étant appelé à consulter « les documents parmi lesquels il extrait une information factuelle (statistiques ou faits) ou des opinions qui lui serviront à appuyer son argumentation » (Chindji Kouleu, 2000 : 32). Il en est de même pour l'importante contribution en mémoires et thèses des étudiants de l'Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) abordant les questions de coopération avec les pays asiatiques. En somme, tous ces auteurs et beaucoup d'autres apparaissant aux références, ont attiré l'attention sur la thématique qui est la nôtre. Ils ont accumulé un important matériau dont nous allons tout simplement nous inspirer pour poser notre problématique. De manière générale dans la tradition conservatrice, la problématique comprend trois parties : la construction d'un problème ou de l'objet, la question centrale qui peut être éventuellement suivie de questions subsidiaires et l'hypothèse de recherche pouvant également être soutenue d'hypothèses secondaires. A- La Construction du problème La date du 9 novembre 1989 (chute du mur de Berlin) symbolise désormais pour les observateurs politiques, la fin de la Guerre Froide et l'ouverture d'une ère nouvelle dans les relations internationales. Au-delà du symbole, la disparition de l'Union Soviétique signifie la fin de la bipolarité et avec elle, « la fin d'un dialogue certes conflictuel mais néanmoins permanent entre deux super puissances qui au-delà de leur rivalité partageaient la même vision des relations internationales. Celle du joueur d'échec rationnel, dont les calculs étaient justifiés par la notion d'intérêt national » (Blom et Charillon, 2001 : 66). L'effondrement du communisme en Europe, l'état de dislocation où se trouve plongé l'ancien empire russe, le succès de l'économie de marché consécutif à la « mondialisation de l'économie » (Adda, 1998), ont donné lieu à une vaste littérature. Les questions de sécurité ont semblé être reléguées au second plan et l'économie appelée à jouer le rôle principal. Dans une vision rendue étroite par cette forme d'économisme5(*), la politique a été invitée au festin par une porte noble, mais réduite : l'expansion prometteuse ou potentielle de la démocratie et des droits de l'homme. Tout en réclamant de manière maladroite un droit de contrôle sur les questions européennes, africaines, asiatiques, les Etats-Unis d'Amérique, si on s'en tient aux recherches d'Emmanuel Todd et Youssef Courbage (2007 : 8) et même du futurologue Alexandre Adler (2002 : 306), se sont essentiellement distingués par une grande indifférence aux affaires du monde. Indifférence que les attentats du 11 septembre 2001 ont plus tard tragiquement révélée. Fort de ce contexte international, l'Empire du Soleil-Levant, longtemps inhibé par son statut de puissance vaincue en 1945, déploie à présent une diplomatie « tous azimuts » sur l'échiquier mondial. Depuis 1991, il est entré dans une période de recomposition politique qui pourrait se prolonger pendant longtemps. Ce réajustement interne converge avec la recherche d'une nouvelle position dans le monde et particulièrement en Afrique. Elle s'élabore, estime Karoline Postel-Vinay (1997 : 118), dans des termes politiques, stratégiques mais également plus abstraits et identitaires. Le Japon ayant par ailleurs son propre parcours à entreprendre, son propre cadre de références à recomposer, ses choix diplomatiques comptent. Il convient donc pour nous de déterminer les mécanismes et les logiques de cette stratégie de reconquête de l'espace international. 1. Quels sont les axes majeurs de la politique étrangère du Japon ? Quelles sont les caractéristiques de la diplomatie nippone ? En se rapprochant de l'Afrique, l'Empire du Soleil-Levant ne fait-il pas que se plier à des injonctions extérieures de plus en plus pressantes ou bien recherche t-il au contraire de son propre chef, le moyen de consolider en sa faveur, un rang de puissance moyenne dans le monde ? Comment l'engagement économique nippon fait- il place progressivement dès 1991 en Afrique à une attitude plus politique ? Comment se manifeste concrètement la nouvelle présence du Japon sur le continent noir en général et au Cameroun en particulier ? 2. L'offensive de l'Empire du Soleil-Levant va-t-elle s'approfondir, et si oui se fera-t-elle au détriment de ses partenaires africains ? Quelle est l'ambition du Japon dans le cadre d'une coopération Asie-Afrique ? Les Africains cesseront-ils d'être des perdants apparents de la mondialisation et quels itinéraires peut emprunter l'Afrique réelle, si complexe et si peu sûre d'elle-même au regard de l'expérience nipponne ? En résumé comme question centrale, comment et pourquoi les Japonais aujourd'hui plus que par le passé s'intéressent à l'Afrique dans un contexte favorable de « prise de conscience d'une scène mondiale où cohabitent des visions du monde différentes, et où la contestation de l'ordre légal rationnel de l'occident est forte » (Blom et Charillon, 2001 : 71) ? Selon Madeleine Grawitz (1999), l'hypothèse est une « proposition de réponse à la question posée ». Partant de cette définition, celle que nous avançons est que le Japon aspire aujourd'hui à un rang diplomatique mondial en accord avec sa puissance économique, non seulement pour effacer son passé guerrier6(*), mais aussi pour ne plus apparaître comme un « nain politique ». Dans sa stratégie de reconquête de l'espace international qui « pourrait être le début d'une nouvelle guerre d'influence » (L'Express International n°2932, 13 au19 septembre 2007), l'Empire du Soleil-Levant compte sur les puissances occidentales à commencer par les Etats-Unis d'Amérique, son protecteur. L'alliance stratégique avec Washington que le Président Bill Clinton a qualifié de « relation bilatérale la plus importante de la scène internationale » est essentielle pour Tokyo, incapable d'assurer seul sa sécurité et ses intérêts vitaux menacés à la fois par une Corée du Nord en voie de nucléarisation et par une Chine qui ne résiste que mollement aux sirènes du nationalisme. La diplomatie nippone dès lors envisage engranger le maximum de sympathies des pays du Sud, africains en l'occurrence, pour en faire des alliés potentiels susceptibles de défendre, voire de partager ses positions sur les tribunes internationales. Ces derniers peuvent de toute manière peser d'un certain poids dans les mécanismes démocratiques internationaux de prises de décisions tels que les Nations Unies et lui permettre d'obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité (Hugon, 2006b ; Kamo, 2003 ; Drifte, 2000). Disposant d'un droit de veto, l'Empire du Milieu s'oppose farouchement à cette admission au sein du sanctuaire de la diplomatie mondiale. L'opposition du voisin chinois (mais aussi Sud coréen) est le résultat des conflits culturels, politiques et militaires, millénaires. Elle est surtout la matérialisation de la lutte de positionnement économique ou d'ascendance sur l'échiquier mondial en définitive. D'après le rapport « China : bigger and better » de la Banque d'Investissement Lehman Brothers publié en janvier 2007, l'économie chinoise pourrait dépasser celle de l'Allemagne en 2010, celle du Japon en 2020 et être la première du monde en 2040. Déjà en Afrique, avec son principe du gagnant / gagnant qui privilégie la coopération, la non ingérence, la souveraineté des Etats et néglige les droits de l'homme, la Chine se pose en tant que puissance régionale concurrente du pôle Japon / Etats-Unis (Hugon, 2006a : 381). De son côté, l'Inde se fait plus présente sur le continent noir à travers d'importants investissements dans des pays comme le Nigeria, le Sénégal ou le Soudan. Certains observateurs comme Guillard et Boisseau Du Rocher (2006) lui promettent la deuxième économie mondiale d'ici 15 à 20 ans. En comptant également avec les objectifs utilitaristes inhérents à l'accès aux matières premières et les stratégies de présence de ses firmes, il s'agit clairement pour Tokyo à travers son offensive africaine, de rattraper Pékin voire New Delhi, dans la course à l'influence sur les questions internationales. A la suite de cette logique, l'Afrique offre au Japon, ipso facto, un terrain diplomatique idéal lui permettant de concrétiser ses objectifs de politique étrangère qu'un cadre théorique d'analyse pourrait ressortir. VI. LE CADRE THEORIQUE D'ANALYSE Notre étude s'investit dans le champ de l'analyse de la politique étrangère, plus célèbre sous l'expression anglo-saxonne de Foreign Policy Analysis (FPA). James Rosenau est sans doute avec Charles Kegley et Charles Hermann (1987), l'un de ceux qui ont le plus milité pour son approche scientifique. Ces auteurs décrivent la politique étrangère comme un instrument par lequel l'Etat essaye de dessiner son environnement international. Contrairement à la perspective des études souvent comparées des inputs et des outputs chères à la Public Policy en matière de politique étrangère, notre démarche est davantage proche des chercheurs plus classiques. Ces derniers comme Alexander George et Gordon Craig (1983), décryptent la politique étrangère en tant que diplomatie ou art de gouverner (Statecraft). Pour appréhender globalement la stratégie nippone de reconquête de l'espace international, il nous a semblé judicieux de convoquer comme unique paradigme, l'un des plus importants des relations internationales : le réalisme. Nous évoquons les postulats, les épreuves et la pertinence des thèses réalistes pour justifier notre choix théorique. A- Historicité et postulats du paradigme réaliste La littérature courante fait monter ses racines à l'antiquité. Il prend une emphase avec Hobbes au XVIIIème siècle qui s'intéresse à la dimension conflictuelle des phénomènes internationaux et de l'anarchie, caractéristiques de la société internationale. Selon l'école réaliste, dont les hérauts ont pour nom Machiavel, Clausewitz, Morgenthau et Aron, les phénomènes internationaux se fondent sur la réalité telle qu'elle existe et non sur un quelconque idéal. Ces auteurs ont toujours préféré la lucidité et développé une vision cynique ou pessimiste des rapports humains. Les Etats sont à la recherche permanente de leurs intérêts qu'ils réalisent en termes de puissance (Guzzini et Rynning, 2002). Ils sont considérés comme les seuls acteurs rationnels et leurs décisions de politique étrangère correspondent au rapport coûts / bénéfices le plus satisfaisant. S'appuyant sur une tradition bodinienne et hobbesienne, Henry Kissinger (1994) observe la scène internationale comme un théâtre de quête de puissance, d'équilibre et de poursuite d'intérêts. « C'est cette puissance comparée à celle des autres, qui permet ou non d'affirmer ses prérogatives dans un monde marqué par l'omniprésence du rapport de force » (Blom et Charrillon, 2001 : 14). En évoquant cette perspective, nous devons garder à l'esprit que l'interprétation réaliste des relations internationales participe en réalité d'un processus commun : celui qui est né avec la paix de Westphalie de 1648 et qui a établi un ordre politique plus tard qualifié d'ordre étatique international. On peut donc convenir à la lumière de ses relations internationales que, le Japon s'affirme de plus en plus comme un acteur dont la voix compte parmi les puissances. Son poids économique, sa contribution de premier plan aux projets de développement et aux missions de paix onusiennes le distinguent. Il est surtout à la recherche des appuis internationaux en faveur de ses aspirations internationales. En ce sens, « la mesure de la puissance est fondée sur la prise en considération des ressources de divers ordres qui permettent à un Etat d'avoir des chances sérieuses de faire triompher sa volonté ou alors qui lui confèrent une position de suprématie sur l'échiquier géopolitique » (Sindjoun, 2002 : 157). B- A l'épreuve d'un nouvel ordre mondial Au milieu des années 1950, une première remise en question des dogmes réalistes eut lieu. Elle s'est manifestée par l'ouverture de politiques étrangères à des approches s'attachant au rôle des individus et des institutions bureaucratiques dans le processus décisionnel. Durant les deux décennies suivantes, les postulats réalistes se virent défier par les analyses cognitives s'intéressant à la perception des décideurs ou à leurs systèmes de valeurs (Jervis, 1978). Cela a naturellement contribué à fissurer la thèse selon laquelle, la politique étrangère n'était qu'une affaire d'interactions interétatiques. Une simple affaire de « boules de billard », pour reprendre la célèbre métaphore d'Arnold Wolfers (1962). Les auteurs prirent acte des évolutions de la scène mondiale et amendèrent l'approche réaliste en s'attachant à des acteurs autres que les seuls Etats. Ainsi, Robert Keohane et Joseph Nye (1977) théorisèrent ce qu'ils appellent « l'interdépendance complexe » à savoir : la sensibilité et la vulnérabilité croisées des Etats sur certains enjeux auxquels participent également les groupes de pression, des organisations internationales. La fin de la Guerre Froide dans les années 1990, résultant moins d'un changement radical de la répartition de la puissance dans le système international que d'un processus interne aux Etats socialistes, a marqué l'échec du modèle d'analyse réaliste. Des phénomènes tels que l'intégration (l'UE par exemple), les conflits ethniques, les nouveaux modes de violence internationale, l'essor des droits de l'Homme ou la prise en compte des préoccupations environnementales ont échappé à ce modèle théorique (Badie et Smouts, 1999). La souveraineté sur laquelle s'appuyaient les réalistes entre à son tour en crise avec la naissance à l'interface de l'externe et de l'interne de plusieurs espaces et la perte de la pertinence du territoire (Appadurai, 1997 ; Badie, 1995). Il est reproché à l'école réaliste de se baser sur des postulats anthropologiques desquels sont déduites des « conséquences discutables ». De plus, elle négligerait des variables importantes pour ne retenir que des facteurs aussi vagues que l'intérêt national ou même la puissance. Fondée sur un type idéal, elle aurait tendance à une simplification abusive de la réalité qui oppose exagérément deux extrêmes : l'ordre de l'Etat-nation et l'anarchie du système des relations internationales. C- La pertinence persistante des thèses réalistes Toutes ces réflexions énoncées ci-dessus n'épuisent pas pour autant la théorie réaliste pour deux raisons. La première est que ses choix sont d'ordre méthodologique et ne proposent qu'un cadre destiné à faciliter l'analyse. La seconde est tout simplement qu'elle a entre temps évolué. Un courant dit « néoréaliste » (Waltz, 1979) est apparu. Ainsi, des auteurs comme Robert Keohane ou Susan Strange, s'efforcent de prendre en compte la dimension économique dans la compétition que se livrent les Etats. De la sorte, les principales lignes de conduite du réalisme demeurent pertinentes. D'abord, les institutions internationales ne peuvent rien contre l'anarchie de la scène mondiale ; seuls les Etats peuvent véritablement maintenir l'ordre. Ensuite, il existe une compétition dans laquelle ces Etats sont en quête de gains relatifs, c'est-à-dire, les uns par rapport aux autres dans un jeu à somme nulle (Rapoport, 1967). Enfin, les questions de sécurité, la quête de puissance et la capacité des Etats en la matière restent centrales. Le réalisme n'est donc pas obsolète. « Le lien entre le processus de puissance internationale et le processus politique interne, continue de faire la grande force de cette école dans les débats sur la politique étrangère » (Guzzini et Rynning, 2002 : 57). Le paradigme réaliste dans son approche révisionniste, esquissée par Randall Schweller (1996) est valablement à même pensons nous, d'approfondir notre analyse sur la manière dont un pays, le Japon, dans une démarche méthodique et cohérente, en prenant appui sur l'Afrique, entend élargir sa zone d'influence sur la scène internationale. Sans armée officielle mais avec un budget militaire impressionnant, ébranlé après la crise financière des années 1990 mais en plein rebond, le Japon cumule décidément des singularités, note Jean François Sabouret (2005). Ce paradigme nous permettra de démontrer que l'activité diplomatique nippone s'inscrit dans la sauvegarde de ses intérêts nationaux vitaux. Car, « l'aide au développement qui est liée à la géopolitique, au commerce et au système bancaire, ne peut pas être simplement qualifiée de cadeau. Donner et recevoir comprend des zones grises : ces actes peuvent dissimuler l'échange ou la contrainte » (Sogge, 2002 : 47). Cette hypothèse établit la coopération comme résultat d'un calcul d'intérêt, comme moyen d'obtenir autre chose dans une relation qu'Axelrod (1992) qualifie de « donnant-donnant ». C'est pourquoi, dans une perspective empirique ou positiviste, nous faisons appel au niveau des considérations méthodologiques de notre travail à la grille analytique comme mode de mise en relation des faits. VII. LES CONSIDERATIONS METHODOLOGIQUES Pour cela, les techniques documentaires sont mises à contribution. Il s'agit de consulter une masse de matériaux écrits : archives, textes et communiqués officiels, extraits de journaux (Bardin, 1977), en visitant à l'occasion certains sites Internet. A partir de ces documents, nous nous attelons à reconstituer la part de l'entrepreneur diplomatique dans la construction d'une politique étrangère révisionniste. Le dépouillement de certains articles de presse nous permet de conforter cette étude à travers l'examen des discours des personnalités politiques. Il a l'avantage de dégager des options diplomatiques qui évoluent et se confrontent. Nous nous appuyons également sur des statistiques, tableaux, graphiques et photos pour mettre en évidence l'état d'activité de l'Empire du Soleil-Levant. Dans la finalité de rechercher les césures qui permettent de juger du changement ou de la constance dans les phénomènes observés, nous mobilisons la méthode historique pour aboutir, au sens de Madeleine Grawitz (1999), à une reconstruction de la réalité. Cette approche a pour nous trois mérites. D'abord, elle conforte la délimitation temporelle de notre étude qui prend comme point de départ l'année 1991 ; année ouvrant une nouvelle ère des relations internationales avec la fin de la Guerre Froide. Ensuite, elle aborde la quête nippone d'influence sur l'échiquier africain de manière diachronique, c'est-à-dire d'en saisir son déroulement dans le temps. Enfin, elle rend intelligible l'entreprise diplomatique japonaise en répondant aux questions « quand », « comment » et « pourquoi ». Nous faisons reposer notre analyse sur le concept de « stratégie » (Crozier et Friedberg, 1977). En effet, l'étude entend analyser la proactivité de l'Empire du Soleil-Levant comme tactique qui consiste à se servir de ses relations avec le continent noir pour signaler au monde, les orientations de sa politique étrangère. Il s'agit d'un processus porteur d'enjeux et façonné par l'intrication des jeux des acteurs « rationnels » dans un contexte de rapports de force. Pour mener à bien cette étude, notre travail sera divisé en deux parties. Il s'agira dans un premier temps, de nous appesantir sur les bases et les manifestations de l'offensive politico-diplomatique du Japon. Nous mettons en exergue les fondamentaux de la politique étrangère nippone et les signes matériels servant à reconnaître l'activisme africain de l'Empire du Soleil-Levant depuis 1991. Dans un second temps, les effets et les enjeux de cette offensive japonaise sur le continent noir sont au centre de nos préoccupations. Pour cela nous entendons éclaircir au préalable les effets, en prenant un cas précis pour nous édifier ceteris paribus. Ce point focal est la dynamique coopérationnelle entre le Japon et le Cameroun7(*). Il s'agira par la suite et en dernier arrêt, de décliner les enjeux que révèle l'entreprise diplomatique nippone dans son ambition de reconquérir l'espace international. * 1 Pour la Banque Mondiale dans son African Development Indicators 2007, 46% de la population africaine n'a pas accès à l'eau potable, 31% est en situation de malnutrition, 43% des enfants ne sont pas scolarisés et 60% de la population est analphabète. L'Afrique subsaharienne compte en 2007, 75% du total mondial de séropositifs, avec des taux de prévalence qui atteignent près de 40% au Botswana. * 2 Lire à ce sujet Augusta Conchiglia, « l'Afrique au delà des idées reçues », Le Monde Diplomatique, Juillet 2007. * 3 Voir <www.ticad.net/fr/decl-10e-anniversaire.pdf> * 4 La notion de bataille des Samouraïs, le caractère violent de celle-ci a survécu partiellement à l'échec du développement militaire et à l'expansion commerciale. Dans ses structures hiérarchiques, le Japon industriel est fils du Japon féodal. C'est ainsi que les principaux responsables du pays sont pour la plupart des descendants des Samouraïs. * 5 L'ouvrage très liberal de Thomas Friedman: The world is flat. A brief history of the twenty-first century. (New York, Farrar, Straus and Giroux, 2004) distingué comme livre de l'année par le Financial Times, peut non sans justification être considéré comme une caricature de cette approche. * 6 Le Japon a beau être l'une des deux démocraties parlementaires en Asie du Nord-Est, il continue à faire peur si l'on en croit les résultats d'un sondage réalisé auprès de 2889 auditeurs en septembre 2007 par la radio CBS en Corée du Sud. Certes, la dictature stalinienne de Kim Jong II en Corée du Nord, est perçue comme la menace la plus immédiate pour 30.8% des sondés. Mais le Japon fait presque jeu égal avec 30.5%. Les Etats-Unis d'Amérique arrivent en troisième position (15%) suivis de la Chine (11.4%). * 7 « Centre de gravité du continent noir, le Cameroun peut être considéré comme une Afrique en réduction, et son étude est particulièrement bénéfique pour qui veut s'initier aux problèmes africains », soutient Jean Imbert (1982 : 3). |
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