CONCLUSION GENERALE
L'offensive politico-diplomatique de l'Empire du Soleil-Levant
en direction de l'Afrique depuis 1991 révèle à bien des
égards que nous sommes bien entrés, dans le
« siècle du Pacifique », annoncé de longue
date. Certes, les manifestations d'un engagement américain
sélectif et d'une présence européenne résiduelle
vont continuer à marquer les relations extérieures des Etats
africains. Mais le steeple chase entre sociétés
pétrolières qui oppose actuellement le Japon, la Chine et l'Inde
aussi bien en Angola qu'au Soudan, est illustratif de la course à
l'influence que se livre les puissances asiatiques. Il est significatif
à cet effet que ce soit en Afrique, jadis continent oublié qu'on
le constate aujourd'hui. Aussi, nous avons entrepris d'aborder cette
étude sur la cavalcade diplomatique nippone sur le continent noir en
deux modules.
Dans le premier consacré aux bases et aux
manifestations de l'offensive nippone en direction de l'Afrique, il nous a
semblé précieux au préalable, de comprendre la vision de
la politique étrangère que le Japon veut présenter
à l'intérieur et à l'extérieur de ses
frontières. Au delà de la découverte de l'environnement
socio politique et économique de l'Empire du Soleil-Levant, nous avons
mis l'accent sur les données thématiques diplomatiques de Tokyo
et sur le débat de la réactivité ou de la
proactivité sui generis de sa politique
étrangère. Nous avons décrit les instances et les
conduites des acteurs impliqués dans le processus de décision et
mis en exergue le fait qu'en devenant un des bailleurs de fonds mondiaux les
plus importants, l'archipel a fait de l'APD un outil pour accroître son
influence et son autonomie sur la scène internationale. Ce qui nous a
permis de rendre compte par la suite, de la place de l'Afrique dans
l'aménagement de l'action extérieure du Japon. D'une part, en
montrant les relations entre l'Empire du Soleil-Levant et l'Afrique avant 1991
comme la dynamique d'une diplomatie de l'immobilisme. D'autre part, en
s'intéressant au revirement d'attitude patent de Tokyo depuis la fin de
la Guerre Froide où la mise sur pied de la TICAD a été
présentée comme une technologie de consolidation de sa
« doctrine » africaine.
Dans le second module, nous avons mis en lumière les
effets et les enjeux qui gravitent autour de la proactivité nippone sur
l'échiquier africain en présentant le déploiement du
Japon sur la scène diplomatique africaine comme une prise de conscience
de la réalité internationale. Ce faisant, nous avons dans le cas
spécifique de l'état de relations entre Tokyo et Yaoundé -
étudié dans notre recherche comme point focal des effets de
l'offensive du Japon - parlé d'une « idylle
naissante ». La raison est évidemment le réchauffement
politico-diplomatique observé, qui conforte non seulement le
développement des échanges socioculturels, mais aussi la
consistance des relations commerciales entre les deux pays. Le champ social
apparaissant à cet effet comme le terrain privilégié de la
mise en oeuvre de réalisations appréciées par les
Camerounais pour leur impact sur leur vie quotidienne. Nonobstant ses
déclarations de bonnes intentions et malgré des tentatives de
tenir ses promesses, nous avons souligné que l'engagement politique et
économique du Japon en Afrique subsaharienne reste avant tout
motivé nûment, par des intérêts géopolitiques
et des objectifs utilitaristes.
Dans cette étude, nous avons convoqué
l'école réaliste dont les hérauts à l'instar de
Machiavel, Morgenthau, Kissinger ou Clausewitz appréhendent la
scène internationale comme un théâtre de quête de
puissance. L'irruption de nombreux acteurs autres que l'Etat dans le jeu des
relations internationales, surtout depuis la fin de la Guerre Froide aurait pu
épuiser ce paradigme inspiré des traditions bodinienne et
hobbesienne. Elle l'a plutôt dopé avec une intensité
nouvelle créant à l'occasion une ouverture herméneutique.
Nous nous sommes investis ainsi dans le champ de l'analyse de la politique
étrangère - plus célèbre sous l'expression
anglo-saxonne de FPA - pour son approche scientifique. Avec son statut
explicite d'observateur extérieur, la FPA tend à regarder les
relations internationales en tant qu'ensemble de décisions
concrètes « wie es wirklich gewesen »
(telles que les choses se sont vraiment déroulées). Son
mérite est de décrire la politique étrangère comme
un instrument par lequel l'Etat façonne son environnement
extérieur. La quête d'influence devant être comprise ici
comme une ambition de « conquête et d'expansion », et
la puissance comme un moyen de gagner l'influence.
La démarche de l'Empire du Soleil-Levant avons-nous
pensé, s'inscrit dans cette mouvance caractérisée par la
nécessité de la lucidité dans les relations
internationales. Dans cette perspective, le réalisme moderne est sans
doute celui qui traite le plus directement du révisionnisme en politique
étrangère. Le révisionnisme (et même le statu
quo) émerge du degré de satisfaction ou d'insatisfaction
ressenti par rapport « au prestige, aux ressources et aux
principes du système international ». La distribution de la
satisfaction et de l'insatisfaction donnant naissance à des alliances
fondées sur des « équilibres
d'intérêts ». Dans la finalité de rechercher les
césures qui permettent de juger du changement ou de la constance dans
les phénomènes observés, nous avons mobilisé la
méthode historique. Cette approche nous a permis d'aborder la
quête nippone d'influence sur l'échiquier africain, de
manière diachronique, c'est-à-dire, d'en saisir son
déroulement dans le temps.
Au demeurant, la Guerre Froide a dicté le profil du
comportement japonais dans ses relations extérieures et en contrepoint,
son approche des problèmes africains. Avec la chute du mur de Berlin qui
a fait basculer la géopolitique mondiale, Tokyo a eu à revoir sa
position, s'alignant sur celle de son principal allié, les Etats-Unis
d'Amérique qui également ont modifié leur comportement
face aux affaires africaines. Il était impératif pour le Japon de
renoncer à une attitude à hue et à dia qui
distinguait une Afrique blanche d'une Afrique noire. Compte tenu du poids
africain dans les mécanismes démocratiques internationaux de
prise de décisions tels les Nations Unies et des ambitions d'obtenir un
siège permanent au Conseil de Sécurité, il était
devenu stratégiquement essentiel pour le Japon de s'attacher à
améliorer ses relations avec les pays de l'Afrique subsaharienne. Il a
été ainsi peu surprenant que l'APD nippone en direction du
continent noir ait augmenté de façon constante, une
évolution qui a par ailleurs motivé la mise en place de la
« grand-messe » de la coopération japonaise
appelée TICAD.
Malgré les critiques,
« l'ustensilisation » de cette assistance du Japon en
faveur de l'Afrique est importante en raison de son impact sur l'ensemble de sa
politique étrangère. Elle permet en effet au gouvernement nippon
de montrer le rôle et la responsabilité qui devraient être
les siens sur l'échiquier international. Elle lui sert de tremplin pour
apparaître comme une puissance proactive d'envergure mondiale, agissant
dans l'intérêt de tous, erga omnes. Tokyo a su utiliser
de façon très adroite les dispositions de la charte de son APD
pour régir ses relations avec le continent noir en donnant de
façon visible une très haute priorité à la
démocratisation, à la bonne gouvernance et aux droits de l'homme.
L'organisation de la TICAD peut être considérée quant
à elle comme une victoire diplomatique sous deux angles.
Premièrement, en mettant sur pied cette conférence au moment
où les bailleurs de fonds réduisaient les budgets de leur APD et
se retiraient du continent du fait de l'afro pessimisme croissant et de la
« fatigue » de l'aide, l'Empire du Soleil Levant s'est
positionné comme un des principaux champions du relèvement de
l'Afrique et a démontré à l'occasion sa valeur morale sur
la scène internationale. Deuxièmement, le fait que la TICAD soit
un projet multilatéral est en soit important, car elle a probablement
servi à renforcer la visibilité du Japon. En vulgarisant les
principes d' « appropriation » et
d' « auto assistance » ; des valeurs
intrinsèques à la philosophie du développement de
l'archipel nippon qui ont guidé à son décollage
économique, le NEPAD notamment peut être présenté
comme une réussite très concrète à mettre au
crédit de ce processus.
Il ne faudrait cependant pas surestimer le degré
d'implication sur le continent de cette proactivité. Les niveaux
d'investissements et d'échanges du Japon avec l'Afrique sont nettement
et largement inférieurs à ceux qu'il entretient avec d'autres
régions du monde. On peut bien sûr attribuer la faiblesse de sa
participation à ses contraintes politiques et constitutionnelles, mais
elle n'en traduit pas moins un manque de volonté politique de prendre
des engagements importants. En d'autres termes, l'action du Japon en Afrique
volens nolens, n'est pas à la mesure de ses déclarations
et promesses. L'Empire du Soleil-Levant tente en réalité de se
servir de ses relations avec le continent pour signaler au monde les
orientations clés de sa politique étrangère.
Du regard africain, l'offensive politico-diplomatique du
Japon en direction de l'Afrique doit constituer un tournant pour un certain
nombre de raisons. D'abord, elle compense la perte des avantages que le
continent a bénéficiés durant la Guerre Froide,
disputée qu'elle a été entre l'Est et l'Ouest. Ensuite,
elle impose l'archipel nippon comme un partenaire important. Enfin, elle permet
à l'Afrique de pouvoir sortir du tête à tête, parfois
contraignant, qu'elle a souvent eu avec les anciennes puissances coloniales qui
ont souvent donné le sentiment de la traiter comme à la mesa
de los ninos (à la table des enfants). Mais Tokyo n'a aucune
attache historique, culturelle ou géographique avec le continent noir,
alors que tout le relie à l'Asie de l'Est. Cela signifie clairement que
si ses ambitions géopolitiques mondiales sont atteintes et que les
pressions internationales qui le poussent au « partage du
fardeau » sur l'Afrique se relâchent, le Japon pourrait
vraisemblablement se détourner du « continent
lointain » pour se concentrer sur ses zones traditionnelles
d'influence où sa réintégration a d'ailleurs
déjà commencé et va manifestement se poursuivre.
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