CHAPITRE IV : LES
ENJEUX DE L'OFFENSIVE NIPPONE EN DIRECTION DE L'AFRIQUE
Pour Pierre de Senarclens (1993 : 120), la réflexion
des considérations de l'ordre international est indissociable des
considérations éthiques et normatives. Mais en période de
mutations rapides et de crises, les principes et les enjeux des relations
internationales sont par définition incertaines. Les débats sur
la « fin de l'Histoire » (Fukuyama, 1993) montrent combien
il est hasardeux de se projeter dans l'avenir après l'érosion des
croyances idéologiques de la Guerre Froide. Dans un contexte où
les attributs de la puissance deviennent aléatoires, alors que les Etats
disposant d'importants moyens militaires ou économiques hésitent
à remplir les obligations politiques inhérentes à leur
statut (Todd et Courbage, 2007), tout effort de prospective sur les principes
de l'ordre international paraît risqué. Du moins, dans les
circonstances où le rapport entre sens et puissance devient
problématique, comme l'a si bien montré d'ailleurs Zaki
Laïdi (1992). L'analyse des vicissitudes du positionnement de l'Afrique
dans la politique étrangère du Japon depuis 1991, a cependant
permis de relancer un certain nombre de débats sur les modalités
qui le structurent.
Quel fondement, quel sub-jectum fait reposer la
proactivité nippone sur le continent noir ? En d'autres termes, que
recherche Tokyo à travers son déploiement politico-diplomatique
en Afrique ? Quels enseignements peuvent tirer les Africains d'un pays qui
a accompli avec un « éclat retentissant son
développement industriel » (Elenga-Ngaporo, 2004 : 69) ?
Il est question dans ce dernier chapitre consacré aux différents
enjeux, de recenser les motivations prédominantes de l'activisme de
l'Empire du Soleil-Levant sur l'échiquier africain. Mais aussi à
l'aune du modèle japonais « d'apprentissage et de rattrapage
technologique » (Nyambal, 2006 : 118), de revisiter la question du
développement de l'Afrique. Chemin faisant, nous pouvons remarquer d'une
part, que l'obtention d'un siège de membre permanent du Conseil de
Sécurité des Nations Unies, est devenue une obsession de la
diplomatie nippone (section I). D'autre part, que les intérêts
utilitaristes pour les terres africaines constituent désormais pour
Tokyo, des priorités dans sa course à l'influence internationale
(section II). Cette offensive japonaise doit conduire à une
réelle prise de conscience des Africains, capable d'enclencher le
processus du décollage du continent noir (section III).
SECTION I :
L'OBTENTION DU SIEGE DE MEMBRE PERMANENT DU CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS
UNIES : UNE OBSESSION DE LA DIPLOMATIE NIPPONE
Une série d'études (Ntuda Ebode, 2003 ; Green,
2001 ; Drifte, 1998) usant d'arguments théoriques et empiriques
démontrent que l'engagement du Japon envers l'Afrique
révèle son désir de jouer un rôle catalyseur sur le
plan international. Cet engagement a été
généralement intéressé et surtout utilisé
comme moyen pour permettre à l'Empire du Soleil-Levant d'obtenir le
« précieux sésame » d'un siège
permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies (Osada, 2001).
En recherchant l'appui des capitales africaines (Hugon, 2006b : 380), Tokyo
fait de la réforme de ce « sanctuaire de la diplomatie
mondiale » un viatique incontournable dans sa quête d'un
important rôle sur la scène internationale (A) en employant un
puissant plaidoyer discursif (B).
A- La réforme du
Conseil de Sécurité : un viatique pour un nouveau rôle
international
L'accès du Japon à un nouveau rôle
international passe par la réforme du Conseil de Sécurité
des Nations Unies. Cette instance de la diplomatie mondiale qui reste
dominée par les vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale (1)
nécessite des ajustements (2).
1- le Conseil de Sécurité : une
instance dominée par les vainqueurs de la Seconde Guerre
Mondiale
Compte tenu de l'importance du vote africain à
l'Assemblée Générale des Nations Unies et des ambitions
du Japon d'obtenir un siège permanent au Conseil de
Sécurité (Drifte, 2000 ; Nepote et Sybille de Vienne, 1999),
il est devenu stratégiquement essentiel pour Tokyo de s'attacher
à améliorer ses relations avec les pays de l'Afrique
subsaharienne. Ces derniers en 1978, avaient déjà
démontré leur capacité de nuisance, en contribuant
à l'échec de l'élection du Japon comme membre non
permanent de cette instance de l'ONU (Le Monde, 9 août 1979). L'objectif
d'accroître le nombre de nations susceptibles d'appuyer la
présence nippone sur la scène politique mondiale, notamment
à l'Assemblée Générale des Nations Unies est
devenu, dans un « monde en coagulation » (Plantey, 1993 :
372), un véritable enjeu diplomatique. Il a pris de l'ampleur lorsqu'en
septembre 1992, « le Japon a ouvertement annoncé son
intention de devenir membre permanent du Conseil de
Sécurité » (Sato et Alden, 2004 : 27). Il est utile de
souligner que les efforts de l'Empire du Soleil-Levant pour améliorer
son profil sur la scène internationale ont coïncidé avec
l'augmentation de son APD en direction du continent noir ainsi que la mise sur
pied de la TICAD65(*). La
conséquence étant pour lui, « l'obligation
d'être perçu comme un soutien de causes diverses en faveur de la
paix dans le monde, un facteur qui rendrait l'Afrique relativement attrayante,
compte tenu des problèmes de développement du
continent » (Ampiah, 2004 : 110)
L'ONU est née aux lendemains de la Seconde Guerre
Mondiale avec pour ambition de maintenir la paix et la sécurité
internationale, « à partir d'un dispositif plus efficace que
la SDN » (Blom et Charillon, 2001:115). Organe permanent des Nations
Unies qui, à la demande d'un Etat ou du secrétaire
général, peut siéger très rapidement lorsque la
situation l'exige, le Conseil de Sécurité est la seule instance
qui puisse prendre des décisions obligatoires applicables aux Etats
membres, dans le cadre du maintien de la paix66(*). Mais il s'agit le plus souvent par voie de
recommandations. Composé de quinze Etats, dix d'entre eux sont
élus pour deux ans par l'Assemblée Générale sur la
base d'un double critère : la contribution des pays candidats
à la sécurité internationale (ce qui, en principe devrait
se traduire par la désignation d'Etats bénéficiant d'un
certain « poids » sur la scène internationale) et
l'application du principe d'une juste répartition géographique
(qui alloue trois sièges à l'Afrique, deux sièges à
chacune des régions Asie-Pacifique, Amérique latine
-Caraïbes et « Europe occidentale et autres Etats » et
enfin, un siège aux Etats d'Europe orientale). Ce sont les membres non
permanents du Conseil qui ne sont pas immédiatement
rééligibles et la désignation à cette fonction
temporaire ne va pas de soi. Environ 80 Etats n'ont jamais siégé
au Conseil de Sécurité et une quarantaine n'a
bénéficié que d'un seul mandat. Les cinq autres membres
sont dits « permanents » .Ils constituent les
« P5 », jusqu'à présent club très
fermé des principales puissances sorties victorieuses de la Seconde
Guerre Mondiale : Etats-Unis d'Amérique, France, Chine, Royaume-Uni
et Russie (qui a succédé à l'URSS en décembre
1991).
Ces membres de droit jouissent d'un autre privilège,
qui fut mis au point par Churchill, Staline et Roosevelt lors de la fameuse
conférence de Crimée qui se solda par les accords de Yalta de
février 1945 (Gaddis, 2005). Ils disposent, grâce à ce que
l'on appelle le « droit de veto », du pouvoir
d'empêcher l'adoption de tout projet de résolution ne leur
convenant pas. Après avoir été longtemps
« bridé » (entre 1946 et 1990,
ce « droit de veto » fut utilisé plus de 200
fois, en particulier par l'URSS), le Conseil de Sécurité est
devenu véritablement opérationnel avec la fin de la Guerre Froide
(Smouts, 1994). Depuis lors, le droit de veto n'a été
utilisé qu'une dizaine de fois et le Conseil a adopté plus du
double du nombre de résolutions que durant ses 45 premières
années de fonctionnement. Et l'utilisation, naguère
exceptionnelle, des pouvoirs confiés au Conseil de
Sécurité par le chapitre VII de la Charte de San Francisco est
devenue aujourd'hui quasi routinière. La fin de la Guerre Froide a
également relancé ipso facto le débat sur la
composition du Conseil de Sécurité et son
élargissement67(*).
De ce débat, il ressort la nécessité de procéder
à des ajustements au sein de cette instance diplomatique.
2- Le Conseil de Sécurité : une
instance nécessitant des ajustements
La nature même des Nations Unies (reflétée
par sa structure réelle, si officieuse, cachée derrière
son organigramme de façade infiniment démocratique), en plus de
sa principale raison d'être aux yeux de ses fondateurs, a beaucoup plus
à voir avec « le maintien du pouvoir des vainqueurs de la
Seconde Guerre Mondiale qu'avec l'accroissement de la démocratie
politique ou économique partout sur la planète »
(Bennis, 1996 : 46 - 47). Dans le même esprit, Pierre de Senarclens (1993
: 123) écrit que le Conseil de Sécurité dans la forme
actuelle requiert de sérieux ajustements car, volens nolens
« ayant été crée sur le modèle d'un
concert de grandes puissances pour résoudre un type de conflits
internationaux qui a perdu de son importance ».
En réponse aux voeux du corps diplomatique
résidant à Yaoundé, le chef de l'Etat camerounais s'est
prononcé également pour « une réforme
progressive du système, onusien actuel qui tienne compte de
l'évaluation des grands équilibres mondiaux au cours des
dernières années et de l'émergence de nouveaux Etats. Une
meilleure représentativité de notre organisation commune, en
particulier du Conseil de Sécurité, accroîtrait sa
légitimité et, on peut l'espérer, son
efficacité » (Cameroon Tribune n° 8763/4962, 5 janvier
2007). Il a réitéré ce souhait en prenant la parole dans
le cadre du débat général de la 62ème
session de l'Assemblée générale des Nations Unies le 27
septembre 200768(*). Au
surplus, quatre des cinq membres permanents, hormis la Chine
représentait en 1950, 36% de l'humanité. En 2003, cette
proportion n'était plus que de 8%. Les dix autres membres, dits
« élus », le sont pour deux ans et n'ont aucune
prise sur les « P5 » qui, ensemble ou
séparément, pratiquent la loi du plus fort. On comprend
dès lors que la communauté internationale revendique un Conseil
de Sécurité réformé pour traduire les
réalités du monde d'aujourd'hui et incarner une nouvelle
légitimité. Mais la double question qui reste posée est
celle du choix et de la nature des pouvoirs à conférer aux
membres à intégrer.
Boutros Boutros-Ghali (1992) a proposé « une
réforme ambitieuse du système de sécurité
collective »69(*). Le 20 mars 1997, un groupe de travail mis en place
depuis 1994 par l'Assemblée Générale sur cette question et
présidé par le Malaisien Ismail Razali a présenté
un certain nombre de suggestions dont l'extension du Conseil de 15 à 24
membres. Ces propositions sont toujours sur la « table des
négociations ». La réforme du Conseil de
Sécurité ne peut se faire que par une révision de la
Charte des Nations Unies, qui doit être acceptée et
ratifiée par plus des deux tiers (128 pays) du total des membres (192
pays), dont les cinq membres permanents qui ont le droit de veto. Pour cette
raison, le gouvernement japonais continue à intensifier son offensive
diplomatique pour que se réalise la réforme du Conseil de
Sécurité. En mobilisant son APD en direction du continent noir et
en initiant des processus multilatéraux comme la TICAD, l'Empire du
Soleil-Levant compte sur le soutien des 53 pays africains, qui
représentent environ 30% du total des membres des Nations Unies, pour
rehausser son profil politique (Rose, 2000). De leur côté les
Africains tiennent également, comme le soutient Ntuda Ebode (2003 :
130), « le Japon comme une puissance stratégique d'appoint,
le pays grâce auquel le continent pourrait entrer au Conseil de
Sécurité ».
Nous passons ainsi de ce que Jean Daniel Aba (2001 : 622)
appelle « la diplomatie mère Theresa » à une
diplomatie « real politik » intégrale
où l'Empire du Soleil - Levant emploie un puissant plaidoyer pro
domo.
B- Le plaidoyer pro domo
japonais comme technologie d'un discours diplomatique
Sur la question de l'élargissement du
Conseil de Sécurité des Nations Unies, nous nous appesantissons
sur les propres arguments du gouvernement nippon (1). Arguments qui par la
suite ont eu à bénéficier du coup de pousse du rapport
« Annan » (2).
1- Les arguments du gouvernement nippon
Depuis 1992, l'Empire de Soleil-Levant s'est doté d'un
argumentaire qui lui permet de conforter sa position de postulant naturel et
sérieux, « en vue de l'adjonction de sièges nouveaux de
membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU »
(Kamo, 2004 : 64).
Premièrement, depuis la création des Nations
Unies en 1945, la communauté internationale a fait l'objet de mutations
considérables avec notamment la Guerre Froide et son issue, la
décolonisation, l'intégration régionale et la
mondialisation. Le nombre d'Etats membres de l'ONU est passé de 51
à 192. Au cours de ces 60 années, le cadre institutionnel
notamment celui du Conseil de Sécurité est en principe
resté le même. Pour le gouvernement nippon, la composition de
cette instance internationale devrait refléter la réalité
du 21ème siècle et non pas celle de 1945. Outre les
PED d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine qui doivent être
représentés de façon permanente, « des Etats
membres qui souhaitent et sont capables d'endosser des responsabilités
dans le maintien de la paix internationale et la sécurité doivent
jouer un rôle à part entière dans la prise de
décision du Conseil de Sécurité » (MOFA, 2005b).
Tokyo demande depuis longtemps la suppression sur la Charte des Nations Unies,
des mentions d' « ennemis » (appliqués à
des pays qui furent les vaincus de la Seconde Guerre Mondiale, notamment le
Japon et l'Allemagne), les qualifiant
d' « anachroniques ».
Deuxièmement, la contribution dans le maintien de la
paix et de la sécurité internationale. L'Empire du Soleil-Levant
supporte un cinquième des coûts des OMP de l'ONU, et cela se
vérifie aisément en Afrique (voir graphique 2). Il a
déployé des troupes pour participer à ces
opérations et cinq à celles humanitaires, prouvant à
l'occasion qu'il accorde une grande importance à la construction de la
paix et des nations en phase post-conflit.
Graphique 2 :
Financement des opérations de maintien de la paix de l'ONU en Afrique
2006
Source : www. mofa. go.jp
Si on observe à présent le tableau XV, qui
affiche les quotes - parts de quelques contributeurs aux budgets
réguliers des Nations Unies, il apparaît que l'Empire du Soleil -
Levant se classe au deuxième rang avec 19.468% des cotisations
estimées entre 2004 et 2006. une contribution trois fois plus importante
que la France, quatre fois que le Royaume Uni, six fois que la Russie, vingt et
une fois plus que la Chine.
Tableau XV :
Quote-part de quelques contributeurs aux budgets réguliers des Nations
Unies entre 2004 et 2006.
Etat
|
Date d'admission
|
Quote - part en pourcentage
|
Etats - Unis d'Amérique
|
24 octobre 1945
|
22,000
|
Japon
|
18 décembre 1956
|
19,468
|
Allemagne
|
18 septembre 1973
|
9,630
|
France
|
24 octobre 1945
|
6,494
|
Royaume - Uni
|
24 octobre 1945
|
5,076
|
Russie
|
24 octobre 1945
|
2,873
|
Chine
|
24 octobre 1945
|
0,901
|
Inde
|
30 octobre 1945
|
0,305
|
Brésil
|
24 octobre 1945
|
1,514
|
Afrique du Sud
|
07 novembre 1945
|
0,365
|
Nigeria
|
07 octobre 1960
|
0,070
|
Egypte
|
24 octobre 1945
|
0,069
|
Cameroun
|
20 septembre 1960
|
0,014
|
Cote d'Ivoire
|
20 septembre 1960
|
0,012
|
Ghana
|
08 mars 1957
|
0,007
|
Sénégal
|
28 septembre 1960
|
0,006
|
Source : www.un.org
Il a aussi alloué 2.1 milliards de dollars US entre
2001 et 2003 pour les programmes et les agences
spécialisées ; devenant ainsi le deuxième
contributeur mondial. Cette démarche appuie l'analyse de Luc Sindjoun,
(2002 : 157), selon laquelle « la mesure de la puissance est
fondée sur la prise en considération des ressources de divers
ordres qui permettent à un Etat d'avoir de chances sérieuses de
faire triompher sa volonté ou alors qui lui confèrent une
position de suprématie sur l'échiquier
géopolitique ». Tokyo s'engage à endosser d'autres
responsabilités en tant que membre permanent du Conseil de
Sécurité en mettant à profit l'ensemble de ses
compétences et de son expérience acquises jusqu'à
présent (MOFA, 2005b). Dans sa déclaration au cours de la
55ème session de l'Assemblée Générale
des Nations Unies le 21 septembre 2004, le Premier ministre japonais, Junichiro
Koïzumi l'a encore rappelé.
Troisièmement, la contribution nippone au
développement mondial. L'archipel oeuvre activement pour atteindre les
OMD dans des secteurs tels que l'éducation, la santé, l'eau et
l'assainissement, et l'agriculture. Il promeut le concept de
« Sécurité Humaine », qui vise à
protéger et habiliter les personnes contre les menaces graves et
importantes contre la vie humaine. Le Japon a instauré le fonds
Trust Fund for Human Security au sein de l'ONU. Au mois de
décembre 2004, le montant total des contributions s'élevaient
à 256 millions de dollars US. Il s'est engagé à fournir 10
millions de moustiquaires d'ici la fin d'année 2007 pour éviter
les infections de paludisme (MOFA, 2005 b). Que disent les réalistes de
cette approche des relations internationales ?
Ils proclament que tous les Etats pratiquent la politique de
puissance, mais précisent cependant que certains de ces Etats la
pratiquent différemment des autres. Hans Morgenthau (1948 : 39) par
exemple, n'observe que la quête de puissance comme principale
finalité des Etats, pouvant donner lieu à trois types de
politique étrangère. D'abord une « politique du
statu quo », destinée à conserver sa
puissance. Ensuite, une « politique
d'impérialisme », destinée à augmenter sa
puissance. Enfin, une « politique de prestige »
destinée à afficher sa puissance. L'offensive diplomatique
nippone obéit à bien des égards à une
schématisation réaliste sui generis. Ce n'est donc pas
une surprise que le Japon s'est déclaré favorable à la
recommandation faite par Koffi Annan dans son rapport sur la réforme de
l'ONU ; institution qui s'apparente désormais à
« une organisation résiduelle » (Salame, 1996). Ce
rapport présenté à l'Assemblée
Générale des Nations Unies le 21 mars 2005, appelant à une
décision sur l'élargissement du Conseil de Sécurité
pourrait être considéré comme un coup de pouce aux
ambitions diplomatiques nippones.
2- Le coup de pouce du rapport
« Annan » aux ambitions diplomatiques nippones
Le rapport « Annan » déclare que le
Conseil doit être « largement représentatif »
et que sa composition devrait être modifiée pour
« associer davantage à la prise de décisions ceux qui
contribuent le plus à l'organisation sur les plans financier, militaire
et diplomatique ». Le ministre des affaires étrangères,
Nobutaka Machimura, a fait ainsi part, le même jour, de la
réaction du gouvernement japonais : « le rapport du
secrétaire général donne un nouvel élan vers
l'application de cette réforme, conformément aux
intérêts du Japon qui s'en réjouit » (Japan Brief
/ FPC n° 0523, 28 mars 2005). Lors d'une conférence de presse le 22
mars, Hiroyuki Hosoda, secrétaire général du gouvernement
s'est félicité de ce rapport, « étant
donné que le Japon a un très fort désir de devenir membre
permanent, nous allons poursuivre nos initiatives diplomatiques ». On
a par la suite assisté à une intensification du soutien
exprimé à la candidature nippone : le 19 mars 2005, la
secrétaire d'Etat américaine, Condoleeza Rice, en visite au
Japon, a annoncé que les Etats-Unis y sont favorables ; le 22 mars,
Alexander Downer, ministre australien des affaires étrangères, a
fait de même dans un discours prononcé à Tokyo ; le 27
mars, Jacques Chirac, Président de la république
française, s'est exprimé dans le même sens lorsqu'il a
rencontré le Premier ministre Koïzumi au Japon.
Quelles difficultés l'Empire du Soleil-Levant devrait
surmonter pour voir son objectif se réaliser ? Il y a d'abord lieu
de faire observer que le Japon est toujours visé par des demandes de
réparation aussi bien symboliques que financières « en
raison du comportement de son armée dans les pays occupés pendant
la Seconde Guerre Mondiale et au titre du traitement infligé aux
prisonniers de guerre et de leur travail forcé » (Colonomos,
2002 : 132). La fin de la Guerre Froide a provoqué à son tour une
entrée dans l'ère de la repentance en consolidant
l'éthique du recours70(*). Si les relations internationales sont
scandées par le couple du diplomate et du soldat, comme le souligne
Raymond Aron (1984), l'on peut considérer la politique mondiale de la
repentance comme une nouvelle variable, le résultat d'un mariage qui se
prolonge dans « une lune de miel planétaire », celui
de l'avocat et de l'historien. Cet espace se constitue, sous la forme d'une
escalade que certains, comme Jean-Michel Chaumont (1997), ont
désigné par la métaphore de la « concurrence des
victimes », sans pour autant nous éclairer à l'instar
des travaux de John Rawls (1996), sur la conduite morale des Etats, dans un
monde qui pourtant foisonne d'injonctions éthiques.
Ensuite, l'autre difficulté pour la diplomatie nippone
dans sa stratégie de reconquête de l'espace international est la
demande, réitérée par le secrétaire
général des Nations Unies dans son rapport, de voir les pays
développés faire passer leur APD à 0.7% de leur PNB d'ici
à 2015. Cet objectif, mentionné comme un « important
critère de la contribution », requise pour les pays qui
deviendront les nouveaux membres du Conseil de Sécurité,
constitue un « impedimenta » pour le Japon pour qui ce
pourcentage se situe actuellement à 0.2%. Répondant à une
interview du quotidien nippon Asahi Shimbun, Yasushi Akashi, ancien
sous-secrétaire général de l'ONU, a commencé par
indiquer qu'il pensait que Tokyo pouvait se féliciter du
rapport « Annan », sans cependant s'enthousiasmer
outre mesure. Il a ajouté : « le fait que le Japon ne consacre
que 0.2% de PNB à son APD donne une mauvaise impression (...). Pour
être permanemment au Conseil de Sécurité, le Japon doit
obtenir le soutien des Etats-Unis, des PED notamment africains, mais aussi
s'assurer la compréhension mutuelle de la Chine et de la
République de Corée » (Japan Brief/ FPC n° 0523,
28 mars 2005). Cette option aurait a priori l'avantage
d'intégrer certaines logiques de la course à l'influence
internationale, justifiant même la présence du Japon en Afrique.
* 65 Les analyses politiques
ainsi que les medias japonais et internationaux sont unanimes à
établir un lien entre la TICAD et l'ambition japonaise de postuler un
siège parmi les membres permanents du Conseil de Sécurité
des Nations Unies (voir aussi Aicardi de Saint - Paul, 1999).
* 66 En vertu du chapitre VII
de la Charte de l'ONU, le Conseil est investi du pouvoir de prendre des mesures
pour rendre ses décisions exécutoires. Il peut imposer un embargo
et des sanctions économiques ou autoriser le recours à la force
pour s'assurer que l'on donne effet à ses décisions. Mais il
s'agit là d'un dernier recours, lorsque les moyens pacifiques de
régler un différend ont été épuises et une
fois qu'à été déterminée l'existence d'une
menace contre la paix, d'une violation de la paix ou d'un acte d'agression.
* 67 Il serait en fait le
second, puisque le 31 août 1965, le nombre des membres avait
déjà été porté de 11 à 15.
* 68 Lire à ce propos
Cameroon Tribune n° 8944/5143 du 28 septembre 2007.
* 69 Le texte de l'agenda est
disponible sur <www.un.org/french/docs/sgf/agendaf2.htm>,celui du
supplément sur <www.un.org/french/docs/sgf/agpaix.htm>.
* 70 Il s'agit d'une
série de réflexions qui depuis des années 1970 appellent
les décideurs politiques à un plus grand souci du bien être
de leurs partenaires et posent la question de l'universalisation des principes
moraux. D'après Ariel Colonomos (2002 : 129), la montée en
force d'une éthique globale indique aujourd'hui un souci jamais
égalé dans les affaires internationales vis - à - vis du
corps souffrant.
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