Les clés de l'offensive politico-diplomatique du Japon en direction de l'Afrique et du Cameroun depuis 1991( Télécharger le fichier original )par Serge Christian ALIMA ZOA Université Yaoundé II - DEA 2008 |
SECTION II : L'OFFENSIVE PROPREMENT DITE DE L'EMPIRE DU SOLEIL-LEVANT DEPUIS 1991 : UN REVIREMENT D'ATTITUDE PATENT CONSACRANT UNE NOUVELLE ERELa fin de la Guerre Froide a permis aux relations entre le Japon et l'Afrique de prendre une orientation différente où manifestement Tokyo veut renforcer ses liens avec le continent noir et les rendre utiles et profitables, estime Scarlett Cornelissen (2004a : 40). La mise sur pied d'un vaste programme expansif d'APD qui a fait du Japon le premier bailleur de fonds de plusieurs pays africains et l'organisation d'une initiative multilatérale de grande envergure pour soutenir les progrès en Afrique, connue sous l'acronyme TICAD, sont des indicateurs du niveau élevé de l'offensive nippone. Dans cette stratégie de reconquête de l'espace international, les territoires d'Afrique apparaissent comme des nouveaux domaines propices à une « expérimentation diplomatique nippone » (Kamo, 2004 : 63) (A), qui laisse chemin faisant dévoiler une de ses ambitions : celle de devenir le principal soutien de la renaissance du continent africain (B). A- Les territoires d'Afrique comme nouveaux domaines propices à une « expérimentation diplomatique » du Japon Il convient ici d'avoir en ligne de mire, non seulement les créneaux sur lesquels se déploie la diplomatie japonaise sur l'échiquier africain (1) mais aussi, la montée en importance des implications politiques (2). 1- Développement, maintien de la paix, règlements pacifiques des conflits : des créneaux diplomatiques ostensibles sur l'échiquier africain A la tribune de la 46ème Assemblée Générale des Nations Unies, le Premier ministre japonais Toshiki Kaïfu surprend la communauté internationale en déclinant l'intention de son pays, d'organiser une conférence sur le développement de l'Afrique dans la finalité de forger un consensus au niveau des partenaires internationaux sur la nécessité d'agir et de mobiliser des ressources pour ce continent. Cette déclaration est le premier signe matériel de l'offensive nippone en direction de l'Afrique. Elle a d'autant plus surpris qu'à ce moment, le soutien financier au continent noir est éclipsé par une certaine lassitude en matière d'aide que connaît la communauté internationale (Takashi and Jain, 2000). En effet, « la fin de la Guerre Froide, l'afro pessimisme, la mondialisation et le risque de marginalisation du continent vont provoquer une seconde crise de conscience. Celle-ci ne porte plus sur la nécessité de contester l'hégémonie occidentale, mais celle de diversifier les partenaires, de compenser les pertes et d'équilibrer les puissances. C'est alors que le Japon va apparaître comme un acteur d'appoint de première importance » (Ntuda Ebode, 2003 : 125). Cette période coïncide avec l'abolition définitive du régime de l'apartheid et la naissance d'une Afrique du Sud démocratique. Vivement critiqué jusqu'alors par la communauté internationale pour ses relations commerciales avec Pretoria, Tokyo a dû imposer à ses entreprises privées, des restrictions volontaires dans leurs échanges. Le Japon a levé ces sanctions en 1991 et a finalement renoué ses liens diplomatiques avec l'Afrique du Sud. En 1992, « la mission diplomatique japonaise a d'ailleurs eu un rôle dans le règlement pacifique de la crise durant le processus de négociations » (Sato et Alden, 2004 : 21). Depuis l'arrivée au pouvoir de l'African National Congress (ANC), le Japon a ouvertement fait de l'Afrique du Sud un des principaux bénéficiaires de son aide au continent. Il s'est également lancé dans des actions de coopération sous la forme d'Opérations de Maintien de la Paix (OMP) avec des partenaires comme les Etats-Unis d'Amérique, la France et le Royaume-Uni. Les deux premiers pays ont lancé chacun dès les années 1990, un programme d'OMP en Afrique avec l'African Crisis Responses Initiative (ACRI) pour les Etats-Unis d'Amérique et le Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP) pour la France. De l'analyse de Koïchiro Matsuura (1998), le gouvernement nippon trouve davantage d'intérêts au RECAMP car celui-ci ne se limite pas à un programme d'entraînements militaires stricto sensu ; il comprend également des actions non militaires et autres activités de secours humanitaires. L'Empire du Soleil-Levant exploite ces différentes initiatives comme des créneaux lui permettant d'apporter sa contribution à la stabilité internationale. Un des engagements majeurs nippons a été l'envoi des Forces d'Auto Défense (FAD ou Self Defense Forces, SDF) encore appelés Zieitai, « pour des missions de maintien de la paix et des activités de secours humanitaire » (Serra, 2005). C'est ainsi qu'en 1993, après le cessez-le-feu entre le gouvernement du Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) et les forces combattantes de la Résistance Nationale du Mozambique (RENAMO), le Japon a envoyé ses FAD dans ce pays de l'Afrique australe, dans le cadre du maintien de la paix de l'Opération des Nations Unies au Mozambique (ONUMOZ). Cette opération a été suivie en 1994 par l'envoi de ces forces dans les camps de réfugiés en RD CONGO pour secourir les réfugiés rwandais dans le cadre de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR). A travers ces différentes initiatives, nous pouvons vérifier l'accent sur le projet de l'Etat et de son calcul dans la conduite des affaires étrangères, de la guerre et de la paix, dégagés par le réalisme ainsi que l'interprétation schmittienne. En juin 1992, le Japon adopte sa charte de l'APD en s'appuyant sur des considérations humanitaires, car « de nombreuses personnes souffrent encore de la famine et de la pauvreté dans les PED, qui constituent une grande majorité de pays du monde. Du point de vue humanitaire, la communauté internationale ne peut se permettre d'être indifférente à cette situation » (Ambassade du Japon au Cameroun, 2000 : 41). Pour Marc Aicardi de Saint-Paul (1998 : 148), le devoir de « contribution internationale » est sans doute, un des axes les plus significatifs de la politique nippone à destination de l'Afrique. C'est pourquoi cette charte de l'APD a insisté également sur cet aspect de la coopération avec le continent africain. « Il est nécessaire de mener une coopération avec l'Afrique en proportion de la puissance de notre pays. Elle constitue un des éléments nécessaires pour valoriser l'APD comme un moyen important de notre contribution internationale » (Obayashi, 1993 : 143). Passant de la parole à l'acte, l'archipel japonais devient le premier bailleur de fonds mondial, position qu'il a conservée pendant une dizaine d'années. La spécificité africaine de l'assistance de Tokyo est qu'elle est exécutée ut dictum en grande partie sous forme de dons soit 64.8% de l'APD. « Avec l'augmentation du montant de l'aide nippone, ses implications politiques ont pris une importance nouvelle » (Sato et Alden, 2004 : 19). 2- La montée en importance des implications politiques D'après Ariel Colonomos (2002 : 119), « la conduite de la politique étrangère s'inspire également de valeurs qui donnent corps à son discours et orientent parfois certaines de ses pratiques ». La mise sur pied en octobre 1993 par le Japon soutenu par l'ONU, la Coalition Mondiale pour l'Afrique (CMA)32(*), le PNUD et la Banque Mondiale, du processus de la TICAD, décrite infra, participe de cette logique avec les concepts d'« appropriation » et de « partenariat ». La TICAD vise la promotion d'un dialogue entre les différents pays africains et leurs partenaires, ainsi qu'à la mobilisation d'appuis pour les efforts de développement entrepris par l'Afrique elle-même. En juillet 1995, le nouveau Président Sud africain démocratiquement élu Nelson Mandela, se rend à Tokyo. Cette visite a la particularité d'impulser la poursuite de l'assistance nippone à l'Afrique. « Le Japon voudrait voir l'Afrique du Sud constituer une base industrielle pour les marchés intérieurs africains, mais aussi pour les marchés en dehors du continent » (Ampiah, 2004 : 98). Un autre signe matériel de l'offensive nippone en direction de l'Afrique est sans doute, « le plan d'action de Tokyo »33(*). Ce document qui fait la synthèse des politiques d'aide déjà mises en oeuvre en direction de l'Afrique a une triple vocation. D'abord, renforcer les fondements du développement à savoir : la paix et la bonne gouvernance. C'est ainsi qu'une contribution de plus de 1.6 millions de dollars US a été allouée au mécanisme de prévention, de gestion et de règlement de conflits de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Ensuite, investir pour les ressources humaines, investing in people. Les effets escomptés sont la construction d'écoles permettant de scolariser 310 000 enfants, l'accès à l'eau potable pour 2.7 millions de personnes et aux services médicaux (comprenant la vaccination) pour 170 millions de personnes. Enfin, réduire la pauvreté par le biais de la croissance économique. In concerto, avec le FMI, la Banque Mondiale et le PNUD, le Japon a organisé des séminaires sur la gestion de la dette. « Par l'ajout dans le Plan d'Action de Tokyo des deux principes que sont l'appropriation et le partenariat, les pays africains et les donateurs reconnurent l'émergence d'une vraie politique africaine » (Kamo, 2004 : 68). En suivant l'affirmation sartrienne, « mon choix, c'est mon image », l'on découvre que la politique étrangère japonaise procède nécessairement d'un choix et d'un engagement. Celui-ci fait sens au regard des valeurs qu'il occasionne. Le choix procède dans l'international d'une logique de décision, d'un processus, comme le montre Jervis (1969), inévitablement associé à des images et à des représentations. Ainsi pour surmonter les handicaps historiques et géographiques de ses liens avec l'Afrique, Tokyo entend mener sur ce que l'on a appelé à juste titre les « nouveaux territoires de la diplomatie japonaise », des efforts indépendants sur le plan du développement africain et des questions de paix ; lesquels sont inhérents à sa position sur la scène internationale (MOFA, 2001b). Son ambition étant du reste de devenir le principal soutien de la renaissance de l'Afrique. B- Une ambition de la diplomatie japonaise affirmée : devenir le principal soutien de la renaissance de l'Afrique Les dernières décennies du XXème siècle ont été marquées par des modifications considérables dans les relations internationales en terme politico-diplomatique, militaire, économique et commerciaux, ceci d'une manière globale. C'est dans une perspective à la fois de coopération au développement et d'échanges économiques qu'est venu s'inscrire le raffermissement de l'engagement japonais dans les affaires africaines (1) avec des résultats peu ou prou relevés pour une volonté diplomatique désormais affichée (2). 1- Le raffermissement de l'engagement japonais dans les affaires africaines Il se dévoile sur les terrains de la solidarité (a) et du partenariat (b). a) Un engagement ambitionnant la solidarité avec l'Afrique En juillet 2000, la réunion des ministres des affaires étrangères du G8 tenue à Miyazaki au Japon, conclut à la nécessité pour les Etats membres de s'efforcer de prévenir les conflits en adoptant une approche globale intégrant les dimensions politiques, sécuritaires, économiques, sociales et de développement. Conformément aux préceptes de cette approche, le gouvernement japonais a rendu public son propre programme intitulé « Action du Japon », qui précise que les politiques de développement seraient formulées de façon à contribuer à l'élimination des causes potentielles de conflits. Quelques jours plus tard, « dans la même perspective, trois Présidents africains : le Sud Africain Mbeki, le Nigérian Obasanjo et l'Algérien Bouteflika s'entretiendront avec le groupe du G8 à l'initiative du Premier ministre japonais » (Ntuda Ebode, 2003 : 122). Il s'agit effectivement du premier échange entre des dirigeants de pays d'Afrique et des pays membres du G8. Cette initiative durant le sommet de Kyushu-Okinawa, contribue à ce que la communauté internationale renforce davantage son engagement à lutter contre les maladies infectieuses qui sévissent en Afrique. La mise sur pied du fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, accompagné d'un geste significatif japonais en ce sens de 200 millions de dollars US est un signe majeur du soutien de Tokyo au continent africain. En janvier 2001, la première visite d'un chef de gouvernement japonais en Afrique en la personne de Yoshiro Mori est considérée par les observateurs politiques comme « le point d'orgue de l'offensive diplomatique nippone en direction du continent noir » (Jeune Afrique l'Intelligent n°2139, 08 au 14 janvier 2002). Cette tournée du Premier ministre japonais au Kenya, en Afrique du Sud et au Nigeria marque de façon claire « la fin d'une période d'indifférence du Japon vis-à-vis du continent » (Cornelissen, 2004a : 40). L'espoir exprimé par Yoshiro Mori de voir cette visite signaler le début d'une nouvelle ère de relations, avec pour objectifs de faire de son pays, le soutien principal d'une véritable renaissance de l'Afrique, montre le désir du gouvernement nippon d'entretenir des relations privilégiées avec le continent noir34(*). Les discours qu'il a prononcés à cette occasion en affirmant de bout en bout, impavidité et ton pastoral, ont rencontré un écho35(*). Le Premier ministre a dessiné les contours d'une diplomatie offensive. Il a ainsi posé les bases d'une nouvelle politique japonaise en matière de coopération se dotant à l'occasion d'une véritable « doctrine » africaine. « Afin de promouvoir la coopération avec l'Afrique, a-t-il déclaré, le Japon considère que les deux axes essentiels de sa politique sont d'une part, l'aide au développement et d'autre part les actions pour la prévention des conflits et en faveur des réfugiés ». Les 03 et 04 décembre 2001, la capitale nippone accueille « plus de 400 délégués représentant 52 pays africains-tous sauf la Somalie-28 pays asiatiques, européens et américains et 32 organisations internationales. C'est un signal fort pour l'Afrique et le maintien de la TICAD » (Jeune Afrique l'Intelligent n°2143, 16 au 24 février 2002). Cette conférence ministérielle Japon-Afrique, est aussi la première rencontre où l'ensemble de la communauté internationale a été appelé à discuter sur le NEPAD. Elle souligne « combien est juste et à propos, l'approche adoptée par le processus de la TICAD ainsi que le plan d'action de Tokyo. Elle permet aux participants de constater à quel point les problèmes africains exigent l'engagement continu de l'ensemble de la communauté internationale » (MOFA, 2003c). Au cours de cette année là, le Japon cède aux Etats-Unis d'Amérique son rang de premier fournisseur d'APD des pays membres de l'OCDE en chiffres absolus. N'étant plus en mesure de susciter l'intérêt des pays africains par le montant de son APD à lui seul, l'Empire du Soleil-Levant, qui a malgré tout besoin d'alliés sur la scène internationale, « décide donc de renforcer son engagement dans le domaine politique vis à vis de l'Afrique (Kamo, 2004 : 64). Cela pourrait passer par le partenariat. b) Un engagement ambitionnant le partenariat avec l'Afrique L'offensive nippone en direction de l'Afrique amorce une nouvelle phase avec la célébration du 10ème anniversaire de la TICAD en septembre 2003, suscitant un nouvel intérêt pour le continent noir. Dans son allocution de bienvenue, le Premier ministre Junichori Koïzumi a fait savoir que « le Japon encouragera l'investissement des entreprises japonaises en Afrique par le biais des prêts d'investissement à l'étranger et d'autres mesures, avec un objectif d'un montant total de 300 millions de dollars US environ sur cinq ans ». La déclaration commémorative du 10eme anniversaire de la TICAD est présentée comme « une étape majeure supplémentaire qui verra de grands projets vers le développement africain au 21eme siècle » (MOFA, 2005a). L'Empire du Soleil-Levant fait de 2005, « l'année de l'Afrique ». C'est ainsi qu'à Jakarta en avril, à l'occasion du sommet Asie-Afrique, le Premier ministre Koïzumi annonce que l'APD japonaise en direction de l'Afrique (environ 10 milliards de dollars US en février 2006) doublerait au bout de trois ans. Il mentionne également un plan de développement des ressources humaines, avec l'objectif d'en faire bénéficier 10 000 africains en quatre ans à partir de 2008. Au cours de la conférence ministérielle de l'OMC tenue à Hong-Kong en décembre, « la nouvelle initiative du Japon pour le développement en faveur du commerce » est officiellement lancée dans le but de favoriser la croissance des PED et notamment celui des Pays les Moins Avancés (PMA) grâce au commerce et à l'investissement. Il s'agit d'une mesure globale d'aide aux PED avec une enveloppe de 10 milliards de dollars US courant sur les trois ans qui suivent, pour l'accès aux marchés de franchise et quotas pour la quasi-totalité des produits originaires de tous les PMA. L'heure est donc à la mobilisation pour l'Afrique, et les discours nippons se veulent généreux. Un palier de plus est franchi les 16 et 17 février 2006. Tokyo en partenariat avec l'ONU, la CMA et la Banque Mondiale organise la conférence sur la consolidation de la paix à Addis-Abeba en Ethiopie. Cette session voit la participation d'une centaine de délégations gouvernementales, d'organisations régionales et internationales, de 07 représentants de la société civile, ainsi que des ONG africaines, asiatiques, européennes et américaines. En mettant l'accent sur l'appropriation par les pays africains de leur processus de développement et sur la sécurité humaine, les discours ont porté sur les « mesures détaillées ainsi que sur la politique qui permettront la mise en place effective de l'aide continue aux pays ayant connu des conflits pendant la reconstruction et le développement » (Jeune Afrique n°2355, 28 février au 04 mars 2006). La conférence a donc notamment insisté sur les mécanismes autonomes de prise en charge et sur les solutions africaines aux conflits. Ces derniers devront être résolus sans ingérence occidentale. A l'invitation de Jacques Chirac, Président de la République française, se tient au palais des festivals et des congrès à Cannes les 15 et 16 février 2007, la 24ème conférence des Etats d'Afrique et de France avec pour thème : « l'Afrique et le monde et l'équilibre du monde ». Il est débattu au sein des trois corbeilles : les matières premières ; la place et le rôle de l'Afrique dans le monde et les rapports du continent avec la société de l'information. 49 délégations de pays africains ont participé avec la France à la conférence, ainsi que les représentants de l'ONU, de l'UA, de la commission européenne et de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Pour la première fois, le Président en exercice de l'UE, Angela Merkel, chancelière d'Allemagne, est invitée à participer au sommet. Le Japon a également pour la première fois été invité et représenté en la personne de Yoshiro Mori, ancien Premier ministre et Président de la commission Afrique à la Diète. « Nous voyons l'Afrique comme un partenaire important au sein de la communauté internationale, a-t-il expliqué et nous aimerions renforcer davantage nos liens avec l'Afrique, dans nos efforts à l'égard des différents défis et tâches qui se constituent pour la communauté internationale ». Aussi, dans le cadre de la TICAD, l'Empire du Soleil-Levant organise en mars 2007 à Nairobi, une conférence de niveau ministériel avec pour thème : « l'énergie et l'environnement pour un développement durable ». Cette réunion est basée sur la reconnaissance du fait qu'améliorer l'accès à l'énergie et maintenir un environnement adéquat soit d'une importance vitale pour le développement durable en Afrique. On s'aperçoit ainsi sur un plan purement théorique, qu' « une politique étrangère réaliste, menée suivant un calcul coût/bénéfices et consciente des limites imposées par la quête de puissance des autres Etats, peut in fine éviter les drames humains » (Blom et Charillon, 2002 : 20). Un autre signe matériel de l'offensive nippone en direction de l'Afrique, c'est aussi la sortie très remarquée le 28 mars 2007, à propos des relations entre l'ONU et les organisations régionales en particulier l'UA dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, de M.Kenzo Oshima36(*), représentant permanent du Japon aux Nations Unies. Le diplomate affirme que son pays « supporte les efforts et les activités de l'UA et les organisations régionales, à travers des mesures incluant des soutiens financiers tout en étant disposé à faire davantage ». Le Japon a en effet fourni une assistance financière à l'UA pour ses activités au Darfour et pour les projets de réinsertion des réfugiés dans la région des grands lacs en déboursant respectivement 8.7 millions et 2 millions de dollars US. En 2008, le Japon aura non seulement à organiser la TICAD IV, mais aussi à présider le sommet du G837(*). Avec des résultas peu ou prou relevés, l'engagement africain dans les affaires africaines se raffermit depuis 1991. 2- Des résultats peu ou prou relevés pour une volonté diplomatique désormais affichée De l'entreprise de déploiement de l'Empire du Soleil-Levant sur l'échiquier africain, il est à noter les forces (a) et les faiblesses (b). a) Quelques forces de l'offensive nippone Pour le directeur de la première division Afrique au MOFA, Norio Maruyama, « l'engagement de Mme Ogata, l'organisation des TICAD, la tournée de Yoshiro Mori ont contribué à médiatiser notre politique de coopération. Avant c'était abstrait » (Jeune Afrique l'Intelligent n°2139, 08 au 14 janvier 2002). Depuis la fin de la Guerre Froide, les relations nippo africaines se sont raffermies. La présence institutionnelle japonaise s'est renforcée avec l'ouverture d'une quinzaine de nouvelles missions diplomatiques en Afrique. Les visites des personnalités de l'Empire du Soleil-Levant en Afrique se sont multipliées. Les ministres, les directeurs généraux du MOFA, les ONG et autres opérateurs économiques sillonnent de plus en plus les pays africains. Celle en 2002, du ministre des affaires étrangères, Yoriko Kawagushi en particulier, en Ethiopie et en Angola, a connu un succès remarquable. Les membres du groupe d'amitié parlementaire Japon-Afrique dont l'ancien Premier ministre Yoshiro Mori est le Président, ont pu visiter 49 Etats africains depuis 2004. « Nos engagements vis-à-vis de l'Afrique constitue un des dossiers les plus importants pour la diplomatie de notre pays, que nous voulons globale » n'ont cessé de marteler les responsables nippons. Les déplacements des chefs d'Etat africains dans l'archipel entre autres, ceux du Malien Alpha Oumar Konaré, le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Nigérian Olesegun Obasanjo, le Camerounais Paul Biya et surtout le Sud Africain Thabo Mbeki se sont aussi poursuivis à un rythme soutenu. Shozo Kamo (2004 : 57) parle même de « 200 visites effectuées par les ministres africains au cours de la même période, dont la majorité était originaire de pays bénéficiant de l'APD japonaise » à savoir, la Tanzanie, la Zambie, la RD CONGO, le Nigeria, le Niger, Ile Maurice, Madagascar, l'Ethiopie et le Kenya. Les rencontres informelles en marge des différents sommets internationaux ont également augmenté. Cette dernière pratique a été marquée par les Japonais notamment lors du sommet du G8 de Kyushu-Okinawa. Dans les enceintes internationales, les diplomates japonais plaident désormais sans relâche pour une meilleure prise en compte des problèmes de l'Afrique. Il convient de rappeler que chaque conférence initiée par le gouvernement japonais « a contribué au maintien de l'intérêt de la communauté internationale pour le développement africain à des périodes où le monde se détournait de l'Afrique en faveur d'autres régions »38(*). A titre d'exemple, la TICAD a été organisée en 1993 après la Guerre Froide. En 1998, elle a coïncidé avec la crise asiatique tandis que la conférence ministérielle Japon-Afrique de 2001 s'est tenue immédiatement après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis d'Amérique. En ces instants cruciaux, en conjonction avec d'autres initiatives régionales et internationales, la diplomatie japonaise n'a cessé de mettre en lumière le développement africain et l'impulsion politique de défendre sa cause. Cela a permis d'inclure des dossiers africains à l'ordre du jour dans une série de forums internationaux dont la conférence internationale sur le financement du développement, les sommets du G8, le sommet mondial pour le développement durable et le troisième congrès mondial sur l'eau. Cette impulsion a permis d'aboutir à la coopération concertée de la communauté internationale dans le cadre des Nations Unies et du processus du G8, complétée par ailleurs par les efforts de l'Afrique de sa propre initiative comme en témoigne le NEPAD et l'UA. « Ces circonstances permettent au Japon de resserrer ses liens avec les pays africains. Stimuler les relations qu'il entretient avec l'Afrique a pour effet de nourrir l'ambition d'un pays qui aspire à obtenir un rôle accru dans le monde » (Kamo, 2004 : 57). Dans son allocution39(*) au centre de conférence des Nations Unies à Addis-Abeba en Ethiopie, le 26 août 2002, Yoriko Kawaguchi, chef de la diplomatie nippone a souligné que le « Japon a supporté financièrement les activités de démarcation des frontières entre l'Ethiopie et l'Erythrée, le déménagement des mines anti-personnelles de la région, dans la finalité de soutenir le règlement pacifique du conflit frontalier entre ces deux pays. Le Japon a aussi soutenu le programme de réinsertion des anciens soldats de Sierra Leone ». Elle a également fait savoir que la première visite d'un ministre japonais des affaires étrangères en Angola avait pour objectif de consolider la paix dans ce pays par les voies de la coopération. En 2001 déjà, la JICA a eu à publier un rapport sur les conflits. En terme d'aide au développement, ce rapport a reparti les mesures en renforcement de la paix en trois phases consécutives : l'aide humanitaire d'urgence en temps de conflit, l'aide au développement pendant la période d'après guerre, suivie des mesures de prévention des conflits (JICA, 2001). Le Japon a préconisé la mise en place d'une commission spéciale des Nations Unies sur la sécurité humaine (Human Security Commission, HSC) qu'il a d'ailleurs soutenu financièrement jusqu'à la soumission de son rapport final au secrétaire général de l'ONU en mai 2003.40(*) L'archipel nippon, d'après le Premier ministre Koïzumi dans son allocution précitée, a accueilli plus de 10 000 stagiaires venant des pays africains et plus de 7 000 experts japonais ont été envoyés en Afrique. En volume, le continent noir par ailleurs attire 19.4% en moyenne des subsides dont dispose les ONG japonaises avec un nombre sur le terrain qui n'a cessé d'augmenter ; enracinant à l'occasion les relations nippo africaines (Aicardi de Saint-Paul, 1998 : 159). Durant son séjour africain, Yoriko Kawagushi a par exemple eu à rencontrer pas moins de 26 volontaires japonais oeuvrant en Ethiopie dans les secteurs d'activités aussi variés que sont les infrastructures, la mécanique automobile ou l'éducation. Près de 160 pays reçoivent l'APD du Japon, qui était le premier donateur bilatéral dans 47 pays en 1995 dont 7 pays africains41(*). Il est à rappeler que l'Empire du Soleil-Levant est au premier rang des contributeurs pour le Fonds Africain de développement (FAD), le FNUAP et l'UNESCO. Il est le deuxième au budget du PNUD, l'UNICEF, la FAO, l'OMS, le HCR après les Etats-Unis d'Amérique. C'est aussi le cas au niveau du FMI et de la Banque Mondiale. Sa contribution alimente notamment l'IDA, organe de la Banque Mondiale qui joue un rôle très important dans le développement de l'Afrique. Même si le japon est le plus grand contributeur dans le fonds fiduciaire (Trust Fund) des Facilités d'Ajustement Structurel Renforcées (FASR) avec un apport de 6 milliards de dollars US soit 46% du total (Ambassade du Japon au Cameroun, 2000 : 40), son offensive en Afrique peut laisser fissurer quelques faiblesses. b) Quelques faiblesses de l'offensive nippone Cette volonté politique s'accompagne d'une faiblesse des relations économiques entre l'Afrique et le Japon au regard des échanges. A l'exception de l'Afrique du Sud, ces échanges sont négligeables. La part de l'Afrique dans les exportations totales du Japon est en moyenne de 0.9% (dont 0.4%, la seule Afrique du Sud) pour la période 1998-2000 ; dans l'autre sens, la part de l'Afrique dans les importations totales du Japon est de l'ordre de 1.1% (dont 0.8%, la seule Afrique du Sud). La part cumulée du Japon dans les Investissements Directs Etrangers (IDE) en Afrique, de 1951 à 2000, n'est que de 1.5% dont 79% de ce dernier pourcentage pour le seul Liberia (enregistrement des navires sous pavillon libérien). Dans son intervention à l'occasion du 10ème anniversaire de la TICAD, le 23 septembre 2003, le Premier ministre Junichori Koïzumi a tenté d'y remédier en exprimant son souhait dans le domaine du commerce et de l'investissement, « d'accroître les expériences réussies qui montrent de façon visible, les avantages mutuels pour l'Afrique et le Japon. Le projet d'aluminerie de Mozal, le plus important de sa catégorie au monde, représente un exemple de coopération associant les secteurs publics et privés entre le Japon et les pays de l'Afrique australe ». Au regard de « l'aide au développement qui constitue un indice non négligeable » (Ntuda Ebode, 2003 : 122), il est à observer qu'elle est en expansion, mais en réalité, toujours insuffisante par rapport au rang économique mondial qu'occupe le Japon. De 19 millions de dollars US en 1973, elle atteint 274 millions en 1989, 790 millions en 1990, 860 millions en 1992, 1140 millions en 1994 et 980 millions en 1998. Elle s'est dès lors stabilisée consacrant bon an mal an seulement, 1 milliard de dollars US à l'Afrique soit 12.1% de l'ensemble de l'aide japonaise. « Moitié moins que la France mais, 20% de plus que les Etats - Unis » (Jeune Afrique l'Intelligent n°2145, 18 au 24 février 2002) s'empresse benoîtement de préciser le directeur général des affaires d'Afrique subsaharienne au MOFA, Nobutake Odano. Autre constat négatif : l'aide japonaise en direction du « berceau de l'humanité » est disproportionnée et bénéficie en priorité aux pays d'Afrique australe et orientale et aux pays d'Afrique du Nord ; l'Afrique centrale apparaissant comme le parent pauvre de sa stratégie d'implantation. Compte tenu des importants investissements nippons sur son territoire, l'Afrique du Sud échappe aux différents classements de la destination de l'aide de l'Empire du Soleil-Levant. A titre d'illustration, rien que dans le domaine de l'automobile, l'entreprise Bridgestone a investi en 2002 dans son usine Sud africaine 150 millions de rands, tandis que Nissan Diesel Motor Company Ltd construisait une usine d'assemblage avec un investissement d'un montant de 300 millions de rands. Depuis 2004, son objectif est d'exporter la moitié des 60 000 véhicules qui sont produits en Afrique du Sud vers ses voisins africains et en Europe. A partir de 2007, l'entreprise envisage de doubler sa capacité de production afin d'augmenter ses exportations de 80 000 véhicules. « Globalement, le Japon a effectué 41 investissements en Afrique du Sud entre 1994 et 2003 » (Ampiah, 2004 : 100). Dans un communiqué conjoint publié lors de la visite du Président Thabo Mbeki à Tokyo en octobre 2001, les deux pays se sont félicités des « investissements de grande envergure du Japon en Afrique australe ces dernières années, ainsi que des transferts de technologies effectués et de la création des emplois qui les ont accompagnés »42(*). De la même manière, le Kenya et le Nigeria apparaissent comme les pivots tous désignés respectivement pour l'Afrique orientale et l'Afrique occidentale. Autres bénéficiaires ailleurs sur le continent : « ceux qui à l'instar du Sénégal ont montré des progrès réalisés en terme de bonne gouvernance » (Jeune Afrique l'Intelligent n°2139, 08 au 14 janvier 2002). A voir le graphique I, le Ghana est donc le pays africain le plus aidé par le Japon ; les liens entre ces deux Etats sont antérieurs à la Seconde Guerre Mondiale. Graphique 1 : Les pays africains les plus aidés par le Japon en 2000 Source : JICA 2001 Malgré ces initiatives isolées, l'aide japonaise en direction du continent noir dans son ensemble est caractérisée par un manque d'intérêt lié à la faiblesse de ses relations économiques avec l'Afrique. D'après Minoru Obayashi (2004 : 86), « le peu d'intérêt économique que portent les milieux d'affaires japonais au continent explique entre autre, ce désintérêt également pour la coopération japonaise et le développement africain ». Et ce n'est pas tout : en l'état actuel des choses, l'échange des personnes reste limité. En effet, parmi les Japonais expatriés, seuls 0.7% résident en Afrique et, parmi les étrangers résidant au Japon, seuls 0.5% sont Africains (JICA, 2005). « Ainsi, et c'est une évidence, l'Afrique reste un sujet peu prioritaire aux yeux des dirigeants japonais », poursuit Minoru Obayashi (2004 : 86). Dans cette situation, il est naturel que ces derniers se préoccupent plus de la visibilité en Afrique de leur diplomatie que d'une réelle amélioration du niveau de vie de la population africaine43(*). En somme, la volonté diplomatique nippone de devenir le principal soutien de la renaissance de l'Afrique s'affiche tout de même progressivement par de résultats peu ou prou relevés dans « une scène internationale marquée par de profondes disparités de puissance et de moyens, résolument propice à la conquête » (Colonomos, 2002 : 124). Cette volonté pourrait opportunément s'appuyer sur la TICAD qui apparaît comme une technologie de consolidation de sa « doctrine » africaine. * 32 La Coalition Mondiale pour l'Afrique, fondée en 1990 est un forum intergouvernemental regroupant les pays africains et plusieurs institutions économiques internationales. Voir aussi le Site Internet <www.gca-cma.org/eticad.html> * 33 Pour plus d'informations, voir le Site Internet <www.mofa.go.jp/region/africa/ticad/agenda21.html> * 34 Pour en savoir plus voir Yasukuni Enoki, « la politique africaine au delà de la première visite du Premier ministre du Japon en Afrique », discours prononcé à l'université de Pretoria le 24 juillet 2001, disponible sur <www.japan.org.za/e/speeches/speech-01.html>. * 35 Lors de son étape Sud africain, Yoshiro Mori a déclaré : « j'ai choisi de visiter l'Afrique à l'aube du nouveau siècle parce qu'en définitive, j'ai voulu fouler le sol africain pour vous exprimer directement, peuples africains, la ferme détermination du peuple japonais de s'ouvrir à vous, de travailler dur et d'utiliser toute notre puissance pour aider l'Afrique à surmonter ses difficultés et à bâtir un avenir radieux. Je crois que c'est un nouveau départ approprié pour la diplomatie nippone au niveau mondial » (Independent on Sunday, 14 janvier 2001). Lire aussi le résumé de ce discours en annexe 1. * 36 Lire son intervention au Conseil de Sécurité des Nations Unies en annexe 9. * 37 Après la Conférence de l'ONU sur le changement climatique de Bali en Indonésie du 03 au 14 décembre 2007, le Premier ministre nippon Yasuo Fukuda promet inscrire ce thème à l'ordre du jour du sommet du G8. * 38 Cf. déclaration commémorative du 10ème anniversaire de la TICAD en annexe 5. * 39 Ce discours du ministre des affaires étrangères du Japon, Yoriko Kawaguchi, est disponible en intégralité en annexe 2. * 40 La version française de ce rapport est publiée sous le titre, la Sécurité Humaine maintenant. Rapport de la Commission sur la Sécurité Humaine (Paris, Presses de Sciences Po, 2003) * 41 Il s'agit du Kenya, Gambie, Ghana, Malawi, Sierra Leone, Tanzanie et Zambie (Aicardi de Saint-Paul, 1998 : 153). * 42 Communiqué conjoint Japon-Afrique du Sud, « partenariat Japon-Afrique du Sud au cours du nouveau siècle » publié par le MOFA et disponible sur <www.mofa.go.jp/region/africa/s.africa/pv0110/joint.html>. * 43 Rendu public simultanément, le 27 novembre 2007 à Abuja et à Brasilia, le Rapport mondial sur le développement humain 2007-2008 du PNUD indique que 3 africains sur 5 vivent dans la précarité. La proportion est de 90% en Afrique Occidentale et 80% en Afrique Centrale. |
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