Les clés de l'offensive politico-diplomatique du Japon en direction de l'Afrique et du Cameroun depuis 1991( Télécharger le fichier original )par Serge Christian ALIMA ZOA Université Yaoundé II - DEA 2008 |
SECTION II : LES LIENS COMMERCIAUX ET ECONOMIQUES ANCIENS ET DENSESSi les relations politico-diplomatiques entre le Japon et le Cameroun ont connu dès le départ une certaine fébrilité, la plupart d'observateurs s'accordent à avancer que les liens commerciaux et économiques entre ces deux Etats sont intenses (Mbogning, 1999: 149 ; Mouelle Kombi, 1996 : 175). Bien plus, ils ont le caractère particulier d'être anciens car, volens nolens, ces liens sont antérieurs à 1960, année de l'indépendance du Cameroun. Ainsi examinerons nous, la consistance des relations commerciales (A) et la tangibilité de la coopération économique entre ces deux pays (B). A- La consistance des relations commerciales nippo camerounaises
Comme l'a souligné en septembre 1962, le Président de la République fédérale du Cameroun, Ahmadou Ahidjo (cité par Biwole Meke, 1989 : 51) lors de la présentation des lettres de créance de l'ambassadeur du Japon accrédité au Cameroun, « les relations commerciales entre le Japon et le Cameroun sont fructueuses ». Les premiers échanges remontent en effet vers les années 1930. En 1938, le Cameroun a importé du Japon des biens d'une valeur de 31 millions de FCFA (Ndam Njoya, 1972 : 248). Depuis lors, ces échanges se sont développés allant des joint-ventures aux investissements japonais au Cameroun (1) in transitu par la promotion mutuelle des produits nationaux (2).
En février 1961, la société nippone Mitsui et la Société Nationale des Investissements (SNI) ont crée la SICACAO. En mai de la même année, l'Empire du Soleil-Levant ouvre huit offices du JETRO dont celui de Douala (Morikawa, 1997 : 61). Ils servent à promouvoir l'aide et à identifier les produits que le Japon doit importer et apprendre comment exporter les siens. Les deux Etats décident par la suite d'asseoir leurs relations commerciales sur des bases juridiques. Le premier accord est signé à Tokyo le 25 septembre 1962. D'une part, il réaffirme la volonté des deux gouvernements à tout mettre en oeuvre pour augmenter le volume de leurs échanges commerciaux par les facilités tant douanières qu'administratives. D'autre part, il liste les différents produits susceptibles de faire l'objet d'échanges entre les deux pays. Cet accord du 25 septembre 1962 est reconduit en mars 1963. En dehors de cet accord bilatéral, les relations commerciales entre le Japon et le Cameroun sont couvertes par un accord multilatéral que les deux pays ont signé à Kyoto (Japon) lors des 41ème et 42ème session du conseil de coopération douanière tenues dans cette ville du 16 au 23 mai 1973. L'objectif de cette convention est d'assurer le plus haut degré de simplification et d'harmonisation des législations douanières des différents pays signataires, afin d'accroître les échanges et de développer le commerce international57(*). En réalité, « si le Cameroun avait en effet choisi de nouer les relations commerciales avec le Japon, c'était parce que, comme pour nombre d'autres PED, la nécessité de diversifier les partenaires économiques et de coopérer avec les plus performants d'entre eux s'imposaient à lui, non seulement pour affirmer son indépendance, mais également comme facteur de développement » (Biwole Meke, 1999 : 5). Plusieurs types d'acteurs participent aux échanges entre le Japon et le Cameroun. Il s'agit en premier lieu de ceux qu'on qualifie d'acteurs institutionnels ; à savoir les structures publiques. Côté nippon et comme opérateurs commerciaux publics, on a : le MITI et le JETRO. Côté camerounais, il y a eu l'Office National de Commercialisation des Produits de Base (ONCPB) qui s'est occupé de la commercialisation du cacao, du café et du coton de 1976 à 1989 et la Chambre de commerce d'industries et des mines du Cameroun. Le second type concerne les entreprises, petites ou grandes, ainsi que les particuliers qui passent des commandes ponctuelles au Japon, par l'intermédiaire des sociétés de commerce installées au Cameroun. Ces transactions concernent généralement du matériel qui n'est pas distribué en série et est destiné à des professionnels. Plusieurs sociétés se sont insérées dans le circuit de distribution des produits japonais au Cameroun. Dans le domaine de l'automobile, la société Sumoca, filiale de Sumitomo Corporation s'est imposée depuis sa création en 1983 à Douala. Concessionnaire automobile, Sumoca s'est spécialisée dans la vente et la réparation des marques Mitsubishi, Kia, Hyundai. Elle ne commercialise plus de nos jours que les véhicules Mitsubishi et la marque Citroën qu'elle a mise sur le marché camerounais depuis le 10 mai 2005. En termes de parts sur le marché, si l'on en croit les états mécanographiques publiés par la direction des statistiques en 2005, la Sumoca occupe la troisième position. Tableau XI : Fiche d'identité de l'entreprise Sumoca
Source : auteur Ses concurrents directs à savoir la Société Camerounaise pour le Développement de l'Automobile (SOCADA) et le leader, la Cameroon Motors Industries (CAMI) qui dominent la distribution des produits automobiles japonais au Cameroun, appartiennent à la puissante Compagnie Française de l'Afrique Occidentale (CFAO) implantée à Douala depuis juillet 1974. La CAMI offre des produits variés58(*). Son succès est lié à la marque Toyota qu'elle commercialise. Ces éléments nous amènent à nous interroger sur la nature des produits nationaux concrets échangés entre le Japon et le cameroun.
En ce qui concerne la nature des produits échangés entre le Japon et le Cameroun, Lazare Biwole Meke (1989 : 55) fait un certain nombre d'observations. La plus importante est sans doute la longueur des listes où il constate un contraste saisissant. Celle des produits japonais, toutes rubriques confondues est nettement plus longue que celle des produits camerounais. Cela montre la différence de développement entre ces deux pays. Cette analyse est prolongée par Pascal Dejoli Mbogning (1999 : 149) qui y déduit un type de relation d'Etat de la « périphérie » ; le Cameroun, qui vend au Japon des produits de base tels que le café, le cacao, le coton, le bois, l'aluminium et quelques ferrailles. De l'autre côté, on est en présence d'un Etat du « centre »59(*) qui exporte vers le Cameroun les produits finis notamment des voitures et des motos, des appareils électroniques et électroménagers, des appareils d'optique, du matériel de quincailleries, des textiles, des produits chimiques et accessoires photographiques, ainsi que les produits alimentaires comme les conserves de poisson et crustacés. Ainsi « à l'exception de quelques articles artisanaux, les produits japonais sont essentiellement des produits manufacturés typiques des pays industrialisés, alors que les produits camerounais sont des produits primaires à une écrasante majorité » (Biwole Meke, 1989 : 55). A l'exception des années 1973 et 1974 au cours desquelles le choc pétrolier a frappé de plein fouet l'Empire du Soleil-Levant, les relations commerciales entre les deux Etats sont caractérisées par un déficit quasi chronique défavorable au Cameroun. Pour l'année 2001/2002, il a atteint 60 milliards 778 millions de FCFA. Ce déficit est essentiellement imputable à la faible compétitivité des produits camerounais. Le seul bémol du côté camerounais résidant dans les exportations qui, malgré leur évolution sinusoïdale sont croissantes puisque de 39 millions en 1960, elles sont passées à 2 milliards 48 millions en 1972, puis à 8 milliards 750 millions en 1980 et 8 milliards 588 millions de FCFA en 199760(*). Cette croissance des exportations fait de Tokyo, un client important de Yaoundé. En somme, « sur le plan commercial, les échanges sont intenses. Le Japon, troisième fournisseur du Cameroun après la France et les Etats-Unis en est également le sixième client. L'excédent de la balance commerciale bénéficie aux Japonais depuis de longues années » (Mouelle Kombi, 1996 : 157). La réouverture annoncée au Cameroun du bureau de la JETRO fermé en 1995, devrait en principe, non seulement contribuer à améliorer per capita le niveau des échanges et encourager le commerce direct mais aussi assurer la tangibilité de la coopération économique entre ces deux Etats. B- La tangibilité de la coopération économique nippo camerounaise Le gouvernement japonais a entamé véritablement son programme de coopération économique au Cameroun en 1980, avec pour tout premier projet celui portant sur l'augmentation de la production agricole. Par la suite en 1982, il débourse un prêt pour servir à l'achat de matériels d'entretien routier notamment pour le Parc National de Génie Civil (MATGENIE). Ce prêt de 16 milliards de FCFA est exécuté par le ministère des travaux publics et des transports. Dans un contexte de croissance économique qui justifiait des investissements lourds, les négociations aboutissent à la signature d'un accord de crédit de 30 milliards de FCFA en 1986. Ce prêt concerne le projet de modernisation du port de Douala, porte d'entrée et de sortie de marchandises pour le Cameroun et certains pays de la sous région (République Centrafricaine, Tchad, Nord du Congo). L'organisme d'exécution du projet est l'Office National des Ports du Cameroun (ONPC) au bénéfice des opérateurs économiques et l'Etat camerounais. C'est la JBIC qui a financé ce prêt, l'un des plus importants que le Japon ait accordé au Cameroun. « Mais peu après cet accord, la grave crise économique qui frappait le Cameroun accompagnée de la mise en place des programmes d'ajustement structurel, et plus particulièrement de la réforme du secteur des transports, conduisaient à une reconsidération du projet avec un troisième acteur, la Banque Mondiale » (Ambassade du Japon au Cameroun, 2000 : 13). Le 7 Juin 1999, c'est un projet corrigé qui fait l'objet d'un accord tripartite (Cameroun-Banque Mondiale-JBIC) sur la modernisation du terminale à conteneurs du port de Douala. Le projet compte : la construction de deux portiques de quai qui permettent de réduire la durée de séjour des marchandises ; la réalisation d'ouvrages de génie civil, l'informatisation complète de toutes les activités du terminale à conteneurs pour une gestion plus efficace des activités et des recettes. Conformément aux accords de Paris d'octobre 1997, par lesquels les pays membres du Club de Paris, s'engagent à alléger la dette extérieure du Cameroun. Le Japon rééchelonne la dette camerounaise à maintes reprises comme l'indique le tableau XII. L'objectif de l'Empire du Soleil-Levant est de contribuer à la réduction de certaines contraintes liées à la mise en oeuvre des Programme d'Ajustement Structurel (PAS) au Cameroun. Tableau XII : Récapitulatif des rééchelonnements nippons de la dette camerounaise
Source : (Ambassade du Japon au Cameroun, 2000 : 14) Le Cameroun ayant atteint en avril 2006, le point d'achèvement de l'initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), le gouvernement japonais a annulé la totalité de sa dette le 26 octobre 2006. Elle s'élevait à environ 50 milliards de FCFA et avait été contractée à travers le projet de développement routier en 1982 qui a permis l'achat du matériel d'entretien routier du MATGENIE en vue du bitumage de la route Yaoundé-Nsimalen et le projet de modernisation du terminal à conteneurs du port de Douala dont le crédit a été octroyé en 1986. Masaki Kuneida, alors, ambassadeur du Japon au Cameroun a souligné pendant son intervention de circonstance, que son pays, à travers ce geste, veut contribuer hic et nunc à la réduction de la pauvreté en enlevant au Cameroun ce fardeau qu'est la dette, laquelle a été plusieurs fois échelonnée (Cameroon Tribune n°8713/4912, 27 octobre 2006). L'annulation de la dette du Cameroun envers le Japon participe des résolutions prises par le Club de Paris auquel le Japon est admis comme observateur. Des trente premiers projets bilatéraux financés par le Japon au Cameroun (voir tableau XIII), il ressort quelques points saillants. Premièrement et par rapport à notre thématique, il se dégage que de 1980-année du début du programme japonais d'aide- à 1990, le Cameroun n'a bénéficié que de 12 projets évalués à quelques 3029 milles yens de dons et 9588 milles yens de prêts. De 1991 jusqu'à 2003, la tendance est à la hausse tant au niveau du nombre de projets (18) que sur le montant reçu (11 316 milles yens). Il est à préciser que les prêts ont disparu. Ce virement d'attitude nippone est donc perceptible. Tableau XIII : Les 30 premiers projets bilatéraux financés par le Japon au Cameroun en yens (1 yen = 5 F CFA)
Source : AMBASSADE DU JAPON AU CAMEROUN Deuxièmement sur les 30 projets, 28 sont des dons (14 345 milles yens) et 2 des prêts (9 588 milles yens). Dans sa politique de coopération avec le Cameroun, le Japon se positionne davantage plus comme un donateur qu'un prêteur avec des projets de développement « clé en main ». Cette position s'est confirmée le 20 juin 2006 avec un don de 8.5 milliards FCFA pour certains projets parmi lesquels, la réhabilitation du stade omnisports Ahmadou Ahidjo de Yaoundé. Estimés à 1.5 milliard de F CFA, les travaux ont été exécutés et livrés par l'entreprise nippone Nissoken Architects Engeineering. Ils ont consisté en la pose des pelouses naturelles, l'étanchéité, fixation de nouveaux garde-fous, pose de la peinture sur les gradins, installation des marqueurs de score mobiles, aménagement de la salle de presse, réhabilitation et construction de nouvelles toilettes, pose des chaises pour invités spéciaux, réparation des escaliers existants. Cette action a dit le diplomate Masaki Kuneida, a pour objectif de « contribuer au développement du football au pays des Lions Indomptables et stimuler sa qualification pour la prochaine coupe du monde » (Cameroon Tribune n° 8614/4813, 21 juin 2006). Il est à préciser que ce projet spécifique de réhabilitation de stade, est à contre courant de la politique de coopération de Tokyo, plus orienté vers les secteurs sociaux comme la construction des écoles et des hôpitaux. Pour Kazunari Shirai, architecte et contrôleur des travaux, « le Cameroun est le premier pays au monde à bénéficier de ce genre de travail » (Cameroon Tribune n° 8946/5145, 02 octobre 2007). Même si le système d'aide japonais est décentralisé et sélectif, il reste dominé par une foi dans le modèle asiatique de développement. Cette approche empirique est du reste une réminiscence de l'allégorie du « vol d'oies sauvages » (Akamatsu, 1961 : 208) qui décrit un type de liens interétatiques qui s'insèrent dans un schéma dynamique « ordonné », entre les pays dont les avantages comparatifs et les rythmes de développement diffèrent. Elle permet de toute manière, de mieux apprécier les fruits juteux de l'aide japonaise au développement. * 57 Bulletin mensuel de la chambre de commerce, d'industries et des mines du Cameroun n°06, juin 1973. * 58 Corolla, Avenis, Camry, Lexus Ls 430, RAV4, Prado, HZJ, HDJ, RX 330 Pack, Pick-Up, Condor 4 x 2, Hiace, Cooster, HZB 50, Dyna, Eurocaryo, Eurotrakker. * 59 La théorie du centre et de la périphérie a été popularisée par Samir Amin. Voir à ce propos L'accumulation à l'échelle mondiale, Paris, Anthropos, 1970. * 60 Cf. Etats mécanographiques publiés par la Direction de la statistique de 1960 à 1997. |
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