les limites des voies d'exécution eu égard à la protection des données personnelles( Télécharger le fichier original )par Cécile BARRA Faculté de Droit et Science politique Aix Marseille III - Master II 2008 |
Liste des abréviationsBICC Bulletin d'information de la Cour de cassation CA Cour d'appel CCass Cour de cassation Civ Civile CNIL Commission Nationale Informatique et Libertés Ed Edition IR Informations Rapides JCP Juris-Classeur Périodique JO Journal Officiel Op cit Opere citato P Page RTD civ Revue trimestrielle de droit civil UIHJ Union Internationale des Huissiers de Justice VTM Véhicule Terrestre à Moteur Sommaire La recherche d'informations pour l'huissier de justice Chapitre I Les moyens accessibles à tous Chapitre II : Les rapports avec les autorités Chapitre III : La place des tiers dans les procédures Chapitre III : Le régime d'utilisation des données obtenues Existence d'un marché parallèle Chapitre I : Le marché parallèle de l'information Chapitre II : La dévalorisation du titre exécutoire Chapitre I : La recherche d'informations dans d'autres Etats Chapitre II Les perspectives envisageables
IntroductionComme l'écrivait le philosophe Alain, au début du XXème siècle, « il n'y a que les huissiers de justice qui savent quelque chose et peut-être aussi les vieux juges de la paix qui approchent les réalités de la vie ». Cette citation n'est plus en adéquation avec la situation actuelle. Les huissiers de justice rencontrent des difficultés dans la recherche d'informations, indispensables pour mettre en application les titres exécutoires. En matière d'exécution, la réforme issue de la loi du 9 juillet 1991 et son décret d'application du 31 juillet 1992 était attendue et a été appréciée. Cependant, la mise en oeuvre de la justice française rencontre des problèmes et les critiques des justiciables sont nombreuses. Ces difficultés ont-elles toujours existé ? La profession de ce qui s'apparente aujourd'hui à celle des huissiers de justice se retrouve dès l'Antiquité. A cette époque, sous la Pax Romana, nos ancêtres avaient recours à ce qu'ils appelaient des « officiales » afin de faire appliquer les décisions des juges. Suivant leurs fonctions, les « officiales » avaient des titres différents. Parmi eux, on retiendra les « apparitores » et les « executores ». Les premiers avaient pour mission de rassembler le peuple lors des jugements, d'introduire les justiciables et d'assurer la police des audiences. Les seconds procédaient aux saisies des biens des débiteurs ou à des "contraintes par corps" par lesquelles le créancier se faisait payer en emprisonnant son débiteur. Les invasions barbares mirent fin à la Pax Romana et la justice privée réapparut. C'est au Moyen Age que les différentes juridictions qui émergèrent, qu'elles soient seigneuriales, ecclésiastiques ou royales, eurent besoin d'une diversité d'agents assermentés ayant une autorité suffisante pour faire exécuter leurs décisions. C'est ainsi que les « officiales » romains devinrent sergents et huissiers. Par ailleurs, c'est à cette période, que le droit coutumier qui auparavant se transmettait oralement, a été écrit et rassemblé par les gens d'église. Au XIVème siècle, l'huissier est celui qui est préposé au service de certaines assemblées comme l'huissier du Parlement (1320) et, dès 1538, il est un Officier ministériel chargé de signifier les actes de procédures. Progressivement, les huissiers devinrent les officiers des juridictions importantes. Leurs compétences s'élargirent En 1705, un édit donna le titre commun d' « huissier ». L'invention de l'imprimerie, au XVème siècle, permit une évolution du droit et de la législation. Les informations auxquelles pouvait avoir accès l'huissier de justice étaient ensuite retranscrites. Le statut actuel des huissiers de justice résulte d'une ordonnance du 2 novembre 1945 et d'un décret d'application du 29 février 1956, plusieurs fois modifiés : ces textes fixent les limites de leur monopole, les conditions de leur responsabilité professionnelle, précisent leur statut et autorisent leur groupement ou leur association. Différents articles du Code pénal renforcent les sanctions applicables à certaines infractions lorsqu'elles sont commises sur la personne d'un huissier dans l'exercice de ses fonctions. Dès le XVIIIème siècle, il était déjà devenu nécessaire de prendre en compte les réalités économiques et sociales de la société. Les évolutions n'ont pas cessé jusqu'au XXème siècle et le législateur de 1991 a dû assurer l'effectivité du droit de créance du créancier saisissant. Ce droit à l'exécution forcée est énoncé dans l'article 1 de la loi du 9 juillet 1991 : « Tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ». Les huissiers de justice se sont vu offrir un panel de mesures en adéquation avec la situation de l'époque. Le législateur leur a donné toute latitude afin qu'ils choisissent parmi toutes les possibilités le moyen le plus adapté aux situations. Selon les articles 2092 et 2093 du code civil, le patrimoine entier d'un débiteur est le gage de ses créanciers. Cependant, compte tenu de la dématérialisation du patrimoine, de la multiplication des achats à crédit avec clause de réserve de propriété, celui-ci est de plus en plus difficile à appréhender. Le problème majeur reste cependant les questions de localisation du débiteur et de détermination de son patrimoine. Certains débiteurs organisent leur insolvabilité et fuient leurs responsabilités. A l'époque de la réforme, le législateur n'avait pas forcément pris en compte cette difficulté. Avec l'article 3 de la loi du 9 juillet 1991, le législateur a tenté de valoriser des différents titres exécutoires servant de base aux procédures d'exécution. Ces titres proviennent de professionnels de la justice ou de personnes publiques. Il est donc important de leur conférer une certaine valeur, à l'inverse, ne pas mettre à exécution ces actes conduirait à un désaveu du pouvoir de ces représentants. Il est nécessaire que l'exécution soit efficace, sachant qu'elle fait partie intégrante du droit au procès équitable issu des dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, entrée en vigueur en 1953. A l'inverse, si l'exécution échoue, le procès serait vidé de sa substance. L'article 9 du code civil énonce que « chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures (...) propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée ». S'agissant des officiers publics et ministériels, selon la Cour de cassation1(*), la discipline professionnelle n'exclut pas la prise en considération d'éléments de vie privée, eu égard à la portée sociale et d'intérêt public des fonctions qu'ils exercent. La CNIL, Commission nationale de l'informatique et des libertés, a confirmé ce principe, lors de la séance du 28 juin 2006, en prononçant une amende de 5.000 euros à l'encontre d'une étude d'huissiers de justice pour violation de l'intimité de la vie privée et pour entrave à l'action de la Commission. Les huissiers de justice sont, de par leur mission, proches des problèmes des débiteurs et donc souvent à la frontière de leur vie privée. Le législateur de 1991 a cherché à aider les huissiers de justice en leur facilitant l'accès à l'information. Il a également voulu renforcer les obligations des tiers en matière de recherche de renseignements. Le procureur de la République, s'est donc vu ajouter une fonction d'aide envers les huissiers de justice issue des articles 39 et suivants. C'est un point important de la réforme. Au côté du procureur de la République, les tiers ont aussi un devoir de collaboration. Dans le cadre de chaque saisie, des dispositions ont été mises en place déterminant ainsi le rôle des tiers. L'article 24 de la loi du 9 juillet 1991 généralise cette obligation sous peine de sanctions : « Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l'exécution ou de la conservation des créances. Ils doivent y apporter leur concours lorsqu'ils en sont légalement requis. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ses obligations peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts. Dans les mêmes conditions, le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur. » Les obligations énoncées montrent la nécessité du respect de la justice sous peine de sanctions, responsabilisant ainsi les tiers. Ce cadre législatif était une aubaine pour les huissiers de justice qui ont vu là, les mesures adaptées au recouvrement. La satisfaction des créanciers est un des objectifs des procédures d'exécution forcée, il ne faut néanmoins pas négliger la protection des débiteurs. Le législateur a souhaité humaniser les voies d'exécution. En parallèle, naît un paradoxe : les huissiers de justice doivent écouter et conseiller les débiteurs mais ces derniers en revanche, n'ont que peu d'obligations envers ces professionnels de la justice. La protection des débiteurs est croissante avec l'augmentation du patrimoine insaisissable, de la protection des personnes surendettées... Le droit civil permet par ailleurs un échelonnement de la dette sur un délai maximum de deux ans, dès lors qu'elle n'est pas alimentaire. Les articles 1244-1 à 1244-3 n'envisagent que le cas des délais de paiement de sommes d'argent. La Cour d'appel de Paris, dans une jurisprudence isolée avait retenu, en 1991, que « ces textes de droit commun sont de portée générale qui s'applique non seulement au débiteur d'une somme d'argent mais encore à tous ceux qui sont tenus d'une obligation quelconque ». Dans ces deux hypothèses, les délais de grâce contribuent à protéger le débiteur et lui donne des moyens de défense. Le législateur a souhaité éviter des mesures pouvant être vécues comme traumatisantes pour le débiteur, ainsi en matière de créance d'un petit montant, seront privilégiées la saisie-rémunération ou la saisie-attribution de comptes bancaires. M. Gérard CORNU rappelle que « l'insaisissabilité est une protection spéciale découlant de la loi qui met tout ou partie de certains biens d'une personne hors d'atteinte de ses créanciers, en interdisant que ces biens soient l'objet d'une saisie, dans les limites et sous les exceptions déterminées par la loi »2(*). En ce sens, les dispositions du code civil ont été reprises au sein de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1991 et son décret d'application. Certains biens de la vie courante ne peuvent pas être saisis, eu égard au respect de la dignité de la personne saisie. La loi exige que le créancier laisse un minimum indispensable aux besoins quotidiens de son débiteur. Ces dispositions législatives et décrétales contiennent une énumération des objets insaisissables, notamment les vêtements et la literie, les objets nécessaires à la préparation et à la conservation des aliments, les appareils de chauffage, une machine à laver (...). Toutefois, la loi prévoit des exceptions en raison de l'importance des biens énumérés ou de leur valeur. Le législateur vise également la protection des créances alimentaires. Dans le cadre d'une saisie-attribution, selon les dispositions de l'article 46 du décret du 31 juillet 1992, un débiteur peut demander la mise à disposition d'une somme à caractère alimentaire d'un montant au plus égal à celui du revenu minimum d'insertion pour un allocataire. Toute cette série de dispositions protège le débiteur mais en contrepartie réduit la marge de manoeuvre des huissiers de justice. La démarche des huissiers de justice, dans le but d'une recherche rapide et performante de renseignements, est entravée par la Commission Nationale Informatique et Libertés. La protection des données personnelles va de pair avec la CNIL, autorité administrative indépendante, créée par la Loi informatiques et libertés du 6 janvier 1978, ayant pour objectif de contrôler les transferts et les utilisations de renseignements d'ordre privé. Cet organisme veille au respect de la vie privée, au secret professionnel. La Commission est attentive à l'égard des particuliers et n'a pas pour objet de faciliter le travail de recherches des huissiers de justice. Par son action, la CNIL pose des obstacles à l'exécution de la justice française, et a contribué à alimenter l'existence d'un marché parallèle de l'information. A l'heure actuelle, pour obtenir des renseignements, certains créanciers n'hésitent plus à avancer des fonds et payer des sociétés spécialisées au détriment de la profession de l'huissier de justice. Les huissiers de justice ont, selon les textes officiels, le monopole du recouvrement sur le territoire français. Cependant, de nos jours, ils ne l'ont plus en ce qui concerne la phase amiable. Ils n'ont plus à leur disposition les moyens de conserver ce monopole d'où l'existence des sociétés spécialisées. Ces dernières ont, pour la plupart, mis en place un recouvrement parallèle peu réglementé. Outre la question financière entraînant une discrimination dans l'efficacité du recouvrement, on doit également s'interroger sur les pratiques de ces sociétés. La mise en place en France de la réforme de 1991 et de son décret d'application de 1992 a montré en son temps l'efficacité du système de la requête au procureur de la République, cependant il convient désormais de trouver d'autres moyens de recherche pour rendre l'exécution plus efficace. D'autres Etats européens peuvent présenter des similitudes avec le système français ou servir de modèles pour faire évoluer le Droit positif. La recherche d'information par l'huissier de justice en France suscite de nombreuses questions ; cependant le problème central reste le même : comment les huissiers de justice peuvent-ils obtenir des renseignements permettant de localiser un débiteur, de déterminer le contenu de son patrimoine, données nécessaires à la mise en place des procédures d'exécution ? Par conséquent, il convient d'étudier ce sujet selon trois axes. Le premier concerne la recherche en Droit positif (Titre I), dans laquelle il faudra détailler les moyens accessibles à tous (Chapitre I) puis ceux spécifiques à la profession d'huissier de justice (Chapitre II). Ensuite, il conviendra de réfléchir sur l'existence d'un marché parallèle de l'information et ses conséquences néfastes (Titre II) avec l'étude de ces sociétés (Chapitre I) et de la dévalorisation du titre exécutoire (Chapitre II). Il faudra prendre en compte la nécessité d'une nouvelle réforme (Titre III) avec, comme source d'inspiration, d'autres Etats européens (Chapitre I) et les perspectives envisageables en France (Chapitre II). * 1 C.Cass 1ère civ 9/05/01 * 2 G.CORNU, Vocabulaire juridique, Ed PUF |
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