L'utilité des peines de prison pour les criminels( Télécharger le fichier original )par Paul-Roger GONTARD Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse - Maitrise de droit privé, option Carrières Judiciaires 2007 |
Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales L'utilité des peines privatives de liberté pour les peines criminelles. Les peines de prison prononcées en France pour les infractions criminelles remplissent-elles effectivement leurs rôles ? Paul-Roger GONTARD - Maîtrise Carrières Judiciaires - Sous la direction de Madame Béatrice CHAPLEAU - Juin 2007 - « Ce travail est dédié à tous ceux qui oeuvrent quotidiennement dans le sens d'un progrès humaniste. » Remerciements : à l'équipe pédagogique et à l'administration de la Faculté des Sciences Juridique, Economique et Politique de l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse, et plus particulièrement pour leur disponibilité : à Madame Béatrice CHAPLEAU, ma directrice de mémoire, pour son écoute dans l'élaboration de ce travail. aux Doyens Martine LE FRIAN et Pierre FRESSOZ pour la richesse de nos entretiens. à Gilles CAPELLO, directeur de la prison du Pontet, et Brigitte DANY, directrice adjointe de la prison de Casabianda, pour l'ouverture et la sincérité dont ils ont su faire preuve. à tous ceux, nombreux, qui ont accepté de m'accorder quelques minutes, ou une après midi, pour m'enrichir de leurs expériences et partager avec moi leur conviction sur la question pénitentiaire. à Coralie, ma compagne, pour son courage et sa patience dans la vie ... et dans son aide de correction. à ma famille, toujours présente, pour rendre la vie et le travail plus facile à vivre. « L'Université n'entend donner aucune approbation ou imputation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propre à l'auteur. » « La sanction pénale est le complément de la loi. L'application effective de la peine aux coupables est l'accomplissement de la justice sociale. » Pellegrino ROSSI, Traité de Droit Pénal, 1825 « Le détenu est sous l'oeil du gardien, le gardien sous l'oeil du directeur, la prison sous l'oeil du peuple. » Jeremy Bentham, le Panoptique, 1786 « Celui qui ouvre une porte d' école, ferme une prison. » Victor HUGO - PARTIE I - BILAN DES PEINES CRIMINELLES FRANÇAISES, BILAN MÉDIOCRE 12 TITRE 1 : LA PRISON PROTÈGE PARFOIS DU CRIME 13 Chapitre 1 : Une obsession, la neutralisation de tous les dangers 14 Section 1 : Ecarter pour protéger 15 § 1 Isoler entre quatre murs 15 Section 2 : Discipliner pour éduquer 22 § 1 Rendre plus sûr le prisonnier 22 § 2 Rendre plus sûre la société 26 Chapitre 2 : Un échec, une seule prison pour tous les dangers 34 Section 1 : La prison et la criminalité de raison 34 § 1 La criminalité crapuleuse 35 § 2 La criminalité idéologique 37 Section 2 : La prison et la criminalité psychiatrique 41 § 2 Criminel, dangereux et en prison. 44 TITRE 2 : LA PRISON SERT RAREMENT LE PRISONNIER 48 Chapitre 1 : Un oubli, les blessures des Hommes 49 Section 1 : Le criminel est un Homme blessé 49 § 2 Criminel par contrainte 52 Section 2 : Des conditions d'incarcérations souvent peu propices à l'amélioration des Hommes 55 § 1 Des conditions matérielles dégradantes 56 § 2 Des conditions humaines humiliantes 58 Chapitre 2 : Une lutte, la réinsertion 61 Section 1 : Apprendre et s'apprendre en prison pour mieux vivre demain 61 § 1 Reconstruction du détenu par l'éducation 62 § 2 Reconstruction du détenu par l'analyse personnelle 64 Section 2 : Apprendre en prison la valeur du travail pour mieux vivre demain 67 § 1 La valeur du travail pénitentiaire, un plus pour le prisonnier 68 § 2 La réalité du travail pénitentiaire, un moins pour l'efficacité de nos prisons 72 - PARTIE II - LES ALTERNATIVES PASSÉES, PRÉSENTES, ET FUTURES À L'APPLICATION DES PEINES CRIMINELLES 78 TITRE 1 : CHANGER LA PRISON 79 Chapitre 1 : Changer l'organisation pénitentiaire 79 Section 1 : Sources de l'architecture pénitentiaire et expériences étrangères 80 § 1 Les différents modèles de prisons 80 § 2 Les expériences étrangères 84 Section 2 : Modélisation du système carcéral français du XXIème siècle 86 § 2 Ce qu'il faut développer 93 Chapitre 2 : Organiser de nouveaux rapports carcéraux 95 Section 1 : Les prisons « Big Brother », le contact réduit au minimum 96 § 1 La réinvention de l'institution totale et d'une nouvelle panoptique 96 § 2 Les limites de ce modèle 98 Section 2 : Remettre plus de droits en prison 99 § 1 Remettre de la démocratie en prison 99 § 2 Rendre leurs droits aux détenus 102 TITRE 2 : CHANGER LA PEINE 105 Chapitre 1 : Changer le cours des peines 105 Section 1 : « L'oisiveté est mère de tous les vices » 106 § 1 Les positions européennes sur le travail pénitentiaire 106 § 2 Perspective de réformes pour faciliter le travail pénitentiaire. 108 Section 2 : Protéger l'espoir 110 § 1 Le programme de Visites Privées Familiales (VPF) au Canada 110 § 2 Les principes d'une réforme nécessaire du modèle français 111 Chapitre 2 : Changer de peine 112 Section 1 : Les aménagements de peines 112 § 1 Typologie des aménagements de peine 113 § 2 Les améliorations à apporter aux aménagements de peines 115 Section 2 : Une nouvelle neutralisation pour les réfractaires ou les victimes de la prison 116 § 1 Les options étrangères pour neutraliser les détenus encore dangereux en fin de peine. 116 § 2 Les innovations légales nécessaires pour garantir la sécurité de nos sociétés face aux détenus libérables et pourtant toujours dangereux 118 ARTICLES PARUS DANS REVUE.ORG 129 RAPPORTS OU PUBLICATIONS D'INSTITUTIONS NATIONALES OU D'ORGANISATIONS INTERNATIONALES 131
Pourquoi mettons-nous aujourd'hui un criminel en prison ? Toutes les sociétés humaines ont eu à traiter la question du crime, en commençant par lui donner une définition. Toutes ont trouvé une sanction adaptée à leurs normes sociales, la notre est souvent la prison. Le plus souvent, même si les formes de sanction ont pu différer, les objectifs des peines ont été identiques. Par la sanction, chaque société devait pouvoir se prémunir contre les justices personnelles, afin d'éviter que ne se propage le poison social de la vengeance. La priorité a donc souvent été de neutraliser le criminel, de l'écarter de la société et de ses victimes. Puis, d'utiliser cette sanction comme un outil de prévention pour que celui qui a commis un crime ne le commette plus ; pour que tous ceux qui souhaiteraient le commettre en soient dissuadés. Enfin, et au-delà du criminel, c'est aux victimes que les sociétés s'adressent en condamnant leurs bourreaux, pour ainsi apaiser leur désir naturel de vengeance. Une fois ces grands principes sur l'utilité des peines criminelles acceptés majoritairement par les sociétés humaines, tout le reste, pourrait-on dire, n'est que contingences. Contingences liées aux principes moraux de chaque société. Qu'est-il moralement acceptable d'infliger comme sanction au nom de la société à celui qui a commis un crime ? Quel travail reste-t-il à accomplir avec chaque criminel pour qu'il prenne conscience de la portée de son geste ? De la longue Histoire de la Justice des Hommes, un constat simple et empirique émerge aisément : très nombreuses sont les réponses aux crimes qui ont pu être, ou sont encore, envisageables. Des duels de chants Inuits sur les bords de l'Arctique, jusqu'aux tortures et aux bûchers de l'Inquisition Espagnole du XVIème siècle, en passant par toutes les formes de réprobations sociales, de peines privatives de liberté ou de contraintes sur le corps des criminels, tout ou presque a déjà pu être expérimenté. Pour s'en convaincre les multiples codifications ou synthèse pénale de notre Histoire appuient cette diversité. Du code d'Hammourabi, IIème millénaire avant Jésus-Christ, dans lequel la règle était la loi du talion, et où le crime appelait la justice par le châtiment et le sang, jusqu'à la loi salique des Francs pour qui le meurtre était sanctionné d'une forte amende et appelait la justice de la réparation, 2000 ans d'Histoire auront déjà pu éprouver l'efficacité de la plupart des sanctions pénales imaginables. Puis, pour arriver jusqu'à nos jours, de nouveau 2000 ans ont passé, et se ne sont que les 250 dernières années qui ont pu apporter véritablement un visage nouveau aux peines subies par le criminel : l'arrivée de la prison dans l'arsenal répressif judiciaire. Le siècle des Lumières et les penseurs de la Révolution ont, comme dans beaucoup d'autres domaines, marqué un renouveau dans la pensée des hommes. Déjà dans son Traité des délits et des peines, Beccaria notait que la rigueur du châtiment ne devait pas être l'élément central de la sanction. Les philosophes humanistes s'étant ralliés peu à peu à cette idée, entraînant du même coup les responsables politiques qu'ils côtoyaient, ces derniers firent le reste du chemin pour entamer une grande réforme pénale. Si les châtiments corporels devaient être abolis, à l'exception notable de la peine de mort, les législateurs révolutionnaires devaient trouver un nouvel outil à la peine pénale. Un outil qui répondrait à l'attente nouvelle des principes protecteurs de l'Humanité, conforme aux déclarations solennelles de 1789. Mais un outil qui répondrait toujours aux exigences de sécurité des Hommes. C'est par un décret du 22 décembre 1790 sur la compétence des tribunaux militaires, leur organisation et la manière de procéder devant eux (annexe n°1), que la France s'est engagée dans ce tournant. La prison qui, jusqu'alors, ne servait le plus souvent qu'à la détention préventive ou comme antichambre des autres sanctions, devint à son tour une peine à part entière. Ce choix est un tournant dans la matière pénale. La peine moderne devient majoritairement celle privative de liberté, en particulier la prison. Le visage de la justice des Hommes en a été profondément changé. La justice de la peine ne pourra plus être évaluée par la mesure de la souffrance des condamnés. Si ce grand changement a pu si radicalement transformer le visage de la matière pénale, c'est que des Hommes se sont souciés qu'un criminel pouvait être leur semblable. Cette évidence est ici nécessaire à rappeler, parce que bien trop souvent oubliée par la passion des foules occupées à mépriser les coupables. Cet effort méthodologique, qui n'est pas une simple formalité, nous enjoint de comprendre pourquoi ; de comprendre quelles sont les raisons qui motivent ceux qui nous sont égaux et qui pourtant violent, tuent, braquent, empoisonnent ou portent atteinte à la sécurité de nos institutions. C'est en les comprenant, et en agissant sur leurs mobiles que nos justices pourront être efficaces. C'est une exigence ! Mais, pour autant, afin de protéger notre avenir, celui de nos enfants et celui de nos sociétés, il faut que la réponse pénale au crime puisse répondre à l'injonction populaire : « Plus jamais ça ! ». Que le caractère certain et exemplaire de la peine ne soit pas défaillant. C'est un devoir ! Mais nous voilà devant ce qui ressemble à une double contrainte antagoniste. Un jeu à somme nulle où favoriser l'un se ferait au détriment de l'autre. Mais les exigences de haute valeur morale inscrites dans les textes de protection des Droits Universels font que l'enjeu du niveau de progrès de nos sociétés « modernes » réside en partie dans la résolution de cet antagonisme de façade. La justice est née pour lutter contre les réflexes des Hommes qui nuisent à leur cohabitation. Elle est née pour sortir les Hommes de leur état de nature violent et instinctif, et les élever jusqu'à la modernité sociétale bien plus juste et plus sûre. Le travail que je vous propose ici a donc pour ambition de prouver la nécessaire complémentarité des antagonismes. Par des expériences passées ou présentes, françaises ou étrangères, nous verrons que la sanction moderne pour les criminels doit être une peine de prison certes, mais réformée. En effet, la peine carcérale était à sa création soucieuse de l'humanité de ceux qu'elle enfermait. Elle était considérée comme une peine de progrès. Pourtant, elle est aujourd'hui souvent dénoncée par les garants du respect des droits de l'Homme. Par les penseurs qui les défendent. Ainsi Michel FOUCAULT parlait de l'échec de la prison en ces termes : « Les prisons ne diminuent pas le taux de la criminalité ». « La détention provoque la récidive ». « La prison ne peut manquer de fabriquer des délinquants ». « La prison favorise l'organisation d'un milieu de délinquants ». « Les conditions qui sont faites aux détenus libérés les prédisposent à la récidive ». « La prison fabrique indirectement des délinquants en faisant tomber dans la misère la famille du détenu».1(*) La prison est maintenant critiquée pour son manque d'efficacité. Certaines de ces observations du milieu des années 70 ont depuis justifié plusieurs réformes du milieu carcéral. Cependant, certaines de ces accusations sont reprises de nos jours. Les évasions spectaculaires et médiatiques qui ont entaché la réputation de la sécurité carcérale à l'entrée du troisième millénaire remettent en question la réussite de la prison à accomplir la première de ses missions. Nos sociétés ont donc deux choix : celui d'une nouvelle réforme des institutions carcérales, en profondeur, ou bien celui de l'innovation vers de nouvelles sanctions pénales. Quelque soit ce choix il sera d'importance. Le défit à relever se situe maintenant, pour les pouvoirs publics, avec chaque condamné, pour qu'une fois sa peine accomplie, celui qui a commis un crime soit, à son tour, à la hauteur pour réintégrer un jour pacifiquement et efficacement la société humaine. Cette réforme de la peine carcérale devra passer par celle du bâtiment architectural, de la politique menée quotidiennement dans l'exécution des peines, et par-dessus tout, par une réforme des esprits qui ne s'affranchira pas d'une nouvelle loi. Parmi les difficultés rencontrées pour ce travail, la principale pourrait être de raisonner dans la généralité. En effet, il existe en France plus de 180 établissements pénitentiaires, c'est presque autant de Pays qu'il y a dans le monde. Parler de LA prison française, c'est oublier que chacun des établissements a une réalité qui lui est propre. Il en va de même pour exprimer une pensée sur LE criminel français. Travailler sur des réalités humaines implique d'accepter que nos propos soient relativisés pour chaque cas particulier. Cependant, il existe des grandes lignes directrices qui encadrent ces individualités. Notre raisonnement portera donc ici sur les lignes directrices. A charge pour ceux qui souhaiteraient utiliser les conclusions de cette étude de les envisager avec la précaution méthodologique que je viens de préciser. Beaucoup de choses ont été écrites sur la prison. Mais depuis notre entrée dans le troisième millénaire, l'effervescence intellectuelle et littéraire autour de cette question semble démontrer la disponibilité des esprits à une grande réforme des prisons. Ce travail s'appuie donc bien sûr sur les ouvrages de références des grands auteurs de la question pénale ou carcérale, mais aussi essentiellement sur les derniers rapports des institutions démocratiques françaises, européennes ou canadiennes, sur les études récentes menées par les Organisations Non-Gouvernementales qui se préoccupent du sort des prisonniers (Ligue des Droit de l'Homme, Organisation Internationale des Prisons, Génépi, ...), sur des essais, enquêtes ou travaux universitaires récents qui ont occupé une place médiatique, ou plus confidentielle. Mais surtout, ce travail s'enrichit de rencontres (personnels ministériels, personnels pénitentiaires, auxiliaires de justices, associations, ...) et d'observations directes (visite de prison, suivis de procès d'assise portant sur des parcours pénitentiaires exceptionnels) effectuées spécifiquement pour cette étude. « Il ne s'agit pas d'interpréter les divers penseurs dans leurs points de convergence et de divergence mais de projeter ce qu'ils ont construit conjointement, au-delà des différences qui sont visibles à l'échelle de leur individualité »2(*) Alvaro Pires Le projet qui préside la réflexion menée dans ce mémoire est donc de dresser un nouveau bilan des peines de prison françaises en rassemblant des réflexions jusque là éparses, alimentées de compléments inédits, afin d'ouvrir de nouveaux chemins pour l'avenir pénitentiaire et participer ainsi, dans une très modeste mesure, à la construction du futur de nos prisons, et surtout des hommes qui les composent. - Partie I - Bilan des peines criminelles françaises, bilan médiocreTitre 1 : La prison protège parfois du crimeLes règles qui doivent rendre la prison efficace d'après Maurice CUSSON, Professeur à l'École de Criminologie. Chercheur, Centre international de Criminologie comparée, Université de Montréal « Premièrement, elle doit être appliquée à des délinquants qui, sans elle, auraient commis de nouveaux crimes. Deuxièmement, les délinquants qu'elle immobilise ne doivent pas être systématiquement remplacés au sein des groupes où ils opéraient. Troisièmement, le séjour en prison ne doit pas avoir une influence criminogène telle que les crimes neutralisés soient compensés par une recrudescence de l'activité criminelle après le séjour en prison. Pour se permettre un jeu de mots : il ne faut pas que la « prisonnisation » neutralise la neutralisation »3(*) Par ces mots, le Professeur CUSSON nous donne une vision moderne des règles d'efficacité de la prison. Elle doit être un recours nécessaire, mais strictement nécessaire, pour éviter la récidive ; la prison apparaît comme un moyen efficace d'empêcher un criminel de commettre à nouveau une infraction dans sa société. Mais elle doit être choisie dans les seuls cas où une autre peine ne pouvait être appliquée. On peut noter dans la pensée du Professeur CUSSON une forme de défiance à l'égard de la prison. Une attitude de plus en plus fréquente dans l'oeil des observateurs indépendants. Cette défiance laisse entendre que la prison peut être dangereuse si elle n'est pas utilisée avec parcimonie. Nous verrons que cette dualité de l'efficacité d'une part et de la possible dangerosité des peines de prison d'autre part est absolument justifiée. Dans son propos cet éminent criminologue avance ensuite que la peine de prison prononcée ne peut être efficace qu'en laissant vacante la place qu'occupait le condamné. La prison doit empêcher le crime d'être commis, et ce, que se soit dans une organisation criminelle, ou en influençant le comportement de ceux qui seraient susceptibles de perpétrer les mêmes crimes que le condamné. Elle doit donc intervenir en dissuadant de commettre l'infraction. L'individu rationnel doit avoir moins d'intérêt à commettre l'infraction, qu'à la consommer. La portée dissuasive de la prison fera aussi l'objet d'une étude dans cette partie. Enfin, toujours selon le Professeur CUSSON, la prison peut avoir des conséquences néfastes pour la société, et parfois pires que celles qui avaient conduit un criminel en prison. Les effets utiles de la prison mentionnés précédemment ne doivent pas être anéantis par les conséquences néfastes d'un emprisonnement pour des criminels. Pour ce faire, la prison ne doit pas alimenter le crime en laissant se former des facilités pour les prisonniers dans l'élaboration de nouveaux desseins criminels. Elle doit pouvoir combattre les causes qui ont amené le criminel dans ses murs, et ne pas laisser se créer de nouvelles causes à l'intérieur de son enceinte. C'est pour ces trois raisons que la prison doit en premier lieu neutraliser le criminel et les velléités de ceux qui pourraient le devenir. Cette neutralisation fera l'objet de notre premier chapitre. Cependant la réalité exprimée implicitement d'une prison « criminogène » nous fera étudier dans un deuxième chapitre les populations réfractaires aux « bien faits » de la prison et qui par elle peuvent devenir autant sinon plus dangereuses qu'elles ne l'étaient en entrant.
Chapitre 1 : Une obsession, la neutralisation de tous les dangers4(*)La première mission de la prison est de mettre en sécurité la société en neutralisant le crime. La neutralisation du crime passe en premier lieu par l'éloignement du criminel de la société dont il est issu. Un éloignement géographique bien sûr, mais pas seulement (Section 1). Ensuite, la neutralisation doit passer par la prévention des crimes ou leur sanction à l'intérieur de la prison (section 2). Du traitement des crimes dans la prison dépend en parti le renoncement au crime dans la société. Cette question de la sécurité et de la prison a déjà été très précisément abordée par l'excellent rapport de Jean-Marc CHAUVET, remis en 2001 au Ministre de la Justice. De ce rapport j'emprunterai notamment la pertinente distinction entre sécurité passive et sécurité active dans la prison. Mais depuis 2001, plusieurs réformes sont intervenues sur cette problématique, et nous envisagerons leurs différents apports. Section 1 : Ecarter pour protégerEcarter un individu dangereux pour protéger la société de ses agissements revient à devoir l'isoler de cette société. Pour cela, l'homme a un penchant naturel à mettre ce qui lui semble dangereux en cage. C'est un moyen de se protéger et de créer un rapport de force favorable à celui qui règle les conditions d'enfermement. L'enfermement d'un sujet permet de l'étudier et de le soumettre à des règles qui doivent le rendre moins dangereux avec un maximum de sécurité. Il peut paraître cruel de parler en ces termes de l'enfermement du prisonnier, mais c'est la réalité de base à laquelle vont s'ajouter toutes les conditions d'incarcération qui différencient le quotidien d'un lion en cage de celui d'un prisonnier dangereux. La prison n'est en fin de compte, dans la plupart des cas, qu'une cage humanisée. Un premier paragraphe nous montrera ce qui ne tient plus de la cage, lorsque dans un second nous verrons ce qui humanise ce type d'isolement. § 1 Isoler entre quatre mursL'isolement de l'individu dangereux passe par un placement en milieu confiné dans lequel les interfaces avec la société pourront être limités aux seuls échanges prévus et acceptés par les autorités de la détention. Les dernières constructions d'édifices carcéraux symbolisent le glissement des « prisons de ville » vers les « prisons de campagne ». Le meilleur exemple est la prison d'Avignon-Le Pontet qui date de 2003, programme de construction pénitentiaire dit « prison 4000 », construite en rase campagne, qui remplace la vieille prison d'Avignon, l'un des plus vieux établissements pénitentiaires de France. L'éloignement du condamné est donc maintenant en premier lieu géographique. Il est délocalisé pour être désocialisé. Cette rupture est marquée par la vision des hauts murs d'enceinte de la prison. Un rempart qui se veut infranchissable pour qui n'en a pas l'autorisation. Pour reprendre l'expression perspicace de M. FAVARD, « ce sont toujours les bons vieux hauts murs de la prison qui constituent la base fondamentale d'une sécurité tempérée »5(*). Nous verrons dans un A/ que le bâtiment est la première garantie de sécurité de l'emprisonnement, puis dans un B/ que la technologie vient au service des « hauts murs » pour isoler le prisonnier entre ces murs. A/ La sécurité de l'enceinte aidée par son architectureComme nous le soulignons dans notre introduction, il existe presque autant d'architecture carcérale que de prison. Cependant des lignes directrices peuvent se dégager. Dans une lettre datée du 14 juin 2001, Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, confiait à Jean-Marc CHAUVET, Directeur régional des services pénitentiaires de Paris, « une mission d'analyse et de proposition » sur la sécurité des établissements pénitentiaires. Dans son rapport remis la même année, J.-M. CHAUVET décrit avec précision les caractéristiques idéales d'une enceinte de prison. Double enceinte de mur, revêtement anti-agrippant, couleur blanche des murs, etc... L'architecture de la prison va être le premier outil de sécurité de la prison : une « sécurité passive ». Les éléments du bâtiment doivent rendre difficiles et dangereuses les tentatives d'intrusion ou d'extrusion d'individus non autorisés dans une prison. Cependant, l'évasion est une réalité pour laquelle les « hauts murs » sont inefficaces. Les chiffres des évasions depuis le milieu des années 70 sont éloquents : Évasions et, entre parenthèses nombre d'évadés. 1976 : 31 ; 1980 : 6 ; 1981 : 6 ; 1982 : 11 ; 1983 : 21 ; 1984 : 18 ; 1985 : 36 (101) ; 1986 : 1933 (62) ; 1987 : 37 (54) ; 1988 : 35 (61) ; 1989 : 27 (52) ; 1990 : 31 (68) ; 1991 : 21 (39) ; 1992 : 26 (45), -11-9 : Clairvaux, 8 évadés armés (1 détenu et 1 surveillant tués) ; 7 seront repris (et jugés le 10-11-1999) et 1 tué par la police ; 1993 : 26 (43) ; 1994 : 31 (53) ; 1995 : 15 (21) ; 1997 : 18 (31) ; 1998 : 16 (19) ; 1999 : 25 (31) ; 2000 : 34 (41) ; 2001 : 31 (38) ; 2002 : 15 (26) ; 2003 : 18 (27) ; 2004 : 18 (22) ; 2005 : 18 (22). Évasions par hélicoptère : 1981-27-2 de Fleury-Mérogis : Daniel Beaumont et Gérard Dupré, repris en mars et juillet 1981 ; 1986-26-5 de la Santé : Michel Vaujour [(condamné le 8-3-1985 à 18 ans de réclusion criminelle), hélicoptère (piloté par sa femme Nadine), repris 27-9-1986] ; 1987-19-7 de St-Roch (Nice) : Philippe Truc (repris 20-7) ; 1990-5-11 de Lannemezan : 4 (3 repris en Espagne, 1 en Algérie) ; 1992-5-2 des Baumettes (Marseille) : 5 (échec) ; -4-10 de Bois-d'Arcy (Yvelines) : 4 (tous repris) ; 1999-26-6 des Baumettes : 5 (1 tué par les gardiens, 4 repris plus tard) ; 2000-9-6 de Moulins-Yzeure (Allier) : 3 (1 repris le 22-6, 1 le 6-8) ; 2001-24-3 de Draguignan (Var) : 3 ; -31-5 de Borgo (Corse) : 3 ; -25-6 de Borgo (Corse) : Louis Carboni ; -12-10 de Luynes (B.-du-Rh.) : 2 ; 2003 : 1 (3) ; 2004 : 0 ; 2005 : 1 (3). Évasions avec aide extérieure de commandos armés : 2002-sept. centre de Ploemeur (Morbihan) : 2 ; -28-11 centrale d'Arles (B.-du-Rh.), tentative de 5 détenus avec aide extérieure de 3 tireurs : 1 détenu et 1 complice tués. 2003-12-3 Fresnes (V.-de-M.) 6 à 10 hommes armés de mitraillettes et d'explosifs pour libérer Antonio Ferrara, arrêté 13-7. 2005-15-2 évasions de 1 détenu, -15-10 évasion de 2 détenus de MA Villefranche-sur-Saône. Source : Quid 2007, article : Justice, Prison (en France), Population pénale Bien sûr, ces chiffres sont à apprécier au regard de la population carcérale qui varie autour de 30.000 individus dans les années 70 à 60.000 de nos jours. De ces chiffres, nous pouvons retirer une spécificité culturelle typiquement française, l'évasion par hélicoptère. Comme le fait remarquer le rapport CHAUVET, « en Espagne, en Italie et en Allemagne le phénomène semble inexistant. Au Royaume-Uni, il y a eu une seule évasion par hélicoptère, en 1977 »6(*). L'édifice a donc du s'adapter, mettre en place des filins anti-hélicoptère, sensibiliser ses personnels sur ce risque particulier. Les nouvelles habitudes carcérales entraînent une augmentation des allers et venues entre l'extérieur et la prison. Les politiques d'application des peines faisant de plus en plus de place à l'intervention d'éléments extérieurs au strict personnel de surveillance des détenus, et à l'aménagement des peines de prison, qui autorisent des sorties temporaires, soulignent les limites à l'efficacité des « hauts murs » de prison. C'est pour cela qu'un soutien technologique doit venir appuyer l'utilisation du béton. * 1 Michel FOUCAULT, SURVEILLER ET PUNIR, 1975, ed. Gallimard, p°308 à 312. * 2 : EN GUISE DE CONCLUSION: UN NoeUD GORDIEN AUTOUR DU DROIT DE PUNIR, Histoire des savoirs sur le crime et la peine. Tome II : La rationalité pénale et la naissance de la criminologie, Conclusion, pp. 207-219. Les Presses de l'Université de Montréal, Les Presses de l'Université d'Ottawa, De Boeck Université, 1998, 518 pp. Collection : Perspectives criminologiques. * 3 Maurice CUSSON ; POURQUOI PUNIR ? ; Paris: Librairie DALLOZ, 1987, 203 pp. Collection Criminologie et droits de l'homme ; p.141 * 4 Pour approfondir ce sujet voir le Mémoire de DEA Droit et Justice de Maud GOUBET, sous la direction de Nicolas DERASSE, La Sécurité en Prison, école doctorale n°74, Lille 2, 2001-2002 * 5 M. FAVARD, Prison, 1994, p°85, Flamarion * 6 Rapport dit CHAUVET sur La sécurité des établissements pénitentiaires, la documentation française, 2001 |
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