L'utilité des peines de prison pour les criminels( Télécharger le fichier original )par Paul-Roger GONTARD Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse - Maitrise de droit privé, option Carrières Judiciaires 2007 |
Section 2 : La prison et la criminalité psychiatriqueLa justice, succombant à un appel de plus en plus pressant de la population, envoie les criminels considérés comme dangereux en prison, alors que leur cas relèverait plutôt de la psychiatrie. Le fait est que depuis une trentaine d'années maintenant, depuis l'abolition de la peine de mort, et sans doute quelques années avant, les criminels multirécidivistes ou particulièrement cruels, psychiatriquement malades mais totalement dangereux, qui auraient subi auparavant la peine capitale, sont aujourd'hui condamnés à de longues peines d'emprisonnement. Pour ces criminels aussi se pose la question qui nous est récurrente maintenant : une peine de prison leur sera-t-elle utile ? Pourra-t-elle être utile à la dissuasion de ceux qui pourraient commettre un crime similaire ? Pour répondre à ces deux questions nous allons voir qui sont ces criminels dits dangereux (§1), et quel sort leur réserve la prison (§2).
§ 1 Criminel et dangereux40(*)Criminel dangereux est une expression qui peut passer, au premier abord, pour un pléonasme. En effet, le criminel est dangereux par nature, sinon il ne ferait pas l'objet d'une privation de liberté pour protéger la société de ses agissements. Cependant, le critère de dangerosité, pour qualifier un criminel, est utilisé tant dans la science pénale que dans les travaux relatifs à la santé mentale pour développer une autre dimension plus précise. Voici la définition assez exhaustive qu'en fait Michael PETRUNIK : « La dangerosité, qu'on appelle aussi l'état dangereux, est une notion utilisée depuis longtemps, dans le système de justice pénale et dans les lois en matière de santé mentale, pour caractériser les individus présentant un risque grave de causer des dommages physiques, psychologiques ou moraux à leur propre personne ou à autrui. La notion de dangerosité comporte plusieurs caractéristiques importantes. Premièrement, elle ne s'applique pas aux actes ou aux omissions qui entraînent des dommages, mais à leurs auteurs. Deuxièmement, elle renvoie à certains actes présumés dommageables plutôt qu'à l'ensemble des actes de cette nature. Le plus souvent, les individus jugés dangereux sont ceux qui ont commis des infractions sexuelles, plus particulièrement contre des enfants. Il est moins fréquent que l'on considère comme délinquants dangereux les individus ayant commis d'autres types d'infractions, comme les incendies criminels ou le terrorisme politique. Troisièmement, on entend par dangerosité un état qui prédispose un individu à commettre des actes dommageables. Ce sont les caractéristiques personnelles d'un individu plutôt que les situations pouvant provoquer ce genre d'actes qui sont considérées comme la cause du danger. Quatrièmement, la notion de dangerosité s'applique davantage à l'avenir qu'au passé. Le passé d'un individu présente un intérêt dans la mesure où il permet de prévoir et de maîtriser son comportement futur. » Ce critère de dangerosité a donc tendance à renvoyer le criminel dans le champ psychiatrique et de la folie. Mais la psychiatrie aurait tendance à vouloir s'en débarrasser. Par crainte des conséquences de leur difficile encadrement sans doute. Pour preuve ce mot de Philippe PINEL, considéré comme le père de la psychiatrie française : « les fous sont des malades et non des pêcheurs ou des débauchés ; et qu'il ne faut surtout pas les confondre avec les criminels 41(*)» Ces individus, considérés comme trop fous pour certains et certainement trop dangereux pour les autres, sont donc « une patate chaude »42(*) que se renvoient juristes et psychiatres depuis près de 200 ans. Mais en faisant ces allers-retours entre professionnels, ils finissent par se légitimer les uns les autres, là où nous aurions pu attendre qu'ils se discréditent mutuellement. L'expert psychiatre légitime une folie suffisamment responsable pour aller en prison ; et les juristes légitiment un placement en hôpital psychiatrique non tempora, pour les cas les plus atteints. Très pratiquement, le législateur ou les tribunaux retiennent certains critères liés à la dangerosité pour justifier leurs décisions. Ainsi, parmi les éléments qui caractérisent le criminel comme dangereux, il y a le passage à l'acte qui est incompréhensible d'après les critères communs d'individus sains d'esprit. Cet élément sera notamment utilisé dans la célèbre affaire du double homicide commis par les soeurs PAPIN pour suralimenter l'atrocité, déjà très fournie, de leur crime sur les personnes de leurs patronnes43(*). Rien ne laissait supposer que les soeurs PAPIN allaient tuer leurs employeurs en leurs arrachant les yeux et en finissant par les massacrer avec un marteau et un couteau. LACAN en fera des criminelles victimes d'une psychose paranoïaque soudaine. Il y a, par ailleurs, dans la même recherche d'une justification des prises de position en matière pénale, la caractérisation d'actes moralement réprimés par la société parce que leur pratique inspire majoritairement du dégoût et de la répulsion. Anciennement les sorcières et les possédés par le démon, plus traditionnellement les pédophiles et les multirécidivistes (meurtriers en série par exemple) se trouvent catalogués dans cette rubrique des criminels dangereux. Mais ce classement ne suffit pas à la soif de comprendre de nos sociétés cartésiennes. C'est pour cela qu'elles s'adressent à nouveau à la science psychiatrique afin qu'elle trouve une réponse scientifique, une méthode systématique, pour isoler les criminels dangereux et fous. C'est là l'origine de l'irresponsabilité pénale (122 - 1 à 122 - 8 du code pénal). Mais cette science peine à parler d'une seule voix. Le meilleur exemple porte sur les critères retenus pour caractériser cette irresponsabilité pénale. Un rapport du Conseil National des Barreaux de juin 2004, qui intervient dans le cadre d'une consultation faite par le Garde des Sceaux sur une éventuelle modification des règles juridiques qui encadrent l'irresponsabilité pénale, rappelle notamment que « l'évolution actuelle [de la doctrine médicale] tend à considérer que la responsabilité serait une chance pour le malade mental et que le procès pénal aurait une vertu thérapeutique... »44(*). En somme, un irresponsable doit être reconnu coupable dans sa pleine responsabilité parce que cela aurait pour vertu de commencer à le traiter. Cela justifie sûrement que les juges ne retiennent l'irresponsabilité pénale que dans seulement 0,05% des affaires criminelles alors que dans le même temps Monsieur Hugues BERBAIN, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire au Ministère de la Justice auditionné par le Sénat dans le cadre d'un rapport intitulé Les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques : comment concilier la protection de la société et une meilleure prise en charge médicale ?, interpellait les autorités sur la situation critique de la psychiatrie en prison. Il rappelait que « selon la première étude épidémiologique sur la santé mentale en prison conduite en 2003, 35 % des détenus avaient fait l'objet d'un suivi psychiatrique avant leur incarcération, 80 % présentaient un trouble psychiatrique en prison et 24 % un trouble psychotique ». De plus, le nombre de placement d'office en hôpital psychiatrique est passé de 1.191 en 2001 à 1.666 en 2005, avec un pic à 2.015 en 2004. Alors, soit les détenus deviennent massivement fous en prison, ce qui est vrai pour certains, soit leurs troubles psychiatriques ne sont pas totalement pris en considération lors du jugement. * 40 La travail qui semble le plus abouti sur cette question est aujourd'hui le rapport de Michael PETRUNIK du département de criminologie de l'Université d'Ottawa intitulé : LES MODÈLES DE DANGEROSITÉ : ANALYSE DES LOIS ET PRATIQUES RELATIVES AUX DÉLINQUANTS DANGEREUX DANS DIVERS PAYS de février 1994. C'est ce travail qui fondera en grande partie notre présentation des criminels dangereux. * 41 Cité in Marc RENNEVILLE, CRIME ET FOLIE. DEUX SIÈCLES D'ENQUÊTES MÉDICALES ET JUDICIAIRES, Paris, Fayard, 2003, 528 pages. * 42 Catherine HERSZBERG, FRENES, HISTOIRE DE FOU, édition du Seuil ; octobre 2006 ; quatrième de couverture. * 43 Véronique LESUEUR-CHALMET ; FEMMES ET CRIMINELLES ; DE SOEURS PAPIN A SIMONE WEBER ; UNE HISTOIRE SANGLANTE DES FAITS DIVERS ; Editions Pre Aux Clercs ; Collection : Romans Essais Documents - 2002 * 44 Conseil National des Barreaux, Commission Liberté et Droits de l'Homme ; RAPPORT SUR LE PROJET DE RÉFORME DES RÈGLES APPLICABLES EN MATIÈRE D'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE DES MALADES MENTAUX ; 19 juin 2004 ; p°10 |
|