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D. La démédiation ou les limites du « devenir medium »Les FAI ont su valoriser leurs connaissances des usages dans le cadre d'un « devenir medium ». L'intégration progressive d'outils d'éditorialisation, l'affranchissement des éditeurs historiques, l'utilisation à leurs profits de leurs propres réseaux de distribution, la création de valeur, les innovations au service des utilisateurs, et pour certains acteurs des créations de chaînes et des obtentions de droits premium, tous ces éléments ont participé à la mutation d'un détenteur de tuyaux vers un éditeur de contenus. L'adhérence aux évolutions des usages a démontré la capacité des FAI à comprendre les changements de consommation de media et parfois à les anticiper. L'abord de l'actant médiatique selon un éditeur ou un FAI s'est révélé bien différent. De façon caricaturale, les éditeurs historiques ont perçu leur propre marché comme une offre créant la demande, pendant que les FAI, nouveaux entrants, ont favorisé la demande, centrale dans la création de l'offre. L'objet de cette partie sera de montrer en quoi les stratégies des FAI de « devenir médium » sont limitées par plusieurs paramètres comme le périmètre de diffusion et l'absence de médiation. Enfin, nous nous attacherons à pointer les conséquences d'une dilution du media télévisuel à travers la profusion de l'offre. 1. Périmètre de diffusion et acception médiatiqueIl était inenvisageable il y'a quelques années de mettre sur un pied d'égalité un éditeur de contenu linéaire et un FAI. Si cela est possible aujourd'hui, il ne faut pas pour autant occulter les éléments qui séparent les FAI d'une acception médiatique. Le premier facteur d'acception médiatique est la disponibilité du médium. Un medium, par essence, est médiateur entre l'émetteur et le récepteur. Le faire-réceptif, même s'il peut être apparenté à une cible en terme marketing, doit être dans la possibilité d'accéder au médium. Deux éléments empêchent aujourd'hui les FAI d'être disponibles partout. Tout d'abord, la logique qui prévaut est celle d'une guerre frontale entre les acteurs du marché de diffusion de contenus. À la lumière de ce paramètre, il est plus aisé de comprendre pourquoi les services éditorialisés qui voient le jour progressivement sont considérés par leurs créateurs comme exclusifs, voyant là un moyen de conquérir de nouveaux clients. Seul Numéricâble a permis une distribution de sa chaîne MCS à d'autres opérateurs télécoms. Le deuxième élément est endogène au système de circulation des flux des FAI. Il s'agit ici de circuits de distribution fermés, auxquels n'ont accès que les abonnés. Peut-on par conséquent parler d'un médium de masse lorsque l'accès à l'information est réservé aux seuls abonnés ? La création de chaînes opérée par Orange peut ainsi être soumise à la question de l'objectif poursuivi : relève-t-il d'une volonté de « devenir medium » ou n'est-ce simplement qu'un argument de conquête de parts de marché ? Thierry Dahan, rapporteur du conseil de la concurrence stigmatise cette tendance : « Les problèmes apparaissent lorsque l'exclusivité descend jusqu'à l'étage du transport[...]. C'est le trop fameux effet de levier qui permet de gagner des clients, non pas sur ses mérites propres mais grâce à un pouvoir tiré du monopole ».131(*)Cela permet de mettre en perspective les ambitions de valorisation boursière et d'accroissement de parts sur un marché bientôt arrivé à maturation. Il est tout à fait imaginable que cette diffusion en circuit fermé déséquilibre le marché et qu'il soit à terme un frein à l'ancrage de l'opérateur sur celui-ci. La mise en perspective de cette diffusion en circuit fermé pose la question de l'espace-temps public. La télévision avant qu'elle ne subisse la délinéarisation de ses contenus était légitimement érigée en espace public. Nous avons assez pointé ses manquements en amont pour concéder que ce media populaire a la capacité de drainer de larges pans de la société sur un même flux. Ce media est celui dont l'espace-temps rassemble le plus. Sa mise à disposition est essentielle puisqu'elle favorise la création d'une culture commune à la société. Quand les autorités étatiques obligent la diffusion d'une technologie (TNT) à tout le territoire, c'est que ce media est un élément fondateur de débat public. Si seuls les éditeurs décidaient de la population à équiper, il faudrait imaginer une diffusion de la technologie en fonction des intérêts économiques. L'émission et la réception en circuit fermé par les FAI va à l'encontre de ce qui définit un medium. L'émission d'une information et sa réception est destinée à être partagée par la population la plus importante. Même si Canal+ a le premier occulté sa diffusion à une population non abonné, cela ne représentait qu'une partie du temps de diffusion total. La partie « en clair » devait donner envie au non abonné de s'abonner, à travers la valorisation d'une image de marque. La détention d'une partie des réseaux semble avoir fait oublier la notion de media aux FAI. La nécessité pour la structure sociale d'un espace commun ressurgira. L'appétence pour des sujets référents, accessibles à tous ne risque pas de s'amenuiser au point que seuls des abonnés au même opérateur puissent avoir les mêmes références. La propension des FAI à considérer la télévision et les contenus comme de simples vecteurs de développement économique risque de leur porter préjudice dans le sens où le média est un pilier du pluralisme dans une société démocratique. La rétention à outrance de l'information dans un périmètre restreint risque de mettre en branle un des pivots de la structure sociale. * 131 Source : La Lettre de l'ARCEP : Septembre 2008 |