|
||
|
B. Ecosystème de l'agrégation de chaînes et perspectives communautairesL'étude des logiques d'adhérence à l'évolution des usages par les FAI a mis en relief la capacité de transposition et d'adaptation à travers différents outils et services. Ici, nous nous attacherons à déterminer comment la composition du bouquet de chaînes correspond aux logiques évoquées en amont, celles de l'adhérence aux nouveaux usages et de contournement médiatique. Plus précisément, nous mettrons en avant la capacité des FAI à composer des offres correspondantes aux nouvelles attentes médiatiques des utilisateurs, à travers les chaînes locales ou les chaînes étrangères. 1. Composition du bouquet, consommation et valorisation du contenuPrès des deux tiers des foyers français équipés d'un poste de télévision accèdent désormais à une offre étendue de chaînes, gratuitement ou sur abonnement, ce qui représente une multiplication par trois du nombre de « foyers multichaînes » depuis 2001. NeufCegetel a préempté l'offre de télévision dans le cadre du service de livraison du signal Internet dans les foyers. L'agrégation de chaînes gratuites comprises dans une offre plus globale marque un tournant dans la marchandisation de services audiovisuels. Bien avant la TNT, un opérateur propose des chaînes non hertziennes sans sur-tarification. Alors que les deux groupes de chaînes privés les plus importants se font férocement concurrence sur l'agrégation de chaînes, un opérateur télécom utilise ses réseaux téléphoniques pour y introduire des signaux de chaînes de télévision. En innervant de cette façon le marché de l'agrégation de chaînes, NeufCegetel a cristallisé à lui seul la mutation systémique d'un marché dont les bases semblaient inamovibles. Se présentent face au consommateur non seulement des opérateurs historiques proposant une offre de bouquet de chaînes, mais également un fournisseur qui fait passer pour gratuit, car à tarification égale, des chaînes de télévision en plus de l'accès Internet. Le bénéfice utilisateur se retrouve pour la première fois corrélée aux termes de convergences médiatiques. L'intense concurrence entre TPS et Canalsatellite voit poindre son crépuscule le 21 mars 2007 lorsque le deuxième rachète la propriété de TF1 et M6. Inéluctable, la mise en place du monopole répond à des logiques marchandes inhérentes à toute logique de domination, dans un marché où les coups se rendent chaque fois plus forts. La perspective d'un lancement progressif de mise à disposition de chaînes hertziennes numériques sur le territoire français couplée à des offres ADSL80(*) aux bouquets de plus en plus complets a scellé le sort de TPS81(*). À ce jour, les agrégateurs de chaînes sont pléthores, que ce soit par câble avec Numéricable, par l'ADSL avec Free, Orange et NeufCegetel ou encore par satellite avec Canalsatellite ou BIS Sat. Bien que ces sociétés mènent des stratégies qui ont toutes la même finalité, attirer le client potentiel selon un prix et une offre, les méthodes ne sont pas les mêmes. Les composantes de ce marché ne sont pas égalitaires et un certain nombre de paramètres biaisent la concurrence. Pour les chaînes, en dehors des chaînes de la TNT gratuite, financées par la publicité, les principaux critères de négociation avec les distributeurs sont en général les suivants : les conditions financières et ensuite la visibilité et les conditions de mise en valeur de la marque au sein du bouquet. Sur ce point, Canalsat offre à ce jour, la meilleure exposition aux yeux de la plupart des chaînes. Sur le premier point, peu de chaînes peuvent espérer des FAI une rémunération aussi importante que celle que leur offre Canalsat aujourd'hui car NeufCegetel est limité dans le développement de son offre de chaînes exclusives; Free n'a pas encore manifesté d'intérêt pour les contenus et Orange s'est attelé en priorité au premium. a) L'exclusivité au centre du processus de valorisationEn tant qu'opérateur historique, CanalSatellite dispose d'atouts liés à l'expérience, mais également d'un passé concurrentiel dont les dividendes tombent aujourd'hui. Générée par une concurrence frontale entre TPS et CSAT, la pression à la création de valeur n'a jamais cessé. Elle a pris différentes formes, de la création de chaîne à l'achat de droits exclusifs. La logique économique d'intégration verticale a plaidé pour une distribution exclusive de chaînes. Les chaînes cinéma du Groupe Canal étaient diffusées en exclusivité sur Canalsat, les chaînes du groupe TF1 en exclusivité sur TPS. Cette situation était acceptée par le régulateur, dans la mesure où la concurrence entre TPS et Canalsat était jugée suffisante pour animer le marché. En revanche, la fusion a généré une position dominante en concentrant la diffusion exclusive des chaînes premium82(*) (notamment cinéma) entre les mains d'un unique opérateur. Le nouvel ensemble a donc dû s'engager à lever la clause d'exclusivité pour sept chaînes. Pour le reste des chaînes adossées au Groupe Canalsat/TPS, qu'elles soient premium ou non, l'exclusivité reste la norme. On retrouve la même logique chez Orange (distribution exclusive d'Orange Sports TV, lancement annoncé d'Orange Cinéma Séries en exclusivité). Nous reviendrons plus précisément sur ce sujet plus tard, puisqu'il symbolise en partie la perméabilité graduelle des frontières entre opérateurs Internet et éditeurs de contenus. La concurrence récente qu'imposent les FAI met en relief les avantages liés à la fusion capitalistique. La profusion de chaînes trouve son différenciant dans la valeur que le client accorde aux contenus. Ceux-ci sont classés selon les attentes des utilisateurs, les plus demandés étant considérés «premium». C'est le nerf d'une guerre dans laquelle les FAI se sont engagés en éditorialisant des offres que les éditeurs de chaînes comme TF1 et Canal avaient préemptées. Pour un bouquet comme pour une chaîne, la détention d'une exclusivité relève d'une capacité à se différencier. Obtenir un contenu exclusif est gage d'adhérence d'un certain segment de la population, puisqu'il rend impossible son accès sur d'autres plateformes de diffusion. La substitualité mesure la possibilité selon laquelle le client désireux d'accéder au contenu peut combler son besoin à travers d'autres offres. Le corollaire de cet avantage est celui de l'augmentation des parts de marchés. Même si le coût de l'acquisition de l'exclusivité n'est pas amorti, comme c'est souvent le cas avec les évènements sportifs majeurs, il en résulte tout de même une attractivité accrue. Ces avantages participent aux fondements éditoriaux et commerciaux d'un medium. Ils sont le ciment qui comble l'écart entre simple distributeur et éditeur. Tout comme une radio ou un journal dispose d'un style, le diffuseur dispose de contenus qui, selon la façon dont il les modèle et les éditorialise renvoient à une image, un des fondements du devenir medium, car identifiable et impliquant. La composition d'un bouquet est le résultat d'un dosage entre substitualité et attractivité. Le cinéma français est aujourd'hui l'illustration d'un type de contenu dont la substitualité est renforcée par plusieurs paramètres: des obligations légales de préachat de droits de diffusion, ajoutée à cela une forte attractivité des formats plus courts que sont les séries et une concurrence du cinéma américain toujours solide. De plus, l'utilité qu'en font les chaînes à travers le marché de la rediffusion et la profondeur des catalogues réduisent la dimension attrayante de l'exclusivité. L'objectif d'un agrégateur est de rendre sa composition attractive pour les segments les plus larges possibles de la population ciblée avec des contenus à la substitualité faible. Ce type de contenus étant clairement identifiés, les coûts d'acquisition sont élevés, même lorsque sans exclusivité. Car hormis les exclusivités, les points différenciants entre les agrégateurs se font sur les chaînes consensuelles, thématiques mais rassembleuses. LEquipeTV, Eurosport ou encore ParisPremière en sont. Vendues au prix fort, elles font parfois l'objet d'exclusivité lorsqu'elles sont adossées à un éditeur historique, comme c'est le cas pour Eurosport avec TF1 et par extension Canal. L'ensemble des contraintes tarifaires et capitalistiques ont permis l'éclosion d'une stratégie d'agrégation alternative, ciblé en partie sur des segments de population plus fins. Free a opté pour une mise à disposition d'une myriade de chaînes. NeufCegetel propose un bouquet de type pyramidal, gratuit puis payant. Orange compose son offre avec des thématiques payantes. Les chaînes, de thématiques diverses, sont celles qui ont subi les conséquences de la fusion TPS et CanalSat et la fin de la concurrence. Cela a eu pour effet de réduire considérablement l'attrait des chaînes non premium. Privilégiant majoritairement une diffusion la plus large possible plutôt que des négociations tarifaires peu enclines à aboutir, les chaînes de second choix ont adhéré à la stratégie de profusion d'un opérateur comme Free. Les opérateurs Internet, eux-mêmes au coeur d'une concurrence intense, sont soumis à des obligations de limitations des dépenses. Le tarif de base que paye un abonné est utilisé pour répondre aux dépenses de trois services (Triple Play) ainsi qu'à des investissements lourds. Émane de ces contraintes budgétaires une mise à disposition de quantité de chaînes de télévision gratuites ou très peu chères. Cette politique de la corne d'abondance fait écho à celle que Chris Andersen évoque sur le medium Internet dans les stratégies marketing des sites commerçants. La logique de la longue traîne83(*) répond à deux logiques convergentes, le sentiment de satisfaction de l'utilisateur devant la quantité de choix qui lui est proposée et l'adhérence probable à un produit d'un segment. Free, et les autres FAI qui ont suivi cette méthode se sont inspirés de l'évolution des usages relatifs au web. À l'analyse des typologies de chaînes et de leur capacité à répondre aux attentes d'un certain nombre de consommateurs de media, il est plus aisé de comprendre comment les FAI se sont accommodés des impératifs économiques et capitalistiques dans la composition de leur offre. b) Les chaînes thématiques, pivots de l'offreOn recense aujourd'hui en France 148 chaînes diffusées dont 125 conventionnées. Chaque année voit son lot de chaînes disparaître ou apparaître. L'A.C.C.e.S relève qu'en 2006, « ce sont surtout des thématiques de niche qui ont été développées par les éditeurs de programmes, tels l'art de vivre, le téléachat ou encore les jeux »84(*). L'organisme de représentation des chaînes thématiques indique également que « le mouvement se poursuit en 2007 : la thématique communautaire enregistre la plus forte diversification avec cinq chaînes créées. La création de la chaîne Vivolta85(*), destinée aux seniors, marque le début d'une nouvelle thématique générationnelle. » Toutes les chaînes thématiques ne se valent pas : elles ont des contributions variables à l'audience, au volume d'abonnement et à l'image des distributeurs. En 2007, les thématiques « musique » et « sport » sont les mieux représentées avec 15 chaînes. Dans le cadre d'une étude sur les comportements de consommation des abonnés NeufTV86(*), les genres plébiscités sont la jeunesse et le sport, respectivement cités à 57% et 54% à la question de la thématique incitant à l'abonnement. Comptabilisées depuis leur lancement dans l'ensemble « Autres TV », les chaînes de la TNT sont le moteur de la croissance du poste « Autres TV » qui a gagné 1,6 point de part d'audience au cours de la première année consécutive au lancement de la TNT en mars 2005.87(*) Les chaînes thématiques sont le pivot d'un bouquet de chaînes. L'étude de l'agrégation de chaînes par les FAI à travers les chaînes locales et les chaînes communautaires mettra en lumière la prise en compte des évolutions des usages et attentes des consommateurs de télévision. La logique de la longue traîne88(*) prend forme dans la démarche des FAI de voir en chaque produit ou service la possibilité de toucher un segment de la population et d'augmenter la satisfaction du client à travers une prise en compte de tous les goûts. Comme Andersen le théorise, la logique de la longue traîne a des ressorts économiques. La vente de produits à des micro-niches est très rentable puisque les coûts d'acquisition liées à l'offre et la demande est moindre. * 80 ADSL: technique de communication qui permet d'utiliser une ligne téléphonique d'abonné pour transmettre et recevoir des signaux numériques à des débits élevés, de manière indépendante du service téléphonique. * 81 TPS: opérateur de bouquet numérique de télédiffusion satellitaire français et éditeur de chaînes de télévision thématiques. En avril 2007, TPS disparaît au profit de CanalSatellite. * 82 Chaîne premium : de qualité supérieure * 83 ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ». Broché * 84 Guide des chaînes numériques. Mars 2008 * 85 Vivolta : chaîne dédiée aux plus de 45 ans. Créée par Philippe Gildas * 86 Chiffres internes extraits d'une étude sur l'utilisation des services audiovisuels de NeufTV * 87 Guide des chaînes numériques 2008 -Direction du Développement des Media * 88 ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ». Broché |