Pour quelle(s ) histoire(s ) d'être(s ) ? Associations 1901, inter relations personnelles et interactions sociales, un art de faire( Télécharger le fichier original )par Jean- Marc Soulairol Université Lumière Lyon 2 - Diplôme des hautes études des pratiques sociales D. H. E. P. S. 2002 |
Conclusion : Histoire(s) d'être(s)La seconde partie de ce document a tenté de rendre compte d'une façon possible de restituer l'enquête qui teste notre hypothèse318(*). En clair, nous avons essayé de comprendre les causes et les raisons du changement des membres du Compu's Club en partant des individus dans leurs dimensions collectives, de leurs "histoires d'êtres", pour aller, tout au long de la démarche que nous venons d'esquisser, nous situer du côté du soi en société, de "l'histoire d'être" - par cela, notre analyse pourrait être qualifiée de phénoménologique319(*). Nous avons caractérisé ces histoires dans leurs grandes variétés mais aussi dans ce qui fait leur originalité : leur conformation. Ce qui frappe de façon inattendue, d'un premier côté, c'est non pas l'adhésion pour l'informatique mais la motivation à s'engager dans des activités non TIC. D'un second côté, c'est la similitude des mobiles à l'engagement, à savoir la motivation personnelle du membre à réduire ses propres ruptures sociales. Ruptures que nous avons pu noter comme variées (solitude, conflit familial, rupture professionnelle, ...) A partir de ce constat il a été facile de repérer une réciprocité entre l'intensité de la (des) rupture(s) sociale(s) et l'intensité de l'engagement. D'un troisième côté, ce qui nous a paru intéressant de relever ce sont que les désirs personnels du membre, ses charges familiales et sa durée d'adhésion dans l'association influencent directement et participent de ces engagements. S'il nous a été aisé de classer les portraits dominants de nos interlocuteurs dans les caractéristiques de trois profils320(*), ils n'en demeurent pas moins mouvants, fluctuants au gré des situations et des circonstances. Ces éléments que nous avons récolté nous amènent à formuler une première ébauche de configuration qui peut paraître encore, là, primitive mais que nous préciserons dès l'introduction de la troisième partie : D'abord, le membre, en tant qu'individu, et le Compu's Club ne paraissent pas en opposition. Ainsi le membre semble être une entité intégrée dans l'association ; inversement l'association serait intégrée aux individus321(*). Le tout présentant "autre chose" que la somme des parties, c'est-à-dire une interdépendance. Norbert Elias semble confirmer notre propos en nous indiquant que « le concept d'individu se réfère à des hommes interdépendants, mais au singulier, et le concept de société à des hommes interdépendants, mais au pluriel »322(*) Le tout ne semble pas être plus valorisé que les parties même si le tout est plus important en somme ou autre chose que les parties comme s'il s'agissait d'une acculturation323(*) "sauvage", "libre" mais "planifiée", d'un idéal, d'un égrégore324(*) en somme. Ensuite, cette interdépendance semble être une interrelation entre des actions individuelles. C'est-à-dire que les membres agissent les uns sur les autres et les uns par rapport aux autres en même temps qu'ils participent à la structuration de leur propre personnalité au Compu's Club. Ainsi, ont pu être mis en exergue des sentiments individuels positifs de possibles, de bien-être et d'appartenance. Ces caractéristiques attribuées permet au membre de donner une forme à ses relations et considérer l'association en tant qu'espace de relations formant du lien social. Dans un premier temps, dès lors qu'un projet est en adéquation avec les désirs personnels du membre il apparaît des interrelations basées sur le partage et la solidarité. Participe de cette configuration, l'autorité tacitement acceptée du Pilote du projet. La représentation du Pilote lui confère la légitimité nécessaire et le pouvoir utile à l'organisation autonome et responsable du projet. Chaque individu cherchant sa valorisation par la reconnaissance de sa position qu'il recherche de plus en plus centrale. Un code d'action commun, c'est-à-dire les valeurs de respect, d'échange, d'entraide mutuelle, de camaraderie, d'écoute, ..., subjectivement attribuées définissent une éducation mutuelle, solidaire et créatrice d'activité. Autrement dit un ethos, selon Max Scheler. Enfin, il semble que cette interdépendance présente des formes spécifiques qui relient des membres entre eux. Par exemple, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un "coup" dans les actions communes tels que les projets des branches. Ce "coup" déclenchant inévitablement un "contrecoup" d'un autre membre limitant la liberté d'action du premier membre. Là encore, notre modèle d'analyse nous a guidé (Elias) : « comme au jeu d'échecs, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contrecoup d'un autre individu (sur l'échiquier social, il s'agit en réalité de beaucoup de contrecoups exécutés par beaucoup d'individus) limitant la liberté d'action du premier joueur. »325(*) Le civisme et l'éducation populaire, règles implicites, semblent porteurs de communications et d'interrelations, donnant du sens à l'engagement par des attitudes ayant valeur d'exemple ou de soutien moral et répondant à la nécessité de discuter, d'échanger, d'apprendre du membre, de traduire son ressenti intérieur par la parole. Ce qui introduit un corollaire : le devoir d'écouter l'autre activement, surtout lorsqu'on est positionné différemment, afin de préciser les éléments en communs même si cela ne signifie pas nécessairement comprendre. Pour synthétiser, le membre qualifie le sens donné à ses actions (ses "coups") comme un ensemble pertinent de deux dimensions liées entre elles : l'identification et les valeurs. A cela se rajoute l'influence d'une base relationnelle omniprésente et liante : la confiance. Les comportements du membre tendent, par cela, à traiter l'autre comme un ami bienveillant. Cette amitié créant des liens dynamiques de tolérance et de solidarité. Ainsi, bien qu'il soit difficile d'en décrire les structures, les individus agissent et réagissent les uns par rapport aux autres, acceptant ou s'adaptant, à partir de ses propres désirs, pour vivre harmonieusement au Compu's Club. En d'autres termes, ces structures semblent être un élément de la nature du membre, de sa personnalité corrélativement développé avec les circonstances et les situations sociales bien précises auxquelles il est confronté. Ceci nous révèle une configuration de jeux d'acteurs. C'est ce que nous allons tenter d'éclaircir dans la troisième partie : jeux, tactiques et stratégies. TROISIEME PARTIE TROISIEME PARTIE DU BESOIN AUX ASPIRATIONS : JEUX, TACTIQUES ET STRATEGIES 3. Du besoin aux aspirations : jeux, tactiques et stratégies Les résultats du traitement du corpus montrent que la raison d'être de la participation des adhérents dépasse le motif d'adhésion, c'est-à-dire la pratique de l'informatique. En effet, si l'adhérent participe, voire renforce sa participation, c'est parce-que l'activité pratiquée va lui permettre de satisfaire des attentes personnelles : reconnaissance de soi, appartenance à un groupe, recherche de liens, par exemples.326(*) Cherchant à décrire ce qui se passe entre les individus au sein du Compu's Club, et plus particulièrement au sein des différentes branches, nous nous sommes intéressé aux liens entre individus, aux projets qu'ils pouvaient mener, aux valeurs qu'ils pouvaient partager. Nous avons pu montrer que ces besoins étaient compris dans les dynamiques relationnelles. En d'autres termes, la satisfaction de ces besoins a pu être observée dans deux cas de figure. Dans un premier cas de figure, l'adhérent réunit des circonstances nécessaires à la satisfaction de ses attentes pour s'en emparer. Il investit, ainsi, dans la dynamique relationnelle pour en jouer. Avec le deuxième cas de figure, l'adhérent peut trouver dans les dynamiques relationnelles les circonstances nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Sans s'en emparer, il profite, néanmoins, des circonstances qui sont réunies, il les laisse jouer. L'engagement de l'adhérent semble donc guidé par la satisfaction de ses attentes, de ses besoins. Nous avons relevé que les besoins à satisfaire n'ont de sens qu'en étroite liaison avec la nature et l'importance que l'adhérent leur donne. Ce qui suppose de tenir compte d'une certaine hiérarchie des besoins chez les divers adhérents interviewés. Cette hiérarchie des besoins varie suivant les satisfactions visées et se relie directement à la hiérarchisation des valeurs auxquelles ils sont inconsciemment attachés, qui les dirigent. En fait, cette hiérarchie des besoins est celle dont la satisfaction permet à l'adhérent de progresser, d'atteindre un état supérieur sans qu'il s'en rende compte. Par exemple, l'adhésion à un projet de branche correspond à un changement de comportement passant de l'intérêt à la participation, entraînant une modification de l'échelle des valeurs. Ainsi, en se référant à la théorie d'Abraham MASLOW, l'adhérent trouve, à travers sa participation « les racines de la satisfaction de ses besoins personnels par les contreparties que lui apporte l'entreprise »327(*) (en l'occurrence, ici, l'association ou la branche). Pour Maslow, la notion de besoin est proche de celle de valeur ; les valeurs sont vues comme des représentations cognitives des besoins. Pour simplificatrice qu'elle soit, la pyramide de Maslow propose une hiérarchisation par émergence. A chaque fois qu'un niveau de besoin est atteint l'homme cherchera à satisfaire le niveau supérieur. Il pose la "réalisation de soi" comme la clef de voûte de toute vie psychique : « un processus de développement personnel, de réalisation de soi, se déclenche chez l'individu et l'anime d'une manière dynamique. » Mais, pour Paul-Henry CHOMBAT DE LAUWE il serait « vain de parler des besoins des hommes sans tenir compte de leurs aspirations, de leurs intérêts, de leurs systèmes de représentations et de valeurs. »328(*) En clair, ce seraient moins les besoins que nous devrions prendre en considération que les aspirations. Nous envisageons donc compléter immédiatement la notion de besoin selon Maslow par la notion d'aspiration de Chombart de Lauwe. Parce-que, s'ouvrir à la théorie des aspirations permettra de faire ressortir les motivations les plus profondes des adhérents, c'est-à-dire leurs désirs, leurs espoirs et leurs espérances. Dans cette perspective, chemin faisant, nous saisirons dans quelle mesure l'association, les micro-groupes, les projets menés, les relations interpersonnelles, les interactions sont capables d'y répondre. La satisfaction des besoins-aspirations est donc un élément constitutif de la participation de l'adhérent. Mais, cette satisfaction des besoins-aspirations s'effectue dans les dynamiques relationnelles et leurs articulations.329(*) Ce qui veut dire qu'elle se déroule dans les interactions ; particulièrement sous la forme de dépendances d'intérêts communs et de réciprocité. C'est pourquoi la participation des adhérents, au regard des travaux de Norbert ELIAS, peut-être posée en termes de « dépendances réciproques qui lient les individus les uns aux autres. »330(*) En même temps, par la façon dont l'adhérent se donne à voir, par l'image donnée de lui-même, par une attitude simulatrice de soi, il obtient une sorte de maîtrise de ces dépendances. Il joue avec l'information qu'il donne de lui-même. Ceci pose la question de la place que l'adhérent s'accorde dans un jeu dynamique de relations, d'adhésion à des valeurs, de participation, bref, de dépendances réciproques. Les travaux d'Erving GOFFMAN nous éclaireront à partir des façons d'être et de faire de l'adhérent, de ses manipulations dans le rapport aux autres. Goffman s'est intéressé « au maniement et au contrôle de l'image que les individus donnent d'eux-mêmes dans l'accomplissement de leurs activités et de leurs rôles ainsi qu'aux moyens qu'ils utilisent pour mettre en scène ce jeu. »331(*). Donc, nous envisageons chercher à comprendre la participation des adhérents, non seulement, en termes de dépendances réciproques mais aussi en termes d'« information que l'individu transmet directement à propos de lui-même. » ; individu capable de « manipuler de l'information concernant une déficience. »332(*) Mais si l'adhérent manipule les informations qu'il transmet sur lui-même il le fait dans des instants d'échanges. Ces instants sont des temps, des moments mis à profit dans une visée de représentation de soi, de présentation de soi. Ces temps privilégiés inaugurant finalement un espace, non pas comme une délimitation spatiale, mais comme circonstance d'un possible, d'autre chose. Ainsi, ces instants créent du sens par un espace, une sorte de lieu qui est distance et dans lequel l'adhérent peut "fabriquer, braconner, élaborer, tricoter, manipuler, bricoler"333(*) (Cf. Certeau) les pratiques nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Bref, si l'adhérent use d'un espace c'est pour exercer une action sur cet espace. Nous intéresser à ces lieux d'investigations, d'aventures, de combats où l'adhérent peut lutter, relever les défis, oeuvrer avec les autres nous a permis de noter des manières de faire proches de la stratégie ou de la tactique. Le changement constaté de l'adhérent ne sera donc pleinement compréhensible que si nous le pensons, à l'instar de Michel de CERTEAU, en termes de « manières de faire (de marcher, de lire, de produire, de parler, etc.). »334(*) Parce-qu'« il faut s'intéresser non aux produits culturels offerts sur le marché des biens, mais aux opérations qui en font usage ; il faut s'occuper des "manières de marquer socialement l'écart opéré dans un donné par une pratique" ». Cela va nous apporter la possibilité d'envisager la participation de l'adhérent en termes d'usage des circonstances335(*) créées par les dynamiques relationnelles. Cette orientation a l'avantage de surimposer aux perspectives élasienne et goffmanienne les usages de cet espace par l'adhérent, c'est-à-dire « sans sortir de la place où il lui faut bien vivre et qui lui dicte une loi, il y instaure de la pluralité et de la créativité. Par un art de l'entre-deux, il tire des effets imprévus. »336(*) Nous pouvons ainsi supposer que la piste s'inscrit dans le mouvement, le changement permanent ; qu'il se joue des opérations multiformes et fragmentaires, des manières de faire toujours changeantes en fonction des circonstances. En fait, il s'agit là d'une configuration (complexe) au sens où Norbert Elias l'entend337(*). Ainsi notre hypothèse de recherche (Plus un individu use, dans une configuration, de manières de faire, plus cet individu accède à un statut d'individu.) nous oriente dans une perspective certeausienne. Dès lors, la question de fond est : comment la participation des membres s'inscrit-elle dans un jeu de relations qu'ils contribuent à former et changer ? Et à partir de là, déterminer comment cette construction, ces changements se fondent dans une similitude de projet sur des différences de coups ? Enfin, comment se réalise l'émergence d'un je sans cesse renouvelé sur la base d'un ensemble multiple de coups joués, de je ? Autrement dit, les travaux de Certeau nous indiquent qu'il doit y avoir une logique de ces pratiques, de ces usages des circonstances. Logique que nous allons essayer progressivement d'exhumer dans cette troisième partie. * 318 Rappelons notre incompréhension devant le changement de certains membres du Compu's Club indépendamment de l'outil informatique (Cf. introduction générale, question de départ). Nous avions avancé l'hypothèse qu'une configuration favorisant les manières de faire des individus, leurs permettait de donner du sens à leur statut d'individu. (Cf. hypothèse). * 319 Nous pouvons qualifier de phénoménologique l'analyse de la configuration de cette association parce qu'elle a cherché à découvrir l'essence même des personnes interviewées d'une part, et les structurations des maturations, d'autre part. C'est-à-dire qu'elle a tendu « à saisir les visées et les vécus des sujets dans leur rapport à autrui et à leur propre intimité » (Maisonneuve J., La psychologie..., op. cit., p.25). * 320 Cette analyse nous a permis d'établir trois portraits types des acteurs : le Philanthrope, il donne ; le Synallagmatique, il échange et le Pharisien-prestige, il prend. * 321 De même que nous l'avions vu dans la première partie. Voir note de bas de page n° 44. * 322 Elias, Norbert, Qu'est-ce que la sociologie ? Pocket Agora, p.150 in Corcuff, P., Les nouvelles..., op. cit., p.24. * 323 Dans le sens de désignation de phénomènes de contacts et d'interpénétration de cultures différentes. * 324 Egrégore : groupe humain doté d'une personnalité différente de celles des individus qui le forme. Encyclopædia Universalis, Cd-Rom 1997. Voir aussi le rapprochement que nous avons fait de ce terme avec Aristote et Elias à la page 13 de l'introduction générale. * 325 Elias, Norbert, La société de cour, Flammarion, coll. Champs, 1985, pp.152-153. * 326 Cf. deuxième partie, p. 74 et suiv., section 2.1.2 Trois facteurs majeurs d'influence pour justifier l'engagement. * 327 Maslow Abraham, (Motivation and personality) New York : Harper and Row, 1954 in Tissot Jacques (Marketing /vente), publication de la MIFI (Maison de l'innovation et de la formation industrielle), 1995. * 328 Chombart de Lauwe, Paul-Henry, Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, quatrième de couverture. * 329 Cf. Deuxième partie 2.2.2 La naissance de conditions favorables à la relation, p. 90 et suivantes. * 330 Elias, N., La société..., op. cit., p.12. : « comme au jeu d'échec, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contrecoup d'un autre individu limitant la liberté d'action du premier joueur. ». Ib., p.13. * 331 Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, t1 la présentation de soi, tr. fr., Minuit, 1961 in Moscovici, S., Psychologie..., op. cit., p.48. * 332 Goffman, Erving, Stigmate, Les éditions Minuit, coll. Le sens commun, 1996, p.57. * 333 Sans vouloir définir chacun des termes employés nous prenons l'exemple du bricolage. Le mot bricole a pour origine bricola (machine de guerre ; et bricoler (qui apparaît pour la première fois en 1867 dans le Grand Dictionnaire Universel Larousse) a pour définition « qui fait toutes sortes de métiers ». Dans notre propos, il s'agira de transposer cette définition en tant que l'adhérent "joue toutes sortes de fonctions et de rôles". * 334 Certeau, M. (de), L'invention..., op. cit., p.51. * 335 "Usage des circonstances", ici, doit être entendu dans un sens de "pratique des circonstances" (d'utilisation, d'usure). C'est-à-dire, pour suivre Certeau : « l'usage définit le phénomène social par lequel un système de communication se manifeste en fait ; il renvoie à une norme. » Certeau, M. (de), ib., p.151. * 336 Certeau, M., L'invention..., ib., p.52. * 337 Configuration : « figure globale toujours changeante que forment les joueurs ; elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les relations réciproques. », Elias, N., La société..., op. cit., p.14. |
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