Evaluation de la stratégie multicanal d'une banque de détail: le cas de la SCB Camerounpar Didier TIOMELA Université Catholique d'Afrique Centrale - Master 2014 |
RESUMEDurant ces vingt dernières années, de nombreux bouleversements sont venus modifier le paysage bancaire camerounais. L'émergence de nouvelles technologies a été à l'origine de la multiplication des canaux de distribution, d'un remaniement en profondeur de nos environnements de travail, de consommation et de sociabilité. La révolution numérique a véhiculé une nouvelle façon de faire la banque, notamment une offre de produits et services sur mesure à la clientèle. L'objectif principal de notre travail est d'apprécier la stratégie de distribution des produits et services bancaires de SCB Cameroun, d'en décrire les évolutions et les mécanismes, d'évaluer sa performance. La méthode d'analyse s'appuie sur l'étude de la relation entre groupe stratégique, stratégie de clientèles et politique multicanal. Les principaux résultats de cette étude font ressortir deux grandes tendances. En premier lieu, le constat d'un double objectif assigné au modèle de distribution de la banque (en interne, une volonté de l'innovation et de réduction de coûts ; en externe, des objectifs à la fois de conquête, de connaissance et de fidélisation de la clientèle). En second lieu, une exploitation sous optimale des différents canaux et une absence de synergie entre ceux-ci qui rendent la distribution bancaire inefficiente. Mots clés : NTIC, distribution bancaire, banque de détail, stratégie multicanal. ABSTRACTDuring these last twenty years, numerous upheavals came to modify the Cameroonian banking landscape. The emergence of new technologies was the origin of the increase of distribution channels, an in-depth reorganization of our working environments, of consumption and sociability. The digital revolution conveyed a new way of making the bank in particular offering customized products and services to customers. The main objective of our work is to appreciate the distribution strategy of SCB Cameroon's banking services and products, to describe its evolutions and the mechanisms, to estimate its efficiency. The method of analysis relies on the study of the relationship between strategic group, clientele's strategy and multi-channel politics. The main results of this study highlight two big trends. First of all, the report of a double objective assigned to the model of distribution of the bank (internally, a will of innovation and reduction of cost; externally, both conquisition objectives and knowledge of customer loyalty development). Secondly, an under optimal exploitation of the various channels and the absence of synergy between those which make the banking distribution inefficient. Keywords: NTIC, banking distribution, retail banking, multi-channel strategy. Introduction générale1. CONTEXTE DE L'ETUDELes réformes monétaires et financières engagées à la suite des crises bancaires des années 80 et 90 ont permis au secteur bancaire camerounais de connaitre un regain de vitalité avec la liquidation ou la restructuration des banques défaillantes et l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché (Avom et Eyeffa1(*), 2007). En effet au cours des deux dernières décennies, ce secteur a connu de nombreuses mutations et programmes de fusion-scission avec pour but de permettre aux banques de consolider leurs assises financières, d'assainir leurs portefeuilles de créances douteuses et d'accroitre leurs niveaux de performance afin de s'arrimer aux exigences d'un paysage financier de plus en plus concurrentiel. Si pour leur grande majorité elles demeurent encore des banques commerciales, on observe depuis quelques années une nette évolution du portefeuille des métiers2(*) des banques camerounaises, marquée par deux types de transformations : externes et internes. Au niveau externe, la configuration de l'environnement d'exercice des activités bancaires a beaucoup évolué sous l'effet des forces comme la globalisation des économies, les modifications réglementaires, la pression concurrentielle, l'émergence de nouveaux acteurs financiers3(*), l'instauration du Service Minimum Bancaire4(*) (SMB), les innovations financières et les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC). Au niveau interne, une profonde mutation s'est opérée en termes de gestion et d'orientations stratégiques au sein des établissements bancaires. En effet, à côté de l'extension des réseaux d'agences, on assiste désormais au développement des activités sur le marché financier, l'essor de la bancassurance, l'accroissement de services générateurs de commissions, la distribution des produits et services via une approche multicanal (internet, technologie mobile, automates bancaires, terminaux de paiement5(*) etc.). Concernant cette dernière stratégie, elle est au coeur des préoccupations des entreprises bancaires ces dernières années6(*). En effet, la révolution technologique en matière d'information et de communication a permis de nouvelles formes de distribution de services bancaires telles la banque à distance (BAD) et a poussé les établissements financiers à une stratégie visant la proximité avec la clientèle grâce à l'utilisation de nouveaux canaux. Globalement ces canaux se regroupent suivant deux grandes catégories : · Les agences : canaux traditionnels de la distribution bancaire, ce sont les points de vente des banques. Elles ont pour mission de s'adapter au marché qui les entourent en collectant et en traitant l'information sur les besoins et les attentes de la demande de proximité, de valoriser les relations avec les clients, de développer et entretenir la clientèle existante (La Villarmois7(*),1999). L'activité des agences est fondée sur leur capacité à distribuer des produits bancaires et à maintenir les relations avec la clientèle : elles contribuent ainsi au processus de production de la banque ; · Les autres canaux de distribution : plus récents, ils doivent leur émergence à la révolution numérique de la fin des années 1970. Ce sont les distributeurs automatiques de billets / guichet automatique de banque (DAB / GAB), les plates-formes téléphoniques, Internet, les terminaux de paiements électroniques (TPE), qui ont principalement la caractéristique d'une relation anonyme. Ils constituent globalement ce que Villates8(*) (2009) a défini comme « la banque à distance » entendue comme « toute activité bancaire destinée à un client ou à un prospect, se déroulant à partir d'un point de service électronique (terminal de paiement, guichet automatique, internet etc.) et utilisant un système de télécommunication ». De par sa nature, l'émergence du multicanal a fortement affecté l'activité de distribution des firmes bancaires. Une stratégie de distribution à plusieurs canaux permet à une entreprise de multiplier les possibilités de contacts avec sa clientèle actuelle et potentielle, dans le but d'accroître ses ventes et d'améliorer la qualité de la relation avec ses clients tout en diminuant ses coûts globaux de distribution. Le client pour sa part, voit s'amoindrir sinon disparaître, certaines barrières (géographiques, temporelles, etc.), ce qui lui facilite l'accès aux services de son prestataire. A titre d'illustration, la téléphonie mobile, Internet et les automates bancaires ont significativement réduit ces dernières années, les contraintes géographiques et les coûts de transaction tout en offrant aux banques commerciales une stratégie d'expansion à faible coût9(*). En Afrique Subsaharienne par exemple, on dénombre au moins 145 millions10(*) de comptes mobile money11(*)actifs, près de 45% de la population utilisant des services bancaires en ligne12(*), 253 millions d'abonnés mobiles uniques avec les avantages offerts par la 4G etc. Conséquence, à côté de la densification des réseaux d'agence, on note désormais une volonté accrue des établissements bancaires à s'intégrer dans la dynamique des NTIC en proposant à la clientèle une offre accessible et sur mesure. Ce renforcement du modèle de distribution multicanal a un double objectif : la première est de coordonner les modes d'accès au client et de contrer l'offensive de nouveaux acteurs spécialisés dans la distribution des produits financiers (sociétés de transfert d'argent, entreprises de télécommunication, Microfinance, fintech, etc.) ; la seconde, accroitre le PNB et réduire les coûts liés à la distribution physique des produits et services. Toutefois, l'analyse de certains indicateurs du marché bancaire camerounais mitige les résultats de cette stratégie. Même si les paiements dématérialisés sont devenus la règle et que les usages mobiles se généralisent, la part des clients se rendant en agence au moins une fois par mois reste élevée (99%), les services offerts par les nouveaux canaux ne correspondent pas toujours aux attentes de ces derniers (Seck13(*), 2009). Et pour la plupart des clients, leur expérience multicanal, à côté de la crainte généralement suscitée par l'utilisation des TIC n'est pas toujours satisfaisante14(*). En outre, en dépit de l'évolution ascendante du volume des dépôts et des crédits bancaires ces dernières années, les besoins de financement des clients restent importants et le taux de bancarisation n'excède pas 15%15(*) ; le taux d'intermédiation moyen des banques se situe à 75,6% pour un taux global de créances douteuses de 9,63%16(*).Avec une moyenne de 18 agences bancaires (et de 35 GAB) par établissement dans un contexte où l'on évoque la surliquidité du système bancaire17(*), les clients s'estiment sous équipés par rapport à leur demande et la qualité de service perçue des différents canaux reste relativement faible. Si pour la Commission Bancaire de l'Afrique Centrale18(*) (COBAC), la majorité des banques de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) semblent solvables, rentables, et au mieux liquides, elles ne parviennent pas à satisfaire les énormes besoins de financement de l'économie et n'offrent pas tous les services financiers demandés par les populations. Ce constat de contre-performance générale sur le marché bancaire est valable pour la SCB Cameroun dont le multicanal constitue la clé de voute de sa stratégie commerciale. En effet, sur les derniers exercices, à côté de l'indisponibilité récurrente des canaux numériques notamment mobile et Internet, le canal GAB a enregistré un résultat net négatif. Ce qui traduit à priori une offre de produits et services souvent inadaptée, une connaissance client (segmentation de la clientèle et plan de maillage) inefficace ou une mauvaise intégration des différents canaux de distribution etc. * 1 AVOM D. et S. M.-L. EYEFFA (2007) « Quinze ans de restructuration bancaire dans la CEMAC : qu'avons-nous appris ? », Revue d'économie financière, Vol.87, N°89, Pp. 183-200. * 2 Exposé avec plus de détail en annexe 1. * 3Ces dernières années, on a noté 2non seulement l'arrivée de nouvelles banques sur le marché, mais aussi l'émergence de sociétés proposant d'autres services financiers (Microfinance, transfert d'argent, capital-risque, crédit-bail, entreprises de télécommunication etc.). * 4Le SMB a été instauré par un arrêté du Ministre des Finances le 13 Janvier 2011. Il prescrit la gratuité d'un bouquet de 15 services délivrés aux particuliers afin de réduire les coûts d'accès aux services bancaires. * 5EONNET, Y. (2016), « Services financiers en Afrique : la déferlante du mobile », Banque et Stratégie, N°349, Pp.6. * 6 VILLAIN, F. (2016), « Digital, FinTech... Le changement de modèle des banques, c'est maintenant ? », Revue Banque, N°798, Pp. 15. * 7 LA VILLARMOIS O. (1999), « Évaluer la performance des réseaux bancaires : la méthode DEA ». Décision Marketing, N°16, Pp.39-51. * 8FRANZA M. et D. VILLATES (2009), « Les consommateurs, les TIC et la banque », Horizons bancaires, N°339, Pp 12-19. * 9Banque Africaine de développement (2013), « Le mobile banking au service de l'inclusion financière ». * 10GSM Association (2014), « Les services financiers mobiles destinés aux personnes non bancarisées en 2014 ». * 11 Ou encore M-banking. Il s'agit de la mise à disposition / transfert des fonds via un téléphone portable. * 12Boston Consulting Group (2015), « Africa blazes a trail in mobile money ». * 13SECK A.M. (2009), « Qualité de service et satisfaction du client dans un contexte de distribution de services multi canal : une étude exploratoire dans le secteur bancaire », 8th International Marketing Trends Congres, Paris. * 14 Seuls 21% des clients bancaires sont satisfaits des prestations des banques camerounaises (KPMG, 2015). * 15A peu près 14% si l'on considère uniquement le secteur bancaire. 26% si l'on intègre l'activité Microfinance. (Statistiques de l'Association Professionnelle des Etablissements de Crédits du Cameroun (APECCAM) 2015). * 16Données du marché bancaire Camerounais (Conseil National du Crédit, Décembre 2014). * 17BEGUY O. (2012), « Trois essais sur la surliquidité bancaire dans la CEMAC », Thèse de doctorat soutenue à l'université Clermont Ferrand. * 18Rapport d'étude COBAC (2007), « Les déterminants de l'efficacité des banques commerciales de la CEMAC ». |
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