Conclusion
La présente étude s'est penchée sur
l'intérêt des biculturels dans la résolution des conflits
entre maison-mère et filiale.
Les deux entités ayant en général des
objectifs conflictuels, leur gestion est donc complexe. Pour ce faire, il
convient que les médiateurs comprennent les différentes
interactions culturelles afin de favoriser les consensus (Hong, 2010).
Être capable d'utiliser le changement de cadre culturel mais
également d'assimiler les différences émotionnelles,
cognitives et comportementales des individus permet d'être plus flexible
concernant les différentes méthodes de résolution des
problèmes (Friedman & Liu, 2009).
Les multinationales peuvent être organisées de
différentes manières et les filiales peuvent avoir
différents niveaux de dépendance vis-à-vis du
siège. Ces disparités entrainent des écarts entre les
différents conflits à gérer et impactent le rôle des
individus chargés de régler les conflits. Ceux-ci peuvent
être vecteurs de solutions, interprètes, négociateurs ou
encore arbitres.
Parmi les différents profils présents dans une
entreprise, nous avons jugé intéressant de nous pencher sur les
individus biculturels. En effet, les chercheurs ont identifié les
biculturels comme étant plus sensibles aux différences
culturelles, ce qui leur confère une meilleure adaptabilité et
une plus grande flexibilité comportementale. Ils peuvent ainsi stimuler
l'efficacité et la créativité au sein de l'entreprise. Les
biculturels, dans leur rôle de boundary spanner, sont donc
invités à favoriser les échanges entre siège et
filiale. Ceux-ci permettent le développement d'un sentiment
d'égalité entre les deux entités.
Les expatriés et les impatriés de longue date
peuvent également être des biculturels. Ils auront tendance
à renforcer les liens existants entre siège et filiale et
permettent une communication plus efficace entre les deux parties. Le fait de
connaître physiquement un grand nombre des individus impliqués
dans le conflit et d'avoir des intérêts communs à la fois
avec le siège et avec la filiale en fait des médiateurs
privilégiés car ils ont généralement
développé des relations de confiance avec
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ces individus. De plus, ayant une meilleure connaissance des
enjeux locaux, le siège sera plus à même de prendre des
décisions cohérentes avec la réalité de la filiale
(Kim & Mauborgne, 1993).
Chaque entreprise a un caractère organisationnel
propre, représenté par des cultures de relations
interpersonnelles et certaines normes comportementales informelles. Schotter et
Beamish (2011) ont relevé que les personnes qui ne correspondent pas
à ces cultures individuelles ont tendance à quitter rapidement
l'entreprise. En effet, les conflits peuvent conduire au licenciement ou au
départ volontaire d'éléments clé pour l'entreprise,
y compris les directeurs de filiales.
Le rôle des directeurs de filiales et des managers
biculturels est pourtant primordial dans la résolution des conflits
survenant entre siège et filiale. En effet, les responsables biculturels
sont censés avoir développé une complexité
cognitive importante, ce qui leur permet d'élargir leur champs
conceptuel (Friedman & Liu, 2009 ; Lakshman, 2013). Ils pourraient donc
relever plus facilement les défis auxquels ils sont confrontés,
grâce à une plus grande créativité et à une
plus grande efficacité, comparé aux responsables monoculturels.
Friedman et Liu (2009) relèvent une flexibilité
émotionnelle chez les managers biculturels, leur permettant de limiter
les prises de décision hâtives dues au stress. La communication au
sein des équipes serait également facilitée grâce
à une volonté d'inclusion des divers intérêts de
chacun (Kane & Levina, 2017 ; Lisak et al., 2016).
Les conflits pouvant survenir sont divers et peuvent avoir
différents impacts sur l'entreprise, aussi bien négatifs que
positifs. En effet, pour ne citer que quelques exemples, ces conflits peuvent
être la cause d'échecs commerciaux ou de frein aux innovations
mais peuvent également permettre aux individus et à l'entreprise
de se remettre en question et d'évoluer. On observe par ailleurs des
conséquences des conflits sur les relations entre les individus au sein
de l'entreprise. Ceux-ci auront par exemple tendance à développer
des comportements dysfonctionnels. En effet, les individus ou les
entités de l'entreprise peuvent être tentés de suivre leurs
buts individuels plutôt que les buts organisationnels (Ruekert &
Walker, 1987). Cependant, devoir gérer des conflits permettrait
d'améliorer la communication intra-organisationnelle et de mieux
équilibrer la répartition du pouvoir (Coser, 1956). Finalement,
les actions des individus lors de la gestion des conflits peuvent influencer
positivement ou négativement leurs relations avec l'ensemble de leurs
collaborateurs, y compris les responsables de la filiale.
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Grâce aux éléments
développés dans le présent document, on constate qu'il est
possible pour les biculturels de gérer les conflits culturels de
manière à en faire une force pour l'entreprise. Il faut pour cela
que tous les acteurs soient impliqués dans une dynamique de
résolution du conflit. La transparence et la communication sont des
éléments clés dans cette résolution.
Les implications de ce document sont multiples. Tout d'abord
nous invitons les entreprises et les individus biculturels à prendre
conscience des capacités de médiateurs de ces derniers dans des
conflits interculturels. Ensuite, nous avons constaté que le rôle
du biculturel diffèrera selon la structure organisationnelle de
l'entreprise et le type de filiale engagée dans le conflit. Nous
invitons les biculturels à s'appuyer sur la confiance que leur accorde
leurs collaborateurs pour créer des ambiances favorables à la
résolution des conflits. Le profil unique des biculturels leur permet de
faciliter la coordination et les communications intra-organisationnelles. La
coopération entre siège et filiale entraine des relations
harmonieuses entre eux et permettrait donc de limiter l'émergence de
conflits au sein de l'organisation.
Suite aux observations développées dans le
présent document, nous invitons les entreprises à utiliser les
ressources des différents biculturels présents dans l'entreprise
afin de faciliter la résolution des conflits entre maison-mère et
filiale. Ainsi, il pourrait être pertinent d'avoir des individus
biculturels au sein des équipes du siège et de la filiale,
notamment à des postes décisionnels. Cette démarche
pourrait être complétée par la mise en place
d'expatriations, à court et long termes, et d'impatriations. De plus,
nous rappelons que des individus seuls ne peuvent être réellement
efficaces s'ils ne sont pas soutenus par la direction générale de
l'entreprise.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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