II. Voies futures de recherche
A. Comment mesurer l'impact de ces conflits ?
Afin d'étudier au mieux les conflits entre siège
et filiale ainsi que l'intérêt des biculturels dans leur
résolution, il convient de pouvoir mesurer les impacts de ces conflits.
Ramsey et Bahia (2013) ont identifié plusieurs dimensions pour mesurer
la performance des filiales : le niveau financier, le niveau
opérationnel et l'efficacité globale.
- Le niveau financier mesure le retour sur investissement, le
retour sur actifs, le retour sur fonds propres, le retour sur ventes, la marge
brute ou encore la marge bénéficiaire et la croissance des ventes
à l'étranger
- Le niveau opérationnel prend en compte la part de
marché, l'efficacité, la productivité et la satisfaction
des employés
- L'efficacité globale, finalement, étudie la
réalisation des objectifs et la perception de la performance globale par
rapport à la concurrence
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L'approche la plus évidente pour mesurer l'impact d'un
conflit semble être l'approche financière, qui permet
effectivement une certaine évaluation des performances. Cependant, il
est difficile de chiffrer le coût d'un conflit, celui-ci ayant de
nombreuses conséquences indirectes. De plus, les bilans financiers ne
prennent pas en compte des paramètres tels que la réalisation des
objectifs stratégiques, l'efficacité opérationnelle et
organisationnelle, la satisfaction des performances ou les retombées
nettes (Arino, 2003).
La motivation financière semblant être le
principal facteur de développement d'une entreprise, il pourrait donc
être intéressant d'étudier l'impact financier des
biculturels dans la gestion des conflits.
Arino (2003) a constaté que l'efficacité
organisationnelle semble être une mesure plus complète de l'impact
des conflits. Celle-ci évalue en effet des objectifs organisationnels
plus larges, tels que le fait que le siège et les filiales ont chacun
des objectifs individuels, qui ne vont pas nécessairement dans le
même sens (Arino, 2003 ; Cosier & Rose, 1977). L'efficacité
organisationnelle mesure également l'intensité des conflits et
les stratégies de négociation (Schotter & Beamish, 2011), qui
affectent la capacité des deux parties à atteindre leurs
objectifs communs et individuels (Arino, 2003).
Des études sur l'efficacité globale des
entreprises lorsque des biculturels ont pris en charge la gestion des conflits
ou non pourraient donc être pertinentes pour faire suite à cette
étude.
B. L'étude de la TMS
Nous avons évoqué plus haut le rôle du
manager biculturel sur l'amélioration des systèmes de
mémoire transactive des équipes (Dau, 2016). Le système de
mémoire transactive peut également être
désigné par TMS, pour Transactive Memory System.
La mémoire transactive est « un système de
traitement de l'information de groupe » (Wegner, 1987). Elle permet aux
groupes de générer, transmettre, stocker et accéder
à des connaissances communes (Dau, 2016). Selon Wegner (1995), un
système de mémoire transactive se compose des connaissances
stockées dans la mémoire de chaque individu, combinées
à une « métamémoire » contenant des informations
concernant les différents domaines d'expertise des coéquipiers.
Lors de
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la phase de Récupération, si les informations
collectées sont exactes et utiles, le lien avec le membre
possédant des connaissances spécialisées est
renforcé.
La théorie de la TMS est facilement observable en
pratique, dans un groupe où chaque individu à un rôle
précis. Lorsqu'une information parvient à ce groupe, elle ne sera
retenue que part le ou les individus directement concernés par cette
information. Si un membre du groupe a besoin de cette information pour la
réalisation d'une tâche, il pourra alors consulter la personne
spécialisée dans ce domaine. D'après Wegner (1995), la
récupération et la coordination des connaissances grâce
à la TMS sera fiable et sans friction. Cette répartition des
connaissances permet donc d'éviter les pertes de qualités des
données tout au long du processus (Wegner, 1987, Wegner, 1995).
La performance des équipes peut donc être
influencée par l'utilisation de la TMS (Choi et al. 2010 ; Dau,
2016 ; Mell et al., 2014). En effet, la TMS permet d'améliorer
la coordination et le travail d'équipe entre des membres aux
capacités cognitives diverses (Brandon & Hollingshead, 2004 ;
Choi et al., 2010 ; Mell et al., 2014, Wegner, 1995).
Il pourrait être intéressant d'étudier
l'impact de la gestion de la TMS lors de relations conflictuelles entre
siège et filiale. Des études sur le lien entre manager
biculturel, gestion de la TMS et résolution des conflits pourraient
également être pertinentes.
C. La diversité des individus biculturels
Cette étude s'est concentrée sur les individus
biculturels dans leur ensemble, en s'appuyant sur des
généralités. Cependant, nous estimons que chaque individu
est unique et qu'il conviendrait de s'attarder sur les différences
existantes entre les biculturels. En effet, selon sa personnalité, un
individu biculturel n'aura pas nécessairement la même gestion des
conflits.
Clausen et Hvass Keita (2016) et Dau (2016) ont relevé
plusieurs éléments pouvant distinguer les individus biculturels,
tels que les différences de perception des biculturels par
eux-mêmes, s'ils prennent conscience de leurs atouts ou non ou l'impact
des environnements professionnels et culturel sur leurs comportements.
Ainsi, concernant les différences de perception que les
individus ont d'eux même, Dau (2016) distingue quatre catégories :
les biculturels qui ont conscience de leur biculturalité, les
biculturels qui n'en ont pas conscience, les monoculturels qui se
considèrent comme biculturels et les
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monoculturels se voyant comme tels. De plus, les individus
biculturels ont une intégration de leur identité
différente, selon s'ils considèrent que les deux cultures qu'ils
ont intégrées sont compatibles ou non (Benet-Martínez
et al., 2002 ; Dau, 2016 ; Hsu & Livingston, 2014 ; Mok et
al., 2010).
Le tableau suivant, conceptualisé par Dau (2016)
résume ces observations :
Figure 3 Relation entre les concepts de Biculturalisme
et d'Intégration de l'Identité Biculturelle (BII)
Ainsi, Dau (2016) propose que les individus biculturels qui
perçoivent leurs deux cultures comme étant en harmonie
(biculturels harmonieux) ont le plus grand impact positif sur la TMS de
l'équipe, et donc sur les performances de celle-ci, tandis que les
individus biculturels qui perçoivent leurs deux cultures comme
étant en conflit l'une avec l'autre (biculturels discordants) n'auront
un impact que minime. Benet-Martínez et al. (2002) notent quant
à eux que le degré d'intégration de l'identité
culturelle influe directement sur la capacité à changer de cadre
culturel.
Un prolongement de l'étude de Dau concernant les
différences entre biculturels harmonieux et biculturels discordants
pourrait s'intéresser aux différences d'impacts de ces deux
catégories sur les conflits entre siège et filiale. Il pourrait
également être pertinent d'appliquer ce prolongement aux
différences d'efficacité dans la gestion de conflits selon si les
individus sont dissonants
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(biculturel se croyant monoculturel ou monoculturel se croyant
biculturel) ou en harmonie avec eux-mêmes (biculturel ou monoculturel se
voyant comme tel).
Dau (2016) note également que la personnalité
des individus peut être un axe de différenciation entre les
biculturels et jouer un rôle dans leur efficacité au sein d'une
équipe. Ainsi que nous l'avons abordé précédemment,
Schotter et Beamish (2011) considèrent la personnalité des
individus comme une des sources potentielles de pouvoir dans les
organisations.
Goldberg (1981) propose cinq traits principaux de la
personnalité dans sa théorie des Big Five. L'ouverture à
l'expérience, la conscienciosité, l'extraversion,
l'agréabilité et le névrosisme constituent selon lui cinq
points essentiels de différenciation entre les individus. Nous avons vu
au cours de cette étude que les individus biculturels ont tendance
à être plus ouverts aux expériences que les individus
monoculturels. Il pourrait toutefois être intéressant de se
pencher sur l'impact de la variation de ces cinq caractéristiques sur
l'efficacité des biculturels à résoudre les
différents conflits.
Clausen et Hvass Keita (2016) ont quant à elles
distingué les biculturels conscients de leurs atouts de ceux qui n'en
avait pas conscience. Les chercheuses ont ainsi noté que les biculturels
conscients de leurs atouts étaient capables de transformer ceux-ci en
véritable ressource pour l'entreprise. Ainsi, on peut supposer que les
biculturels conscients de leurs compétences uniques seront positivement
reconnus et considérés au sein de leurs entreprises. Le
rôle de cette prise de conscience sur l'influence des biculturels au sein
d'une gestion de crise serait un autre point pertinent à explorer.
On note également dans la littérature certaines
mentions faites sur l'influence de leur environnement sur les comportements des
individus. Ainsi Lahire (2004) étudie le phénomène de
dissonance culturelle. Selon le sociologue, le comportement des individus varie
selon le secteur culturel auquel ils sont confrontés. Lahire
relève également que les pratiques effectives des individus
peuvent différer de leurs préférences selon le cadre dans
lequel ils évoluent.
Il pourrait être intéressant de se pencher sur
les différences d'efficacité des individus biculturels selon les
pays où la filiale et le siège sont implantés, selon la
taille de l'entreprise ou encore selon la composition des équipes au
sein desquelles ils évoluent. Par exemple, concernant les
différences de composition des équipes, celles-ci peuvent
être au choix multiculturelles, biculturelles ou
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monoculturelles. Selon leur composition et selon si le
biculturel a intégré deux, une ou aucune des cultures de
l'équipe, son influence sur la résolution des conflits pourrait
être variable.
D. Le recours à des missions internationales
plus courtes et bidirectionnelles
Nous avons étudié précédemment
l'intérêt de l'expatriation et de l'impatriation. Cependant,
certains auteurs ont mis en avant le fait que les expatriations de long terme
pouvaient être complétées par des missions de court terme
et bidirectionnelles (Duvivier et al., 2009). Celles-ci permettraient
de compenser les inconvénients de l'expatriation de long terme et de
faciliter le transfert de connaissances entre le siège et la filiale.
Les chercheurs incitent donc les entreprises à diversifier les missions
à l'international à s'assurer que celles-ci s'enchainent afin
d'optimiser leur efficacité. Les individus expatriés pour une
courte période ne sauraient être considérés comme
biculturels de part cette simple expérience. Cependant, envoyer des
biculturels pour ces missions courtes pourrait avoir un impact positif sur les
relations entre siège et filiale. Ainsi il pourrait être pertinent
de s'interroger sur les différences entre l'influence des
expatriés long terme d'une part et des expatriés court terme
d'autre part sur la gestion des relations conflictuelles
intra-organisationnelles.
E. L'impact de la confiance sur l'influence des
biculturels
Nous avons évoqués plus haut le rôle
joué par le développement d'une confiance mutuelle entre les
parties en conflit. Cependant, il conviendrait de s'interroger sur plusieurs
points concernant le développement de la confiance entre les individus
dans le cadre de relations multiculturelles.
Dans la continuité des recherches de Mlaiki et Kefi
(2013) ainsi que de Wang et al. (2020), nous nous interrogeons sur les
sources de la confiance développée entre une filiale et son
siège ainsi qu'entre les individus provenant des deux entités. On
pourra également se pencher sur les potentiels impacts (positifs et
négatifs) sur la confiance que pourrait avoir un individu biculturel.
L'impact de l'asymétrie d'information et de l'asymétrie de
confiance dans le cadre de négociations conflictuelles pourrait
également des points à soulever. Dans la mesure où l'on
observe des gradations dans la méfiance développée entre
deux parties, il pourrait être intéressant de se
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questionner sur l'impact du biculturel selon le degré
de méfiance régnant entre filiale et siège en conflit.
Finalement, nous pouvons nous interroger sur la manière dont les
individus biculturels peuvent mettre à profit la confiance qui leur est
accordée pour convaincre sans contraindre.
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