La confiance en l'administrationpar Anthony LANGOUREAU Université Jean Moulin Lyon 3 - Droit Public fondamental 2019 |
Paragraphe 1- La complexification du droitLa complexification n'est pas un problème nouveau. Nous connaissons les difficultés qu'engendre un système juridique nébuleux, cela nuit à la lisibilité du droit (A) mais également à la compréhension de l'action administrative (B). A- Un droit de plus en plus illisiblePlusieurs facteurs ont contribué à rendre notre système juridique illisible pour le commun des mortels. Le premier mal dont souffre l'appareil juridique français est le trop grand nombre de normes en vigueur. En France, il existe une multitude de sources du droit. Le législateur doit prendre en compte l'ensemble de ces sources lorsqu'il élabore une loi comme l'article 55 de Constitution106(*) l'impose. Cela contribue à complexifier le droit puisque le législateur doit intégrer des techniques juridiques issues de droits qui sont parfois très différents du nôtre et souvent inconnus par les citoyens. De ce fait, cela renforce le faussé qui existe entre les pouvoirs publics - à même de comprendre le droit - et les usagers, qui n'ont pas cette culture juridique leur permettant de comprendre le droit européen ou international. En outre, l'inflation normative, correspondant au phénomène d'accroissement du nombre de normes de droits applicables, contribue également à complexifier le droit national. Bien que le nombre de lois votées par le Parlement soit en baisse, ce chiffre est passé de 46 lois promulguées pour l'année 2006-2007107(*) à 37 pour la session 2019-2020108(*), le nombre de normes en vigueur ne cesse d'augmenter. La nécessaire intégration du droit communautaire en est d'ailleurs une des principales causes. Effectivement, au terme de l'article 88-1 de la Constitution, « la République participe aux communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences ». Par conséquent, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre 2004109(*), en a déduit que cet article consacrait « l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international ». Cela signifie logiquement que les règles issues du droit communautaire sont directement invocables en droit Français, mais, également que l'État français a l'obligation de transposer une directive européenne sous peine de se voir engager sa responsabilité110(*), ce qui conduit mécaniquement à augmenter le volume normatif. L'Étude annuelle du Conseil d'État sur la simplification et la qualité du droit111(*), en date de 2016, soulignait également que les progrès technologiques et, plus largement, la complexification du monde et des rapports sociaux rendent le droit de plus en plus exigent. Pour tenir compte du développement technologique, le droit s'est complexifié pour pouvoir prendre en compte le plus de situations possibles. En plus de tous ces facteurs, il faut ajouter l'augmentation de la longueur des textes. En effet, en 2018, lors de son étude sur l'inflation normative112(*), le Conseil d'État a mis en lumière l'augmentation croissante du nombre moyen d'articles et de mots par loi et ordonnance. En 2017, le nombre d'articles par loi était de 1 196 et le nombre de mots de 397 315113(*). Cette étude prend également l'exemple de l'article 219 du code général des impôts fait, à lui seul, 5 445 mots, soit dix pages de traitement de texte. Dans ce contexte de complexification du droit, l'usager se sent de plus en plus mis à l'écart. Il ne comprend pas les tenants et aboutissants du droit français. Ces difficultés pour appréhender le système juridique français favorisent l'insécurité juridique de l'usager. C'est également une difficulté pour le juge qui doit rendre un jugement malgré la complexité du droit, sous peine de se rendre coupable de déni de justice114(*). * 106 Article 55, Constitution du 4 octobre 1958, « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. ». * 107 Synthèse des travaux des commissions permanentes, 30 septembre 2006. * 108 Statistiques de l'activité parlementaire , Session 2019-2020 (1er octobre 2019- 30 avril 2020. * 109 Décision n°2004-505 DC du 19 novembre 2004, sur le Traité établissant une Constitution pour l'Europe. * 110 Conseil d'Etat, Ass, 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products et S.A. Philip Morris France. * 111 Etude annuelle , Conseil d'État, « simplification et qualité du droit », 2016. * 112 Etude ,Assemblée générale du Conseil d'État , « mesurer l'inflation normative, 3 mai 2018. * 113 Annexe 1 p. * 114 Article 4, Code civil , « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». |
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