La confiance en l'administrationpar Anthony LANGOUREAU Université Jean Moulin Lyon 3 - Droit Public fondamental 2019 |
Paragraphe 2 : La transparence : un principe majeur de l'administration françaiseLa transparence est un moyen de renforcer le lien de confiance entre les citoyens et l'administration65(*). Permettre au public d'accéder aux décisions prises par l'administration et en comprendre les motifs sont des moyens de lutter contre le secret administratif, obstacle à l'instauration d'une relation saine entre l'administration et ses usagers. Il s'agit d'un constat compris très tôt en France. Ainsi, dès le début du XXe siècle, Maurice Hauriou estimait déjà que « la conscience moderne exige que l'administration agisse au grand jour. [On a], pendant trop longtemps, toléré des décisions secrètes. Maintenant, on veut que toutes ses décisions et toutes ses actions soient publiques et l'on a le sentiment que ce qui n'a pas été fait publiquement n'est pas régulier »66(*). C'est également la raison pour laquelle dès les années 1970 une série de lois ont été adoptées pour permettre d'instaurer une plus grande transparence de la part de l'administration. Tout d'abord, la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'information aux fichiers et aux libertés, est une étape majeure puisqu'elle crée la Commission Nationale de l'informatique et des Libertés (CNIL), autorité administrative indépendante chargée d'une mission de protection des droits et de l'information du public. Cette dernière répond aux demandes des usagers concernant le traitement de leurs droits et obligations. Ensuite, la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public, a introduit en France le droit de toute personne à l'information, c'est à dire au libre accès aux documents administratifs. Pour permettre aux citoyens d'exercer au mieux ce droit, cette loi a institué la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), autorité administrative indépendante chargée de faciliter et de contrôler l'accès des particuliers aux documents administratifs. La CADA peut être saisie lorsque l'administration refuse de transmettre un document. La commission formule alors un avis, non contraignant, sur la décision de refus de l'administration, qu'elle transmettra à l'administré ainsi qu'à l'administration. Dans les faits, l'administration ne s'oppose que très rarement aux avis de la CADA. Enfin, la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, doit également être cité puisqu'elle reconnaît aux personnes physiques ou morales un droit d'être informé sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables les concernant. Aujourd'hui les règles relatives à la communication et à la motivation des documents administratifs sont codifiées dans le code des relations entre le public et l'administratif en date du 1er janvier 2016. Ce code reprend les principes posés par le législateur il y a maintenant quarante-deux ans. Toutefois, la codification a permis de préciser les règles concernant la communication des documents. Elle reconnaît un droit d'accès aux documents administratifs67(*). Néanmoins, ce Code précise également quels sont les documents ayant le caractère de documents administratifs68(*). Par conséquent, c'est la qualification de « document administratif » qui entraîne ou non le droit à communication. Ainsi, l'administration ne sera pas dans l'obligation de communiquer un document n'ayant pas cette qualité. Par conséquent, une grande quantité de documents n'est pas communicable. Nous verrons que cette exigence de transparence a permis de transformer l'action publique et d'améliorer la garantie des droits des citoyens (A). Néanmoins, il conviendra également d'analyser que cela n'a pas conduit à la suppression de la pratique du secret administratif (B). A- La transparence : entre amélioration de la qualité du service et des garanties des citoyens La transparence a contribué à transformer
l'action administrative pour permettre une meilleure protection des droits
Tout d'abord, ces règles participent à la mise en place effective du principe d'égalité. Par exemple, en ce qui concerne le recrutement des agents, la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui modifie la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, prévoit désormais que « le recrutement d'agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents est prononcé à l'issue d'une procédure permettant de garantir l'égal accès aux emplois publics ». Pour permettre l'égalité des chances dans l'accès au fonctionnariat, l'administration a l'obligation de publier un avis de vacance ou de création d'emploi comportant une fiche de poste. La fiche de poste est destinée à préciser les missions du poste ainsi que les qualités requises pour l'exercice des fonctions. Il s'agit pour la collectivité de définir ses besoins le plus précisément possible en assurant une transparence par la publicité de l'avis de vacance ou de création d'emploi afin d'éviter tout favoritisme. En effet, le fonctionnaire est recruté selon des critères précis dont il a la connaissance lorsqu'il postule à l'emploi par souci d'équité entre les candidats. En ce qui concerne la commande publique, la logique est la même : l'administration doit publier des critères de sélection très précis pour assurer une égalité entre les candidats. Ensuite, l'accès du public aux documents administratifs ainsi que l'obligation de motivation des actes administratifs contribuent à l'impartialité, à la neutralité et à l'objectivité de l'action publique. La transparence permet de mettre fin aux soupçons de corruption ou d'arbitraire engendrés par l'opacité de l'action administrative. Désormais, les agents publics dont la fonction le justifie, lors de leurs nomination,69(*) ainsi que les responsables publics70(*), ont l'obligation d'effectuer des déclarations d'intérêt. La déclaration d'intérêt recense l'ensemble des activités, des fonctions, des mandats et des participations du déclarant. Elle a pour objet d'éviter tout conflit d'intérêt et ne laisse place à aucun doute concernant la corruption de l'administration. La loi du 11 octobre 2013 concernant les responsables publics a créé la Haute autorité de la transparence de la vie publique, qui est une autorité administrative indépendante chargée de contrôler et de publier les déclarations d'intérêts de ces derniers. L'objectif est de ne laisser place à aucun sentiment de défiance envers l'action publique. La transparence, au travers du droit d'accès aux documents et de la motivation des actes administratifs, permet également au citoyen d'exercer ses droits fondamentaux. Le Conseil d'État l'a d'ores et déjà souligné : le droit d'accès aux documents administratif est une garantie fondamentale pour l'exercice des libertés publiques71(*), et, à ce titre, le citoyen bénéficie d'une protection particulière. Avoir accès aux documents administratifs et comprendre leurs motifs est primordial pour contester une décision préjudiciable ou encore revendiquer un droit acquis. L'exigence de transparence a favorisé l'amélioration de la qualité de l'action administrative. La publication des recrutements, des achats ou encore des comptes publics a permis d'inciter l'administration à adopter une attitude plus vertueuse. De plus, l'exigence de motivation des décisions, issue de la loi du 11 juillet 1979, a aidé les administrés à mieux comprendre les tenants et aboutissants des décisions administratives. En dernier lieu, la transparence permet de se conformer aux exigences constitutionnelles de l'article 15 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Il est indéniable que cette évolution vers plus de transparence a contribué à transformer l'action administrative. Elles ont favorisé le respect des exigences de « bonne administration » issu de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux mais également renforcé la confiance des citoyens. Néanmoins, le droit français n'a pas instauré une transparence totale de l'administration. Le secret administratif reste, malheureusement, encore très présent. B- Un principe mis en balance avec l'exigence du secret administratif Tout d'abord, il convient de rappeler que tous les documents ne sont pas communicables. En 2016, lors de la codification des règles administratives, le législateur a fait le choix de ne rendre communicable que les documents qualifiés de « document administratif ». Sont considérés comme tel : les dossiers, les rapports, les études, les comptes-rendus, les procès-verbaux, les statistiques, les instructions, les circulaires, les notes et réponses ministérielles, les correspondances, les avis, les prévisions, les codes sources et décisions produites ou reçues, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé, chargées d'une telle mission72(*). Ce droit à communication ne s'applique pas aux
documents inachevés, de plus, il ne concerne pas les documents
préparatoires à une décision administrative73(*). De ce fait, il convient de
conclure que le droit à l'accès aux documents, tel qu'il est
inscrit dans le code des relations entre le public et l'administration, n'est
pas un droit absolu car Finalement, la question est de savoir dans quel but la France a fait le choix de conserver une certaine forme de secret administratif. Le législateur n'a pas souhaité mettre en place un droit absolu à la communication des documents puisqu'il a toujours estimé qu'une trop forte transparence aurait des effets négatifs sur l'administration. Un excès de transparence peut nuire à l'action administrative et ralentir son action. Lorsqu'un fonctionnaire est soumis à une exigence de publication trop importante, il fait preuve de retenue excessive. C'est l'une des idées principales qui permet le maintien du secret administratif pour les actes préparatoires75(*), les délibérations du gouvernement76(*) ou encore les documents inachevés77(*). Le secret administratif est également perçu comme un outil permettant de protéger d'autres intérêts fondamentaux, notamment ceux de la nation, de la défense, de la sécurité ou encore de l'économie. Le législateur a fait le choix de garder secret certains documents dans l'intérêt général. Il a estimé lors de la rédaction de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 que la communication de certains documents pourrait menacer la concorde nationale en raison du caractère sensible de leur contenu. Cette volonté de garder le secret concernant certains documents sensibles a conduit notamment à l'instauration en 2016 d'un statut relatif aux « lanceurs d'alerte ». Les lanceurs d'alerte sont des personnes ou groupe de personnes qui, ayant connaissance d'un danger, d'un risque ou d'un scandale, adressent un signal d'alarme et enclenchent un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation collective. La loi dite « Sapin 2 » dispose que « les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte »78(*). De plus, la limitation de la transparence de l'administration
se justifie par le fait que la société numérique contribue
à multiplier les sources de diffusion des données. Ainsi,
l'accumulation du volume d'informations serait contre-productive et
engendrerait Le secret administratif est donc nécessaire au bon fonctionnement de l'administration. C'est la raison pour laquelle, lors de son intervention, Jean-Marc Sauvé a souligné la nécessité de concilier transparence et secret administratif, deux préceptes inhérents à l'action administrative. L'un contribue à l'efficacité de l'action administrative et le second à la satisfaction de l'intérêt général. En revanche, selon lui, il est nécessaire de clarifier les obligations de transparence et de secret qui s'imposent à l'administration et à ses agents. C'est pourquoi il souligne l'apport du code des relations entre le public et l'administration, en date du 1er janvier 2016, qui définit clairement quels documents sont communicables et ceux qui ne le sont. Toutefois, il déplore qu'il n'existe toujours pas de définition claire du secret administratif. Quoiqu'il en soit, il existe un domaine dans lequel la transparence, au travers du droit à l'information, est un principe fondamental. C'est pourquoi il convient de s'y intéresser en détail pour comprendre en quoi la transparence permet de rapprocher l'administration de ses usagers. * 65 J. Chevallier, note 3, et B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, La transparence administrative, PUF, 1987. * 66 Maurice Hauriou, note sous le Conseil d'État 27 mars 1914, Laroche, Siret 1914, n°3, p97. * 67 Art L300-1, Code des relations entre le public et l'administration * 68 Article L. 300-2 ,Code des relations entre le public et l'administration * 69 Article 3 Loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. * 70 Article 4 Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. * 71 Conseil d'État , 29 avril 2012, M. Gabriel Ullmann,req. N° 228830. * 72 Article L300-2 CRPA * 73 Article L. 311-2 * 74 Article 6 loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, loi portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal. * 75Le Conseil d'État a notamment jugé qu'un rapport commandé à l'IGA et la Direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur en vue de réformer l'organisation du service des étrangers sans le préfectures était un document préparatoire à la réforme envisagée et, par conséquent, ne pouvait être communiqué avant l'intervention de cette réforme, Conseil d'État, Ministre de l'intérieur c. Association GISTI, 9 juillet 2003, n° 243246. * 76 Article 6 loi n°78-753 du 17 juillet 1978. * 77 Conseil d'État Sect., 11 février 1983, Ministre de l'urbanisme c. Atelier libre d'urbanisme de la région lyonnaise, REC. 56, confirmé par Conseil d'Etat Sect., 23 décembre 1988, Banque de France c. Huberschwiller, REC. 464. * 78 Article 6 , loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ,relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. |
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