La confiance en l'administrationpar Anthony LANGOUREAU Université Jean Moulin Lyon 3 - Droit Public fondamental 2019 |
Paragraphe 2 - l'élargissement du champ des rescrits fiscauxLa loi ESSOC a également introduit de nouvelles formes de rescrit (A). Cela nous conduit à nous intéresser au contrôle de légalité de cet outil (B). A- La création de nouveaux rescrits fiscauxL'idée de développer la procédure du rescrit fiscal n'est pas nouvelle. Déjà, dans un rapport de 2013128(*), le Conseil d'État militait en faveur de l'élargissement du recours au rescrit dans de nouveaux domaines fiscaux, en raison de son influence positive sur la sécurité juridique. La loi ESSOC a, par exemple, instauré de nouveaux rescrits fiscaux en matière d'urbanisme. L'article 21 de la loi intègre dans le code de l'urbanisme quatre nouveaux rescrits propres au droit de l'urbanisme129(*). Désormais, le contribuable pourra demander à l'administration de l'État chargée de l'urbanisme dans le département de prendre une position formelle sur l'application à sa situation des règles relatives à la taxe d'aménagement130(*), au versement pour sous-densité131(*), à la taxe pour la création de bureaux en Ile-de-France ainsi qu'à la redevance d'archéologie132(*). L'article 22 de la loi dispose qu' « à titre expérimental, pour certaines des procédures de rescrit mentionnées à l'article 21, le demandeur peut joindre à sa demande un projet de prise de position. Celui-ci est réputé approuvé en l'absence de réponse de l'administration dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande ». Il s'agit là, à titre expérimental, de permettre aux administrés de soumettre à l'administration, lors de sa demande de rescrit, un projet de prise de position. Cela permet d'orienter le contribuable vers la procédure du rescrit en l'associant à l'interprétation de l'administration. En outre, ces innovations soulignent la volonté d'élargir le champ du rescrit dans le but de créer un climat de confiance entre l'administration et les contribuables. Le rescrit permet de sécuriser le contribuable dans ses démarches, puisqu'il aura reçu l'approbation de l'administration en amont, par conséquent, cela contribue indirectement à renforcer son sentiment de confiance envers l'administration. Toutefois, le développement de cette procédure a inévitablement amené les juridictions à s'intéresser au contrôle de légalité de ce mécanisme. B- le développement du contentieux du rescrit fiscal en faveur de la sécurité juridique Il n'existe aucun consensus sur la définition exacte et la nature juridique du rescrit en matière fiscale. Néanmoins, sous l'impulsion du droit européen, les juridictions se sont progressivement intéressées aux modalités de recours et au traitement juridique de ces décisions formelles émanant de l'Administration. Le Conseil d'État « a changé son fusil d'épaule » concernant le rescrit fiscal. Mais, sa démarche reste celle d'un protecteur de la sécurité juridique. Car, comme nous l'avions déjà précisé, la sécurité juridique est un vecteur de confiance : elle permet aux administrés de mieux appréhender le droit. Originellement, le Conseil d'État estimait que le rescrit fiscal ne pouvait pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Pour lui, le rescrit n'était pas une décision administrative pouvant faire l'objet d'un recours juridictionnel puisque ce dernier n'obligeait pas le contribuable à s'y conformer. La première évolution du statut du rescrit fiscal est intervenue dans un arrêt du Conseil d'État en date du 21 mars 2016. Dans cette décision, la Haute Cour a affirmé que le rescrit fiscal produisait des effets notables, comme d'autres actes de « droit souple », et qu'il pouvait « influer de manière significative sur le comportement de son ou ses destinataires ». Malgré tout, il refusa encore d'ouvrir le recours pour excès de pouvoir au rescrit fiscal. Mais, dans son arrêt Export-Press de la même année, le Conseil d'État a admis la possibilité de formuler un recours pour excès de pouvoir dans l'hypothèse où le contribuable se conformerait à la décision du rescrit et que cette action entraînerait « des effets notables autres que fiscaux », c'est à dire de « lourdes sujétions » qui affecteraient significativement sa situation économique. Il s'agit d'une ouverture partielle du recours pour excès de pouvoir à l'encontre des rescrits fiscaux. On peut aisément comprendre que le Conseil d'État ne souhaitait pas ouvrir de manière trop générale le recours pour excès de pouvoir puisque la vocation du rescrit est de « s'inscrire dans une démarche de concertation et de dialogue ». C'est en cela que le Conseil d'État fait preuve d'ingéniosité. Effectivement, en se refusant de créer un droit au recours trop général, il favorise la sécurité juridique puisqu'il ne met pas en péril l'objectif premier du rescrit, c'est-à-dire l'instauration d'un dialogue entre l'administré et l'administration. La jurisprudence de la Haute Cour s'inscrit dans la mouvance de la loi ESSOC, c'est-à-dire qu'elle permet de favoriser l'émergence d'une nouvelle relation de confiance. Nous verrons que le développement du rescrit fiscal n'est pas la seule innovation de la réforme du 10 août 2018. L'autre évolution introduite par la loi ESSOC est la mise en place d'un véritable droit à l'erreur. Section 2- La mise en place d'un véritable droit à l'erreur Le droit à l'erreur est introduit par la réforme du 10 août 2018. Il s'agit de permettre aux usagers de se mettre en conformité avec ses obligations juridiques sans faire l'objet d'une sanction pécuniaire ni d'une privation de prestation. Le droit à l'erreur s'articule autour de deux points : il constitue un droit conditionné (Paragraphe 1) qui, lorsqu'il est mis en oeuvre, fait naître un droit à la régularisation pour les administrés (Paragraphe 2). * 128Conseil d'État, Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets : EDCE, Doc. Fr., 2014, P. 192. * 129F. Versailles, « Loi pour un Etat au service d'une société de confiance : les dispositions fiscales majeurs », RFP, Octobre 2018, n°10, p. 2. * 130Article L. 331-20-1, Code de l'Urbanisme. * 131Article L. 331-40-1, Code de l'Urbanisme. * 132Article L. 524-7-1 Code de l'Urbanisme. |
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