§2. Historique et Essai de définition du Droit
de la Concurrence
Le droit de la concurrence moderne est indéniablement
influencé par les lois américaines. Ces premières lois
visant à contrôler les possibles abus de la liberté du
commerce et de l'industrie, plus connues sous la dénomination de lois
antitrust, virent le jour il y a plus d'un siècle. Celles-ci furent
adoptées à la fin du 19ème siècle et au
début du 20ème siècle par les Etats-Unis. La
première loi antitrust, le Sherman Act, fut votée en
1890 par le Congrès américain dans le but de diminuer le pouvoir
de marché des groupes de sociétés dominant
l'économie en interdisant les monopoles et les accords entre
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entreprises sur les prix et les parts du marché.
Ensuite, le Clayton Act ainsi que le Federal Trade Act et
la Federal Trade Commission datant tous trois de 1914 furent
adoptés afin de remédier aux insuffisances du Sherman Act
et d'interdire les fusions menant à des
monopoles.76
Ces lois antitrust donnèrent de grandes
possibilités au gouvernement américain qui se vit autorisé
à démanteler des entreprises, à interdire des fusions
entre entreprises ainsi qu'à empêcher les entreprises d'organiser
leurs activités de façon à rendre moins concurrentiel le
marché. Le droit antitrust américain est « le premier
à avoir proposé une vision globale d'un marché
conçu et utilisé comme un outil de régulation du
marché, fondé sur un principe exprimé de
liberté de la concurrence, et des outils permettant de faire respecter
ce principe » comme la grande affaire du démantèlement
du standard Oïl en avait été l'illustration.
En Europe, l'apparition de ce Droit est essentiellement
née de la fin de la seconde guerre mondiale, les Américains
avaient ainsi imposé une politique de « décartellisations
» dans la partie de l'Allemagne dont ils avaient la responsabilité,
contre les cartels qui avaient été considérés comme
un moyen de politique industrielle sur laquelle le pouvoir Nazi s'était
largement appuyé, de même ailleurs que dans l'Italie Fasciste,
plus largement l'instauration d'un système de Droit de la Concurrence
était par ailleurs une condition posée pour recevoir les
bénéfices du plan Marshall après la seconde Guerre
Mondiale. La Concurrence et le Droit de la Concurrence étaient alors
devenus un moyen économique de promotion de la démocratie
politique qui est devenue le modèle communautaire le pilier de la
démocratie Européenne née en 1953 par la CECA
(Communauté Européenne du Charbon et de l'Acide en 1957 avec la
CEE.
Aujourd'hui, le Droit de la Concurrence est dominé par
les juristes formés à l'analyse économique et par les
économistes formés au Droit. Ils se divisent en deux grandes
écoles :
Ø L'école structuraliste ou néoclassique
: pour cette école, le pouvoir du marché qui se définit
comme la capacité d'une entreprise à réaliser des choix
(changer la gamme, modifier ses prix, ...) sans
76 Lyes MESSAOUD-NACER, l'efficience
économique en droit de la concurrence : la norme concurrentielle
est-elle pertinente économiquement ? Master 2 Droit
Économique, Université Montpellier, 2016, p8-9
60
tenir compte des choix de ses concurrents et donc de pouvoir
maintenir durablement des prix élevés, dépend
étroitement de la structure du marché et du comportement des
opérateurs ;
Un marché concentré :
peu d'opérateurs protégés par des fortes barrières
à l'entrée est propice à un pouvoir de marché
important au détriment des consommateurs et les stratégies
anticoncurrentielles, ententes, ou abus de position dominante. La politique de
la Concurrence doit alors protéger les consommateurs soit par une action
préventive en limitant les concentrations à venir, voire en
cassant les concentrations existantes et à sanctionner les comportements
des opérateurs ;
Ø Pour le second, l'école de Chicago, le
pouvoir de marché ne dépend pas uniquement des structures de
marché mais surtout de la performance des opérateurs
économiques, par nature temporaire, laquelle résulte du processus
de Concurrence lui-même.
Par conséquent, les règles sanctionnatrices
devraient être adoucies voir supprimées pour certains, dans la
mesure où le marché permettra par lui-même de remettre en
cause les positions dominantes.
La notion de Concurrence peut donc être définie
selon le vocabulaire cornu comme « une compétition
économique ; l'offre, par plusieurs entreprises distinctes et rivales de
produits qui tendent à satisfaire des besoins équivalents avec,
pour les entreprises, une chance réciproques de gagner ou de perdre les
faveurs de la clientèle », « compétition sur un
marché dont la structure et le fonctionnement réponde aux
conditions du jeu de la loi de l'offre et de la demande, d'une part entre
offrants et d'autre part entre utilisateurs ou consommateurs de produits et de
services qui y ont libre accès et donc les décisions ne sont pas
déterminées par des contraintes ou des avantages juridiques
particuliers ».
Cette définition incarne des points dont nous pouvons
préciser :
a) La clientèle : la
clientèle est l'objectif à atteindre par les entreprises en
Compétition. La clientèle est d'ailleurs
rebaptisée « consommateurs » ou « intérêt du
consommateurs » ou « utilisateurs » selon les règles
de
61
Concurrence. L'intérêt du consommateur constitue
ainsi souvent un critère d'appréciation des règles de
Concurrence.
En Droit de la Concurrence, la clientèle est à
qui veut bien la prendre : le préjudice concurrentiel liée
à la perte de la clientèle au profit d'un concurrent n'est donc
pas, par principe réparable. Seuls les abus commis pour surprendre la
clientèle créent un préjudice concurrentiel
réparable.
b) Des concurrents : sans concurrents
sur le marché, point de compétition, de
risque d'abus, point de Droit de la Concurrence, mais le
concurrent n'est que virtuel comme dans les hypothèses de monopoles ou
de non Concurrence (convention de non Concurrence) que le Droit de la
Concurrence poursuit par principe. Une erreur ne doit cependant pas être
commise, une politique de Concurrence cherche à éviter les
monopoles et donc à éviter les comportements monopolistiques.
Cela étant, un monopole de Droit ou de fait n'est pas interdit en
principe. Ces sont les abus de celui-ci qui, en Droit de Concurrence peuvent
être poursuivis.
c) Un système politique et économique
favorable à la Concurrence
La Concurrence est donc ainsi synonyme de liberté
économique, mais de liberté contrôlée : on parle
aujourd'hui de la Concurrence régulée, de règle de libre
Concurrence, elle reste une question subtile, politique et philosophique : le
Droit de Concurrence suppose une économie de marché et une
économie de marché suppose un État de Droit qui lui aussi
est question de la Démocratie.
d) Un ensemble d'outils économiques
complexes de mesures des effets de comportements des
operateurs
La notion de pouvoir du marché est un outil fondamental
pour apprécier le caractère nocif ou non d'une entente. On peut
alors la définir comme une notion assurant la mesure de l'effet
anticoncurrentiel d'une entente. Traditionnellement la mesure s'effectue
à travers le calcul statique, des parts de marché : la
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notion de pouvoir de marché permet de mesure de
capacité de maintenir ou de renforcer une position sur le marché
par « la capacité de pratiquer pendant une durée
significative des prix supérieurs au niveau qui résulterait du
jeu de la Concurrence ou de maintenir pendant une durée significative la
production en terme de quantité, qualité, diversité des
produits ou en terme d'innovation à un niveau inférieur à
celui qui résulterait du jeu normal de la Concurrence ».
Le Droit de Concurrence est
constitué donc des l'ensemble des règles destinées
à contrôler la Concurrence, la compétition. L'idée
est que la Concurrence ne peut s'exercer sans les règles du jeu, sans
normes de comportement dans le cadre de ce que les économistes appellent
une économie de marché.
Ces règles sont donc d'ordre public, elles ont pour
objet de protéger la Concurrence plus haut envisagée ;
c'est-à-dire, le système concurrentiel qu'implique une
économie de marché avec ses piliers : liberté
d'entreprendre, propriété des éléments
d'activités, les consommateurs.
Le Droit de Concurrence est donc défini au sens strict
comme l'ensemble des règles ayant pour objet d'assumer la
régulation du marché.
Dans cette perceptive, le Droit de la Concurrence serait donc
constitué que des règles contrôlant la façon dont un
opérateur économique s'y prend pour capter la clientèle
des autres ; contrôle des ententes et des abus de positions dominantes.
Il est certes un Droit de la police du marché, un Droit d'origine
administrative relativement complexe.
Cette définition demeure controversée selon les
fonctions que l'on souhaite voir jouer au Droit de la Concurrence : Droit de
contrôle des monopole ou Droit de la loyauté du marché.
Une définition médiane considère le Droit
de Concurrence comme le Droit pouvant influencer la
Concurrence.77
77 KYUNGU KAKUDI Charles, op.cit p10
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Au sens large, il est l'ensemble des règles assurant le
contrôle des actions des opérateurs économiques, incluant
bon nombre des règles pénales et surtout de règles civiles
dont la responsabilité. On parle ainsi de Concurrence déloyale
qui n'est qu'un approfondissement de la faute (Article 258 du Code Civil
Congolais Livre III) ou d'engagement de non Concurrence, une convention ayant
pour objet la Concurrence réalisée par l'un des
contractants.78
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