L'Etat providence ne serait pas parvenu à atteindre
l'un des objectifs prioritaires qu'on lui avait assigné à
l'origine : la réduction des inégalités. Il est clair que
l'effort en vue d'assurer une plus grande égalité réelle
entre les individus au travers des politiques sociales, et notamment la
redistribution, se révélait vain, celles-ci ne faisant souvent
que reproduire les inégalités économiques.
En France, ces inégalités connaissent un double
mouvement : elles se généralisent à de nombreux domaines
de la vie économique et sociale ; elles se creusent dans des domaines
particulièrement sensibles au vécu de l'individu.
Traditionnellement, on distingue deux types
d'inégalités : les inégalités entre
catégories socio-professionnelles et à travers elles, entre
classes sociales (inégalités des revenus, de consommation, de
patrimoine, d'accès à la santé) ; les
inégalités extra-professionnelles (entre sexes, classes
d'âge, espaces sociaux : ville/campagne). Si les premières sont
bien connues car appuyées par des données statistiques, les
secondes sont quant à elles, plus difficiles à déchiffrer.
Plus précisément, la diversité des
inégalités ne doit pas cacher une idée de force : elles
reposent toutes sur des différences de formation et des
différences d'emplois.70
Lorsque l'on aborde le problème des
inégalités sociales, et plus précisément la notion
de justice sociale, force est de constater que l'on peut appréhender ce
terme sous deux angles radicalement différents.
La justice sociale est associée à
l'idée d'égalité. Le débat sur
l'égalité s'ordonne autour de deux idées opposées :
d'une part, l'inégalité est systématiquement
dénoncée parce qu'elle traduit l'existence d'un pouvoir
économique de certains individus sur d'autres, d'autre part,
l'inégalité est acceptée si elle est le résultat
d'actions librement
70 Pierre Rosanvallon, op.cit., p44
53
engagées par un individu et pleinement consenties par
les autres (si un individu perçoit des revenus plus élevés
que d'autres parce qu'il a fait le choix de travailler plus,
l'inégalité est juste). Dans cette dernière vision,
l'égalité entre les agents n'est pas souhaitable pour trois
raisons principales : l'égalité est synonyme
d'uniformité ; l'égalité est synonyme
d'inefficacité ; l'égalité n'est pas toujours compatible
avec la notion de liberté. La justice sociale peut dans un second
temps être associée à l'idée
d'équité.
Cette conception des inégalités sociales
fût introduite par John Rawls dans les années 1970. Selon cet
économiste américain, les inégalités sociales
doivent remplir deux conditions. Elles doivent tout d'abord être ouvertes
à tous dans des conditions de juste égalité des chances.
Ce qui signifie qu'elles sont acceptables dès lors qu'à la base
tous les individus ont eu des chances égales pour les faire
émerger. Elles doivent ensuite être au plus grand avantage des
membres les plus défavorisés.
Ainsi le droit des plus défavorisés à
l'aide sociale, l'instauration d'un minimum social garanti sont autant
d'inégalités totalement légitimes.71
Enfin, la crise de l'Etat-providence est aussi une crise de
légitimité politique, alimentée par les critiques
libérales et populistes adressées aux systèmes de
protection sociale et à leur manque d'efficacité. Les
thèmes de la bureaucratisation excessive, de la lourdeur administrative,
de l'hyper-protection des fonctionnaires, de la préférence
nationale sont autant d'expressions de cette volonté de rompre avec les
fondements solidaires de l'Etat providence. Ce « populisme de
bien-être » se manifeste aussi au plan territorial avec la critique
des systèmes nationaux. Cette logique de segmentation territoriale ou ce
refus de « payer pour les autres », se retrouvent aussi bien dans les
mouvements régionalistes du nord de l'Italie, du nationalisme catalan,
ou des mouvements d'extrême droite flamands ou
français.72
§4. Fonctions Et Objectifs De L'action
Economique De L'état Les causes du rôle croissant de
l'État dans l'économie
Ø Les dépenses publiques n'ont pas cessé
de croître jusqu'à la fin du XXe siècle. Mais, depuis
quelques années, s'amorce un mouvement de recul.
71
www.universalis.fr
72 Claude MARTIN, État Providence et
cohésion sociale en Europe, PUF, 2008, Paris, p16
54
Ø La vie sociale, toujours plus complexe et
urbanisée (besoins d'infrastructures, de services publics, de
solidarité...), explique la progression des dépenses publiques et
donc des interventions économiques et sociales de l'État.