L aprotection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Fasopar Marou KABORE Université Thomas Sankara - Master 2 2021 |
Paragraphe 1 : La garantie d'un cadre juridique révolutionnaireDepuis le forum national de la justice tenu en octobre 1998, le secteur de la justice a enregistré des progrès significatifs87(*) . Après la ratification de la Convention contre la torture et le P.I.D.C.P. en janvier 1999, le Burkina Faso n'avait jusque-là pas reformé sa législation pour se conformer au droit international. Cependant pour garantir la protection des droits de l'homme, le pays a, en 2017 pris une loi relative à la protection des défenseurs des droits humains88(*). Plus récemment, certains textes ont été réformés pour répondre au mieux les exigences des conventions internationales sur les droits de l'homme. En effet, le code de procédure pénale et le code pénal qui dataient respectivement de 196889(*) et de 199690(*) et la loi sur le régime pénitentiaire de 198891(*) étaient sans rappeler, très vieux et inadaptés à certaines dispositions des conventions nouvellement ratifiées. Mais à partir de 2017, on a assisté à une véritable refonte du régime pénitentiaire (A) puis récemment du code pénal et de procédure pénale (B). Au plan national, les droits fondamentaux des PPL ont été cristallisée dans l'ordre juridique constitutionnel (A) puis dans plusieurs autres textes (B) afin d'assurer une protection casuistique des droits. Les droits de l'Homme internationalement reconnus perdent leur vocation juridico-philosophique et pratique première s'ils ne sont pas intégrés dans l'ordre constitutionnel de l'État qui s'est internationalement engagé à en assurer le respect92(*). En effet, une Constitution étatique, qui ne consacrerait pas les droits fondamentaux de l'Homme perdrait une grande part de son charisme mythique93(*). La garantie des droits de l'homme est intrinsèquement inhérente à tout ordre constitutionnel dans le constitutionalisme contemporain94(*). Le pouvoir souverain et les droits fondamentaux doivent être garantis par une constitution écrite95(*). Au regard de ces considérations, la garantie des droits fondamentaux des PPL par la Constitution burkinabè revêt une importance de premier ordre et détermine l'étendue juridique de la faculté de pouvoir revendiquer la jouissance de ces droits dans ce pays. La constitution est cet instrument qui fait de la protection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté ses préoccupations cardinales. Elle assure à la fois les principes fondamentaux et les garanties procédurales. Ainsi, l'on peut apercevoir dès ses premières lignes, la consécration des droits inhérents et essentiels reconnus aux personnes privées de liberté. Il s'agit tout d'abord de la garantie du droit à la vie96(*). C'est un droit à valeur suprême et la condition indispensable à l'exercice des autres droits de l'homme97(*). Le droit à la santé qui est un droit fondamental de toute personne, indépendamment de sa situation de liberté ou de détention et reconnu par les conventions internationales98(*) est également consacré par la constitution burkinabè99(*). Considéré comme l'un des droits sociaux et culturels le droit à la santé l'article 26 de la constitution dispose expressément que « le droit à la santé est reconnu. L'État oeuvre à le promouvoir ». C'est un droit garanti à tous les burkinabè qu'ils soient ou non privés de liberté que l'État oeuvre à promouvoir100(*). Mais ce droit est relativement plus capital en détention au regard de la vulnérabilité évidente du détenu. Au titre des garanties procédurales, la constitution prévoit le principe du respect de la présomption d'innocence, le droit à ce que sa cause soit entendue, le droit à la défense prévus à l'article 4 et l'interdiction de la détention arbitraire à l'article 3. Le principe de l'individualité de la peine consacré à l'article 5, l'interdiction des traitements inhumains, cruels, dégradants prévus à l'article 2 sont autant de garanties fondamentales que la constitution reconnait à toute personne privée de liberté. Le droit de la prison a connu des progrès considérables, à la suite des crises du début des années soixante-dix101(*). D'importantes réformes ont été entreprises et les États ont été, en effet, incités à réviser leur législation pénitentiaire en ce qui concerne les conditions générales de détention ainsi que les statuts du détenu. Ainsi, au cours des vingt dernières années, la promotion des droits des personnes privées de liberté a connu un cadre juridique révolutionnaire au Burkina Faso102(*). Le pays est même parfois cité en exemple de la sous-région103(*). A. La révolution pénitentiaireAlors que la loi sur le régime pénitentiaire de 1968 ne comptait que 175 articles en tout, la loi n°010-2017/AN du 10 avril 2017 comptabilise 281 articles, ce qui sûrement signifie une véritable réforme. La réforme de 2017 a institué trois nouveaux types d'établissements pénitentiaires en plus de ceux préexistants, à savoir les maisons centrales, les centres d'accueil pour mineurs et les prisons de haute sécurité (PHS). Les maisons centrales sont destinées à recevoir les condamnés difficiles et les condamnés à de longues peines alors que les centres d'accueil pour mineur sont destinés à recevoir les mineurs en conflit avec la loi faisant l'objet d'une mesure de garde provisoire ou de détention préventive. Les PHS sont destinés à recevoir des détenus extrêmement dangereux et des détenus pour acte de terrorisme ou d'extrémisme violent. L'institution de ces établissements vise non seulement à promouvoir les alternatives à l'emprisonnement mais aussi de réduire l'inflation carcérale qui constitue le socle des atteintes à la dignité des détenus. L'une des évolutions majeures de la réforme de 2017 est la prise en compte des principes fondamentaux qui régissent la détention. Il s'agit du droit à la protection de la dignité du détenu. La dignité de la personne humaine est un axiome indémontrable et indérogeable, et sans doute même aussi indicible, c'est-à-dire le fondement le plus profond du droit104(*). On lui reproche principalement d'être même une limite à la liberté individuelle105(*) et d'être ainsi « liberticide »106(*). La dignité est incontestable et irrécusable à l'être humain107(*) qu'elle soit privée ou non de sa liberté. Alors que le régime pénitentiaire de 1988 ne prévoyait aucune disposition relative à la dignité des détenus, l'article 23 de la loi n°010-2017 dispose expressément que « tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine ». Cette disposition vise à prendre en compte les Règles minima desNations Unies pour le traitement des détenus ou Règles Nelson Mandela108(*) et des autres convention et déclarations sur la protection des détenus. L'article 24 ajoute qu' « aucun détenu ne peut être soumis à la torture ni à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Tous les détenus sont protégés contre de tels actes qui ne peuvent en aucun cas être justifiés par quelque circonstance que ce soit. ». Cette disposition est une transposition directe de l'article 2 de la convention contre la torture ratifiée en janvier 1999. Ainsi, toute personne détenue a le droit de présenter des requêtes ou des plaintes au directeur de l'établissement109(*) en cas de mauvais traitement. Par ailleurs, le détenu conserve ses droits politiques, civils, sociaux, économiques et culturels, à l'exception de ceux dont il a été privé par décision judiciaire110(*) ce qui constitue une prise en compte des pactes de 1966. En effet, la loi 010 sur la réforme du régime pénitentiaire consacre spécialement à son titre 8, sur l'entretien, l'hygiène et la santé des détenus. L'article 246 énonce une obligation positive de L'Etat qui a la responsabilité d'assurer l'entretien des détenus. Il s'agit notamment de la ration alimentaire ; le matériel de couchage ; l'uniforme de l'établissement ; la ration de savon distribuée tant pour l'hygiène individuelle des détenus que pour l'entretien de leurs effets. La même disposition précise que l'entretien des mineurs, des femmes enceintes ou allaitantes doit faire l'objet de dispositions particulières. L'hygiène des détenus est régie dans les articles 251 à 253 de la même loi. Le droit à la santé, droit fondamental de toute personne privée de liberté n'a pas été omis par la réforme de 2017. En effet, l'article 254 dispose que « l'Etat a la responsabilité d'assurer des soins de santé aux détenus. Les détenus reçoivent des soins sans discrimination.». Chaque établissement pénitentiaire est pourvu d'un service de santé permettant de dispenser des soins de la même qualité que ceux dispensés dans les formations sanitaires de même niveau111(*). En outre, dans les formations sanitaires publiques, les détenus malades bénéficient aux frais de l'Etat des consultations, examens médicaux, interventions chirurgicales et des hospitalisations qui leur sont nécessaires ainsi que de la fourniture des médicaments112(*). En fin, considérant que le défaut du droit à l'alimentation pourrait créer de graves préjudices à la santé du détenu, l'article 271de la loi assure que «le détenu qui observe une grève de la faim prolongée est alimenté de force sur décision et sous surveillance médicale»113(*). Ces principes fondamentaux et les conditions de la détention, il faut le rappeler n'étaient pas régis par la loi de 1988. Au titre des droits politiques, la privation de liberté interdisait de fait aux détenus l'exercice de ce droit114(*), jusqu'à ce qu'en 2017, le législateur lui reconnaisse ce droit politique115(*). La seule exécution de l'emprisonnement ne doit pas empêcher l'exercice du droit de vote...116(*). Même détenue, une personne demeure un citoyen. Dès lors qu'elle n'est pas privée du droit de vote par sa condamnation, elle doit pouvoir participer aux divers scrutins. Le droit de vote, l'extension des établissements pénitentiaires, l'interdiction des O.M.D. sont autant des révolutions constatées au cours des dernières années. * 87Zakalia KOTE, op. cit. p. 6330. * 88 V. Loi n°039-2017/AN du 27 juin 2017 Portant protection des défenseurs des droits humains au Burkina Faso. * 89 Ordonnance n°68-7 du 21 février 1968, portant institution d'un code de procédure pénale, J.O.RHV. du 13 mai 1968, p. 229. * 90 Loi n°43-96 ADP du 13 novembre 1996 portant code pénal, promulguée par le décret 96-451 du 18 décembre 1996. * 91 V. Kiti an VI 103 du 1er décembre 1988 portant organisation, régime et réglementation des établissements pénitentiaires au Burkina Faso, J.O. B du 1er décembre 1988. * 92 Geneviève KOUBI et Raphaël ROMI, État, Constitution, Loi, éd. Litec., Paris, 1993, p. 150 et ss. * 93 Ibid. p.116 et ss. * 94 V. Abdoulaye SOMA, op. cit. p.166. * 95 Placide WenneGoundi ROUAMBA, « Réflexions critiques sur la doctrine des juridictions constitutionnelles en Afrique Noire francophone : le cas du Burkina Faso », R.B.D., n°50, 2e semestre, 2015, pp.197-229, spéc. p.197. * 96 V. art. 2 de la Constitution burkinabè. * 97 Mathieu BERTRAND, le droit à la vie, éd. Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2005, p. 9 et ss. * 98 V. art. 25 D.U.D.H. ; règle 22 R.N.M. ; art. 12 P.I.D.E.S.C.; art 5 CERD ; l'art. 12 CEDEF ; art. 24 C.D.E. ; art. 16 Charte A.D.H.P. ; art. 14 de la P2.C.A.D.H.P. ; art. 14 de la Charte A.D.B.E., etc. * 99 V. art. 18 de la Constitution burkinabè de 1991 révisée par la loi n°002-97 ADP du 27 janvier 1997. * 100Ibid. art.26. * 101 Jean FAVARD, « Des prisons », éd. Gallimard, coll. « Au vif du sujet », Paris, 1987, pp. 20 et ss. * 102Salif YONABA, Indépendance de la justice et droits de l'homme, le cas du BurkinaFaso, éd. PIOOM, 1997, p.49. * 103Ibid. p. 43. * 104Muriel FABRE-MAGNAN, « La dignité en Droit : un axiome », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, Vol. 58, 2007, p. 1-30., spéc. p.6 et ss. Cf. https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudesjuridiques-2007-1-page-1.htm , consulté le 08 octobre 2020, 18 : 41. * 105 Pour une compréhension plus détaillée, v. C. GIRARD et S. HENNETTE-VAUCHEZ (dir.), Ladignité de la personne humaine, Recherche sur un processus de juridicisation, PUF, Droit et justice, 2005. * 106 J.-P. BAUD, Le droit de vie et de mort, Archéologie de la bioéthique, Alto, Aubier, 2001 : « La dignité humaine relève aujourd'hui de la plus dangereuse des bigoteries et de l'anathème liberticide le plus efficace. La notion s'inscrit dans un mouvement, dont nul ne semble s'être soucié, de retournement de la mystique des Droits de l'homme. Comme ceux-ci, la dignité humaine est l'un des avatars du nomosdisparu. À l'origine, les Droits de l'homme et la dignité humaine étaient ce qui était infiniment respectable dans le nomoshumain. C'est à ce titre que la dignité humaine était devenue une notion juridique, entre autres chez Pic de La Mirandole. Sans qu'on y prête attention, les Droits de l'homme et la dignité humaine sont désormais souvent utilisés pour combattre cette liberté individuelle, qui est à la fois le paradigme des Droits de l'homme et l'une des plus fortes expressions de la dignité humaine » (p. 308). * 107Muriel FABRE-MAGNAN, op. cit. p. 7. * 108 V. Règle 1. * 109 V. art. 29 de la loi 010. * 110 V. art. 24 de la loi 010. * 111 V. art. 255 de la loi 010. * 112 V. art. 264 de la loi 010. * 113 L'alimentation forcée a d'abord été considérée comme une torture par la Commission EDH (Commission EDH, 1er mars 1991, Herczegfalvy c. Autriche). Avant d'être déjugée par la cour EDH qui qui a considéré que ce traitement était fondé sur un impératif médical. V. Cour EDH, 24 sept. 1992, Herczegfalvy c. Autriche : série A, n° 244. * 114 La Kiti an VI 103 du 1er décembre 1988 portant organisation, régime et réglementation des établissements pénitentiaires au Burkina Faso n'avait pas consacré ce droit. * 115 V. art. 26 de la loi n°010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire. * 116Pierre COUVRAT, « La condition juridique du détenu », in Travaux de l'institut des sciences criminelles de Poitiers, p. 295. |
|