L aprotection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Fasopar Marou KABORE Université Thomas Sankara - Master 2 2021 |
Section 2 : Une protection abstraite du droit d'être entenduLorsque le droit d'être entendu est violé, d'autres violations peuvent aussi être commises de telle sorte que les détentions deviennent arbitraires417(*). Le droit d'être entendu englobe de nombreux principes qui, à notre avis semble constitue le socle même des garanties procédurales. À titre illustratif, l'article 7(1) de la charte A.D.H.P. dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend: le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur; le droit à la présomption d'innocence, jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente; le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix; le droit d'être jugé dans un délai raisonnable418(*) par une juridiction impartiale. ». Le point (2) de ce même article dispose que « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ». Cependant, dans la plupart des cas, la présomption de culpabilité semble être la règle au détriment de la présomption d'innocence. En plus, les personnes privées de liberté peuvent être plus vulnérables au risque de ne pas accéder à un tribunal. Dans l'étude de cette partie consacrée aux garanties procédurales, nous nous limiterons sans être exhaustif à la consolidation au droit à un procès équitable (A) et le renforcement du droit au respect de la présomption d'innocence (B). Le droit à la présomption d'innocence (A) est la principale base pour la protection des droits fondamentaux des P.P.L. Le droit à un procès équitable (B) doit alors être conforté. Paragraphe1 : Le droit d'accès à un tribunal écartéLe droit d'accès à un tribunal ou encore le droit à un recours juridictionnel ou enfin le droit à un juge, a pu être défini comme « le droit pour toute personne physique ou morale, nationale ou étrangère, d'accéder à la justice pour y faire valoir ses droits»419(*). Le droit d'accès à un tribunal ne se confond pas avec l'action en justice420(*) ou davantage avec le droit plus général à un recours, dont il est l'une des expressions421(*). En effet, consacrée après sa longue transformation la distinguant progressivement, à la différence du droit romain, du droit substantiel dont elle assure la sanction422(*), l'action en justice est la faculté générale et reconnue par la puissance publique de faire protéger des droits subjectifs par un juge423(*) ; elle est le prolongement ou l'expression directe du droit d'accès à un tribunal424(*). Le droit à un tribunal présente un double aspect selon lequel l'État est débiteur non seulement d'une obligation négative de s'abstenir d'entraver ce droit, mais aussi, et au-delà, d'une obligation positive de lui en faciliter l'exercice425(*). Tout d'abord, nonobstant l'affirmation du principe de la gratuité de la justice, les justiciables vulnérables notamment les P.P.L. peinent à accéder au juge pour se faire entendre. Le droit d'accès au juge se heurte parfois à des obstacles notamment économiques426(*) qui font partie des obligations positives à lever. Il faut noter que certains acteurs impliqués dans la gestion du fonds judiciaire burkinabè ont souligné le montant insuffisant du budget alloué au fonds au regard du grand nombre de personnes éligibles à ce fonds427(*). Par ailleurs, le diagnostic mené lors des états généraux de la justice révèle que ce principe essentiel de l'accessibilité de la justice n'est pas effectif et au titre des obstacles figure le manque d'information sur l'existence même de l'aide juridictionnelle, l'inaccessibilité financière. Il y a ensuite, comme on le voit, ce phénomène seul n'explique pas tout. Il s'agit également des barrières, des obstacles socio-culturels428(*), ou psychologiques. Ainsi, l'accès à la justice est certes libre, mais inopérant surtout en détention compte tenu des raisons multiformes. Le phénomène de l'ignorance ou de l'analphabétisme ; en effet dans le contexte d'un pays très peu alphabétisé, il va de soi que l'ignorance de la langue de travail constituera dans bien des cas un obstacle de taille à la saisine du juge429(*). Pour Salif YONABA, les justiciables africains, toutes catégories confondues, éprouvent toujours un sentiment de peur ou de crainte à l'égard du juge430(*). Ainsi, la personne privée de liberté opte pitoyablement à se plier aux ordres de la police judiciaire même s'ils sont arbitraires, et n'intente jamais une action en contestation d'une détention illégalement ordonnée d'une action pour atteinte à la dignité. Or, Ces difficultés ont été d'ailleurs prévues aussi par le P.N.R.J.431(*). Qu'elles agissent cumulativement ou isolément, elles traduisent les défis majeurs auxquels l'institution judiciaire doit faire face pour contribuer au développement en libérant la P.P.L. de la peur de l'oppression. Le fait de ne pas avoir accès à un avocat pendant une longue période depuis l'arrestation, affecte la capacité des victimes de se défendre de façon appropriée, et constitue une violation de l'article 7(1)(c) de la Charte432(*). La Cour estime que l'article 7 de la Charte lu conjointement avec l'article 14 du Pacte, garantit le droit de toute personne accusée d'une infraction pénale, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige433(*), de se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer434(*). A. Le droit à la défense* 417Commission A.D.H.P., aff.Amnesty International et autres c. Soudan, req. n°s 48/90-50/91-52/91-89/93 §62. [SD]. * 418 L'appréciation du délai raisonnable se fait au cas par cas. La Cour prend en considération la durée de la procédure interne. V. Cour A.D.H.P., Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso, op. cit. §152 ; Wilfried OnyangoNganyi c. République-Unie de Tanzanieop cit. 155. La complexité de l'affaire et la situation du requérant doivent également être prises en considération pour apprécier si le délai considéré est raisonnable. V. Cour A.D.H.P., Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso, op. cit. § 92 à 97 ; Cour A.D.H.P., Alex Thomas c. Tanzanie, op.cit. § 104. Le droit à un procès impartial dans un délai raisonnable est l'un des éléments fondamentaux d'un procès équitable. V. Comm. A.D.H.P., Comm. n°301/05 HaregouoinGebreSellaise et institute for HumanRights and Development in Africa (ou nom des anciens responsables du régime « Dergue) c. Éthiopie, § 215. * 419 Louis FAVOREU et Thierry-Serge RENOUX, « Le contentieux constitutionnel des actes administratifs », extrait du Répertoire Dalloz du contentieux administratif, éd. Sirey, Paris, 1992, p. 90 et ss. * 420 L'action en justice est définie comme « le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ». cf. art 11 C.P.C. L'action en justice suppose que soit préalablement garanti, en effet, le droit pour le plaideur de saisir le juge, d'accéder au tribunal et de déclencher son fonctionnement. V. aussi Antoine STEFF, « La protection de l'accès au juge judiciaire par les normes fondamentales », in Les Annales de droit, n°11/2017, pp. 233-253, spéc. p.234. * 421 Serge GUINCHARD, Droit processuel. Droits fondamentaux du procès, Paris, D., 2011, p. 508. v. aussi Antoine STEFF, op. cit. p.234. « Le droit à un recours peut, en effet, en dehors du procès pénal, ne pas être juridictionnel. Il est plus large que le droit d'accès à un tribunal et comprend, le droit à un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, etc. ». * 422 Serge GUINCHARD, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2012, p. 11 ; Travaux de l'association Henri-Capitant, « Nul ne peut se faire justice à soi-même : le principe et ses limites », Journées françaises de Lyon, Grenoble et Aix-en-Provence, RID comp. 1967, vol. 19, no 82, p. 113. * 423 Joseph PINI et Thierry-Serge RENOUX, Dictionnaire des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2007, p. 503. * 424 Serge GUINCHARD, Procédure civile, op. cit., no 81, p. 113. * 425Henckaerts KOERING-JOULIN, « Note relative au droit d'accès à un tribunal et à la chose jugée », en annexe au rapport du conseiller rapporteur, sous l'arrêt de l'ass. plén. du 7 juillet 2006 (kesareo), pourvoi n°04-10.672. * 426 L'ineffectivité du fond d'assistance judiciaire. En effet, la justice a un cout qui peut s'avérer très important si l'on veut faire recourir à un avocat pour se défendre ou à un huissier pour faire exécuter une décision. * 427 http ://www.sidwaya.bf/index.php ?l_nr=index.php&l_nr_c=aeb764a6a854dd20beb97ec048c4ac14&l_idpa=2797 . * 428 L'analphabétisme est une des barrières en ce sens qu'une fois détenu, l'ignorance des voies de recours soit pour contester la légalité d'une arrestation ou détention arbitraire soit pour s'adresser à la commission d'assistance judiciaire peuvent * 429Salif YONABA, op. cit. p. 111. * 430Salif YONABA, op. cit. P.111. * 431v. art. 96 P.N.R.J.: La mise en oeuvre de la Politique nationale de Justice doit accorder une place importante à la sensibilisation en vue de lever les barrières psychologiques qui constituent un obstacle majeur à l'accès à la justice. * 432Comm. A.D.H.P.,Hadi, Ali Radi et alt. c. République du Soudan Comm. n°368/09, décision de novembre 2013, § 90. Voir dans ce sens Cour E.D.H., 5e sect., Aff. A.T c. Luxembourg, req. n°30460/13, Arrêt, 9 avril 2015, § 63- 65. * 433 La Cour a identifié les facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer si « les intérêts de la justice » exigent qu'une assistance judiciaire soit fournie à l'accusé. Il s'agit de la gravité de l'infraction, la sévérité de la peine éventuelle, la complexité de l'affaire, et la situation sociale et personnelle du défendeur. v. Cour A.D.H.P., Alex Thomas, op. cit., §118. * 434 Cour A.D.H.P., Aboubakari c. Tanzanie, § 138. |
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