L aprotection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Fasopar Marou KABORE Université Thomas Sankara - Master 2 2021 |
Paragraphe 2 : La réduction de l'inflation carcéralePour Jean PRADEL, même si la privation de liberté reste indispensable pour punir certains délinquants, la prison n'est pas sans inconvénients : elle coûte cher et, réunissant des condamnés très différents, elle permet la contamination des uns par les autres302(*). Elle est d'ailleurs une cause de récidive303(*). Pour ainsi réduire l'inflation carcérale, certains auteurs estiment qu'il faut nécessairement passer par la promotion de l'emploi car les problèmes financiers à la sortie de prison sont souvent présentés comme une cause principale des récidives304(*). Selon une étude de la Direction Générale des Études et des Statistiques sur le ministère de la justice burkinabè, la détention provisoire est la cause principale de la surpopulation carcérale au Burkina Faso305(*). Sa réduction (A) ne suffit pas à elle seule de réduire la surpopulation carcérale car même, déduction faite de ses chiffres, la surpopulation serait toujours pendante306(*). Le recours aux alternatives à l'emprisonnement (B) est une mesure efficace à la réduction de l'inflation carcérale. Ce recours présente également des avantages à la fois pour le détenu et sa famille307(*), pour l'établissement pénitentiaire308(*) et la société en générale309(*). Nations Unies, Principes directeurs pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), 14 décembre 1990 A. La réduction de la détention provisoireLa détention provisoire est un mal généralement perçu comme « nécessaire »310(*) mais contre lequel il faut évidemment lutter par tous les moyens afin de le réduire à une portion résiduelle, car elle est un véritable facteur d'inflation carcérale aux effets désocialisant aggravés311(*). La réduction de la détention provisoire nécessite non seulement que des mesures alternatives soient prises ainsi que sa durée312(*) et les autres facteurs à sa hausse soient corrigés afin de réduire l'inflation carcérale. Des mesures de substitution à la détention provisoire peuvent être envisagées au regard des effets dommageables qu'elle produit, qui, en grande partie ne respecte pas les principes fondamentaux313(*). Il s'agit du contrôle judiciaire, mesure à caractère socio-éducatif, alternative à la détention provisoire, qui astreint seulement le mis en examen concerné à se soumettre à une ou plusieurs obligations prévues à l'article 261-75 du code de procédure pénale. En plus de contrôle judiciaire, l'assignation à résidence avec surveillance électronique peut également servir d'alternatif à la détention provisoire. Ainsi, le contrôle socio-éducatif constitue une bonne mesure alternative à la détention provisoire selon Christophe CARDET, car reposant sur des valeurs, et produisant des effets, diamétralement opposés à ceux véhiculés par la logique carcérale314(*). Même s'il est indiscutable que certains de ces mesures heurtent à plusieurs titres le principe de la présomption d'innocence315(*), en faisant ce « moindre mal »316(*), le contrôle judiciaire permet au justiciable de ne pas être « coupé » de la société. La conséquence principale de la présomption d'innocence se situant sur le registre de la liberté individuelle, le contrôle judiciaire permet de ne point l'entraver tandis que la détention provisoire lui porterait une atteinte aussi complète et irrémédiable surtout lorsque les auteurs présumés seraient ensuite définitivement mis hors de cause par le fait d'un acquittement, d'une relaxe ou d'un non-lieu. Le contrôle judicaire assure alors une meilleure conformité avec le principe selon lequel le doute profite à l'accusé. Ainsi, l'individu poursuivi continu à être traité en qualité de citoyen, c'est-à-dire en tant qu'homme libre. La détention étant comme une « école de la récidive »317(*), le contrôle judiciaire permet de mettre en oeuvre un traitement en « milieu libre » potentiellement bien plus efficace que celui engagé dans le milieu pénitentiaire. La détention avant le procès pose déjà de sérieux effets préjudiciables au prévenu et porte parfois atteinte à la dignité humaine318(*) encore plus lorsqu'elle est d'une durée interminable. Étant une mesure exceptionnelle319(*), elle ne saurait excéder une durée raisonnable320(*). Cependant, la détention provisoire pour les infractions correctionnelles et criminelles atteignent respectivement jusqu'à trois ans et demi et quatre ans et demi321(*), voire même illimitée pour certaines infractions322(*) au Burkina Faso. Il s'agit particulièrement des infractions relavant de la compétence des pôles judiciaires spécialisées dans la répression des actes de terrorisme323(*). Ces durées très longues et illimitées expliquent vraisemblablement le taux d'inflation carcérale au Burkina324(*). La réduction de la détention provisoire nécessite alors de revoir sa durée afin de le réduire le moins longtemps possible conformément aux déclarations de Kampala325(*) et de Ouagadougou326(*) respectivement sur les conditions de détentions et pour l'accélération de la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique. Le législateur burkinabè pourrait dès lors, s'inspirer du modèle ivoirien qui, lui plafonne la durée de la détention provisoire à cinq jours pour les infractions dont le maximum de la peine est inférieur à six mois d'emprisonnement, à six mois pour les infractions correctionnelles et de dix-huit mois pour les crimes327(*). Cela pourrait réduire considérablement le taux d'inflation carcéral et ses effets pernicieux telles les conditions inhumaines et dégradantes dans les prisons. Une étude récente de la Direction générale des études et des statistiques sectorielles montre les raisons du recours accru à la détention provisoire. En effet, cette situation serait due à la saturation des cabinets d'instruction d'une part et à la réduction continue du nombre d'assises criminelles d'autre part328(*). Il serait donc nécessaire voire impérieux de recruter en nombre suffisant et qualitatif les magistrats pour venir à bout de cette préoccupation fondamentale. Même si les O.M.D. semblent n'avoir plus cours au Burkina depuis 2018329(*), aucun circulaire du ministre de la justice n'a été prise dans ce sens pour la mise en grade de telles pratiques. L'élaboration de ce texte servirait à réduire le taux de la détention provisoire. La réduction de la détention provisoire ne saurait à elle seule venir à bout de la préoccupation de l'inflation carcérale330(*). Il faudrait également recourir aux alternatives à l'emprisonnement qui profitent non seulement aux prévenus mais également à la société. * 302 Jean PRADEL, Principes de droit criminel, I-Droit pénal Général, éd. Cujas, 1999, Paris, p.204. * 303Ibid., p.618. * 304Sara LIWERANT, « La sortie de prison des jeunes majeurs : quel lien dedans/dehors ? », éd. A. Pédone, Archives de politique criminelle, n° 23, 2001, p.93-105, spéc. p.95. cf. https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2001-1-page-93.htm, consulté le 25 mars 2021 à 17h :33. * 305 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2019, op.cit. p.62. * 306 En 2018, le taux de la détention provisoire s'élevait à 36,7% avec un taux d'ensemble de de surpopulation carcérale de 189,6%. Hormis le taux de détention provisoire, le taux d'occupation serait de 152,9%. * 307 Intérêt des détenus et de leurs familles, qui pourront rencontrer des personnes extérieures utiles à leurs interrogations ou à leurs démarches, et espérer de cet oeil extérieur l'amélioration de leur condition matérielle. * 308 L'intérêt se situe ici au niveau des personnels de l'Administration pénitentiaire qui doivent bénéficier de ce regard extérieur pour leur éviter l'ostracisme actuel, leur assurer un ordre interne plus harmonieux utile à leur mission et faire connaître les difficultés de celle-ci. * 309 Intérêt de la population, qui doit se préoccuper du fonctionnement des prisons afin de s'assurer de l'efficacité qu'elles offrent pour sa sécurité. * 310 Philipe ROBERT, « un mal nécessaire » ? La détention provisoire en France, Rév. Déviance et Société, vol. 10, n°1, 1986, pp. 58. Cf. https://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1986_num_10_1_1465, consulté le 21 avril 2021 à 11h : 33. * 311 Christophe CARDET, Le contrôle judiciaire socio-éducatif, substitute à la détention provisoire: entre surveillance et réinsertion, Coll. des Sciences Criminelles, éd. L'Harmattan, Paris, 2000, p.176. * 312 V. Principe 6.2 des règles de Tokyo pour l'élaboration des mesures non privatives de liberté. « Les mesures de substitution à la détention provisoire sont utilisées dès que possible. La détention provisoire ne doit pas durer plus longtemps... ». * 313 Christophe CARDET, op.cit. p.176. * 314 Christophe CARDET, op. cit., p.177. * 315 Une partie de la doctrine voit dans les obligations du contrôle judiciaire une sorte de pré-probation qui les rendent difficilement inconciliables avec la présomption d'innocence. V. Gaston STEFANI, Georges LEVASSEUR, Bernard BOULOC, Procédurepénale, précis D., 15e éd., Paris, 1993, 531. * 316 G-M SEKANDARI, Étude comparative de la détention provisoire et du contrôle judicaire, p. 220. * 317 Jean PRADEL, Droit pénal général, éd. Cujas, Paris, 9e éd., 1997, p.618. * 318 H.C.N.U., Les droits de l'Homme et les prisons, New York et Genève, 2004, p.13. cf. https://www.google.com/search?q=H.C.N.U.%2C+Les+droits+de+l%E2%80%99Homme+et+les+prisons%2C+New+York+et+Gen%C3%A8ve%2C+2004%2C&ie=utf-8&oe=utf-8&client=firefox-b-ab , consulté le 05 février 2021 à 9h :51. * 319 V. art. 261-79 du nouveau C.P.P. * 320 Art. 100-1 du nouveau C.P.P. * 321 Art. 261-83 al. 2 du nouveau C.P.P. * 322 Art. 261-83 al. 3 du nouveau C.P.P. Il s'agit des infractions du terrorisme. * 323 V. Loi n°006-2017/an du 17 janvier 2017 portant création, organisation et fonctionnement d'un pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme. * 324 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2019, op.cit. p.62. * 325 V. Déclaration de Kampala sur les conditions de détentions en Afrique, 2e recommandation portant sur «Prisonniers en détention provisoire ». * 326 V. Déclaration de Ouagadougou pour accélérer la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique (2002) a été adoptée par la Commission A.D.H.P. lors de sa 34esession ordinaire en novembre 2003 (Res.64(XXXIV)03). * 327 V. art. 138 (modifié par la loi n° 98-746 du 23 /12/ 1998) de la loi ivoirienne n° 60-366 du 14 novembre 1960 portant institution d'un code de procédure pénale. * 328 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2019, op.cit. p.68. * 329 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2020, op.cit. p.59. * 330 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2019, op.cit. p.62. |
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