L aprotection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Fasopar Marou KABORE Université Thomas Sankara - Master 2 2021 |
Paragraphe 2 : La faible observation des principes fondamentaux relatifs à l'évitement de l'inflation carcéraleAu Burkina Faso, le taux d'occupation234(*) de l'ensemble des établissements pénitentiaires du pays est en hausse progressive au cours de la dernière décennie et continue d'accroitre malgré la création de nouveaux établissements pénitentiaires235(*). En 2017 l'ensemble des établissements pénitentiaires au Burkina Faso comptait près du double de personnes détenues soit un taux de 190,3%. En 2018, 7812 détenus ont été dénombrés dans les établissements pénitentiaires du Burkina Faso236(*) soit un taux de 189,6% (7812 personnes détenues versus 4120 places). En 2019, on note légèrement une baisse (7359237(*) personnes versus 4120 places, soit 178,6%) mais le nombre des personnes détenues provisoirement a considérablement augmenté238(*). La surpopulation carcérale reste une réalité dans presque tous les établissements pénitentiaires (E.P.) au Burkina Faso dont les plus préoccupants sont observés dans les E.P. notamment de Ouagadougou (414,7%), de Bobo-Dioulasso (400,0%) et de Fada N'Gourma (255,8%)239(*).La surpopulation carcérale peut constituer un véritable obstacle à la protection des droits fondamentaux des détenus et favoriser une atteinte directe à certains droits tels que la santé, et l'alimentation240(*). Selon une étude de la Direction Générale des Études et des Statistiques sur le ministère de la justice burkinabè, la cause principale de la surpopulation carcérale résulte de la détention provisoire241(*). Le recours automatique à la détention provisoire est le moyen le plus fréquemment utilisé par la justice bien que cela engorge davantage la population carcérale (A).L'absence de préparation du détenu à sa réinsertion dans la société (B) constitueégalement un facteur d'inflation carcérale dans la mesure où l'inactivité en prison favorise la récidive242(*).Par ailleurs, il convient de noter que l'autre cause de la surpopulation carcérale est la durée assez des peines prononcée243(*). A. Le recours systématique à la détention provisoire, une cause d'inflation carcéraleVéritable facteur de l'inflation carcérale244(*), la détention provisoire245(*) est une mesure qui viole à la fois au principe de la présomption d'innocence246(*), à la proportionnalité247(*) et qui expose directement le prévenu à des effets pervers graves notamment en accroissant les risques de contamination criminogènes248(*). La détention provisoire constitue un véritable pourvoyeur de courtes peines d'emprisonnement qui représentent à leur tour un facteur substantiel d'inflation carcérale249(*). Selon le statut de détention, la proportion de détenus en attente de jugement au 31 décembre 2019 est de 40,5% dont 26% d'inculpés et 14,5% de prévenus250(*). La proportion de détenus en attente de jugement a augmenté de 2,5% en 2018 et de 3,8% en 2019251(*). Cette augmentation est imputable à l'augmentation de la proportion de prévenus qui passe de 10,1% en 2017 à 12,7% en 2018 et 14,5% en 2019. La durée de la détention avant jugement est telle qu'elle contribue au surpeuplement carcéral, exacerbant ainsi les problèmes existants au niveau des conditions de détention et des relations entre les détenus et le personnel252(*). Les années 2017 et 2018 sont celles qui ont enregistré les durées de détention provisoire plus élevées de la décennie au Burkina Faso ce qui justifie le plus fort taux de surpopulation carcérale au cours de ces dernières années. La prison de haute sécurité (P.H.S.) connait pareillement un fort taux d'occupation due à la lutte contre le terrorisme qui secoue le pays au cours des cinq dernières années253(*). Au regard des textes en vigueur, la durée de la détention provisoire ne peut en principe excéder un an en matière correctionnelle et de deux ans en matière criminelle254(*). Toutefois, ce délai n'est quasiment pas respecté pour les motifs de nécessité255(*). Par ailleurs, la pratique très courante dite de l'ordre de mise à disposition (O.M.D.)256(*) constitue une autre origine de la surpopulation carcérale. Ainsi, pointée du doigt par les O.N.G.257(*), cette méthode consiste pour les magistrats du parquet à délivrer des ordres aux policiers ou au gendarmes qui leurs défèrent des gardés à vues lorsqu'ils n'ont pas le temps de les entendre pour les mettre en liberté ou en détention provisoire. Ces personnes sont alors placées à la maison d'arrêt, sans statut juridique. Une telle forme de détention, qui s'apparente à la détention arbitraire, dure en général quelques jours mais peut atteindre plusieurs mois258(*). Cette pratique est également une conséquence directe de l'inflation carcérale. Nonobstant ces effets, la détention provisoire semble être le recours privilégié au Burkina au regard des statistiques. * 234 Le taux d'occupation est le rapport, exprimé en pourcentage, entre le nombre de personnes détenues et la capacité d'accueil des établissements pénitentiaires. * 235 Le taux d'occupation est de 131% en 2009, 159,4% en 2010, 145% en 2013, 153% en 2014, 183,1% en 2015, 185% en 2016, 190,3% en 2017, 189,6% en 2018, 178,6% en 2019. * 236 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, Tableau de bord statistique 2018 de la Justice, éd. mai 2019, p.62. * 237 1914 mis en examen et 1065 prévenus. * 238 Au 31 décembre 2019, le nombre des personnes en attente de jugement a connu une augmentation de de 3,8% par rapport à 2018. Le nombre des détenus provisoires est de 2979 en 2019 (soit 1914 inculpés et 1065 prévenus), contre 2866 (soit 1872 inculpés et 994 prévenus) en 2018. Cf. Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, Tableau de bord statistique 2019 de la justice, éd. 2020, p.58. * 239 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2019, op.cit. p.62. * 240Wamini Micheline OUEDRAOGO, « Santé en milieu carcéral : La double peine des prisonniers » décembre 2017, cf. https://netafrique.net/sante-en-milieu-carceral-la-double-peine-des-prisonniers/ consulté le 27/01/2021 à 11h :29. * 241 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2019, op.cit. p.62. * 242 Jean PRADEL, Principes de droit criminel, I-Droit pénal Général, éd. Cujas, 1999, Paris, p.237. Pour Jean PRADEL, il y a deux cas de récidive: générale (peu importe la nature des infractions) et spéciale (il faut que la deuxième infraction soit de la même nature que la première). * 243 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, éd. 2020, op. cit. p.68. En 2018, la durée moyenne de la peine prononcée est de 60,8. * 244 Christophe CARDET, op. cit. p. 176. * 245 Dans sa définition la plus rigoureuse, la détention provisoire correspond à l'incarcération d'un individu « dans une maison d'arrêt pendant tout ou partie de la période qui va du début de l'instruction préparatoire jusqu'au jugement définitif sur le fond de l'affaire » ; V. Roger MERLE et André VITU, traité de Droit Criminel, T. 2, Procédure pénale, éd. Cujas, Paris, 4e éd., 1989, p.369. * 246PenalReform International, Détention provisoire ; lutter contre les facteurs de risque afin de prévenir la torture et les mauvais traitements, 2013, p.1 * 247 Christophe CARDET, Le contrôle judiciaire socio-éducatif, substitute à la détention provisoire: entre surveillance et réinsertion, Coll. Sciences Criminelles, éd. L'Harmattan, Paris, 2000, p.290. « La détention provisoire influe sur le quantum de la peine car celle-ci préjuge de jure, du quantum de la peine. En effet, la détention effectuée ne peut être déduite d'un sursis, d'une peine substitutive ou d'une dispense de peine. C'est la raison pour laquelle, par une sorte de dévoiement de l'institution, les magistrats de jugement ont pris la fâcheuse habitude de « couvrir » le temps de la détention déjà effectué. C'est-à-dire qu'ils prononcent une peine d'emprisonnement d'une durée au moins équivalente à la période de détention dans le seul but de justifier rétroactivement la décision de leurs collègues instructeurs ». * 248 NicolasBOURGOIN, Le suicide en prison, éd. L'Harmattan, coll. Logiques sociales, Paris, 1994, p.269 * 249S. SNAKEN, « Les courtes peines de prison », Rév. Déviance et société, vol. 10, n°4, 1986, pp.363-387 ; S. SNAKEN, C. ELIARTS, T. PETERS, « Le juge face au problème e courtes peines de prison, Revue Internationale de Criminologie et de Police Technique (RICPT), 1987, pp.176-182. * 250 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, Tableau de bord statistique 2019 de la justice, éd. 2020, p.58. * 251Idem. * 252 Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT), Rapport sur la visite au Bénin, 11 mars 2011, CAT/OP/BEN/1, §158. * 253 Au 31 décembre 2018, le nombre d'inculpés de la P.H.S. a augmenté de 176,9%. * 254 V. Article 261-82 al.1 nouveau C.P.P. « La détention provisoire, ordonnée dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 261-80 et à l'article 261-81 ci-dessus, ne peut excéder un an en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle». * 255 V. Article 261-82 al.2 nouveau C.P.P. « Toutefois, le juge d'instruction peut ordonner une prolongation supplémentaire de la détention provisoire de six mois en matière correctionnelle et d'un an en matière criminelle pour les infractions suivantes : traite des personnes et pratiques assimilées ; grand banditisme ; vente d'enfants, prostitution d'enfants et pornographie enfantine ; torture et pratiques assimilées ; infraction à la législation sur les stupéfiants en bande organisée ; blanchiment de capitaux. * 256 Les O.M.D. ont connu une pratique élevée dans les années 2008 à 2017. Cf. Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles Tableau de bord statistique de la justice 2017, éd. 2018, p.63. * 257 Il s'agit des O.N.G. A.C.A.T. (Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture) et F.I.A.C.A.T. (Fédération Internationale de l'Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture). * 258 Contribution écrite FIACAT - ACAT Burkina Faso, HRC, p.18. cf. https://www.google.com/search?q=Contribution+%C3%A9crite+FIACAT+%E2%80%93+ACAT+Burkina+Faso%2C+HRC+10&ie=utf-8&oe=utf-8&client=firefox-b-ab , consulté le 02 février 2021 à 14h :41. |
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