L aprotection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Fasopar Marou KABORE Université Thomas Sankara - Master 2 2021 |
Chapitre 2 : Une mise en oeuvre inopérante des principes fondamentaux de la détentionPar principes fondamentaux de la détention, il faut entendre de tout traitement pouvant être qualifié de cruel, inhumain ou dégradant. Ces traitements peuvent prendre différentes formes et la constatation de la violation de ce droit dépend des circonstances de chaque cause187(*). Ce sont les traitements qui atteignent un niveau minimal de sévérité et (...) l'évaluation de ce niveau minimal est, dans la nature des choses, relative (...) ; le caractère dégradant et inhumain dépend de toutes les conditions qui entourent le cas, tel que la durée du traitement, ses effets physiques et mentaux et, dans certains cas du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime etc.188(*).Pour tomber sous le coup de traitements inhumains ou dégradants, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité et l'appréciation de ce minimum est relative car elle dépend de l'ensemble des données de la cause189(*). « Machine à exclure », « pourrissoir », « poubelle sociale », « hôpital dépourvu de soignants », la prison est en passe de devenir un grand dépotoir destiné à enfermer des laissés-pour-compte190(*) d'où il s'en suit les violations des principes fondamentaux. Les idées acceptées au plan international concernant les diverses obligations créées par les droits de l'homme indiquent que tous les droits, civils et politiques, sociaux et économiques, créent au moins quatre niveaux d'obligations pour un État qui s'engage à adopter un régime de droits. Il s'agit notamment du devoir de respecter, de protéger, de promouvoir et de réaliser ces droits191(*). Mais en Afrique, on a comme une déconnection, un hiatus entre les engagements internationaux de protection des droits de l'Homme et la pratique interne des États, non pas tellement parce que ces droits sont imparfaitement appliqués, mais parce qu'on n'a pas l'impression qu'ils ont pu véritablement prendre corps au sein de l'État192(*). C'est pourquoi en matière de détention, on constate que les principes fondamentaux sont évincés (Section 1). Les règles de droit n'ayant de valeur que par leur concrétisation193(*), il faut, comme le disait Nicolas Valticos, « passer progressivement de la formulation des droits de l'homme à leur mise en oeuvre effective194(*). La concrétisation des droits inhérents à la dignité (Section2) est donc nécessaire pour réduire l'effet afflictif de la détention195(*).Commission interaméricaines des droits de l'homme, principes et bonnes pratiques de protection des personnes privées de liberté dans les Amériques, du 13 mars 2008 Section1 : Les principes fondamentaux de la détention évincésLa peine privative de liberté devrait être limitée à la seule suppression de la liberté d'aller et venir196(*). Ainsi, simplement privés de leur liberté de mouvement, les détenus devaient disposer de tous les autres droits, et ne plus être traités comme des subordonnés197(*).Or les nombreux constats ou auditions ont montré que du fait de leur isolement, les détenus n'ont pas un égal accès au droit, identique à tout citoyen198(*).Lorsque les principes fondamentaux régissant la détention ne sont pas respectés, la PPL subit donc alors un traitement inhumain et dégradant. Un traitement cruel, inhumain ou dégradant s'entend de toute peine ou châtiment cruel ou inusitée199(*). L'intégrité physique et mentale voire la dignité sont plus particulièrement atteintes pour les personnes privées de liberté au regard de leur vulnérabilité évidente200(*).L'interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants énoncée à l'article 5 de la Charte A.D.H.P. est absolue201(*). Il faut donc un regard particulier sur la protection des détenus car ils sont entièrement sous la responsabilité de l'établissement pénitentiaire.Des traitements inhumains et dégradants et parfois des décès dans les établissements pénitentiaires202(*) que dans les locaux de garde à vue, sont autant des problèmes rencontrés en dépit des textes qui garantissent les droits fondamentaux Par ailleurs, la prison ne se contente pas de priver les individus de leur liberté, elle constitue un facteur majeur d'exclusion ; elle accélère un processus déshumanisant dont la perte d'identité et des valeurs, la désocialisation et le « désapprentissage » de l'autre, ne sont que des aspects les plus patents203(*). Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, 14 décembre 1990 Conseil de l'Europe, Recommandation N°.R (89) 12 du Comité des ministres aux Etats membres sur l'éducation en prison, 1989 Nations Unies, Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement du 09 décembre 1988 Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965. Nations Unies, Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus du 30 août 1955 La charte des Nations Unies du 26 juin 1945 Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (Troisième Convention de Genève), du 27 juillet 1929 * 187 Commission A.D.H.P., Huri-Laws c. Nigéria, comm. n° 225/98, 28e Session ordinaire, 6 novembre 2000, § 41. * 188 Cour E.D.H., Irlande c. Grande Bretagne, série A n°25, 18 janvier 1987, § 162. v. aussi Commission E.D.H., José Antonio Urrutikoetxea c. France, 5 décembre 1996, p. 157. * 189Cour EDH, Aff. Dorneanu c. Roumanie, req. n° 55089/13Arrêt du 28 février 2018, § 75. Cour EDH, Price c. Royaume-Uni, req. n° 33394/96, § 24. * 190 MONGIN Olivier, « Prisons à la dérive », Revue Esprit, n°215, oct. 1995, p. 102. * 191 Commission A.D.H.P., Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for Economic and Social Rights (CESR) c. Nigeria, comm. n°155/96, 13-27 octobre 2000, § 44. * 192 Abdoulaye SOMA, op. cit., p. 448. « Ce constat n'est pas valable que pour l'Afrique, mais est presque général aux pays en développement, accusant un retard dans la pratique des droits de l'Homme ». * 193 Marie-Anne FRISON-ROCHE, Le droit d'accès à la justice et au droit, cf. https://mafr.fr/fr/article/55-le-droit-dacces-a-la-justice-et-au-droit-in-lib/ , consulté le 20/02/2021 à 20:01. * 194Nicolas VALTICOS, « Problèmes de la mise en oeuvre internationale des droits de l'homme », in Annales d'études internationales, vol. 16, 1988, p. 43-55, spéc. p.55. * 195 Laurent MORTET, op. cit. p.91. * 196 Laurent Dupont, «People are sent in prison as punishment, not for punishment«, in op wegnaareenbeginselenwetgevangeniswegen, Leuven Universitaire, Pers Leuven, 1998, p.126. * 197 Jean FAVARD, « Les prisons », éd. Flammarion, coll. Dominos, Paris, 1998, p. 86. * 198 Commission européenne, Rapport sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, Paris, juillet 1999, p.11. * 199 Pierre LANDREVILLE, op. cit. p.113. * 200Cour E.D.H., 3è sect., Aff.Paul et Audrey Edward c. Royaume Uni, req. n°46477/99, 14 mars 2002 * 201Cour A.D.H.P., aff.Armand Guehi c. République-Unie de Tanzanie (République de Côte d'Ivoire intervenant), req. n°001/2015, Arrêt (fond et réparations), 7 décembre 2018, § 131. V. aussi Cour A.D.H.P., aff.Huri-Laws c. Nigéria, comm. n° 225/98, 28e Session ordinaire, 6 novembre 2000, §41. * 202 V. Joseph HARO, « Univers carcéral au Burkina Faso : Bienvenue dans l'enfer ! » cf. www.fasopresse.net/societe/5268-univers-carceral-au-burkina-faso-bienvenue-dans-lenfer- consulté le 26/01/2021 à 14h:39. v. aussi MBDHP, 2e rapport, mars 2019, p.32 et ss. * 203 Christophe CARDET, op.cit. p.184. |
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