B - La consécration envisageable de la reprise de
l'entreprise par ses salariés
Dans l'optique de développer la participation
financière des salariés, l'on peut également envisager que
ces derniers rachètent la société qui les emploie
lorsqu'une menace pèse sur sa survie. Cette reprise de l'entreprise
(RES) peut être totale ou dans le cadre des groupes de
sociétés, ne concerner qu'une branche des activités.
Apparue aux États-Unis dans les années 1970,
puis en Grande Bretagne sous le nom de leverage management buy out
(LMBO)261, la reprise de l'entreprise par ses salariés a
inspirée de nombreuses législations. La France l'a adopté
à travers la loi du 09 juillet 1984 relative au développement de
l'initiative économique. Le droit OHADA des sociétés
commerciales n'a jamais consacré cette mesure. Pourtant, plus proche de
lui, le législateur camerounais l'a fait depuis 1990. Ce dernier, permet
aux salariés des sociétés en cours de privatisation
d'acquérir le capital social. En effet, l'article 16 du décret
n°90/1257 du 30 août 1990 portant application de l'ordonnance
n°90/004 du 22 juin 1990 sur la privatisation des entreprises publiques et
parapubliques dispose qu': « Il peut être dérogé,
conformément aux dispositions de l'article 4 de l'ordonnance
n°90/004 du 22 juin 1990 au principe de l'appel à la concurrence
prévu à l'article 11 ci-dessus afin de favoriser : (...)- la
participation des salariés au capital de l'entreprise, voir même
sa reprise totale par ceux-ci ». Il est donc curieux de voir que le
législateur OHADA n'a pas insérer un tel mécanisme dans
ses dispositions.
Le choix du législateur, pourrait-il être
justifié par l'approche actionnariale qui le caractérise ? En
réalité, il est possible que l'idée d'un rachat de
l'entreprise effraie les actionnaires. Cette formule réalise en effet
une transmission de l'entreprise des mains des propriétaires
(supposés) aux salariés. La mesure pourrait être mal vue
des investisseurs étrangers et rendre le droit OHADA moins attractif.
Mais cet argument est très fragile. À vrai dire, dans les faits,
la RES ne s'effectue qu'en temps de crise, lorsqu'une cessation des paiements
par exemple menace la survie de l'entreprise ou encore quand les
propriétaires du capital financier envisagent de mettre un terme
à l'entreprise, d'où le terme « reprise ». Alors, afin
de protéger les emplois et le tissu économique, toute source de
financement est la bienvenue. Cette formule loin d'être un handicap
à l'objectif de l'OHADA, présente même de nombreux
avantages.
261 MERLE (P.), op. cit., p. 692.
77
En effet, indiscutablement, la survie de toute entreprise
concoure au développement économique. C'est pourquoi, il faut
envisager que des tiers (au capital social) reprennent celles qui risquent la
fermeture. Dans l'intérêt de l'entreprise, il serait souhaitable
que sa continuité se fasse avec ses travailleurs qui maîtrisent
mieux son environnement. Un salarié qui a une ancienneté de 20
ans dans l'entreprise est certainement une matière grise non
négligeable pour celle-ci. Dès lors, permettre aux
salariés de reprendre l'entreprise peut redynamiser celle-ci et la
rendre mieux performante.
Dans un autre sens, les salariés étant des
parties prenantes à l'entreprise ont au même titre que les
actionnaires, un intérêt à ce qu'elle survive, seule la
nature de ces intérêts diffère. Ainsi, afin de
protéger leurs emplois, ils pourront très bien reprendre la
structure. Mais où trouveront-ils les financements pour une telle
opération ?
La question du financement de l'opération est au coeur
même du mécanisme de RES262. Laconiquement, le
mécanisme peut être le suivant. Sans risquer leurs
économies personnelles, les salariés sont aidés par des
groupes d'investisseurs externes qui rachètent la société.
Grâce à un soutient fiscal de l'État, les
bénéfices réalisés par la nouvelle
société serviront à rembourser ces dettes. Afin de se
rassurer de l'effectivité d'une reprise par les salariés
plutôt que par le groupe d'investissement, la loi impose un quota de
droit de vote que devront détenir des personnes qui à la date de
la reprise, étaient salariés de l'entreprise263.
Outre la participation au capital, l'on pourrait aussi
envisager la participation directe aux bénéfices.
PARAGRAPHE II : L'IMPORTANCE D'UNE PARTICIPATION DES
SALARIÉS AUX RÉSULTATS DE LA SOCIÉTÉ
En droit OHADA, les principaux bénéficiaires des
performances de l'entreprise sont le trésor et les actionnaires. Les
salariés ne sont pas pris en compte. Or, les actionnaires ne supportent
pas seul le risque entrepreneurial264. En investissant dans des
compétences spécifiques difficilement remplaçables
(capital humain), les salariés se trouvent dans la même situation
que celles des actionnaires (fonds propres). Tous deux sont des «
créanciers résiduels » de l'entreprise, dans la mesure
où ils supportent les risques265. Ainsi, il est dangereux de
les écarter du magot. Le danger vient de ce que cette mise à
l'écart à une
262 Idem.
263 Idem.
264 BENHAMOU (S.), précité, p. 65.
265 Idem.
78
désincitation au travail qui affaiblit les performances
de l'entreprise. C'est pourquoi, il est important d'envisager un
intéressement des salariés aux fruits de l'expansion de
l'entreprise. Et dans ce sens, le droit comparé nous propose une
participation des salariés aux bénéfices de l'entreprise
(A) et la promotion de l'épargne salariale (B).
|