La participation des salariés en droit des sociétés commercialespar Dilane Gildas DJIOKENG FEUJIO Université de Dschang - Master 2 2019 |
B - L'élargissement des mécanismes de contrôle aux salariésLes mécanismes de contrôle sont des moyens qui permettent d'éviter les difficultés économiques en contrôlant la gestion des dirigeants sociaux. Ils permettent à leurs initiateurs de s'impliquer davantage dans la marche de la société en menant des investigations sur sa gestion. En droit OHADA, ces mécanismes sont extrajudiciaires (procédure d'alerte) ou judiciaires (expertise de gestion et administration provisoire) et sont réservés à une minorité de privilégiés de laquelle est complètement exclu le salarié. Or, le salarié a autant d'intérêts que ces privilégiés dans le bon fonctionnement de la société ; ils devraient logiquement aussi en bénéficier. Dans un premier temps, la santé de la société gagnerait à ce que les salariés bénéficient du droit d'alerte social. L'alerte est une procédure destinée à réveiller les dirigeants de la société178. Elle permet à ses initiateurs de protéger l'intérêt social en amenant le dirigeant de la société à prendre des mesures qui s'imposent pour remédier à la menace qui pèse sur l'entreprise179. En droit OHADA, elle appartient exclusivement aux commissaires aux comptes180 et aux associés/actionnaires181. Cette exclusion des salariés peut être justifiée par le fait qu'à ce moment, la situation de l'entreprise n'étant pas encore difficultueuse, la discrétion devrait guider la gestion du risque qui se présente. Or, il est de l'intérêt des salariés de protéger la société et sa santé financière. En plus, leur position centrale dans le fonctionnement de l'entreprise leur permet facilement de détecter les risques économiques de celle-ci. C'est ainsi qu'en France, depuis la loi du 1er mars 1984 sur la prévention des difficultés des entreprises, les salariés peuvent désormais intervenir dans le cadre de la procédure d'alerte lorsqu'ils ont connaissance des faits de nature à compromettre la situation ou l'avenir de l'entreprise182. L'amélioration de la participation des salariés dans la prévention des difficultés des sociétés commerciales OHADA passerait donc par une appropriation de la procédure d'alerte. Parallèlement, ladite procédure se trouverait renforcée si elle était élargie à leur profit. La procédure d'alerte exercée par les travailleurs pourra être similaire à celle actuellement en vigueur. Ainsi, sous l'impulsion de leurs représentants, les salariés qui ont 178 NJANDEU (M.-A.), « La protection de la société commerciale en droit OHADA », in Les mutations juridiques dans le système OHADA, Paris, L'Harmattan, 2009, pp. 232-234. 179 Ibidem, p. 234. 180 Articles 150 à 152 (dans les sociétés autres que les sociétés par actions), et 153 à 157 (pour les sociétés de capitaux) de l'AUSCGIE. 181 Article 157 (dans les sociétés autres que les sociétés par actions) et 158 (dans les sociétés de capitaux) de l'AUSCGIE. 182 NJANDEU (M.-A.), précité, p. 234. 48 connaissance de tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation « pourront »183 demander par écrit, des explications sur la situation aux gérants ou aux dirigeants sociaux qui seront tenus d'en fournir par écrit. Un auteur pense que si ceci n'aboutit pas, une seconde phase devrait être envisagée, elle consistera pour l'institution représentative à établir un rapport sur l'état des difficultés, lequel rapport sera communiqué au commissaire aux comptes, au conseil d'administration ou à l'assemblée des actionnaires184. Mais bien que pertinente, cette idée se heurte au sérieux problème d'accessibilité du conseil d'administration ou de l'assemblée générale par les représentants du personnel. Elle serait plus réaliste s'il existait déjà une participation obligatoire des salariés ou de leurs représentants dans ces organes. Dans un second temps, les salariés devraient pouvoir aussi exercer des mécanismes de contrôles qui permettent de demander aux juges l'intervention d'un organe externe dans la gestion de l'entreprise. En droit OHADA, ces mécanismes existent bien mais ne sont pas à la portée des salariés : il s'agit de l'expertise de gestion185 et de l'administration provisoire186. Dans le premier cas, les salariés via leurs représentants pourront demander en justice la désignation d'un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. Dans le second cas, lorsque le fonctionnement normal de la société est rendu impossible soit du fait des organes sociaux, soit du fait des associés, les salariés pourront demander à la juridiction compétente la nomination d'un administrateur provisoire qui sera chargé d'assurer momentanément la gestion des affaires sociales. Enfin, l'on pense comme d'autres auteurs que le droit OHADA renforcerait encore davantage son système de prévention des difficultés s'il faisait recours à des techniques d'alerte encore plus simplistes et directes comme le « whistleblowing »187. Le whistleblowing ou lancement d'alerte éthique en français, est une pratique née aux Etats-Unis. Il est considéré comme un système permettant aux salariés d'alerter individuellement leurs dirigeants ou un organisme spécialement constitué, sans risque d'être personnellement inquiété des irrégularités ou des mauvais comportements professionnels qu'ils constatent dans l'entreprise 183 En effet, si la procédure d'alerte est obligatoire à l'égard du CAC, on la voit difficilement obligatoire à l'égard du salarié, sa fonction principale à la différence du CAC n'étant pas de contrôler la gestion. 184TAKAFO KENFACK (D.), « Libres propos sur la réglementation de l'alerte en OHADA », revue des procédures collectives, lexisnexis, jurisclasseur, mars-avril 2016, p. 24. 185 Articles 159 et 160 de l'AUSCGIE. 186 Articles 160-1 à 160-8 de l'AUSCGIE. 187 AMISSI MANIRABONA (M.), « Un renforcement du mécanisme d'alerte pour lutter efficacement contre la criminalité économique dans l'espace OHADA », Bull. de droit économique, Faculté de droit de l'université Laval, 2017, [en ligne sur] http://www.droit-economique.org/wp-content/uploads/2017/12/Amissi-1.pdf, (consulté le 20 juin 2020 à 17h16); KOUAMO (D. R.), op. cit., p. 160-164. 49 et dont ils estiment qu'ils font courir un risque sérieux à l'entreprise188. À la différence de la procédure d'alerte en vigueur, il peut aisément s'exercer par un salarié individuellement et sans que ce dernier ne soit inquiété des représailles puisque le « whistleblower » (lanceur d'alerte) exerce l'action dans l'anonymat. Par ailleurs, ce système permet de pallier aux difficultés nées de l'absence des institutions de représentation du personnel dans les entreprises. Lorsque l'exercice de tous ces mécanismes de contrôle n'a pas permis d'éviter l'arrivé des difficultés, la participation des salariés dans les procédures collectives devraient également se voir accentuée. PARAGRAPHE II : L'AMÉLIORATION DU RÔLE DES
SALARIES EN CAS DE Le rôle des salariés devrait être amélioré dans l'entreprise en difficulté tant avant la survenance de la cessation des paiements (A) qu'après sa survenance (B). |
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