B - Les concessions salariales pour le traitement de la
crise
Comme toutes les parties prenantes de l'entreprise,
intéressées par la procédure de traitement en cours, les
salariés peuvent consentir des concessions sur des droits et avantages
qu'ils détiennent à son endroit en vue de sauver l'outil de
production. Tous ces efforts ne seront en principe possibles que dans le plan
de redressement judiciaire car la liquidation suppose déjà
l'irréversibilité de la situation de l'entreprise. Les mesures de
restructuration issues de ce plan de redressement peuvent même les amener
à consentir à leur licenciement. Ainsi, ces efforts peuvent
concerner leurs rémunérations et ne pas affecter le lien
contractuel ou concerner leur statut dans l'entreprise et affecter le lien
contractuel.
D'une part, les salariés peuvent faire des concessions
sur leurs salaires échus. Toutefois, en raison de la nature
particulière de cette créance, la loi a strictement
encadré leur action. Sur leurs salaires déjà exigibles,
les salariés peuvent accorder des délais supplémentaires
de paiements, ou des remises partielles de dettes. Mais toutes ces concessions
ne doivent pas porter atteinte au super privilège conféré
à leur salaire car comme on l'a déjà dit, les
salariés sont des créanciers protégés en raison de
la nature alimentaire et fragile de leurs créances : l'article 134 de
l'AUPCAP dispose à cet effet que, les travailleurs ne peuvent se voir
imposer aucune remise ni délais excédant deux (02) ans sans
préjudice des dispositions de l'article 96. Autrement dit, les
salariés ne peuvent consentir ou se voir imposer des délais de
grâce ou des remises partielles qu'exclusivement sur la quotité
saisissable de leurs salaires. La fraction insaisissable représentant la
nature alimentaire du salaire n'en-est aucunement concernée. La
renonciation des salaires est un moyen providentiel de financement pour les
entreprises en difficultés tant les charges salariales sont une
faiblesse pour elles169.
En effet, c'est parce que le paiement intégral de la
masse salariale pourrait saper les chances de redressement de l'entreprise et
compromettre le paiement des autres créanciers
168 YANPELDA (V.), précité, p. 40.
169 MAGUEU KAMDEM (J. D.), Le financement des entreprises
en difficultés en droit OHADA, thèse, Université de
Dschang, 2016, p. 221.
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qu'il est permis aux salariés de faire des
renonciations de salaires170. Afin que ces renonciations ou remises
de dettes ne préjudicient au super privilège du salaire, elles
doivent se faire suivant un formalisme rigoureux. À ce titre, l'article
177 de l'AUVE dispose qu'elles doivent se faire suivant les règles
fixées par les législations sociales de chaque États
membres171.
D'autre part, dans l'intérêt de l'entreprise, les
mesures de restructurations liées aux difficultés
économiques peuvent parfois imposer à l'employeur une
réduction de son effectif. Cette réduction de l'effectif salarial
implique logiquement des licenciements qui seront dits « pour motifs
économiques ». C'est à ce moment que l'implication des
salariés est louable car en disant en son article 110 que les
licenciements économiques sont envisageables uniquement s'ils sont
urgents ou indispensables, l'AUPC laisse aux parties une brèche pour le
recours à d'autres solutions qui auraient le même effet de
réduire l'importance des charges salariales.
L'entreprise est en crise, le salarié veut garder son
emploi et l'employeur veut continuer l'activité avec les mêmes
salariés : une négociation est alors très possible car
comme le disait Jean Moulin, « les hommes n'acceptent le changement
que dans la nécessité et ne voient la nécessité que
dans la crise »172. Dans ce sens, ils pourront ensemble
comme le prévoit le Code de travail camerounais, ouvrir des
négociations pour des mesures alternatives. Au rang de ces mesures,
« la réduction des heures de travail, le travail par roulement,
le travail à temps partiel, le chômage technique, le
réaménagement des primes, indemnités et avantages de toute
nature, voire la réduction des salaires [à
venir]»173. Ce n'est que lorsque le salarié «
refuse par écrit » les mesures envisagées ou
lorsqu'en dépit d'elles, les licenciements s'avèrent encore
nécessaires qu'il est procédé aux licenciements pour motif
économique. Ses charges salariales ainsi réduites, l'entreprise
pourra relancer aisément son activité tout en évitant une
rechute.
L'on retiendra donc que le droit OHADA des entreprises en
difficultés envisage clairement la participation des salariés
dans la gestion des difficultés de l'entreprise. Cependant, il la limite
à la survenance de la cessation des paiements en leurs permettant
d'ouvrir la procédure et de s'impliquer dans elle, ce qui nous
emmène à rechercher comment améliorer cette
participation.
170 Ibid.
171 Ibid., pp. 265-267.
172 Jean MOULIN, cité par GADRAT (M.),
Restructurations et droit social, thèse, Université de
Bordeaux, Tome 1, 9 décembre 2014, p. 17.
173 Article 40 alinéa 3 du Code de travail camerounais.
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SECTION II : LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER
L'IMPLICATION DES SALARIÉS DANS LA GESTION DES DIFFICULTÉS DE LA
SOCIÉTÉ
Les apporteurs en capital semblent être les seuls
intéressés au bien-être de l'entreprise d'après le
droit OHADA. Or, les salariés sont également des parties
prenantes autant intéressés de la bonne santé de leur
employeur. Il serait judicieux aussi dans l'intérêt de
l'entreprise que ces derniers soient impliqués dans la prévention
des difficultés (§1) et que leur rôle soit renforcé
lorsque surviennent les difficultés (§2).
PARAGRAPHE I : L'INSTAURATION SOUHAITABLE DES
MÉCANISMES PERMETTANT LA PRÉVENTION ET LA DÉTECTION DES
DIFFICULTÉS PAR
LES SALARIÉS
En négligeant l'intérêt des
salariés dans l'entreprise, le droit OHADA les a complètement
exclus des mécanismes de prévention des difficultés de
l'entreprise. Or étant des parties prenantes de l'entreprise qui ont
également un intérêt à son bien-être, il
serait bien de leur consacrer un véritable droit d'information (A) et de
leur permettre d'utiliser aussi les mécanismes de contrôle de la
gestion (B).
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