CONCLUSION DU CHAPITRE I
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Il ressort des précédents développements
que le droit OHADA se sert des formules du cumul d'un mandat social avec un
contrat de travail et du délégué du personnel prévu
dans les législations sociales des États membres pour faire
davantage participer les salariés à la gestion de la
société in bonis. Cependant, cette participation
s'avère très insuffisante en raison des carences du régime
de cumul de fonctions et de l'absence d'institutions de représentation
collective des salariés tel que le comité d'entreprise. L'on
pense au regard des analyses qui ont précédées qu'il est
nécessaire de rendre obligatoire la participation des salariés
dans les organes dirigeants de l'entreprise en supprimant le caractère
facultatif de l'administrateur salarié, et en consacrant une institution
collective de représentation tel que le comité d'entreprise. De
même en temps de difficultés, les salariés devraient
être très impliqués dans la gestion de la
société.
CHAPITRE II : L'IMPLICATION MITIGÉE DES
SALARIÉS DANS LA GESTION DES DIFFICULTÉS DE LA
SOCIÉTÉ COMMERCIALE
Lorsque se présentent les difficultés
économiques ou financières, la gestion de la
société devient extraordinaire. Ces difficultés peuvent
être légères ou sérieuses, et nécessiter
respectivement une action extra judiciaire appelée la conciliation ou
une action judiciaire appelée règlement préventif. Mais
ces difficultés peuvent êtres très graves et plonger
l'entreprise dans une situation de crise économique dite de la cessation
des paiements : cette dernière nécessitera un traitement
spécial selon que l'entreprise peut être sauvée
(redressement judiciaire) ou pas (liquidation des biens). Les
conséquences de ces situations sont si importantes que toutes les
parties prenantes de l'entreprise devraient s'impliquer dans leurs
résolutions. Les salariés, parce qu'ils sont le relais entre la
vie interne et externe de l'entreprise, sont plus susceptibles de maitriser les
causes du/des problème(s), de le(s) détecter très
rapidement, et avoir ainsi des idées de résolution. Parce qu'ils
sont (on pourrait dire) autant affectés que les associés et les
créanciers, par l'issue de la procédure, ils devraient
logiquement être impliqués dans leurs traitements. C'est la raison
pour laquelle les procédures collectives qui visent à
résoudre ces difficultés ne peuvent se faire sans l'intervention
des salariés ou de leurs représentants. Mais le droit OHADA
à travers son AUPCAP, laisse perdurer les réminiscences d'une
gestion exclusive des salariés. Il semble moins en faire des acteurs que
de simples « spectateurs ou victimes »137. Dans
ce sens, puisqu'il implique de façon très mitigée les
salariés dans la gestion des crises économiques de l'entreprise
(section 1) il est nécessaire de chercher les moyens
qui favoriseront une meilleure participation des salariés
(section 2).
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137 YANPELDA (V.), « Les salariés dans les
procédures collectives OHADA. Acteurs ou spectateurs ? », Revue
de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, n°1, 2011, p. 37. Les salariés sont des spectateurs
s'ils n'agissent pas et des victimes lorsqu'ils subissent l'impact des
difficultés à travers notamment les licenciements, les
reclassements etc.
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SECTION I : LA PARTICIPATION DES SALARIÉS DANS LE
TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS DE LA SOCIÉTÉ LIMITÉE
À L'EXISTENCE DE LA CESSATION DES PAIEMENTS
En droit OHADA des entreprises, les salariés sont
impliqués dans la gestion des difficultés économiques de
leurs employeurs. Mais cette implication est mitigée pour plusieurs
raisons. Déjà, si le salarié n'est pas également
associé/actionnaire, ou dirigeant, il est impuissant dans la
prévention de la cessation des paiements (crise
économique138) de son entreprise alors même que les
restructurations qui peuvent en sortir sont susceptibles de
l'affecter139. Il ne peut s'exprimer qu'en cas de cessation des
paiements140 en provoquant l'ouverture des procédures
curatives (paragraphe 1), ou en accordant des concessions sur ses avantages
(paragraphe 2) en vue de la résolution de la crise.
PARAGRAPHE I : LA POSSIBILITÉ D'OUVERTURE DES
PROCÉDURES COLLECTIVES CURATIVES PAR LES SALARIÉS
En principe, l'ouverture d'une procédure collective
curative est l'apanage du débiteur qui est obligé de
déclarer sa cessation des paiements141. Mais n'ayant pas
« l'assurance que le débiteur y défère
spontanément »142, le législateur a
étendu le champ de compétence à plusieurs autres
personnes. Ainsi, explicitement, l'acte uniforme donne la possibilité
aux salariés de demander l'ouverture d'une procédure de
redressement judiciaire soit en tant que créancier de l'entreprise (A),
soit en tant qu'informateur du juge compétent en vue de sa saisine
d'office (B).
138 La crise économique est entendue ici comme toute
difficulté économique ou financière de nature à
compromettre le fonctionnement normal de l'entreprise.
139 La quasi exclusion du salarié des procédures
préventives peut s'expliquer par le fait qu'à cette étape
des crises, la société étant toujours in bonis,
sa gestion est toujours normale, ses dirigeants de ce fait ont toujours
l'exclusivité de tous leurs pouvoirs de gestion. Les procédures
préventives étant considérées comme des actes de
gestion. Aussi, ces procédures ont été instituées
dans l'intérêt du débiteur pour qui, elles sont des moyens
de protection judiciaires, et qui seul, peut décider de leur
opportunité ; Voir, KOUAMO (D.R.), L'implication du salarié
dans la prévention et le traitement des difficultés entreprises
dans l'espace OHADA. Le cas du Cameroun, thèse, Université
de Nantes, 9 janvier 2018, p. 179-182.
140 Article 25 al.2 de l'AUPCAP : « La cessation des
paiements est l'état où le débiteur se trouve dans
l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son
actif disponible, à l'exclusion des situations où les
réserves de crédit ou les délais de paiement dont le
débiteur bénéficie de la part de ses créanciers lui
permettent de faire face à son passif exigible ».
141 Article 25 et 228 de l'AUPCAP. 142KOUAMO (D.R.),
op. cit., p. 227.
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A - L'action individuelle des salariés en tant que
créanciers de la société
À la différence des procédures
préventives d'apurement du passif, l'AUPCAP élargit le champ des
requérants d'une ouverture des procédures curatives.
D'après l'article 28, l'orée de ces procédures peut
être l'initiative d'un créancier qui justifie d'une créance
certaine, liquide et exigible, à l'encontre de l'entreprise
débitrice. Ce dernier a le droit de saisir la juridiction
compétente et demander l'ouverture d'une procédure de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens à l'encontre de son
débiteur. L'initiative n'est plus l'apanage du débiteur comme
c'est le cas avec les procédures préventives. Et ceci se justifie
aisément par le fait que l'objectif poursuivi dans les procédures
curatives n'est plus uniquement la protection du débiteur, mais plus
largement, la défense des intérêts de toutes les parties
prenantes (internes et externes) de l'entreprise. C'est également l'une
des raisons de la restriction des pouvoirs de gestions des organes de la
société à ce stade, à travers la gestion de la
procédure par des acteurs externes, l'assistance ou le dessaisissement
du débiteur143. Bref, les créanciers ont un
intérêt à assigner le débiteur en justice en vue de
demander son redressement ou sa liquidation. Cet intérêt à
agir est d'ailleurs la condition sine qua none de l'assignation et se
matérialise par l'exigence des caractères cumulatifs de
certitude, liquidité et exigibilité de la
créance144. Comme le rappelle le professeur KALIEU, «
le droit d'assignation des créanciers n'est pas
systématiquement mis en oeuvre. Il faut que le créancier ait un
intérêt personnel à demander l'ouverture d'une
procédure collective contre son débiteur », au risque
de se verser dans un abus de droit d'ester145.
Le salarié dans la mesure où il est
créancier envers son employeur de son salaire, a également la
qualité pour demander l'ouverture d'une procédure curative en cas
de retard ou de non-paiement. À cet effet, sa demande doit
préciser la nature et le montant de sa créance et viser le titre
sur lequel elle se fonde. Dans ce cas, la juridiction compétente
statuant sur l'ouverture de la procédure « adéquate »,
peut entendre le salarié demandeur ou les représentants du
personnel146.
Toutefois, il faut préciser que le salarié n'est
pas un créancier ordinaire. Ceci dans la mesure où à la
différence de tous les autres créanciers dans la masse, il
bénéficie d'une
143 Chapitre 3 de l'AUPCAP.
144 Jl s'agit là des conditions cumulatives comme l'ont
laissé entendre les juges : Arrêt Cour d'appel de Ouagadougou,
n° 52 du 16 avril 2004, « SOSACO /BATEC, BTM », Ohadata
J-08-20.
145 KALIEU ELONGO (Y. R.), « Notion de procédure
collective », in Encyclopédie du droit OHADA, Paris, Lamy,
2011, p. 1259.
146 Article 32 al.1 de l'AUPCAP.
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protection légale : c'est le super privilège des
salariés147. Il devra être
désintéressé « au plus tard, dans les dix (10)
jours qui suivent la décision d'ouverture et sur simple décision
du juge-commissaire »148. Cette protection est due en
raison de la nature alimentaire particulière de sa créance.
Cependant, ce n'est que très marginalement que l'on
peut considérer cette action individuelle des salariés en
qualité de créanciers comme des mesures de participation directe
au traitement des crises de la société. En effet, elles
contraignent ces derniers à n'agir que si leurs salaires n'ont pas
été convenablement payés. Or, la cessation des paiements
peut bien exister en l'absence d'une irrégularité dans le
paiement des charges sociales. Il aurait été nécessaire de
leurs consacrer un droit d'action directe sans besoin d'être
créanciers car plus vite la crise est résolue, plus sûr est
leur avenir et leur bien être dans l'entreprise. Malheureusement, en
l'état actuel du droit des entreprises OHADA, aucune technique ne permet
aux salariés lambda de faire une alerte tant au niveau interne
(auprès des organes de contrôle) qu'au niveau externe
(auprès d'une juridiction compétente) sur une crise dont ils ont
connaissance. Pourtant, très souvent, ils s'enquièrent rapidement
de l'existence d'une crise à travers leur place centrale dans
l'entité contrairement aux autres créanciers. Or en l'absence
d'un tel droit d'alerte à eux reconnu, la situation risque de
s'envenimer en raison du manque de diligence des dirigeants optimistes sur leur
capacité à résorber la crise. Il devient alors
intéressant de s'interroger sur les moyens de participation du
salarié non créancier ou lambda.
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