B - La redéfinition des modalités de
désignation des administrateurs-salariés
En l'état actuel du droit OHADA, les salariés
administrateurs sont soit désignés par les statuts ou
l'assemblée générale constitutive104, soit
nommés par l'assemblée générale
ordinaire105. La déduction lamentable est que leur
présence dépend de la volonté totale des actionnaires ; ce
qui ne facilite pas considérablement la dynamisation de la gouvernance
des sociétés anonymes. Il serait alors plus intéressant de
faire recours en outre, à des modalités de
représentativité plus participatives. L'élection par les
salariés de leurs représentants au conseil d'administration
serait un mode idoine.
Opposée de la nomination, l'élection est
l'« opération par laquelle plusieurs individus ou groupes
formant un collège électoral, investissent une personne d'un
mandat ou d'une
102 Loi française de sécurisation de l'emploi du
14 juin 2013. Avant cette loi, il s'agit d'une faculté reconnue par les
articles L. 225-27 et suivants du code de commerce.
103 KETTANI (M.), « Cumul du mandat social et du contrat
de travail : analyse juridique et jurisprudentielle », Rev., juridique
marocain, n°36, 2015.
104 Article 419 de l'AUSCGIE.
105 Article 546 de l'AUSCGIE.
28
fonction par un vote »106. C'est le
mode qui met en exergue une démocratisation des relations de travail. Il
a l'avantage de donner une légitimité à l'administrateur
salarié élu. Ainsi, tous les salariés composeront le
collège électoral et voteront celui ou ceux d'entre eux qui les
représenteront au conseil d'administration. Puisque ce modèle est
très similaire à la représentation par les
délégués du personnel, et que ces derniers en droit OHADA
ne siège pas au conseil d'administration, on peut se demander s'il ne
serait pas plus simple pour le législateur d'imposer la présence
des délégués du personnel au conseil d'administration. La
réponse nous appelle à faire recours au droit français.
Afin de maximiser la présence des représentants
du personnel salarié dans les organes sociaux, le code de commerce
français dispose que le mandat d'administrateur salarié est
incompatible avec tout mandat de membre d'un organe de représentation
des salariés107. Il importe de ne pas cumuler les deux
fonctions de représentation sur une même personne.
Quant aux modalités de l'élection, il est
possible de laisser aux statuts l'organisation du vote et d'imposer les
conditions d'exercice du suffrage et d'éligibilité similaires
à celles des délégués du personnel108.
Mais en l'absence d'orientations législatives, ce serait encore
abandonner la représentation à la volonté des
actionnaires.
Une autre modalité intéressante est
prévue par la loi française de 2013 sur la sécurisation de
l'emploi et consiste en la désignation de l'administrateur
salarié par le comité d'entreprise. Mais son application en droit
OHADA nécessiterait au préalable qu'on crée des
comités d'entreprises comme en France.
PARAGRAPHE II : LA PROMOTION DES ORGANES
COLLÉGIAUX DE REPRÉSENTATION DES SALARIÉS DANS
L'ENTREPRISE : L'INSPIRATION DES COMITÉS D'ENTREPRISES
Le comité d'entreprise est l'institution de
représentation collective du personnel aux missions diverses, qui dans
une entreprise, réunit sous la présidence du chef d'entreprise,
des représentants élus du personnel et représentants de
chaque organisation syndicale représentative dans
l'entreprise109. Il n'existe pas en droit OHADA et le
néophyte peut facilement l'assimiler à tort aux comités
d'études prévues à l'article 437 de l'AUSCGIE.
106 CORNU (G.), (dir.) et Association Henri CAPITANT,
Vocabulaire juridique, 12ème édition,
PUF/Humensis, 2018, p. 432.
107 Article L. 225-30.
108 Article 168 du Code de travail camerounais et article 123
de l'Avant-projet d'acte uniforme relatif au droit du travail de 2006.
109 CORNU (G.), op. cit., p. 232 ; mais cette
définition peut varier en fonction des pays.
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Seuls quelques États membres tels que le
Gabon110, le Mali111, et la Mauritanie l'ont
consacré dans leurs législations sociales. Or il s'agit d'un
instrument de participation approprié pour l'amélioration de la
place des salariés dans l'entreprise (B) et sa consécration par
le législateur communautaire est nécessaire surtout au vu de
l'inadéquation des institutions de représentation en vigueur
(A).
A - Les comités d'entreprises justifiés par
l'inadéquation des institutions de représentation
consacrées
Dans la plupart des pays de l'OHADA, la seule institution de
représentation des salariés qui permet une participation de ces
derniers à l'intérieure de l'entreprise est le
délégué du personnel112. Bien que le droit du
Travail soit encore un « parent pauvre de l'OHADA
»113, l'intention du législateur au regard de
l'Avant-projet d'Acte Uniforme de 2006 relatif au droit du travail était
de maintenir cette logique. Ainsi, l'article 165 de ce livre voulait imposer
leurs élections dans les entreprises de plus de cinquante
salariés. Cependant, bien qu'armé de moyens considérables
de défense des intérêts salariés dans la vie de
l'entreprise, le délégué du personnel s'avère
très faible et inadéquat à la participation des
salariés dans la gestion de l'entreprise.
Vestige de l'héritage colonial, l'institution du
délégué du personnel est introduite en Afrique par
l'administration Française dès 1952 à travers le Code de
Travail d'Outre-Mer (CTOM)114 qui dote les colonies
françaises et les territoires sous administration française d'un
code de travail propre. Elle a pour mission de présenter à
l'employeur, les revendications individuelles ou collectives des travailleurs
concernant les conditions de travail que ces derniers ne peuvent faire
directement ; de veiller au respect de la législation sociale par
l'employeur ; de communiquer à l'employeur toutes suggestions et
observations du personnel tendant à l'amélioration de
l'organisation et du rendement de l'entreprise.
Cependant, en raison de plusieurs lacunes, le
délégué du personnel ne permet pas une suffisante
participation des salariés au fonctionnement ordinaire de l'entreprise.
D'une part, il
110 Adoptés sous le nom de « comités
permanents de concertation économique et sociale » par l'ordonnance
n°29/76 du 10 avril 1976 et le décret n°407 du 10 avril
1976.
111 Adoptés par le code du travail sous le nom de «
comités de gestion ».
112 Article 122 du Code du travail camerounais.
113 REIS (P.), « Le droit du travail dans le droit OHADA
», Revue de l'OHADA, n°1 de juin 2012, p. 244.
114 Loi française du 15 décembre 1952 ; v. SIM
(R.), Le délégué du personnel : Une institution
démocratique en droit de travail, Presses de l'UCAC,
Yaoundé, 2007.
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est un organe individuel de participation ; ce qui est
très dangereux115. Ainsi, parce que mal organisé, il
lui est difficile d'influencer les décisions de l'employeur. De plus,
parce qu'il s'agit d'une personne, l'interprétation des
réclamations par ce dernier peut être biaisée par son
analyse personnelle. Ceci justifiera très souvent que les
salariés s'en passent de lui et présentent directement leurs
suggestions et réclamations à l'employeur116. Le
système de représentation dès lors perd sa raison
d'être.
D'autre part, les délégués du personnel
n'ont pas une influence sur les décisions économiques de
l'entreprise. Ils ne savent rien de la vie économique de l'entreprise et
sont vis-à-vis de l'employeur dans une position qui interdit toute
ténacité117. En effet, l'objectif de la participation
et plus largement de la gouvernance d'entreprises se trouve ignoré
lorsque le système de participation en vigueur ne permet pas aux
salariés de se prononcer sur les décisions économiques de
l'entité. Certes, il est permis aux délégués du
personnel « de communiquer à l'employeur toutes suggestions
utiles tendant à l'amélioration de l'organisation et du rendement
de l'entreprise »118, mais il s'agit là d'un
exercice facultatif. L'employeur n'est pas obligé de requérir
leur avis sur les décisions y relatives comme ce serait le cas avec le
comité d'entreprise ou encore de les informer de la vie
économique de l'entreprise. À ce niveau, on peut bien se demander
si le législateur n'a pas plutôt servit de la « fausse
monnaie » aux travailleurs119.
Le délégué du personnel a un rôle
essentiellement tourné vers l'amélioration des conditions de
travail. Du coup, son impact sur la vie économique n'est pas visible. Il
est de ce fait perçu très négativement comme un instrument
de lutte des classes par les dirigeants qui vont très vite
développer la pratique des réponses écrites aux
réclamations des délégués du personnel afin
d'éviter les contacts directs avec eux120. Ceci crée
une situation conflictuelle constante entre le directoire et le
délégué du personnel de laquelle le premier ressort
très souvent vainqueur en dépit de la protection
législative accordée au second121.
115 TAM (P.), L'institution des comités
d'entreprise en droit du travail camerounais, mémoire,
Université de Yaoundé 2, année 1988-1989, pp. 22 et s.
116 Les textes relatifs aux délégués du
personnel leurs en donnent le droit. C'est le cas de l'article 129 du code de
travail camerounais et 179 de l'avant-projet précité.
117 POUGOUÉ (P.-G.), TCHAKOUA (J. M.), « Le
difficile enracinement de la négociation en droit du travail camerounais
», Afrilex, 2000, p. 3.
118 Article 128 du code du travail ; Voir également
l'article 178 de l'avant-projet précité. Mais il s'agit là
d'une prérogative reconnue lorsqu'il n'y a pas de comité
d'entreprises.
119 POUGOUÉ (P.-G.), TCHAKOUA (J. M.),
précité, p. 3.
120 LE CROM (J.P.), op. cit., p. 73.
121 Idem.
31
Devenu une institution en difficulté dont le rôle
dans la démocratie d'entreprises est contesté, le
délégué du personnel voit son déclin
s'annoncer122. Un déclin facilité par la
simplicité des mécanismes de participation tel le cumul de
fonctions, ou la pertinence des institutions collectives de
représentation tel les comités d'entreprises.
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