B - La cessation des fonctions des dirigeants
salariés
« À un moment ou à un autre de la vie
sociale, la question de la cessation des fonctions des dirigeants va se poser
inéluctablement »94. Mais le mode de cessation des
fonctions du dirigeant salarié le plus problématique est celui
par lequel ses cocontractants décident de mettre fin
prématurément à leurs relations contractuelles. Il s'agit
de la révocation du mandat social ou du licenciement dans le cadre du
contrat de travail. Puisque ces deux contrats sont réunis en une seule
personne, des interférences entre les deux régimes de
révocation s'opèrent logiquement. À titre illustratif,
l'on peut constater que son licenciement ne peut s'opérer que par son
employeur qui peut être lui-même, en vertu du mandat social. Ainsi,
comment assurer son licenciement en cas de besoin ? Est-ce que sa
révocation pourra emporter systématiquement son licenciement ?
Avant de répondre à ces questions, il importe
préalablement de préciser les règles des cessations de
fonctions des dirigeants salariés.
En principe, la révocation des dirigeants sociaux est
libre, et se fait par la seule volonté de l'assemblée
générale ordinaire ou du conseil d'administration selon les cas :
on parle de révocation ad nutum95. Le
caractère d'ordre public de ce principe justifie que toute convention
tel un contrat de travail qui a pour effet d'entraver ou de restreindre son
efficacité soit interdite96. Dans ce sens, les juges de la
CCJA ont qualifié de « moyen frauduleux » et
annulé le contrat de travail d'un dirigeant social conclu dans le but de
garantir la stabilité de son mandat social97. Quant au
licenciement, sa mise en oeuvre ne donne pas autant de liberté à
l'employeur que la révocation du mandat. Il ne peut être
opéré que selon un motif légitime et réel au risque
pour l'employeur de réparer le préjudice subi par le
salarié du fait de la rupture abusive. L'on est donc en présence
de deux modes de cessation de fonctions totalement autonomes.
De par les exclusivités de leurs régimes
juridiques, la révocation du mandat social est autonome du licenciement
: c'est le principe d'autonomie du mandat social et du contrat de
travail98. Illustration de la sécurité dont jouit le
dirigeant salarié par rapport au dirigeant non
94 AKAM AKAM (A.), « La cessation des
fonctions des dirigeants des sociétés commerciales en droit OHADA
», Revue d'étude et de recherche sur le droit et
l'administration dans les pays d'Afrique (Afrilex), mars 2009, p. 1.
95 Outre le contrôle juridictionnel du «
juste motif » que consacre l'AUSCGIE, les principales exceptions à
la révocation ad nutum restent d'origines jurisprudentielle (le
respect de la procédure du contradictoire dans la prise de
décision de révocation), et pratique (l'utilisation des
techniques des parachutes dorés, des stock-options et bien d'autres),
in AKAM AKAM, précité, pp. 9-20.
96 Ibid., p. 10.
97 CCJA, arrêt n°013/2012 du 08 mars 2012 :
ohadata J-14-94.
98 En droit français, ce principe n'admet
d'exception que concernant le cumul des administrateurs représentants
les salariés dans les sociétés : article L. 225-23 et L.
225-32 du Code de commerce.
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salarié, ce principe suppose que la révocation
du mandat social ne saurait avoir d'incidences sur le contrat de travail et
vice versa. D'une part, la révocation du dirigeant social n'emporte pas
automatiquement son licenciement. Si la confiance entre les
propriétaires de l'entreprise et leur dirigeant est devenue fragile, la
simple révocation de ce dernier ne suffira pas à l'exclure
totalement de l'entreprise, il faudra en plus que le nouveau dirigeant le
licencie. D'autre part, la rupture du contrat de travail du dirigeant n'emporte
pas automatiquement rupture de son mandat social. Dans l'hypothèse
où le dirigeant social en qualité d'employeur refuserait de se
licencier soit même, il faudra au préalable révoquer son
mandat social, puis assurer le licenciement par le nouveau dirigeant.
Le régime juridique du cumul d'un mandat social avec un
contrat de travail est la manifestation de la participation des salariés
à la gestion des sociétés commerciales en droit OHADA. Il
fait d'eux des administrateurs salariés ou des dirigeants
salariés. Mais ce régime est fragile, ce qui justifie la
nécessité de son renforcement.
SECTION II : LE RENFORCEMENT SOUHAITÉ DE LA
PARTICIPATION DES SALARIÉS À LA GESTION ORDINAIRE DE LA
SOCIÉTÉ
L'amélioration de la participation des salariés
à la gestion ordinaire de la société passe
nécessairement par l'amélioration du régime du cumul de
fonctions (paragraphe 1), et la création des mécanismes
collectifs de représentation des salariés dans la gestion
(paragraphe 2).
PARAGRAPHE I : L'AMÉLIORATION DU RÉGIME
DE LA REPRÉSENTATION DES SALARIÉS DANS LES ORGANES DE
GESTION
Les salariés participent à la gestion ordinaire
de la société commerciale lorsqu'à travers le
mécanisme du cumul de fonctions, ils sont appelés à
contrôler ou à diriger l'entreprise. Ce cumul permet une
représentation des salariés au sein du conseil d'administration
et du directoire99. Mais en droit OHADA, son régime
précédemment analysé se trouve limité par son
caractère facultatif qu'il conviendrait de rendre obligatoire (A) et de
repréciser les modalités de désignation des
administrateurs salariés (B).
99 Rappelons qu'à ce niveau, la question de
la représentation des salariés aux assemblées
générales ne sera pas traitée.
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A - La suppression du caractère facultatif de la
représentation des salariés dans le conseil
d'administration
L'article 426 de l'AUSCGIE qui peut être
considéré comme la consécration générale du
cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail, a le mérite de
faciliter l'entrée des salariés dans le gouvernement de
l'entreprise. Cependant, il affirme comme tous ceux qui le suivent, le
caractère facultatif de cette technique et va même jusqu'à
donner la possibilité aux actionnaires de l'interdire dans les statuts.
L'emploi de l'expression « sauf clause contraire des statuts
» et du verbe « pouvoir » qui traduisent un exercice
facultatif, illustre parfaitement cet état des choses. En raison du
caractère conservateur des propriétaires du capital social, de
leur haine de l'immixtion étrangère, cette possibilité qui
leur est accordée de ne jamais faire intervenir les salariés dans
leur affaire est de nature à les éloigner pour toujours de la
gestion de l'entreprise. Ce choix du législateur OHADA peut s'explique
par sa vision encore très centrée sur la volonté des
investisseurs. Mais il rend encore difficile sa recherche d'un modèle
idéal de gouvernance.
Néanmoins, l'on doit reconnaitre que le choix des
membres du directoire doit rester totalement facultatif, car, les
associés ou les administrateurs qui décident de la personne qui
va exercer les fonctions de direction ou de gérance le font sur la base
d'une confiance qui ne doit en aucun cas être occultée par les
exigences de la gouvernance salariale. Ils doivent pouvoir choisir librement la
personne qui leur fera gagner plus des bénéfices. En effet, ce
serait une absurdité de dire que le ou les gérants d'une Sarl
doivent être des salariés. En revanche,
l'obligatoriété de la présence des salariés dans
les organes de contrôle serait une aubaine pour la dynamisation de la
gouvernance.
Dans la société anonyme, entendue comme la forme
de société la mieux organisée, la présence des
salariés dans le conseil d'administration devrait être
obligatoire. Cette idée résulte du caractère et du
rôle de cet organe. Entre les inconvénients et les avantages de
leur présence pour la société, la balance penche au profit
des seconds100. En réalité la présence des
salariés au sein de cet organe collégial de contrôle de la
direction, permet une vision transversale, plus réaliste dans la prise
des décisions. Elle favorise également la logique participative,
le dialogue, et la construction de la confiance entre partenaires
sociaux101.
100GOMEZ (P. Y.), (dir.), Cahiers pour la
réforme, La présence d'administrateurs salariés au conseil
d'administration : cahier I, arguments et propositions, études
effectuées par l'institut français de la gouvernance de l'EM
Lyon, février 2005; GAURON (A.), CHARET (V.), « Réussir la
mise en place des administrateurs salariés », presse des mines,
Paris, 2014.
101 GAURON (A.), CHARET (V.), précité, p. 27.
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Dans ce sens, le droit OHADA gagnerait beaucoup à se
rapprocher du modèle français actuel. En effet, en France, la
présence des salariés au conseil d'administration est
obligatoire102 si l'entreprise compte plus de 5000 salariés
sur le sol français ou 10000 à travers le monde. Il ne faudra pas
forcément élever autant les critères des entreprises
contraintes, tant on sait la capacité des entreprises de la zone OHADA
en moyenne inférieure à celle des européennes. Mais il
serait également nécessaire de limiter le nombre de
salariés présents au conseil d'administration pour ne pas en
faire une sorte de syndicat des salariés.
Du moment qu'on contraint les entreprises à plus de
représentativité salariale dans le conseil d'administration, la
limitation du nombre de salariés capables de siéger au conseil
avec voix fût-elle délibérative ou consultative,
mérite d'être faite. Certes un nombre élevé de
salariés au sein du conseil permet de créer une masse critique
capable d'influencer les décisions, mais une limitation numérique
permet de préserver l'équilibre de la société en
évitant que le conseil d'administration ne soit étouffé
par le « militantisme des salariés dont la principale
préoccupation est l'amélioration des conditions de travail
»103. En France, le nombre total ne peut dépasser
le tiers des administrateurs en fonction. Il serait également
nécessaire de repenser les modalités de cette
représentation des salariés au C.A.
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