Chapitre 3 : La Francophonie en Albanie
88
« La poire mûrit en regardant l'autre
poire ».
Proverbe albanais
89
Introduction
Nous avons vu dans la partie précédente que les
structures organisationnelle et éducative de l'enseignement
supérieur albanais ont subi de profonds changements nécessaires
dans un premier temps à la démocratisation du pays, puis que ces
réformes étaient couplées à cette première
intention et directement orientées pour favoriser l'adhésion
à l'Union Européenne. Nous avons également vu qu'un
certain nombre de changements était encore nécessaire pour
permettre à l'institution éducative et universitaire d'être
effective. Du point de vue des langues, l'offre linguistique proposée
dans les écoles primaires et secondaires n'est pas toujours à
considérer comme une « offre » quand le choix de
l'étude de la première langue étrangère n'est pas
libre mais arbitraire, à supposer que l'enseignant soit formé
dans la langue étrangère cible, rigidité d'offre qui sera
par ailleurs renforcée dès la rentrée 2014-15 quand le
gouvernement annonce réduire les effectifs d'enseignants de langues de
350 personnes (en particulier le français et l'italien). La
difficulté de trouver un emploi, les représentations
négatives qui circulent autour de l'Ecole en tant qu'institution, pour
l'utilité qu'elle devrait avoir mais dont les fonctions ne sont pas
remplies à cause d'un nombre important de dysfonctionnements, et le
manque de valorisation du métier d'enseignant représentent autant
de facteurs qui rendent difficiles la concrétisation des tâches
didactiques et le rôle social des enseignants. En partant du postulat que
le développement du plurilinguisme chez les individus d'aujourd'hui est
une nécessité pour s'ouvrir au monde extérieur
(énoncé déjà par le Conseil de l'Europe dans
Legendre, 1998), il est intéressant de voir comment les langues
étrangères sont inscrites par les Etats dans leurs institutions
scolaire et universitaire. La qualité de l'enseignement des langues
étrangères et une définition élaborée des
politiques linguistiques et éducatives par les gouvernements
concernés (Coste et al. 2009 [1997]) pourraient permettre cette
ouverture à l'Autre déclinée dans les textes officiels
promulgués en Europe et que l'Albanie a officiellement ratifiés.
Cependant, cette ouverture à l'Autre semble compromise ou être
portée sur le développement d'une vision tout autre de
l'utilité des langues étrangères, si l'image
diffusée à propos de ces dernières par le gouvernement
d'un pays est celle d'instruments, d'outils, désincarnés de leurs
valeurs, ce qui jure par ailleurs avec l'idée que les langues sont
porteuses de valeurs, comme mentionné par Charandeau 2006 (voir supra,
chapitre 1). Canut & Duchêne (2011) précisent en dernier lieu
de leur publication qu'il est nécessaire de se dissocier de toute vision
romantique pour pouvoir considérer la question concernant les concepts
qui découlent
90
du paradigme « langue, pouvoir et
inégalités sociales », et l'on admettra qu'il y a des
clarifications à effectuer vis-à-vis de la posture à
adopter quant à l'utilité d'une langue, ou tout du moins à
celle qu'on veut bien lui donner. J'ai fait le choix de ne pas prendre position
mais de relever les débats qui s'attachent à cette
nécessité.
Pour quelle définition du plurilinguisme effectif comme
passeport à la scène extérieure, de la
nécessité d'assimiler un code linguistique étranger, et
comment le ranger à côté de son premier code linguistique,
celui qui forme précisément à la capacité de
langage. J'ajouterai à cette remarque une autre que l'on m'a souvent
faite, et que je rapporterai de manière neutre car pas en mesure de la
juger, à savoir que de plus en plus, « les jeunes Albanais ne
savent pas parler leur propre langue ». Il s'agit évidemment d'une
prise de parti clairement subjective et aucune donnée ne saurait
justifier cela. On retiendra dans ce cas-là que les Albanais en
général déplorent profondément les
compétences des jeunes vis-à-vis de leur langue maternelle
même. A ce propos, il faut savoir que l'albanais est une langue qui se
transcrit de la même manière qu'on la prononce et que l'on peut
imaginer que la grammaire de cette langue (bien que difficile pour un
étranger) ne devrait pas poser de difficulté majeure à un
locuteur natif25. Ce constat semble à première vue
encore plus alarmant.
Le français est une langue en perte de vitesse et pas
seulement en Albanie, ce qui constitue l'une des priorités d'instances
telles que l'Organisation Internationale de la Francophonie pour ne
nécessiter que la plus grande, positionnée comme en
sérieuse concurrence avec l'anglais, langue du business, de
l'économie, des finances, des échanges de capitaux monnayables.
Nous verrons de quelle manière le français s'ancre dans le
paysage albanais, du point de vue institutionnel, puis didactique en voyant ces
points de contact entre ressources langagières et contextes dans
lesquels ces ressources sont observées et les significations qui lui
sont accordées, tel que cela a été annoncé en
chapitre 1 (voir supra p. 44).
I/ La Francophonie : définitions et statut
1.1. Pour quelle F/francophonie ?
Il convient de faire une rapide précision quant
à ce terme. On désigne la francophonie comme étant la
communauté des locuteurs de la langue française à travers
le monde, sans distinction d'origines, que le français soit la
première langue acquise par ceux-ci ou qu'elle ait
25 Voir Domi (1966 : 19-32) pour une
présentation de la structure grammaticale de l'albanais moderne.
91
été assimilée ultérieurement. La
première désignation est apparue pour la première fois au
XIXème siècle par Onesime Reclus. D'après lui, « la
langue fait le peuple » (1917 : 114-6), et c'est à travers
l'ancrage d'une langue sur un territoire, sa « coagulation », que le
peuple développe ses valeurs et « se subordonnent » à
celle-ci. La Francophonie désigne quant à elle, l'ensemble
supranational surtout incarné par l'OIF (Organisation Internationale de
la Francophonie) de réseaux institutionnels, organisant les relations de
natures diverses, entre les Etats membres de cet ensemble. Cependant l'OIF est
récente comparée à la volonté de réunir les
individus sous la connaissance et le partage de cette langue.
C'est à partir de 1926 que la langue française
réunit des professions d'abord littéraires (création de
l'Association des Ecrivains de Langue Française), puis politiques dans
les années 1950. C'est d'ailleurs à cette période que ceux
qu'on appelle « les pères de la Francophonie » proposent la
création d'une instance intergouvernementale réunissant les pays
où la langue française est pratiquée, sous l'impulsion de
Léopold Sédar Senghor et Habib Bourguiba. En 1970, l'Agence de
Coopération Culturelle et Technique voit le jour à Niamey au
Niger et prévoit de permettre la coopération entre pays où
la langue française y est vivante. L'ACCT est devenue plus tard l'OIF.
Son action s'étend aujourd'hui dans divers domaines (sports,
littérature, l'enseignement, éducation universitaire et recherche
scientifique avec l'AUF, différentes professions, et politique) pour
permettre la solidarisation des Etats et des peuples officiellement membres de
son réseau francophone sous l'adoption et le respect de valeurs
universelles (comme le prévoit le préambule de la Charte de la
Francophonie, 2005), en respect de la diversité linguistique et
culturelle. En ces termes, l'OIF, d'après son site Internet officiel,
prévoit de permettre :
- « l'instauration et le développement de la
démocratie
- la prévention, la gestion et le règlement des
conflits, et le soutien à l'État de droit et aux droits de
l'Homme
- l'intensification du dialogue des cultures et des
civilisations
- le rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle
- le renforcement de leur solidarité par des actions de
coopération multilatérale en vue
de favoriser l'essor de leurs économies
- la promotion de l'éducation et de la formation
».
Ces objectifs se concrétisent à travers les
missions suivantes, prévues dans un cadre stratégique :
- « Promouvoir la langue française et la
diversité culturelle et linguistique
92
- Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de
l'Homme
- Appuyer l'éducation, la formation, l'enseignement
supérieur et la recherche - Développer la coopération au
service du développement durable ».
L'OIF institutionnelle prévoit à travers ces
termes de promouvoir le développement et la protection des Etats membres
qui ont adhéré à cette large fédération
d'Etats où la langue française est observée et
pratiquée, au nombre aujourd'hui de 57 pays membres et de 20 autres
observateurs. La langue française à travers l'expansion coloniale
de la France ces derniers siècles a permis de donner naissance à
cet ensemble d'espaces officiellement francophones ou non (d'après le
statut de la langue française dans ces pays).
C'est précisément à cet endroit que
naît la critique de l'intégration de nouveaux membres et de la
place accordée à la francophonie, qu'est-ce qui fait qu'un pays
est francophone ? Son Etat, son passé, son peuple et son goût
avéré pour la langue française ? La Bulgarie n'a pas le
passé de colonisé du Sénégal, mais on dit encore
« merci » (en bulgare dans le texte). Le bien-fondé de
l'institutionnalisation de la francophonie, plus ancienne que sa petite soeur
au F majuscule que l'on voit pourtant beaucoup plus que l'autre qui s'avance en
termes de connaissances linguistiques et culturelles et auxquels s'adjoignent
les francophiles. C'est dans ce sens que s'érige Provenzano en
qualifiant la Francophonie de « projet d'expansion » (2006 : 96).
L'espace sur lequel l'OIF existe, à travers l'adhésion de pays
à tradition plus ou moins forte ou connue du large public, est
également sujet à débat.
Il est reconnu que ce n'est pas l'adhésion à
cette organisation qui rend un pays francophone ou non (exemple des Etats-Unis
ou plus complexe, de l'Algérie). La notion d'espace est donc assez
diffuse quand il s'agit de déterminer qui est francophone ou non,
dépassant des réalités culturelles et sociales pourtant
bien réelles et observables. On pourra dire pourtant que les Etats qui
ont été acceptés au sein de cette organisation se
réunissent tout du moins autour des valeurs, des objectifs et des
missions prônées et statuées dans des textes constitutifs
et lors des sommets de ce réseau fédérateur. Cependant,
dans la mesure où l'OIF est une organisation supranationale (sans
compter ses bureaux de représentations décentralisés et
dotés d'une autonomie relative), il faut également savoir se
tourner vers des données quantitatives qui sauront faire parler les
nations plus que les accords de coopération politique, et
économique, pour définir correctement la notion de «
francophonie », car rappelons-le, ce sont les locuteurs qui construisent
l'utilité qu'ils ont d'une langue, qu'elle soit premièrement ou
ultérieurement acquise. La grille d'analyse des situations linguistiques
de Chaudenson & Rakotomalala (2004) et ses travaux sur les moyens d'analyse
des situations
93
sociolinguistiques nationales permet justement de prendre en
compte deux paramètres complémentaires pour obtenir un
résultat d'analyse plus contrasté, mais plus à même
de permettre une réflexion plus proche de la réalité
sociale, politique et culturelle d'une communauté linguistique et de ses
pratiques. La seule prise en compte des initiatives politiques et politiciennes
(telles qu'elles sont décrites dans le statut d'adhésion à
l'OIF) ne prennent pas en compte les `représentations' des locuteurs
pour déterminer si la francophonie y est installée, au même
titre que leurs pratiques pour pouvoir mesurer l'avenir que la connaissance et
la pratique de cette langue se forgent en fonction des locuteurs et de leurs
choix et besoins sociolinguistiques (Porcher, 2012). L'OIF accorde
effectivement un regard aux aspects suivants :
- Du point de vue linguistique (statut du français,
nombre de locuteurs, présence de structures planifiant la promotion et
la diffusion du français)
- Du point de vue pédagogique
- Du point de vue culturel
- En termes de communication
- Des points de vue économique, politique et juridique
- Du point de vue associatif
- Au plan international et multilatéral.
On peut imaginer que la mise en place de structures oeuvrant
pour l'un ou l'autre de ces aspects visera l'adresse et l'utilité que
les locuteurs peuvent avoir d'une langue, cependant, la charte de l'OIF ne
prévoit d'accorder un regard à la façon dont les locuteurs
d'un pays concerné vivent la langue française, à travers
leurs pratiques, leurs représentations et leurs discours, ce qui laisse
penser qu'il manque un maillon à la chaîne de l'observation des
pratiques réelles des citoyens de ces Etats membres. C'est en cela que
l'Observatoire de la langue française devenu Observatoire du
français et des langues nationales, dirigé par Chaudenson,
émet des données intéressantes sur la situation des pays
membres de l'OIF.
Alors qu'on s'intéresse aux effets que peuvent avoir le
développement de compétences plurilingues et pluriculturelles et
sur la façon dont il est géré par les acteurs
concernés aux effets du développement de compétences
plurilingues, et en particulier pour le français, nous regarderons
premièrement dans quelle mesure l'Albanie peut être Francophone,
avant de regarder sa francophonie dans un second temps.
94
1.2. Zoom sur les Balkans : pour quelle francophonie
?
A partir des années 1990, l'OIF commence à
ouvrir ses portes et à introduire les ex pays du bloc communiste
d'Europe de l'Est. Les réticences émises quant à
l'admission de ces nouveaux pays ont nourri le débat de la question de
l'identité de l'OIF et des principes fondamentaux qui soutiennent son
existence. Les souteneurs de l'argument de la suprématie linguistique
sur un territoire ont alors vu l'attention se déporter des anciennes
colonies françaises vers une région où le français
n'a jamais été langue officielle. Le recentrement de la question
de l'appartenance à la Francophonie sur des justifications linguistiques
désarme cyniquement les défenseurs de la diversité
culturelle. A partir de 2002 avec la Déclaration de Beyrouth et plus
encore en 2006 avec le XIème Sommet de la Francophonie organisé
à Bucarest, les représentants de l'OIF ont clairement
tenté de définir la tournure que prenait la définition de
la F/francophonie : en quoi l'installation de la Francophonie institutionnelle
est-elle justifiée quand on n'observe pas de massifs pourcentages de
locuteurs francophones, en Europe de l'Est (quand ils ne dépassent pas
28% de la population totale, seul cas de la Roumanie) ?
Le simple fait de réunir les membres de l'OIF dans un
de ces pays tentera de soutenir la volonté avancée par Abou Diouf
de voir tout le sens des missions de l'OIF se concrétiser dans des
régions comme celles-ci, ayant vécu avec des oeillères sur
la diversité du monde tout au long d'un large pan du XXème
siècle. A travers son discours tenu lors du XIème Sommet de la
Francophonie en 2006, le Secrétaire Général de la
Francophonie propose que la seule connaissance du français ne doit plus
être le seul critère d'admissibilité, la diversité
linguistique et culturelle étant une nécessité pour
permettre le dialogue entre les peuples, et lance que l'OIF soutient la
diversité culturelle avec le français en partage : « Soyez
fiers d'être francophones. Vous avez tant de choses à nous offrir.
Tant de choses à apporter à cette Europe forte et riche de sa
diversité dont nous avons besoin » (2006 : §4). . La
francophonie ne se replie plus sur son passé de colonisatrice, mais
s'étend à des zones où la langue française, pour ce
qu'elle a souvent permis par le passé, peut prendre un nouveau sens en
ce début de XXIème siècle où les frontières
linguistiques et culturelles sont de plus en plus fines. Le français,
langue de démocratie à travers le monde, peut incarner un
rôle qu'on ne sait donner à personne depuis que les Grandes
Puissances ont disloqué les territoires ethniques balkaniques. La langue
française pourrait rendre ses particularités à chacun pour
ce qu'il incarne fondamentalement, autant qu'elle fédère par les
valeurs qu'elle incarne, toujours d'après le discours d'Abou Diouf.
Cependant, cette synergie identitaire fait débat et amène
à se poser la question si les aspirations de la Francophonie ne
relèverait pas plutôt d'une utopie
95
(Marie : 2009), autant que la perte de vitesse de la
francophonie provoque des inquiétudes (dans le débat contre
l'hégémonie de l'anglais), ou de nécessaires
questionnements pour une meilleure définition du concept même de
la pluriculturalité.
Comme une entière conférence a été
consacrée à la méthodologie de l'appréhension et de
la compréhension des situations linguistiques dans l'espace francophone
(OIF, 2008), au sens entendu par Chaudenson pour la majeure partie, on
rappellera ici l'importance distinction qui doit être faite entre les
raisons pour lesquelles la francophonie s'installa dans différentes
zones du monde :
- français langue d'occupation violant la
pérennité de codes linguistiques plus anciennement ancrés
sur leurs territoires respectifs (du seul point de vue de la langue),
- le français langue d'apprentissage dans les
zones où le français est appris comme une langue
étrangère
- et certainement encore d'autres classifications qui offrent
un rayon large de
représentations propres à chacun et difficile
à modéliser, mais qui peut certainement très bien
s'adjoindre aux quatre sens donnés à la francophonie par Deniau
(1983 in Marie 2009) à savoir les sens linguistique,
géographique, mystique et spirituel, ou encore institutionnel.
Faut-il trouver un consensus sur ce que la francophonie fait
résonner en chacun des peuples, des locuteurs de l'espace francophone
pour que la définition de ce concept ne marginalise personne quand les
valeurs accordées à la langue française font
elles-mêmes débat (Dumont, 1990) ? Et si la francophonie
permettait à chacun de catalyser une identité en mouvement, au
sens où les grands textes défenseurs du plurilinguisme le
prévoient ?
1.3. Origines de la Francophonie en
Albanie
Du point de vue extérieur, l'Albanie fait tantôt
partie de l'Europe de l'Est par opposition au bloc occidental où
l'Europe politique dotée d'anciennes traditions démocratiques est
née, tantôt à l'Europe centrale et orientale (PECO) pour
réunir les différentes instances de cette région du monde
sous un assemblement téméraire et pourtant nécessaire (en
référence aux tensions ethniques et politiques dans les Balkans
principalement depuis la fin du XIXème siècle), tantôt
à l'Europe du Sud par les pays d'Europe de l'Est. Nous
préfèrerons l'appellation « Europe orientale », dans le
sens où assimiler l'Albanie à l'Europe de l'Est fait moyennement
sens tant par sa position géographique que par le fait qu'elle n'a pas
été géopolitiquement absorbée par l'URSS, et que
l'Europe du Sud est également
96
moyennement identifiable ; bien que soumettre l'Albanie
à l'Orient ne joue pas en sa faveur, en rappel des frissons que
provoquent la proximité musulmane d'une Europe à tradition
chrétienne. La géographie, en fonction de son
instrumentalisation, détermine différentes appartenances
(Chanoir, 2009). Pays majoritairement musulman d'après des
données quantitatives qui ne reflètent pas la
réalité vécue des Albanais mais dont on aura mal à
défaire les cordages, et par son ancienne annexion sous l'Empire Ottoman
rendu maître de l'orientisme, la figure d'une société
patriarcale telle qu'elle est décrite par Doja (2000) et certaines
pratiques observables en Albanie que l'on accorde volontairement à cet
Orient modélisé de l'extérieur parachèveront la
classification rédhibitoire de l'Albanie dans la moitié du monde
où le soleil apparaît plus tôt qu'ailleurs. Ce
déterminisme primaire entérine toute possibilité de
dialogue intéressé et intéressant, mais il fait
l'état des idées reçues dont l'Albanie, à titre
d'exemple, est tributaire encore en plus quand un phénomène de
« déni des cultures » est observé par ce sociologue
français qui déclare la multiculturalité comme
incontournable de nos jours (Lagrange, 2014). Doit-on rappeler que
l'installation de pareil régime totalitaire par Enver Hoxha fut
motivée par la ferme intention de se dissocier enfin de cet Orient qui
aura envahi les rues (par l'architecture souvent rasées), les croyances
(par les vagues d'islamisation imposées dont les conséquences
auront été supprimées dès 1967 et l'interdiction de
cultiver un culte religieux), le vocabulaire et les valeurs des Albanais ? A ce
sujet, l'oeuvre Problèmes de la formation du peuple
albanais, de sa langue et de sa culture: choix de documents
(1985) composé de contributions de plusieurs intellectuels
albanais de référence (sous le régime communiste) propose
un grand nombre d'informations à ce sujet, à condition qu'on
sache dissocier l'information du cadre idéologisé dans lequel
elle inscrit.
Plus officiellement, c'est précisément dans le
cadre de la redéfinition des missions de l'OIF que la progressive
admission de l'Albanie au sein de cet ensemble a été
proposée :
- Au VIIème Sommet de l'OIF à Hanoi (1997),
l'Albanie est invitée pour la première fois en
tant qu'observatrice des activités tenues lors de cette
réunion particulière où l'attention est portée sur
la prévention des conflits entre les Etats membres. La volonté
des représentants des pays à ce Sommet est clairement de
s'adjoindre aux efforts de paix déjà entrepris par la
communauté internationale. Rappelons que la même année, la
guerre civile éclate dans ce pays.
- Au VIIIème Sommet à Moncton (Canada, 1999) :
la Francophonie s'apprête à asseoir ses objectifs politiques au
service de la communication multi et pluriculturelle. L'Albanie obtient le
titre de membre associé en même temps que la Macédoine, ce
qui est
97
officiellement vu comme un succès dans la constitution
d'un espace francophone dans l'ex bloc de l'Est et officieusement pointé
du doigt par ses opposants.
- Au XIème Sommet à Bucarest (Roumanie, 2006) :
l'Albanie obtient le titre de membre de plein droit au sein de l'OIF, en
même temps que la Grèce, la Macédoine et la
principauté d'Andorre. Lors de ce même sommet, les membres de
l'OIF ratifient la Charte de l'UNESCO visant à protéger la
diversité culturelle et linguistique au sein des pays membres de
l'OIF.
C'est lors de ce dernier sommet que l'on rigidifie l'admission
de nouveaux membres : elle se fera désormais à partir du vote
unanime de la Conférence des Etats et des gouvernements ayant le
français comme langue de partage. C'est précisément dans
le cadre de la politisation de l'OIF et de la définition de ses
objectifs en termes de défense de la paix et de la protection des droits
fondamentaux des citoyens des Etats membres que l'Albanie est admise au sein de
ce grand ensemble. L'admission d'un nouveau membre dans l'OIF doit cependant
toujours se faire d'après la promotion de la langue française si
elle n'est pas déjà langue (co-)officielle de l'Etat
concerné.
La francophonie en terre est vue comme une tentative
stratégique de se rapprocher de l'UE et de l'OTAN, ouvrant une voie
royale sur la scène politique et économique internationale
(Leclerc, 2014 §7.1 ; Perrot, 2009), ce qui inviterait à
réfléchir plus concrètement aux raisons qui invitent
l'Albanie à se rapprocher de l'OIF. Nous laisserons momentanément
la francophonie institutionnalisée et ses soubassements conceptuels pour
justement revenir à ce qui peut justifier en partie cette question, en
s'intéressant à la présence linguistique française
en Albanie. On peut se rappeler du français, langue des élites
ottomanes, à travers la stratégie de la France de s'imposer dans
cette région (Popescu, 2004 : 24) quand un certain nombre d'Albanais ont
intégré la haute administration de l'Empire, ou bien quand la
France et sa culture permettaient de se battre, parfois au sens propre, contre
des influences étrangères près de soixante ans avant la
création de l'OIF (Robert, 1998). C'est grandement attachée
à la France que l'Albanie a vécu la première moitié
du XXème siècle. Voyons donc quel oiseau a pris le
français au sein de ses frontières d'origine pour l'emporter dans
le pays des aigles et de quelle manière cette langue y fit son nid.
98
II/ La francophonie en terres albanaises 2.1.
Les Albanais, têtes de Turcs
Déterminer l'espace géographique qu'a
occupé l'Albanie permet primairement de répondre à la
question de l'origine de la francophonie dans cette région. Au
même titre qu'un grand nombre de régions des Balkans autrefois
annexées par l'Empire Ottoman, au sein duquel le français
était langue d'élite et d'exception (Besse, 2007 ; Aksoy, 2007 ;
Thobie, 2007). L'Albanie vit quelques-uns de ses citoyens intégrer les
hautes écoles de l'Empire puis la haute administration de la Sublime
Porte, avant de revenir défendre la cause de l'Albanie quand
l'opportunité se présentait (en réaction à la
présence ottomane ou par voie d'élection politique).
Dans la synthèse sur la complexité d'identifier
le sentiment d'appartenance nationale albanais et au sein de quelles
frontières géopolitiques (voir supra, chapitre 2)
, on aura déjà eu le temps d'apprendre que ce sont
des valeurs attribuées à l'Histoire de la France plus qu'à
celle de la Francophonie qui auront permis à l'albanais et au
français et à leurs valeurs respectives, de rayonner, comme
ça a pu être le cas dans un grand nombre de pays (les valeurs
démocratiques attribuées à la France ont contribué
à la naissance de certaines révolutions sociales en
Amérique du Sud notamment). Ces intellectuels ont ensuite presque tous
eu l'occasion de côtoyer personnellement la France et ses sphères
intellectuelles, avaient lié des amitiés avec d'éminents
personnages des mondes de l'intellect philosophique, scientifique ou politique
(Faik Konitza et Apollinaire, Fan Noli et son travail pour l'intégration
de l'Albanie dans la SDN, Ismail Qemal et sa participation à la
Conférence de Paris, le roi Zog et sa francophilie qui lui offriront le
droit d'asile...). Ces représentations auront d'ailleurs perduré
plus tard et au-delà des valeurs attribuées aux philosophes des
Lumières qui auront inspiré les intellectuels albanais de la fin
du XIXème siècle puisqu'Enver Hoxha lui-même a
été vecteur de transmission de ces valeurs à travers sa
propre expérience du monde français et francophone. Après
l'obtention de son baccalauréat auprès du lycée
français de Korça, ses études supérieures
amorcées à la Faculté de Médecine de Montpellier et
à la Sorbonne en droit, ses quelques années rue Monsieur le
Prince à Paris, et un emploi de courte durée à Bruxelles,
il revient en Albanie au début des années 1940, armé
d'enseignements directement tirés des discours de Léon Blum dans
ses réunions du Front populaire des années 1930 à Paris
(pratiquement au sens propre puisqu'il s'apprête à créer
des forces armées qui lutteront contre l'occupation italienne).
L'apprentissage du français intégra ensuite l'offre linguistique
proposée au sein des écoles de l'Albanie communiste avec cette
petite lucarne sur le monde francophone que l'utilisation des Cours
de Mauger et de la lecture d'oeuvres littéraires
99
autorisées ou non ont pu proposer, et ce que ça
a pu répandre en lumière et en oxygène auxiliaire de
survie mentale et intellectuelle.
Le rayonnement de ces personnalités dans l'Histoire
albanaise (bien qu'elle eut été instrumentalisée au profit
de l'instauration du régime communiste) aura contribué à
orienter les représentations du peuple albanais concernant les valeurs
transmises à travers la langue française. Seulement une
francophonie plénipotentiaire reste encore un horizon d'avenir lointain
aux yeux d'une communauté de locuteurs francophones toujours plus
restreinte (Kumbaro, 2009)26. Proposons alors un panorama de la
présence du français avant de pouvoir déterminer la
situation linguistique de l'Albanie vis-à-vis du français.
2.2. Facteurs de promotion et de diffusion du
français en Albanie
La présence de la France est reconnue comme
étant ancienne et productive, en particulier depuis ces dernières
années où, à travers le Ministère des Affaires
Etrangères et la délégation diplomatique française
sur place, a soutenu l'Albanie dans ses démarches de
développement (France Diplomatie, 2014). Cependant, les liens d'union
entre ces deux pays ne reposent pas uniquement sur l'accompagnement
proposé par la France dans les démarches de l'Albanie pour
intégrer l'Union Européenne, bien que cela devrait être
encourageant au regard de l'Albanie.
2.2.1. Facteurs historiques et
culturels
Les premiers contacts entre la France et l'Albanie remontent
au XIème siècle quand les Normands envahissent près de la
moitié de l'Europe. La bataille pour l'occupation de l'Albanie entre les
Normands et les Vénitiens fera changer l'étendard qui flotte
au-dessus des villes de la côte albanaise un certain nombre de fois
jusqu'en 1272 où le roi Charles Ier de Naples propose l'autonomie de la
ville de Durrës, sous le royaume d'Anjou. En 1285, il meurt et les grandes
familles albanaises n'admettent plus aucune suprématie française
sur leurs terres. On attend ensuite le XIVème siècle pour revoir
une famille française avoir un pied de l'autre côté de
l'Adriatique. Tanush Topia, Comte de Durrës, rencontre
Hélène d'Anjou, fille de Robert Ier Roi de Naples, de Sicile et
d'Albanie alors qu'elle se destinait à rejoindre son futur époux
de naissance française en Grèce. Lors d'une escale à
Durrës, elle rencontre le comte
26 Cette ancienne enseignante de français
auprès de la Faculté des Langues Etrangères de Tirana est
aujourd'hui Ministre de la Culture et intervient dans un grand nombre de
colloques et de conférences oeuvrant pour la défense de la langue
française en territoire albanais et pour la promotion de la culture
francophone.
100
Topia, tombe amoureuse et rompt ses engagements
précédents. Ce couple donnera naissance à Charles d'Anjou
que la bonne fortune écartera d'un voyage de ses parents vers la maison
du Roi Robert Ier duquel ils ne reviendront pas, assassinés par ce
dernier qui n'a pas supporté l'injure faite à ses engagements. En
réponse de ça, Charles qui n'est autre qu'un descendant du
frère de Saint Louis, ne reconnaîtra pas les revendications de sa
famille maternelle sur le comté de Durrës.
La France a également souvent soutenu les
prétentions à l'indépendance de l'Albanie au fil des
siècles. Ali Pasha de Tepelena, installé à Janina
(Ioannina en Grèce) aura entretenu des relations diplomatiques avec
l'Empire de Napoléon Bonaparte à travers François
Poucqueville, reconnu consul de France à Janina. A cette époque,
la place accordée aux pouvoirs français n'est pas moindre, bien
que le pouvoir d'Ali Pasha ne soit pas apprécié par tous
(Bonaparte compris). Un bastion albanais rejoint l'armée de Bonaparte en
1807 pour servir l'Empereur et aider à la libération de plusieurs
villes albanaises tombées aux mains des Russes. Cependant, Bonaparte
n'honore pas cette démarche et garde ses nouvelles possessions de la Mer
Ionienne. En 1814, il abdique, attribuant ses terres aux Anglais. En 1822, Ali
Pasha tombe, il est décapité, Poucqueville, avec qui il aura
entretenu de belles périodes d'amitié rentre en France.
Toutefois, ses recherches ont contribué à la constitution d'une
certaine ethnographie albanaise. Elles seront rejointes 60 ans plus tard entre
autres par celles du sénateur d'Estournelle, envoyé par la France
en Albanie pour aider à déterminer les frontières avec le
Monténégro. En 1920, de retour de mission et en conférence
devant la Société de Géographie en Sorbonne, il
déclare :
« L'Albanie serait aujourd'hui une nation peut-être
aussi respectée, aussi éclairée et rayonnante que la
Suisse car elle a un climat, un sol et des habitants excellents... Je souhaite
que la Société des Nations s'intéresse au sort de
l'Albanie pour qu'elle fasse comprendre ce qu'on pourrait faire de l'Albanie,
pour l'Albanie, par l'Albanie, il faut que l'Albanie soit heureuse, libre,
prospère, pour que nous vivions en paix » (cité par L. Rama,
2005 : 182).
C'est pourtant dans les régions les plus
inhospitalières du point de vue du relief, en voyage dans les villages
de Vermosh et de Hani i Hotit, là même où le Kanun de
Dukagjin (loi coutumière du Nord qui dit depuis de longs siècles
que l'Albanais doit avoir un respect inconditionnel pour l'ami et pour
l'étranger), que le sénateur d'Estournelle base ses propos. Ami
Boué, géographe et ethnologue français, autant que
Marguerite Youcenar auront pu témoigner de l'extrême
hospitalité et bravoure des habitants des montagnes albanaises.
Au XIXème siècle, et peu de temps après
que la Première Guerre Mondiale éclate, le Commandant Sarrail
détache un bastion français dans le Sud-Est de l'Albanie alors
que la ville
101
de Korça est occupée par les forces grecques. Le
16 novembre, le Capitaine Henri Descoins à la tête de ces soldats,
repousse la Grèce derrière ses frontières. Les Albanais
dressent les Français en héros, leur demandant de les aider
à se constituer indépendants. En une année, les hommes de
Descoins auront aidé Themistokli Gërmenji, à la tête
du conseil de gestion de la région de Korça, à
établir un certain nombre de lois permettant d'améliorer la vie
des Albanais sur place. Cela ne manque pas d'étonner les Grandes
Puissances qui demandent des comptes à la France. Le Commandant Sarrail
laisse faire momentanément, avec la justification que la position est
stratégique, jusqu'en 1918 où le protocole qui aura fait
naître la République indépendante de Korça est
abrogé. En mai 1920, on demande la démobilisation de
l'armée française de Korça et la signature d'un protocole
de paix (protocole de Kapshticë) entre la Grèce et l'Albanie qui
permet d'attendre des frontières entre les deux pays soient
définies. Cependant, Gërmenji ne verra pas plus loin que cette
année-là, jugé et condamné à mort (le
dossier traitant de ce jugement est classé secret défense dans
les archives du Ministère de la Défense à Vincennes
jusqu'en 2017, date à laquelle ce dossier sera ensuite accessible). Les
soldats français ne se doutaient certainement pas que le lycée
créé en collaboration avec des enseignants albanais en octobre
1917 allait durer jusqu'en 1939 avec M. Xavier de Courville (ancien directeur
de théâtre de marionnettes parisien) à sa direction, et
qu'il formerait quelques-unes des figures politiques et littéraires
albanaises les plus importantes du XXème siècle, dont les
dirigeants du PCA. Cet épisode bref mais profond aura
décerné le surnom de « Petite Paris » à la ville
de Korça pour ses avenues propres pavées et bordées
d'arbres. La région protège toujours son patrimoine
français pour les 640 tombes françaises qui sont restées
à Korça, et celle du médecin de l'armée à
Voskopoja, mort d'une fièvre alors qu'il était parti y soigner
des habitants.
Des figures littéraires telles que celles de Ronsard,
Lamartine, Hugo, Loti, Dumas ou Apollinaire auront décrit leur
admiration pour le peuple albanais décrivant tantôt des chants
à la gloire de Skanderbeg, des hymnes au respect de ce peuple pour sa
bravoure au combat ou sa passion de la liberté, allant jusqu'à
romancer la fin d'Ali Pasha de Tepelena dans le Comte de Monte
Cristo, ou pleurer une amour perdue dans les rues de
Thessalonique ou de Londres. Finalement, au nom de l'admiration pour la France,
Said Toptani, étudiant en philologie à la Sorbonne sera
monté au sommet du Panthéon, faisant flotter le drapeau
français sur Paris un jour de février 1848 quand toute la ville
s'insurgeait contre le règne de Louis-Philippe. Et ce grand geste pour
la patrie de l'un est rendu à la patrie de l'autre sous les mots de
Lamartine quand il dit que « la chose immuable sans égal chez les
Albanais est la passion de la liberté et
102
de la gloire » (in L. Rama27, 2005 : 61). Les
expertises d'Albert Kahn en 191328 (photographe et voyageur) et de
Léon Rey en 1924 (archéologue) auront rendu une partie de leur
Histoire aux Albanais en ayant créé les seules photographies de
l'Albanie du début du XXème siècle pour le premier, et en
mettant à jouer la cité antique d'Apollonia pour le second.
Le roi Zog a également cultivé une francophilie
certaine, bien que principalement tourné vers l'Italie par
proximité géographique de son pays avec le pays du Duce à
l'époque, et aura même trouvé refuge en France de 1939
(quand les Italiens envahissent l'Albanie) à 1961, date de son
décès en région parisienne. La famille royale albanaise
garde un lien certain pour la francophonie, bien que les descendants d'Ahmet
Zogu ont grandi en Afrique du Sud. Le Prince Leka II marié à une
française d'origine albanaise, est l'héritier légitime du
trône albanais, pour l'instant, conseiller permanent à la
Présidence d'Albanie. Du point de vue politique formel, l'Albanie se
sera fermée à l'extérieur pendant de nombreuses
années mais les représentations qui circulent à propos de
la France et de son peuple (par la classe politique albanaise) restent
valorisantes et se détachent du reste du monde impérialiste
débéqueté par Enver Hoxha quand il dit en première
page de son autobiographie publiée post mortem
: « J'admirais la France et son peuple pour ce qui
appartenait d'eux : l'histoire, mais j'admirais et respectais aussi ses gens
pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur
sensibilité au destin de leur pays » (1988 : 7). Après les
années 1990, l'Albanie a soif d'autre chose, voyons comment les pays
d'Europe et la France répondent à ce besoin exprimé.
2.2.2. Facteurs politiques et
économiques
La France est la première à réinstaller
son équipe diplomatique en Albanie au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale. L'ensemble des traités et conventions bilatéraux
signés entre ces deux pays vont ensuite dans le sens du
développement de l'Albanie, que ce soit dans le domaine de la Justice,
de l'Education, ou plus largement en faveur de l'amélioration des
conditions de vie des Albanais et de la préservation de leur voix dans
les processus démocratiques (d'après les archives du MAE
français, voir bibliographie France Diplomatie, 2014). On voit
apparaître de plus en plus de grandes multi succursales françaises
en Albanie mais le Ministère des Affaires Etrangères (MAE)
reconnaît que la France est relativement peu engagée
économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros d'importation
27 Luan Rama a été ambassadeur de
l'Albanie (1997-2001),a représenté l'Albanie au Conseil permanent
de l'OIF diplomate pour la culture albanaise (1997-2002) et a été
nommé expert à la Délégation Permanente de
l'Albanie auprès de l'UNESCO (2002-5).
28 Le Musée Albert Kahn à Boulogne
Billancourt présente une grande partie de son oeuvre en exposition
permanente.
103
de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et
métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie
représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile,
produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur
le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces
domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la
durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la
formation de pilotes dans l'Armée de l'Air et la présence
permanente d'un coopérant technique français), ou de
développement du pays (confection des passeports albanais dont le
contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une
centrale hydraulique). En 2012 encore, Ubifrance a organisé une
journée dédiée à l'Albanie pour permettre de
développer de nouveaux partenariats et échanges commerciaux et
économiques.
La toute récente création de la Chambre du
Commerce et de l'Industrie France-Albanie en 2011, dont l'initiative a
été soutenue par l'Ambassade de France permet d'informer, de
mettre en relation et d'assister les initiatives d'investissements entre les
deux pays. On voit apparaître de plus en plus de grandes multi
succursales françaises en Albanie mais le Ministère des Affaires
Etrangères (MAE) reconnaît que la France est relativement peu
engagée économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros
d'importation de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et
métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie
représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile,
produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur
le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces
domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la
durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la
formation de pilotes dans l'Armée de l'Air avec la présence
permanente d'un coopérant technique français), ou de
développement du pays (confection des passeports albanais dont le
contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une
centrale hydraulique). En 2012 à Paris, la société
Ubifrance, spécialisée dans l'export et l'installation de
sociétés française à l'étranger, a
organisé une journée dédiée à l'Albanie pour
permettre de développer de nouveaux partenariats et échanges
commerciaux et économiques.
Les visites officielles bilatérales sont finalement de
plus en plus nombreuses et saluent les initiatives de différents
Ministères des deux pays pour différentes raisons, que cela
motive le jumelage entre des institutions de nature similaire, les stages
d'observation et de formation. On saluera finalement les efforts de politiciens
et diplomates albanais et leur présence lors de trois journées de
sensibilisation à la langue française et à son
utilité pour inscrire l'Albanie sur la scène de la diplomatie
internationale. Ce projet mené en octobre 2013 a justement
été financé par l'OIF.
104
2.2.3. Facteurs linguistiques et
éducatifs29
4 Réseau de l'enseignement public et
privé :
Les chiffres 2010 de l'Observatoire de la Langue
Française prétendent que 10% de la population albanaise est
francophone, soit 317 000 personnes (incluant les francophones partiels) pour
une population totale de 3.2 millions30. Notons que ce chiffre est
encourageant considérant la moyenne d'Europe centrale et orientale qui
se situe autour de 5% (avec les exceptions sur 12 pays, de la Moldavie et de la
Roumanie qui dépassent les 20%). Le Bureau International de l'Edition
Française d'après une prospection auprès de l'Ambassade de
France et l'Association des Professeurs de Français en Albanie proposent
les chiffres suivants respectivement pour l'année 2007 et 2012 :
|
BIEF, chiffres 2007)=
(BIEF, 2008)
|
APFA (2012)
|
Apprenants de français,
total estimé
|
77100
|
138310
|
Primaire
|
50000
|
89603
|
Secondaire
|
25000
|
48707
|
Supérieur (français langue d'apprentissage)
|
600
|
n.c.
|
Supérieur (français langue étrangère)
- chiffre MASH 2014
|
25000
|
n.c.
|
CCF & Alliances Françaises
|
1500
|
n.c.
|
Locuteurs de français sur la population totale
|
10%
|
|
Professeurs de français
|
500
|
500
|
Tableau 3 - Nombres d'apprenants de la langue
française en Albanie
La différence entre les chiffres communiqués par
les deux instances est énorme, ce qui amènerait à
réfléchir à ce qui constitue ou non un locuteur de
français d'après les
29 Pour une carte qui reprenne la situation
géographique des différents institutions mentionnées,
consulter Annexe 7
30 Ces données sont antérieures
à 2010 et certainement à 2006, en absence de nouvelles
données communiquées.
105
personnes responsables de communiquer les chiffres
nécessaires à l'Ambassade de France en Albanie et à
l'APFA, mais nous ne sommes pas en mesure de pouvoir fournir une explication.
Comme il l'a été mentionné dans la deuxième partie
de ce travail, les apprenants ne choisissent pas toujours leurs langues
étrangères à l'école. Lorsque l'on observe les
chiffres de l'APFA (annexe 6), on peut voir que le saut entre le nombre
d'apprenants Français 1ère langue en Xème
année de lycée professionnel : 5093 et la classe de XIème
année : 439 montre une perte de plus de 90% des élèves
choisissant le français 1ère langue dans les
lycées professionnels, l'intérêt ou l'offre proposée
par ces écoles ne répond pas à une promotion
adaptée du français.
Rappelons également que l'enseignement professionnel
n'est pas valorisé et représente aux yeux des
élèves des « sections garage sans avenir », pour
preuve, la grande majorité des étudiants de première
année de Français à l'Université d'Elbasan
sortaient des lycées professionnels (couture, menuiserie,
électricité) et avaient été admis en
français à cause de leurs notes basses aux épreuves du
baccalauréat et du mauvais pourcentage de réussite de leurs
établissements. Ce taux est encore plus alarmant quand on
considère que moins d'1% des apprenants ayant choisi le français
comme langue première ou seconde au lycée poursuivent leur
apprentissage de cette langue dans l'enseignement supérieur.
Le français est ensuite enseigné de
manière renforcée dans les 7 sections bilingues de l'Albanie (5
sections bilingues d'enseignement général et 2 sections bilingues
d'enseignement professionnel en hôtellerie-restauration soutenues par
l'OIF), officialisées progressivement depuis 2005 par la signature d'un
Traité avec la France. Ces sections bilingues existaient pourtant
auparavant et ont été partiellement initiées par les
efforts de l'association NECAL (Nouer des Echanges Culturels avec l'Albanie),
et financées par les services de coopération linguistique de
l'Ambassade de France en Albanie. Un nombre approximatif de 350 apprenants
fréquentent ces sections bilingues (MAE, 2014), à savoir que ce
chiffre est délicat à prendre en compte depuis quelques
années où ces classes ne sont plus (assidûment)
fréquentées, provoquant la mort lente de ces sections
initialement créées dans le but d'attirer les bons
élèves et leur proposer un tremplin vers les universités
et écoles de l'enseignement supérieur français. Ces
sections bilingues sont peu à peu désertées à cause
du manque d'intérêt pour la langue française qui se
généralise en Albanie, du manque de formation adaptée du
personnel enseignant, du manque de valorisation salariale et statutaire de la
spécificité de leur profession, et du manque de financement en
dehors de celui de l'Ambassade de France (Xega, 2004), quand d'après
l'ancien directeur de l'Alliance Française de Korça dans cet
article, toutes les autres sections diffusant et enseignant deux langues
dont
106
l'albanais sont aussi financées par des ONG, provoquant
l'intérêt particulier de personnes civiles ne dépendant pas
exclusivement du domaine de la politique, de la diplomatie et de la
coopération. Cependant l'implantation mal pensée de ces sections
dans des établissements linguistiques ne permettra pas la
visibilité méritée de ces sections d'enseignement
spécialisé. A la rentrée scolaire 2008, le gouvernement
albanais a également supprimé l'année zéro
prévue à l'usage des lycéens se préparant à
entrer dans ces sections pour mettre le nombre d'années de formation de
ces élèves au même rang que tous les autres (formation
à orientation générale ou professionnelle). Les derniers
lycéens qui auront bénéficié de cette année
zéro sont sortis du lycée en 2012. On déplore ce fait car
cette année permettait de se former intensivement au français
avant d'être en mesure de suivre les enseignements de DNL en langue
d'apprentissage étrangère ; cela servait également
à repérer quels élèves avaient les
compétences pour continuer leur formation dans ces sections. Ensuite, si
l'on observe la potentialité de ces sections de l'enseignement
secondaire pour l'accession à l'enseignement supérieur, envoyer
son enfant dans une section bilingue peut augmenter ses chances
d'intégrer une bonne filière universitaire, quand les
résultats et le taux de réussite aux épreuves de la
matura (BAC albanais) sont souvent meilleurs dans ces
sections que dans les autres établissements de l'enseignement secondaire
public albanais. C'est ici que l'on peut amorcer l'idée qu'il est
entendu pour un albanais de parler une langue étrangère, à
tel point que depuis de très récentes années, se
spécialiser dans l'apprentissage d'une ou de plusieurs d'entre elles ne
constituent pas une orientation d'avenir pour les familles autant que pour les
élèves, jusqu'à émettre des regrets
vis-à-vis de son choix d'étude, tout aussi enrichissant
puisse-t-il avoir été. Les enseignants ne voient pas toujours
l'intérêt de suivre cette voie quand leurs étudiants n'ont
pas reçu une certaine formation préalable...
10. H - « Va dans une école et demande à un
prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et
de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la
politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur
enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous
répondre
médecine ! » CF ANNEXE 9 ? 01-H
|
27. G - Mais le marché des langues est complètement
détruit aujourd'hui. On prend les
traducteurs dans des entreprises sans tester leurs
connaissances linguistiques. Les postes d'enseignants étaient de plus en
plus rares, donc le nombre de gens qui se prétendaient traducteurs a
augmenté. C'est une question de business, c'était mal
payé, donc les gens n'y mettaient pas du leur. Les traductions
étaient mal faites pour faire de la pression.
CF ANNEXE 12 04-GE
|
11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce
qu'on apporte à nos étudiants de
langues étrangères ?
12. F - Rien en grande partie, j'imagine une ouverture
d'esprit pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à ce qui
se passe en classe. Ca peut leur permettre de s'identifier, tu vois «
où est-
107
ce que je suis dans cette gamme d'informations que je
reçois ? Est-ce que ça m'aide à connaître l'autre et
moi-même ? »
CF ANNEXE 13 ? 05-F
Je n'ai pas intégré les classes que me mentionne
H en 10 (cf p 105) car le contact avec la direction de ces
établissements s'était révélé peu cordial
lors d'autres expériences de prospection, et que la nécessaire
bonne connaissance préalable de son interlocuteur permet d'avoir des
informations personnelles honnêtes (par opposition à «
fabriquées ») et que le temps ne me permettait pas d'engager de
telles relations avec les enseignants et les apprenants de ces classes.
Cependant, l'expérience me montra à travers des cours
particuliers que j'ai adonnés à quelques élèves de
ces classes que les élèves prouvant un bon niveau de
français ne se situent effectivement pas dans les filières
linguistiques mais dans les classes générales. Cette information
est confirmée par un autre enseignant de français auprès
de qui je me suis entretenue31, qui diversifie son activité
avec des cours privés adressés à des enfants de plus en
plus jeunes (d'après le relevé de l'âge de ses apprenants),
qu'il s'agisse d'une initiation précoce au français autant
qu'à des cours de renforcement linguistique, ou quand l'école
dans laquelle son apprenant est scolarisé ne propose pas d'enseignement
du français. Autre parallèle de poids dans le cadre de la
compréhension de la formation des représentations linguistiques
des locuteurs albanais, les cours privés de langue sont souvent investis
par les enseignants des élèves dans le cadre scolaire, ce qui
n'offre pas une grande variation à la langue et la culture, autant
qu'à la méthodologie mises à disposition de l'apprenant
(quand déjà même un enseignant de langue reste le
même tout au long de l'éducation d'un élève et de sa
classe).
Pour finir sur ce point, nous rajouterons qu'il y a de la
demande pour le français, mais pas là où on le penserait
et on ne voit pas apparaître ces étudiants et ces
élèves dans les activités culturelles organisées
par les instances francophones officielles d'Albanie, quand leurs professeurs
particuliers sont eux-mêmes connaisseurs du planning culturel de ces
institutions. La langue française dans l'enseignement public n'est pas
très populaire et ne semble pas engager l'affection de ses apprenants
s'il y a un taux de déperdition aussi important, à supposer que
les représentations concernant la langue française soient
appuyées par les initiatives du MASH pour répondre aux demandes
de son public d'élèves scolarisés, autant que selon la
nécessité de répondre aux critères de l'OIF en ce
qu'un Etat membre doit promouvoir et diffuser le français dans son
pays.
31 Entretien non enregistré à la demande
de l'informateur.
108
Au niveau universitaire, on relèvera l'existence de
l'Institut Français de Gestion (IFG) créé avec le concours
de différentes instances institutionnelles dont l'Ambassade de France en
Albanie et l'Université Bordeaux IV Montesquieu, qui forme des
étudiants dans le domaine de l'administration et de la gestion,
proposant également des programmes d'échanges avec des
écoles en France. Dans l'autre sens, comptons que 600 albanais sont
étudiants en France en 2014 classant ce pays comme sixième
destination estudiantine derrière l'Italie, la Grèce, les
Etats-Unis, la Turquie et l'Allemagne. A ce titre, l'Ambassade de France offre
l'opportunité de remporter une trentaine de bourses pour les
étudiants en doctorat et en filière scientifique.
4 Réseau de l'enseignement privé et
associatif :
Sachons que 4 Alliances Françaises et leurs 4 antennes
(avec la possibilité d'ouverture de deux nouvelles AF à venir) se
partagent les 1500 élèves proposés dans le tableau
quantitatif proposé ci-dessus (supra p. 104).
A cela doit être rajoutée la toute fraîche création
d'une Ecole Française de Tirana créée en 2011 (EFT) et
homologuée par l'Agence pour l'Enseignement Français à
l'Etranger (AEFE) en 2013, qui a accueilli une trentaine d'élèves
à la rentrée 2013. L'EFT est également dotée de son
magazine rédigé sur le concours des enseignants et des
élèves de l'école, et a organisé dès sa
première année un nombre remarquable d'activités dans le
cadre du Printemps de la Francophonie, et des activités
pédagogiques en extérieur de l'école (classe verte sur le
site archéologique d'Apollonia). Rappelons que cette école a
été créée d'après un projet de
l'Association des Amis du Lycée français de
Korça ! Le nombre cependant tout relatif
d'élèves pour cette école est expliqué par la
très faible présence de ressortissants français en
Albanie, au nombre de 172 en 2011. Ce chiffre bien que très restreint
est en augmentation de 20% chaque année (Sénat, 2007). L'EFT
propose finalement un accord avec l'Alliance Française de Tirana avec un
prix mensuel préférentiel pour suivre des cours de
français à 280 euros / mois, quand le salaire moyen en Albanie
tourne autour de 260 euros / mois, chiffre de l'Ambassade d'Albanie en France
(2014), laissant comprendre que l'inscription d'un enfant albanais a un
coût très important pour un foyer albanais moyen.
La coopération universitaire et scientifique est
finalement le plan sur lequel le MAE consacre la majorité de ses efforts
en termes de coopération avec l'Albanie, d'après les informations
transmises sur le site Internet du Ministère (2014). Une présence
française est observée depuis longtemps dans les écoles
albanaises, dont les postes étaient occupées par des volontaires
retraités de l'Education Nationale française avant que des
stagiaires soient envoyés dans ces écoles (parfois au nombre de
deux, comme à Tirana jusque récemment), ou
109
quand un détaché de l'Ambassade de France en
Albanie officiait sur les plans éducatifs, associatifs et culturels
à Korça jusqu'en 2002. Depuis 2005, quatre stagiaires comme je
l'ai été, sont envoyés dans cinq villes du pays pour
dispenser un enseignement du FLE au sein des départements universitaires
de français et des sections bilingues de ces mêmes villes. Ces
stagiaires sont aujourd'hui d'importants relais de la promotion du
français en ce qu'ils en sont presque les seuls responsables en
collaboration étroite et indispensable avec les Alliances
Françaises et les directoires des écoles concernées de
l'organisation d'activités linguistiques et culturelles tout au long de
l'année (selon la convention de stage en vigueur), cependant une (trop)
grande latitude d'organisation leur est accordée, provoquant une
variation importante dans l'implication de ces dernières sur le plan de
la promotion linguistique et culturelle. A ce titre, des émissions de
radio locales ont été montées, des pages Internet sur des
réseaux sociaux et des journaux à tirage national ont
été créés, des activités extrascolaires et
des échanges de spectacles entre étudiants de différentes
villes ont été mis en place (simulation globale sur terrain,
pièces de théâtre et projets de présentation
à thèmes sur la France), sans oublier une médiatisation
importante pour la majorité des activités mises en place :
affichages publics, presse écrite, émissions et journaux
télévisés. On regrettera toutefois que certains projets
aient été récupérés par les pouvoirs locaux,
quand l'initiative et la réalisation avaient été
conçues pour promouvoir le français et participer au
développement de la ville d'accueil (tableau d'indication des sites
culturels et touristiques de la ville d'Elbasan).
4 Albanie / France :
Nous remarquons donc que du point de vue officiel, les
relations entre ces deux pays ne sont pas bilatérales mais que la nature
de leurs échanges promeut en particulier le développement
économique, l'accompagnement et le soutien de la France dans des projets
visant à proposer des structures tutorielles pour élaborer la
société albanaise de demain. L'Ambassade d'Albanie en France
n'est pas très expansive sur son site Internet quant aux projets qu'elle
développe sur le sol français, et on sait trop bien que l'Albanie
n'est pas très présente (pour ne pas dire absente) des
scènes médiatiques françaises ; les inondations noyant une
grande partie des Balkans auront été largement suivies sur les
chaînes de télévision française, quand au même
moment, des tremblements de terre de magnitude 7 sur l'échelle de
Riechter secouaient le pays entier, et il n'en fut fait aucune mention...
C'est là que le monde de l'intellect héberge ou
permet la publication d'oeuvres de grands écrivains albanais tels
qu'Ismail Kadaré, installé en France depuis la chute du
communisme, Bessa Myftiu installée en Suisse et que quelques oeuvres de
Fatos Kongoli sont
110
également disponibles dans les librairies
françaises ouvertes sur la littérature étrangère.
Cependant, écrire dans la langue de l'Autre peut aussi revêtir des
aspects duels tout aussi bien que complémentaires, comme Gazmend
Kapllani le décrit à propos de sa « rencontre » avec la
langue grecque (Dorkofikis, 2013).Sur le plan universitaire, il est possible de
s'initier à l'albanais à l'INALCO, et des ressources
bibliographiques concernant l'Albanie sont préservées dans sa
bibliothèque (BULAC), autant qu'à la bibliothèque Mazarine
à Paris ou dans les archives de la BNF. L'Albanie est donc
présente en France, mais pour celui qui veut s'y intéresser,
n'étant pas en évidence.
III / Politique d'action extérieure de la
France en Albanie 3.1. La France et de la Francophonie en
Albanie
Des accords entre les deux pays ont été
signés pendant la période du régime communiste mais
permettaient une meilleure coopération politique plutôt que
linguistique et culturelle. De manière plus globale, l'action
extérieure de la France se traduit surtout par des initiatives
privées et publiques et se concrétise grâce à la
présence et aux actions organisées par les instances suivantes et
leurs représentants sur place :
L'Ambassade de France en Albanie,
installée à Tirana depuis 1922 avec une fermeture pendant la
Seconde Guerre Mondiale, n'aura pas permis une présence continue de
diplomates français sur le territoire albanais, dans la nouvelle
capitale de l'Albanie à l'époque, mais elle est présente
depuis le début du XIXème siècle avec des consuls
français placés au Sud du pays. La mission principale de
l'Ambassade est d'appliquer la politique extérieure de la France sur
place en Albanie. Le service du SCAC (Service de Coopération et d'Action
Culturelle) est précisément chargé de prospecter le
terrain albanais et de mettre en place des activités de promotion
linguistique et culturelle. Le nombre et la diversité des
activités organisées ces cinq dernières années sont
notables. Ces événements organisés sont souvent en dehors
des attentes d'un public albanais peu connaisseur de ce que la culture
française peut avoir de classique (musique classique majoritairement),
autant que d'original (spectacle de rue, musique et théâtre
expérimental). Nous noterons deux événements majeurs qui
ont pourtant un impact tout relatif avec la participation de l'Ambassade au
Salon du Livre de Tirana, la création en 2011 d'un Salon de
l'Enseignement Supérieur visant à promouvoir des institutions de
l'enseignement supérieur français aux lycéens albanais, la
présence de ces écoles étant sur concours libre, laissant
majoritairement à des écoles privées, et les bourses
étant en fait des
111
crédits (proposés par des banques
françaises présentes sur place). Le SCAC emploie des
attachés de coopération culturelle, linguistique,
institutionnelle avec la présence d'un chargé de mission
culturelle employé sous un programme de Volontariat International de
l'OIF, ainsi qu'un attaché à la défense. La Belgique n'a
pas d'ambassade en Albanie mais un consulat honoraire dans une ville à
proximité de la capitale (Durrës) et l'Ambassade de Suisse
participe aux activités de la Francophonie, mais ses activités
consulaires ont été attribuées à l'Ambassade de
Suisse au Kosovo.
Campus France - Albanie : installé au
sein de l'Alliance Française de Tirana depuis 2005, cette institution
est responsable d'orienter et d'aider les élèves albanais
désireux de poursuivre des études supérieures en France. A
travers Campus France, l'Albanie s'est ouverte à l'Office
Méditerranéen de la Jeunesse qui propose des bourses de
mobilité et propose une aide à l'insertion professionnelle pour
les jeunes de 16 pays de la zone Méditerranée. Les horaires
d'ouverture (deux heures deux fois par semaine) sont restrictifs du point de
vue de l'accessibilité à cet espace censé accompagner les
jeunes Albanais dans leur éventuelle formation dans l'enseignement
supérieur en France. Finalement, la presque inexistence de bourses et la
grande difficulté d'obtenir un visa sont pratiquement légendaires
et décourageantes (même pour les candidats avec un bon dossier,
expérience personnelle).
Jusque 2005, seul l'Institut de Culture Italien de Tirana
proposait un centre ouvert sur une culture et une langue
étrangère. Au nombre de quatre Alliances
Françaises et de quatre antennes, avec le projet de
créer deux autres AF dans les villes de Fier à l'Ouest et de
Saranda au Sud, le réseau des AF est étendu en Albanie,
présent dans pratiquement l'ensemble des plus grandes villes du pays. Le
réseau des AF est placé sous la tutelle de la Fondation Alliance
Française depuis 2007, les activités qu'elles organisent et les
financements attribués sont quant à eux placés sous
l'égide du SCAC et du MAE français. Pour la partie enseignement,
des partenariats ont d'ailleurs été proposés entre les
départements de français des différentes villes et les AF
pour permettre aux étudiants des départements de français
de renforcer leurs connaissances en langue, à prix
préférentiel. Les Alliances Françaises n'ayant pas
toujours leurs locaux propres, les cours ont souvent lieu dans ces
universités et sont assurés par les mêmes enseignants de
l'université. Les activités culturelles organisées par
leurs soins sont souvent concentrées en mars pendant la semaine de la
Francophonie (en dehors de la ville de Tirana qui finance un certain nombre
d'événements culturels dans l'année). Pour le reste du
pays, les activités organisées dépendent grandement de la
disponibilité des stagiaires et de leurs engagements vis-à-vis de
cet aspect de leurs activités. Finalement, le projet d'ouvrir des
112
classes de sensibilisation au français en
périscolaire a eu un franc succès à l'Alliance
Française de Tirana, celle d'Elbasan devrait suivre le pas d'ici peu de
temps.
L'Agence Universitaire pour la Francophonie (AUF)
a également une représentation à Tirana à
travers la salle numérique mise à disposition des
étudiants et des enseignants chercheurs. Avec pour mission de fournir un
accès à l'information et à la formation aux TICE à
l'adresse de ce public (en accord avec les missions fixées par l'OIF),
le Campus Numérique de l'AUF à Tirana est un pôle
d'accès à des ressources en rapport à son domaine
d'études et ses ambitions de formation universitaire à travers
une offre de différentes formations à distance et des ressources
bibliographiques. A l'heure actuelle, l'Université de Tirana et
l'Université Polytechnique de Tirana sont les deux seules membres de
l'AUF, permettant ainsi à leurs étudiants de participer à
des programmes d'échange et de mobilité internationale, et aux
enseignants de français de bénéficier de programmes de
formation et de participer à des conférences universitaires dans
différentes universités du monde de l'AUF.
L'Association des Professeurs de Français
d'Albanie (APFA) : membre de la Fédération
Internationale des Professeurs de Français, cette association semble
avoir milité seule pour la promotion du français et
l'enseignement de cette langue dans les écoles albanaises avant les
années 2000. Depuis l'accession de sa nouvelle directrice, Lindita
Trashani, cette association semble regagner en énergie et a
organisé plusieurs événements en association avec les
autres instances associatives ou institutionnelles du pays.
Le CREFECO (Centre Régional Francophone pour
l'Europe Centrale et Orientale) a pour mission d'améliorer la
formation proposée dans le domaine de l'enseignement du français
en proposant régulièrement des stages de formation à
l'adresse des enseignants de français de l'Europe Centrale et Orientale.
Ce centre créé en 1994 par l'OIF et installé à
Sofia en Bulgarie, est largement reconnu en Albanie pour les formations qu'il
organise, particulièrement contextualisées car le contenu de ces
formations est discuté avec les Ministères de l'Education des
pays membres. La participation d'une représentante du CREFECO lors du
1er Congrès du Département de français de
l'Université de Tirana fut d'ailleurs particulièrement
saluée, quand son discours attirait l'attention des acteurs de la
francophonie à ne pas relâcher leurs efforts pour continuer
à promouvoir cette langue de partage.
L'Albanie est ensuite dotée d'un grand nombre de
centres linguistiques privés. Toutes ne proposent pas
des cours de langues en français et ces écoles sont absentes des
activités organisées dans le cadre du Printemps de la
Francophonie mais toutes font la promotion de leurs préparations
à différents diplômes de langues françaises (TCF,
DELF/DALF & TEFAQ pour
113
le Canada). L'émigration vers le Canada étant
relativement importante, les Albanais sont plus facilement disposés
à envisager un déplacement vers l'Amérique du Nord que
vers la France.
3.2. Ressources matérielles mises à
disposition des Albanais francophones en Albanie
Ces récentes années, de plus nombreux efforts
ont été réalisés dans ce sens de mettre à
disposition du matériel en langue française, cependant ces
efforts ne vivent pas toujours les effets attendus. Les AF ne sont pas toutes
dotées de médiathèques et les bibliothèques sont
souvent installées dans des salles dépourvues de permanence, ce
qui empêche l'accès aux ressources existantes. Dans ce sens, le
chargé de mission culturelle de l'Alliance Française de Tirana,
en coopération étroite avec le SCAC de l'Ambassade a permis la
création d'une plateforme Culturethèque Albanie
(troisième pays au monde à avoir le privilège
après la Chine et le Maroc), plateforme en ligne de consultation de
différents supports numériques et interactifs, proposé
à tous et inclus dans les frais d'inscription aux cours des AF.
Lancée en mars 2013, il est désormais possible d'avoir
accès à cette plateforme à partir de son
téléphone portable, ce qui est d'autant plus accessible et
possible pour les jeunes Albanais qui n'échappent pas aux Smartphone et
à une couverture Internet large. L'Ambassade de France a
également grandement incité les AF à s'abonner à
quelques magazines et / ou journaux, permettant de pouvoir alimenter la
littérature disponible dans les locaux des AF. Cependant, l'organisation
spatiale des locaux des AF ne permet pas toujours aux apprenants de pouvoir
consulter librement ces ouvrages.
La chaîne télévisée TV5
Monde est accessible gratuitement mais son rayon de transmission est
très restreint, ou la qualité de réception n'étant
pas toujours optimale. Cependant, cela reste une chaîne
télévisée, suivie de son site Internet proposant des
sources très intéressantes exploitables par les enseignants dans
leurs classes. La nécessité fréquente d'avoir accès
à Internet pour pouvoir exploiter pleinement les fiches
pédagogiques de TV5 Monde rendent la majorité de ses ressources
inaccessibles, mais néanmoins réalisables.
Le SCAC de l'Ambassade de France en collaboration avec celui
de l'Ambassade de France en Macédoine, l'Institut Français de
Skopje et l'Université de Montpellier III ont créé et mis
en place un plan de formation visant à sensibiliser les enseignants
d'Albanie et de Macédoine à l'usage des TICE et à
promouvoir leur utilisation en contexte didactique. En 2011, la plateforme
numérique Almaktice (Fischer & Olivry, 2012) est
lancée, après avoir réuni les enseignants de
français des deux pays pour qu'ils mettent en commun les ressources
qu'ils utilisent.
114
Les programmes de mobilité ont
été créés et mis à disposition des
étudiants albanais, cependant, un nombre encore trop restreint
d'étudiants peuvent bénéficier de ces programmes. En ce
qui concerne le programme Erasmus Mundus, l'année la plus importante en
termes d'obtention d'une bourse fut 2007 avec 26 étudiants de Master
ayant obtenu une bourse pour étudier à l'étranger quand en
2013, seuls 10 étudiants partirent. Pour les recherches doctorales, 4
bourses de ce programme furent attribuées à des doctorants
albanais (Conseil de l'Europe, 2013). Peu d'Universités disposent de
partenariats effectifs avec des universités étrangères ou
les universités albanaises ne sont pas en mesure de pouvoir rendre la
même somme d'efforts que ceux produits par leurs confrères, en
particulier à cause de l'impossibilité encore actuelle de pouvoir
concilier son métier d'enseignant et de chercheur pour les
universitaires. Ainsi, pour pouvoir partir à l'étranger, on se
repose encore beaucoup sur des programmes humanitaires ou impliquant que
l'étudiant ne dépense que le minimum des frais
nécessaires. Pour la langue française, nous pouvons saluer le
Lion's Club qui a reçu des étudiants albanais dans ses
différents centres en France chaque année, grâce à
l'appui de Mme Basin-Gourgon, présidente de l'association NECAL et
fervente défenseure de la francophonie en Albanie.
IV/ L'offre en formation initiale en langues
étrangères dans le système universitaire albanais
4.1. Données générales,
formation et marché du travail
Il est admis de pouvoir entrer dans une filière
linguistique à l'université sans avoir étudié la
langue au préalable. Certains étudiants sont donc au niveau 0 en
L1, ce qui ne permet pas de considérer tous ces francophones en contexte
universitaire comme des francophiles avérés dès le
début de leur formation universitaire, si l'on se place du point de
l'intérêt porté à la langue, ou comme envisageant
une orientation professionnelle où il est entendu que le français
leur permettra d'avoir un emploi qui leur donne « facilement » un
emploi si on rejoint la visée utilitariste de l'Ecole. Voyons à
présent la représentativité du français à
l'Université de Tirana et à l'Université d'Elbasan, quand
ce sont des acteurs de ces deux établissements que j'ai pu rencontrer et
interroger dans le cadre de mon étude (n'étant pas aux faits des
villes de Korça et Shkodra, je ne préfère pas
m'entreprendre sur des analyses qui pourraient être erronées).
Pour note de lecture, les chiffres verts indiquent ceux qui sont
supérieur à la moyenne, les rouges représentent les
chiffres inférieurs.
115
Ville et université
|
Diplôme L3
|
Année
|
TOTAL sur quatre années
|
Année la plus importante en
nombre d'étudiants
|
Année la moins importante en
nombre d'étudiants
|
Variation max. / moyenne
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Université d'Elbasan, Faculté SHS
|
Français
|
24
|
48
|
28
|
39
|
24
|
163
|
2006 - 48
|
2005 &
2009 - 24
|
24 - 32
|
|
Anglais
|
57
|
94
|
76
|
52
|
35
|
314
|
2006 - 94
|
1998 &
1999 - 18
|
76 - 62
|
Allemand
|
16
|
28
|
41
|
20
|
10
|
115
|
2007 - 41
|
2000 &
2008 - 10
|
31 - 23
|
Italien
|
22
|
70
|
60
|
61
|
25
|
238
|
2007 - 70
|
2005 - 22 (année de creation)
|
52 - 47
|
Université de Tirana,
Faculté
des LE
|
Français
|
47
|
60
|
87
|
62
|
22
|
278
|
2002 - 94
|
2009 - 22
|
72 - 55
|
|
Anglais
|
98
|
96
|
162
|
156
|
143
|
655
|
2007 - 162
|
1997 - 66
|
96 - 131
|
Italien
|
53
|
62
|
52
|
124
|
34
|
325
|
2008 - 124
|
1998 - 18
|
106 - 65
|
Allemand
|
62
|
51
|
56
|
64
|
21
|
254
|
2008 - 64
|
1997 - 12
|
52 - 50
|
Turc
|
10
|
15
|
7
|
10
|
0
|
42
|
2006 - 15
|
2003 - 4
|
11 - 8
|
Grec
|
14
|
19
|
36
|
37
|
0
|
106
|
2008 - 37
|
2003 - 8
|
29 - 21
|
Russe et langues slaves
|
7
|
13
|
11
|
13
|
0
|
44
|
2002 - 22
|
1998 - 2
|
20 - 8
|
Tableau 4 - Nombre d'étudiants
diplômés au niveau BAC + 3 par année, par langue et
par université (2005-2009) - Source : INSTAT, 2012
Nous pouvons voir d'après ces données que le
nombre d'étudiants oscillent considérablement d'une année
à l'autre, et ceci peu importe la langue étrangère
étudiée. La variation maximum indique également pour
certaines langues que les besoins en enseignants oscillent
considérablement d'une année à l'autre, provoquant des
déséquilibres concernant le recrutement d'enseignants, leur
éventuelle titularisation, et l'instabilité, la
précarité caractérisant cet emploi. De
l'intérêt porté par les étudiants aux
filières linguistiques universitaires évoquées dans ce
tableau, nous voyons que l'anglais obtient la première place si l'on
regarde le nombre d'étudiants diplômés, suivi par
l'italien. Le français obtient la troisième
116
place, suivi de près par l'allemand dans les deux
universités. Concernant les langues turque, grecque et russe, le nombre
réduit d'étudiants doit s'explique par le fait que ce sont des
langues qui ne sont pas ou peu enseignées au secondaire ; elles ont
également des alphabets différents, ce qui peut
éventuellement faire naître des représentations comme quoi
ce sont des langues difficiles. Notons tout de même qu'un nombre
important d'Albanais vivent en Grèce (comme vu en chapitre 2), ce qui
amène à considérer l'apprentissage de cette langue lorsque
l'on y vit plutôt que de suivre une formation universitaire. On remarque
également qu'en 2009, des données sont inférieures
à la moyenne, peu importe la langue, ce qui semblerait indiquer un
désintérêt généralisé des LE. C'est
d'ailleurs dans cette colonne que l'on voit apparaître des données
nulles pour trois langues, ce qui correspond à une absence de
transmission de données de la part de l'institution car après
croisement des informations avec un étudiant concerné par ces
données, il s'est révélé qu'il y avait bien des
étudiants en L3 dans ces trois filières.
Depuis la ratification par l'Albanie de la Charte de Bologne
et jusqu'à ce que la réforme prévue en 2014 change la
structure de l'enseignement supérieur, une licence universitaire
s'effectue en trois ans, sur le système européen LMD (Licence
Master Doctorat) divisés en six semestres. A l'issu de la licence, un
étudiant doit soutenir un mini-mémoire sur le thème de son
choix, relatif au domaine qu'il aura étudié. Au niveau du Master,
et pour les étudiants qui se destinent à l'enseignement, un
master scientifique s'effectue en deux années et le master professionnel
en un an. Puis, à partir de 2012, le master professionnel s'effectue en
un an et demi impliquant la nécessité de faire une année
de stage non rémunéré par la suite, et d'obtenir
obligatoirement un diplôme de connaissance de l'anglais (niveau B2),
quelle que soit la langue étrangère de spécialité
ou la deuxième langue étudiée lors de son cursus
universitaire. La réforme de 2012 passée en cours d'année
et à effet immédiat de prouver son niveau B2 en anglais a
provoqué un certain nombre de protestations rapidement
étouffé quand les étudiants ont été
menacés de représailles et de poursuites. Basé sur le
modèle universitaire italien concernant la nécessité de
soutenir un mémoire en fin de licence, la structure universitaire
albanaise impose un certain nombre de contraintes aux étudiants en
langues étrangères, qui confortent le gouvernement dans ses
volontés de s'aligner sur des standards qui sont difficilement
réalisables ou en accord avec la réalité sociale albanaise
(en référence au stage long non rémunéré),
ni à leurs compétences quand il leur est demandé en cours
d'année de passer un test certificateur en anglais, quand la plupart
d'entre eux choisissent l'italien comme deuxième langue obligatoire.
Cette nouvelle loi peut prétendre à promouvoir le plurilinguisme,
sauf quand on remarque des dysfonctionnements tels que le fait
117
que certains étudiants n'ont pas étudié
l'anglais depuis la fin de leurs études secondaires, ou que le
diplôme qu'il faut passer est un diplôme de connaissance de langue
proposé par une université privée américaine.
L'offre de formation au niveau Master n'offre pas une grande
égalité dans le sens où seule la Faculté des
Langues Etrangères de Tirana forme les enseignants qui se destinent
à opérer au niveau secondaire, laissant les universités de
province former les futurs enseignants du niveau primaire (et collège,
ces deux niveaux étant réunis en Albanie), comme c'était
le cas déjà sous le régime communiste avec les instituts
pédagogiques qui formaient les enseignants du niveau primaire et
collège, tandis qu'à Tirana, on pouvait suivre une formation
permettant d'enseigner aux niveaux supérieur, comme c'est le cas pour
nos informateurs qui ont reçu une formation sous le temps du communisme.
Etre autorisé à se déplacer pour étudier
succédait à une étude de dossier minutieuse et profonde de
l'adéquation du candidat avec l'idéologie du PTA et de sa bonne
conduite. Les enseignants ayant reçu leur formation initiale sous le
régime communiste devait donc faire preuve d'exemplarité.
On trouve également des Masters en communication et en
tourisme, ouverts aux étudiants de LE, ainsi que des Masters en
traduction et interprétariat. Le manque de valorisation attribué
au travail d'enseignant attire souvent les étudiants dont les
compétences linguistiques sont les plus faibles vers l'enseignement.
Cependant, le peu de formations professionnalisantes, sans compter le
coût important qu'engage le rapprochement d'un étudiant de son
lieu de formation peut également inciter plus volontairement les
étudiants à se diriger vers les seuls Masters proposés
dans la ville où ils ont déjà effectué leur premier
cursus universitaire. On n'oublie pas les tarifs importants d'admission en
Master qui s'apprêtent à être appliqués
prochainement. Les réalités économiques restreignent donc
les possibilités de formation professionnelle, quand l'université
est conçue aujourd'hui comme la fabrique des futurs professionnels,
destituant cette place aux instituts de formation spécialisée.
Sans devoir se spécialiser en français, on
remarque que le français n'est pas présent dans de nombreuses
universités albanaises, même en tant que deuxième langue
d'apprentissage. Dans le domaine de l'enseignement supérieur public,
seules trois universités disposent d'un département de
français : Elbasan, Tirana et Shkodra. Les autres universités ne
déclarent pas disposer d'un tel département, laissant penser
qu'il n'existe pas d'enseignement du français en tant que
deuxième langue dans la majorité des universités publiques
albanaises, ce qui réduit le champ de diffusion de cette langue
étrangère au profit de l'anglais et de l'italien, largement connu
des Albanais par leur précoce exposition de cette langue à
118
travers les médias, en particulier les dessins
animés pour les enfants. Cependant, cette tendance pourrait bien changer
quand les programmes télévisuels pour la jeunesse sont maintenant
doublés en albanais et que les séries (« telenovelas »)
d'Amérique du Sud ont récemment intégré les
programmes de plusieurs chaînes nationales. Les Albanais reconnaissent
eux-mêmes que leurs enfants parlent de moins en moins italien, quand
c'est presque considéré comme une évidence par les plus
âgés. Le bilinguisme précoce des jeunes Albanais, est donc
remis en question par l'évolution des médias albanais et de leur
développement pour promouvoir la langue albanaise.
Concernant la lecture de ce tableau et l'intérêt
porté aux langues étrangères, nous préciserons
quelques informations. Du point de vue du domaine de l'enseignement et des
étudiants qui se destinent à cette formation professionnelle, et
pour pallier au manque d'enseignants formés en français en
particulier pour les zones rurales reculées, certaines
universités ont pris l'initiative de créer des diplômes
spécifiques qui proposent de former les étudiants en
français et en albanais. A l'issu de cette formation, les
étudiants provenant de zones rurales reculées doivent
s'être dotés d'un bagage minimum en français et en
grammaire albanaise pour pouvoir l'enseigner, ces données sont absentes
de ce tableau, autant que le nombre d'étudiants entrant en L1,
permettant de constater quel taux de déperdition est observé pour
le français et les autres langues étrangères
proposées, car ce chiffre n'a pu être trouvé. Finalement,
de nouvelles disciplines alliant l'apprentissage d'un domaine non linguistique
à celui d'une langue étrangère (informatique et anglais,
ou techniques de communication et anglais, plus rarement l'allemand, mais cela
existe). Cependant, aucune discipline scientifique ne se couple actuellement
avec le français au niveau Licence.
4.2. Regards vers l'Ouest, de la théorie en
pratique
Les universités de l'ex bloc de l'Est ont relativement
rapidement essayé d'adopter des mesures permettant d'aligner leurs
institutions sur des standards européens, quand certaines
hypothèses soutiennent que c'est dans le cadre d'une stratégie de
rapprochement économique et politique de ces pays avec l'UE. La
signature de la Charte de Bologne32 a réorganisé
dès 2006 le fonctionnement des universités dans leurs dimensions
structurelles, curriculaires, pédagogiques et socio-éducatives,
autant que l'adoption de ce texte et sa mise en pratique a tenté de
démocratiser l'accès à l'université et a
contribué à dépolitiser ses
32 Il était initialement question de traiter de
la Charte de Bologne en chapitre 2 mais cela a été mis de
côté par l'annonce d'une nouvelle réforme remettant
fondamentalement en question l'application de certains principes de ce premier
texte
119
contenus et sa hiérarchie. Cela n'aura pas
été complètement achevé que huit années plus
tard, le gouvernement déplore officiellement des manoeuvres
frauduleuses, illégales et contraires aux principes fondamentaux de
l'éducation.
L'alignement des enseignants de LE et de français pour
notre contexte, sur les principes du CECR que l'on retrouve dans les articles
de recherche dont il a été fait mention en introduction de cette
étude renforce l'idée selon laquelle le standard européen
et globalisé a été adopté et intégré
aux curricula universitaires et aux programmes de formation. Cependant, cette
volonté d'ajustement théorique n'aura pas pu être
appliquée à la pratique dans toutes les institutions, souvent par
manque de financement : voyons certaines méthodes anciennes encore
employées dans les départements de français, à
Elbasan, Le Nouveau Sans Frontières 1 & 2,
respectivement 1998 & 199133. Pour les
autres matières, axées sur un point de connaissance non
linguistiques (culture, littérature, histoire, droit, etc.), les
enseignants disent se constituer leurs propres supports de cours, incluant
l'utilisation de méthodes anciennes (comme le « Mauger
»), en particulier quand le
contenu culturel est accessible aux étudiants en difficulté de
compréhension et de production linguistique (orale comme écrite),
par sa présentation sous une méthodologie traditionnelle, plus
familière des apprenants en particulier quand ils viennent des zones
rurales où les écoles sont rarement équipées du
matériel adéquat pour l'utilisation d'une méthode
récente (en particulier pour celles où la compréhension
orale est sur un CD-ROM). Il m'est souvent arrivé que des enseignants me
demandent de leur trouver des méthodes qui leur permettent de
réunir le contenu de leurs programmes dans des livres « tous faits
». Quand aucune librairie ne propose de méthode auxiliaire, et que
l'achat sur Internet n'est pas encore popularisé, on peut tout à
fait comprendre qu'il soit difficile de trouver ces méthodes, il y a
donc une réelle demande pour une littérature
méthodologique neuve et / ou innovante (en référence
à la date des méthodes utilisées et des
méthodologies qui y sont prescrites), ou de l'équipement des
écoles avec le matériel au moins de base, pour travailler sur
toutes les compétences. Cependant, nous savons qu'en
réalité, la revendication des quatre compétences ne fait
appel à un travail effectif sur ces dernières, en particulier
quand on en vient à la production orale. Nous verrons ceci dans le
chapitre prochain.
33 Quand j'ai voulu proposer une nouvelle
méthode, j'ai rencontré la reluctance de ma hiérarchie
à l'époque sous prétexte qu'il n'y a pas de librairie
francophone, quand les apprenants utilisent des photocopies de
méthodes.
120
|