III/ « Nous voulons être comme le reste de
l'Europe »23
La dernière apparition publique d'Enver Hoxha date de
novembre 1984 lors duquel on comprend que le numéro 1 du pays
disparaîtra bientôt, car il montre des signes de faiblesse et de
maladie. Il meurt un an après (Schreiber, 1985 : 925), et le
régime ne dure pas plus de six années au-delà de ça
tout au long desquelles on sent que la main de fer qui tenait les Albanais se
détend, ce qui a motivé les étudiants à se
révolter en 1991. Les années après la chute du communiste
sont difficiles, le pays passe d'un fonctionnement autocentré à
ce que le Parti Démocratique créé par Sali Berisha
appellera plus tard le « changement » (`ndryshimi'
en albanais)24. L'Albanie peine à se
démocratiser, les conflits de 1997 (guerre civile à la suite de
l'effondrement de sociétés d'investissement à structure
pyramidale) et de 1999 (conflits armés au Kosovo) mettent le pays dans
une situation de déséquilibre qui repoussent ou remettent en
question les efforts d'amélioration, de démocratisation. En 1995,
le FMI attribua toutefois à l'Albanie la reconnaissance qu'elle fut le
pays des Balkans qui aura connu la meilleure croissance depuis que le
communisme est tombé, bien que e nombreux efforts semblent encore
nécessaires si l'on observe le nombre de fois où l'UE a
rejeté la possibilité d'accorder à l'Albanie son statut de
candidat pour le motif précis que ce pays était en bonne voie
mais qu'il devait encore procéder à des améliorations et
réformes.
23 En référence au chapitre p. 159 de
l'essai de Besnik Musatafaj, Entre crimes et mirages : l'Albanie
(1992), lui-même en référence à un slogan
pendant les manifestations de 1991 : « E duam Shqipërinë si
Evropa ! » : « Nous voulons l'Albanie comme l'Europe ».
24 Lors des élections législatives de
2013, le PD porté par Sali Berisha qui briguait un troisième
mandat consécutif au poste de Premier Ministre affichait le slogan
«Ne jemi ndryshimi përpara » (nous sommes le changement
en premier), en rappel aux réformes passées sous le gouvernement
de cet homme politique au lendemain des événements de 1991, puis
de 2005 à 2013.
74
3.1. L'Université en pleine révolution
: pour quelle utilité projetée de l'enseignement supérieur
?
L'Europe est vue comme une fenêtre sur des jours
meilleurs, bien qu'il semblerait qu'elle a aussi déçu (je
laisserai l'appréciation de ce commentaire aux concernés, me
basant sur le chapitre de Mustafaj qui relate lui-même ce fait à
partir des événements post-1991 dans son essai). Nous garderons
à l'esprit que cette volonté d'intégrer l'UE semble se
traduire par les efforts législatifs menés par le gouvernement de
ce pays de voir son système politique autocentré mué en un
régime démocratique. Du point de vue de l'enseignement, l'Albanie
se rend vite compte que le changement est urgent et le gouvernement s'attarde
à ce domaine dès 1992. Voici une synthèse des
réformes les plus significatives dans le domaine de l'éducation
d'après UNESCO, 2011) :
1992 : les cours à caractère
idéologique et l'éducation militaire sont retirés des
programmes de formation ; tentatives d'introduction de méthodes
d'enseignement dites « interactives » ; on repense également
le système de formation des enseignants pour leur permettre d'avoir une
marge de manoeuvre plus libre.
1995 : un prêt de 30 millions de
dollars est accordé à l'Albanie pour pouvoir procéder
à la construction ou à la réhabilitation de ses
bâtiments scolaires, et à la réforme de ses contenus
scolaires ; la jeunesse d'avoir accès à une éducation qui
lui permette de construire la société démocratique de
demain et développer une économie de marché libre ; on
repense les écoles professionnelles et on autorise l'ouverture
d'écoles privées ; on propose la création de conseils
scolaires permettant un relai entre l'école et les parents.
1997 : on réduit le nombre
d'années d'études universitaires d'une année, on obtient
une licence en quatre années et un master sur deux années
supplémentaires ; l'Albanie signe la Convention de Lisbonne qui
prévoit la reconnaissance de certains diplômes émis en
Europe et au sein des pays signataires.
1999 : plus grande liberté
décisionnelle et administrative des universités, élection
libre de ses administrateurs, sans contrôle de l'Etat.
2000 : certains pouvoirs du gouvernement sont
délégués à des commissions locales, dites «
Bureaux de l'enseignement ».
2002 : restructuration du Ministère de
l'Education et des Sciences pour permettre une meilleure définition des
politiques éducatives ; on crée un département
d'inspection du Ministère pour contrôler et protéger le
personnel administratif des changements fréquents de
75
Ministres et de ce qui est appelé « les purges
politiques » (chaque parti politique préférant nommer du
personnel de son propre camp).
2003 : on nomme le personnel administratif
sur la base du mérite et de la concurrence ; on accorde plus de droits
aux commissions de l'éducation locales ; on détache le Centre de
Formation des Enseignants pour rendre cette institution indépendante de
l'Institut des Curricula et des Standards ; l'Albanie signe la Charte de
Bologne.
2004 : décision gouvernementale de se
rapprocher des standards européens en matière d'enseignement et
de plan de formation avec l'adoption du système LMD ; le domaine de
l'éducation est à nouveau désigné comme une
priorité gouvernementale, par le Conseil des Ministres.
2005 : projet avec le PNUD d'introduire les TIC
à l'école.
2006 : on accepte de revoir les
modalités d'admission à l'université et la suppression du
concours d'entrée ; un prêt de 75 millions de dollars est
accordé à l'Albanie pour assurer l'équité et
l'excellence dans le domaine de l'éducation ; création d'un
conseil supérieur pour l'enseignement et les sciences.
2008 : une loi est portée visant
à interdire toute discrimination sur le genre à l'accès
à l'éducation ; une autre loi vise à aligner les standards
de formation doctorale sur les lignes conduites par le Processus de Bologne ;
l'école de huit ans est allongée d'une année
supplémentaire, et la formation secondaire se déroule sur trois
années (au lieu de quatre), réforme accomplie dans tout le pays
en 2012.
2010 : les commissions locales de
l'éducation deviennent responsables de la rédaction et des
conditions de passation des examens prévus à la fin de la
neuvième année d'école (équivalent du Brevet des
Collèges français).
2012 : le gouvernement rend obligatoire de
passer une épreuve en langues étrangères au
baccalauréat aux côtés de la langue albanaise et des
mathématiques, le choix de la langue est libre
(`matura' en albanais). Cette réforme fait
débat car le niveau évalué est A2 (idem aux
épreuves de la matura de fin de
collège, équivalent Brevet).
2014 : une large enquête sur la
situation de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique
est entreprise, le rapport est édité en avril et le rapport de
réformes à entreprendre dévoilé en août.
76
Les contenus pédagogiques et scientifiques sont petit
à petit repensés pour s'accorder à des standards
européens avec la volonté de correspondre à un
modèle de réussite et ultimement d'ouvrir les étudiants
albanais à la scène internationale qui leur aura
été fermée ou trop restreinte depuis toujours. La
standardisation des programmes et des plans de formation par la signature de la
Convention de Lisbonne (1997) puis de la Charte de Bologne (2003) a permis
d'aider à une redéfinition des principes éducatifs
dictés par les institutions albanaises, permettant également une
meilleure lecture des compétences élaborées par un
étudiant au cours de son cursus éducatif par des institutions
scolaires étrangères (pour le cas du deuxième texte).
L'Albanie a également multiplié ses projets de coopération
et de réforme de son système d'enseignement supérieur pour
tirer des conclusions sur les actions à entreprendre. Les principes
éducatifs suivent des lignes normées et permettant de
développer l'esprit des jeunes, mais aussi d'assurer l'économie
et la société dans laquelle les adultes de demain grandiront, en
théorie.
En juillet 2014, soit la même année que
l'élaboration et la rédaction de ce travail, le Premier Ministre
albanais Edi Rama décide de revoir les fondements de l'éducation
et la structure organisationnelle et pédagogiques de l'enseignement
supérieur et déploie son grand projet de réforme à
travers un discours intitulé : « Reforma në Arsimin e
Lartë, fund arsimit si një mall që blihet » (la
réforme sur l'enseignement supérieur, la fin de
l'éducation comme une marchandise qui s'achète),
semblant orienter la caractéristique principale de cette réforme
sur le fait que l'on peut monnayer son diplôme et ses examens. Cependant,
cette réforme table sur d'autres problèmes relatifs à la
situation actuelle de l'éducation en Albanie. Selon Çajupi
(2012), 30% des écoles privées pré-universitaires ne
disposeraient pas de l'accréditation du gouvernement albanais et
fonctionnent sans être évaluées. L'Université en
tant qu'institution n'a pas bonne presse ni grande évaluation de la part
de chacun, et le discours tenu par Edi Rama dans sa présentation du
projet de réforme de l'enseignement supérieur par le gouvernement
est direct, il s'attaque (à tort ou à raison) à tous les
fronts : celui de la famille, de l'école et de chacun de ses
occupants.
3.2. L'Université albanaise sur les bancs
d'essai
Le projet de réforme a été initié
à la volonté du Premier Ministre Edi Rama dès son
accès au poste en juin 2013. Plusieurs scandales avaient
déjà éclaté quant à la remise en question de
la transparence de certaines institutions et de la crédibilité de
certaines de leurs pratiques (scandale de l'Université Cristal à
titre d'exemple). Selon la perspective de rejoindre
77
l'Union Européenne dans les années à
venir, il semblerait, si l'on en croit le discours tenu à propos du
système de l'enseignement supérieur et de quelques-unes de mes
expériences, qu'une réforme voire une refonte de tout le domaine
est nécessaire. Cette nouvelle réforme dont le contenu a
été rendu public en juillet 2014 vise à corriger les
points suivants.
4 Une surpopulation des universités albanaises
: raisons et initiatives
Le nombre d'étudiants a explosé depuis la fin du
régime communiste : près de 20.000 en 1983, pour plus de 63.000
en 2004 et 160.000 en 2011, pour une population totale de 3.162.000 habitants
en Albanie, ce qui représente 5% de la population. Comme le
déplorent les enseignants de l'enseignement universitaire public, ces
apprenants sont très souvent dans une salle de classe parce qu'ils ne
veulent que le diplôme, ce que le rapport effectué confirme en
rappelant au passage deux autres facteurs de cette surpopulation des
universités albanaises : la trop grande offre de formation :
- plus de 1500 programmes de formation pour le pays
- près de 60 institutions de l'enseignement
supérieur (49 privées et 15 publiques), soit
20 universités par tranche d'un million d'habitants, ou 8 fois plus
qu'au Royaume Uni.
Il est également reconnu que le niveau de performance
des étudiants albanais a grandement chuté, en partie à
cause de la facilité d'accéder à des cursus de formation
dans des structures privées, qui auront été le sujet d'un
grand nombre de scandales impliquant corruption et manque de
crédibilité des plans de formation, et des modes de gestion. La
réforme de 2014 voulant privilégier le principe de
l'égalité des chances, de la libre concurrence et l'accès
à tous sur la base du mérite, vise à fermer
progressivement un certain nombre d'établissements publics et
privés dès la rentrée 2014-15, en vue de leur permettre
d'améliorer la qualité des enseignements dédiés aux
apprenants. Cette initiative fait débat dans le sens où les
étudiants ne sont pas les seuls à blâmer dans ce
processus.
Jusqu'en 2006, on entrait dans la filière de son choix
après le passage d'une épreuve d'entrée. Puis, avec la
signature de la Charte de Bologne, l'accès à l'université
est rendu possible dès que l'on obtient son bac, avec une note minimale
de 5/10. Ensuite, le nombre de points obtenus aux épreuves du BAC est
multiplié par le taux de réussite du lycée dans lequel
l'élève était inscrit. L'étudiant remplit un
formulaire, le A1, où il inscrit un nombre maximum de 10 choix de
disciplines et des universités dans lesquelles il souhaiterait
étudier. En fonction du classement national de la totalité des
lycéens du pays, du nombre de places par classe en Licence 1 et du
nombre de points obtenu par l'étudiant, il sera admis dans son choix nr
1 à 10. Si le nombre de ses points n'était pas suffisant pour
intégrer ses 10 premiers choix, il remplira
78
le formulaire A2 (permettant une rentrée scolaire en
novembre, soit un mois après tout le monde), ou encore le A3
(rentrée en décembre). Quand on a son BAC, et qu'on a le courage
de remplir trois formulaires, de regarder les listes d'admission dans un
maximum de trente disciplines et dans des universités
différentes, on est pratiquement sûr d'être admis à
l'université, tant qu'on a envie de se lancer dans cette
épreuve.
Certains départements désertés par les
apprenants soit par manque d'intérêt, soit par manque de
sérieux et que pour survivre en tant qu'unité d'enseignement, on
ferme les yeux sur les absences et les incompétences de son public
d'apprenant (quand certaines disciplines attirent plus d'étudiants
moyens que bons), soit aussi parce que trop de formations existent pour que
chacune d'entre elle gagne des étudiants sérieux et
intéressés, certaines disciplines sont alors ornées de
représentations négatives. Pour contrôler la qualité
des apprenants acceptés à l'université (!!), les quotas
seront revus à la baisse pour l'enseignement public et les tarifs
appliqués à l'entrée dans l'enseignement supérieur
revus à la hausse (ce qui ne respecte que partiellement la
volonté de permettre aux étudiants méritants
d'accéder à l'enseignement supérieur).
Le gouvernement, après analyse quantitative des
données relatives aux institutions de l'enseignement supérieur
statue que 1560 formations à travers le pays existent pour 60
institutions, ce qui ferait une moyenne de 26 diplômes différents
proposés pour chaque institution albanaise. D'un point de vue global, le
rapport soumet le commentaire selon lequel la trop grande offre de formation
met en péril la possibilité d'une concurrence juste et
équitable ou même la possibilité d'orienter les
étudiants vers des filières qui leur correspondent et qui offrent
des débouchées sur le marché du travail. A ce titre, un
questionnaire que j'aurais fait circuler dans une de mes classes aura
démontré que 76% de mes apprenants n'ont pas choisi le
français comme premier choix d'études supérieures (voir
annexe 17).
4 Une ingérence presque
totale
Le texte de réforme dit à plusieurs reprises que
le gouvernement ne possède actuellement aucune ligne politique
vis-à-vis de l'enseignement supérieur. Les textes
légiférant actuellement le domaine de l'enseignement
supérieur ne concorderaient pas avec les statuts des universités,
et la trop importante littérature judiciaire rendrait actuellement
impossible la création de standards de qualité et
d'évaluation. De
79
manière générale, le gouvernement,
à travers ce rapport, dit ne pas posséder d'organe institutionnel
qui serait en mesure d'effectuer une analyse à échelle nationale
de la qualité des institutions et des savoirs qui y sont
dispensés. L'une des seules instances gouvernementales à
être directement visée est le Conseil des Ministres et selon cette
remarque, il semblerait que le rapport tente de dire qu'il y a conflit
d'intérêt entre différents organes gouvernementaux
gérant différents aspects de la vie des Albanais. La structure
organisationnelle est également trop feuilletée, le pouvoir trop
fragmenté entre différentes instances et l'occupation de
plusieurs postes par une seule et même personne ne rendrait encore une
fois, pas cet organe fonctionnel, productif et actif.
4 Qu'est-ce qu'on apprend dans les
universités albanaises ?
Le manque de lisibilité et d'orientation,
l'incompréhensibilité des critères d'admission dans
l'enseignement supérieur et la baisse du niveau des étudiants
albanais sont autant de critères qui amènent à se poser de
sérieuses questions sur le contenu de la formation, et la
réceptivité de ces contenus de la part des apprenants.
J'ajouterai à cela que j'ai moi-même vu des apprenants en langue
française passer d'année en année et obtenir leur «
bachelor » ou licence sans savoir se présenter en langue-cible et
me proposer des travaux à la maison directement tirés
d'encyclopédies publiques et gratuites. Ces travaux
réalisés à la maison (dont les mini-thèses de fin
de licence, obligatoires pour l'obtention de son diplôme) nourrissent le
désespoir des enseignants qui auront essayé d'inculquer quelques
choses à ces apprenants, mais à nouveau, l'opacité de
certains fonctionnements institutionnels découragerait n'importe qui,
à commencer par moi-même, non native et résidente
temporaire, de vouloir dénoncer quelque manoeuvre frauduleuse ou
contraire à l'éthique de la recherche et du travail
universitaire.
La presque inexistence d'écoles post-secondaires
professionnelles (1% des plans de formation actuels pou 0.1% de la population
estudiantine totale) forme finalement de grands nombres de spécialistes
techniques ou scientifiques, sans que la main d'oeuvre qualifiée
n'existe sur le marché du travail.
80
4 Corruption
Pour justifier le point selon lequel on est vite
découragé par une tentative de dénonciation d'un
système qui ne dessert personne, j'évoquerai ma présence
à un comité de sélection d'enseignants vacataires pour le
département de français, à savoir que ces enseignants sont
principalement destinés à enseigner le français en tant
que deuxième langue étrangère dans des départements
et disciplines non linguistiques. Je formule le regret d'avoir vu des
enseignants incapables de répondre à des questions
décidées conjointement avec les autres membres du comité
de sélection, et surtout de voir des enseignants dont les
compétences linguistiques sont proches du C1 se voir refusés le
poste.
Dans le cadre de notre étude, nous pouvons dire que
cela a un impact direct sur l'état de la francophonie en Albanie et sur
les représentations qui véhiculent à propos de cette
langue quand l'enseignant, non locuteur de la langue cible, ne comprend pas ce
qu'il dit et que ses pratiques de classe et son professionnalisme peuvent par
conséquent être remis en cause (lecture orale pendant toute la
leçon et méthode grammaire-traduction pour les moins fragiles).
Ce genre de pratiques n'affecte pas seulement les départements de
français, mais toutes les langues étrangères
(d'après des témoignages d'observateurs qui m'ont dit avoir
repris leurs enseignants sur leur emploi de certains mots ou ne même pas
comprendre ce qu'ils disent quand leurs compétences sont
supérieures à celles de l'enseignant) et toutes les disciplines,
où il suffit juste de payer (Rakipi, 2012 : 14). L'accès aux
classes où, potentiellement, l'enseignant n'était pas
compétent en langue-cible m'a été refusé.
Finalement, une étude intéressante pourrait
nuancer cette remarque quant à la présence de la corruption dans
le domaine de l'enseignement. Une étude menée par le National
Democratic Institute for International Affairs en 2005, basée sur un
sondage public montre que 36% des Albanais interrogés considèrent
que les enseignants sont corrompus tandis que 61% pensent qu'ils ne le sont
pas, ou peu. Le schéma établi montre d'ailleurs que c'est dans le
seul domaine de l'enseignement que le nombre d'interrogés se prononcent
plus favorablement pour l'honnêteté des acteurs de la profession
visée (aux côtés des politiciens, des professions de la
Justice, de la médecine, de l'administration publique, de la Police et
du management qui sont
81
vus comme plus corrompus qu'honnêtes) plutôt qu'en
faveur de leur corruption. Les conditions de réalisation d'enquête
ne sont clairement explicitées dans ce rapport.
4 Et les enseignants, qu'enseignent-ils
?
Force est de constater qu'il existe aussi des enseignants dont
les compétences dépassent largement les capacités
d'assimilation des apprenants albanais, en particulier ceux qui n'ont pas
choisi leur domaine d'études ou même la ville dans laquelle ils
ont été acceptés. Mais ces enseignants sont
également peu nombreux puisqu'un large pourcentage des enseignants en
exercice d'aujourd'hui n'a pas de diplôme ou de formation certifiant une
formation initiale dans l'enseignement (Gjonça, 2014 : 16). Ici, il faut
mettre un bémol, car les débouchées des filières
linguistiques vers le marché du travail étant très
restreintes (enseignement, traduction-interprétariat, ou secteur du
tourisme depuis tout récemment), les enseignants d'aujourd'hui n'ont
parfois pas toujours choisi comme choix professionnel d'enseigner. Moyennant
7000 euros, on trouve un poste d'enseignant dans une école rurale
albanaise.
Ensuite, la grande offre en termes de formation universitaire
amène également les institutions à recruter du personnel
non qualifié (ibid. 16). Les plans de
formation étant très diversifiés et non
standardisés sur le plan national amène les enseignants à
promulguer des savoirs dont ils n'ont parfois acquis aucune connaissance au
préalable ou durant leur parcours de formation initiale ou continue. Je
donnerais par exemple un des enseignements proposés dans un
département de français d'une université albanaise
intitulé « le français du droit », quand très
peu d'universités proposent d'initiation au Français sur
Objectifs Spécifiques aux futurs enseignants. Ces enseignants n'ont
aucune connaissance dans le domaine de la justice, l'offre de formation
continue est encore très peu développée et dépend
surtout de programmes de formation étrangers (le CREFECO pour le
français), ce qui laisse à supposer que les enseignants doivent
fournir de gros efforts quant à la recherche préalable à
la rédaction d'un curriculum de cours, à supposer qu'une instance
ou qu'un responsable soit en mesure de juger si le contenu de ce curriculum est
contextualisé et réalisable,
82
examen inexistant d'après le rapport d'analyse dont il
est question. Effort difficile à engager quand on connait la
réceptivité réduite de son public.
4 Enseignement et financement :
Le travail d'enseignant n'est pas recherché en partie
à cause de la faible rémunération de cette profession
(environ 300 euros par mois). La rémunération des enseignants et
celle des chercheurs n'étant pas non plus attrayante (une moyenne de 70
euros par mois supplémentaires pour un docteur ès sciences),
quand il est même possible de mener ses deux occupations de front quand
aucun texte de loi ne permet de conjuguer les deux occupations, les deux
statuts étant légiférés par deux textes de loi
distincts (ibid. 19) ou de pouvoir même mener
une recherche doctorale (les candidats kosovars étant
considérés prioritaires par rapport à des candidats de
villes voisines de la capitale).
L'Etat regrette actuellement que le budget attribué au
domaine de l'enseignement ne dépasse pas les 0.6% du PIB national, quand
les sommes allouées par les autres pays européens avoisinent
plutôt les 6-8%. L'Albanie doit revoir le fonctionnement d'un certain
nombre de ses domaines socio-économiques, et cela est difficile quand on
dispose d'une économie encore fébrile et instable, en particulier
dans un contexte économique international en crise. C'est pour cette
raison que l'Etat prévoit de créer une agence indépendante
de l'Etat, l'AKF (Agjensia Kombetare të Financimit,
Agence Nationale du Financement) qui versera les fonds
nécessaires aux universités en fonction d'un certain nombre de
critères de qualité, et plus si les départements de ces
universités dispensent des enseignements considérés comme
prioritaires par l'Etat. Les fonds attribués à l'AKF proviendront
du MASH, à savoir que les institutions privées devraient voir
leurs fonds réduits ou même supprimés par rapport à
ceux des institutions publiques (ibid. 35). A
côté de cette décision, les universités gagneront un
statut d'organisation à but non lucratif et le financement de leurs
activités pourra provenir d'activités organisées par leurs
soins.
Une grande indépendance est donc demandée de la
part des institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche
scientifique, avec une préférence pour les écoles
publiques en ce qui concerne le financement de l'Etat. Un tarif unique comme
83
frais d'admission sera fixé par les institutions et
vérifié par une agence responsable de contrôler les
conditions d'accès à l'enseignement supérieur (AKAU,
Agjensia Kombetare e Aplikimit Universitar, l'Agence
Nationale de l'Application Universitaire), et les meilleurs étudiants
recevront une bourse du gouvernement. A titre indicatif, le prix des frais
d'admission à l'université pour un niveau licence devrait
augmenter de 20 à 28% (pour un prix atteignant 180 à 220 euros)
et pour un master, il s'agirait de payer en moyenne 1000 euros pour un Master
en LE, 1500 pour un Master en ingénierie et 1700 pour un Master dans les
professions de la santé (infirmerie, pharmacie, médecine), soit
une augmentation de 300% du prix, d'après les chiffres officiels
transmis par le gouvernement pour l'année scolaire 2014-15.
4 L'Université albanaise et l'Europe
:
Avec la signature de la Convention de Lisbonne en 1997 et du
Processus de Bologne en 2003, l'Albanie avait déjà aligné
son mode de fonctionnement à des standards européens, avec
l'adoption du système des ECTS aura été
intégré au moyen d'évaluation des niveaux de formation, le
système LMD a été adopté, l'adoption du CECR dans
l'évaluation du niveau de langue et différents projets comme
TEMPUS auront permis de bénéficier de l'expérience
étrangère et européenne pour standardiser les programmes
de formation et offrir une meilleure lisibilité des contenus. Ce
système risque d'être changé à nouveau,
d'après la réforme de 2014 et adopter des plans de formation
prévus sur cinq années sans diplôme intermédiaire,
et le rapport ne précise pas s'il sera possible pour les
étudiants de se réorienter ou de changer de spécialisation
si le désir ou le besoin s'en ressent (voir annexe 7).
3.3. Un bilan temporaire mitigé mais
encourageant
Nous retenons donc que pour ce faire, une
réorganisation des moyens de financement du domaine de l'enseignement
supérieur et de la recherche d'après des lignes de conduite
permettant une certaine durabilité des mesures entreprises, la
standardisation des programmes de formation, la création de
critères d'évaluation et de qualité des institutions, un
meilleur contrôle des pratiques observées et un encouragement
à la transparence de la part des acteurs de l'enseignement
supérieur sont autant de lignes d'action que le gouvernement
84
albanais veut créer et appliquer. Cependant, le
rôle qu'incarne l'opposition politique à contrecarrer
systématiquement toutes les réflexions entreprises par le parti
au pouvoir freine considérablement la possibilité de
procéder aux réformes nécessaires (de la même
manière que le Parti Socialiste aujourd'hui au pouvoir faisait quand le
Parti Démocratique occupait le poste au mandat précédent,
c'est donc assez compliqué).
Silova (2010 : 200) dit que l'orientation de l'Albanie vers
l'Europe aura permis de proposer un chemin, des lignes de conduite vers le
processus de réforme et de développement, mais que l'utilisation
des « indicateurs de réforme basés sur des standards
étrangers » a été fomenté par les officiels
albanais au sein de l'imaginaire collectif pour inciter les Albanais à
aller dans le sens des réformes entreprises, qu'elle convienne au
contexte concerné ou non. La réforme doit-elle passer par
l'occidentalisation, c'est encore un autre débat qui occuperait
lui-même beaucoup de pages et d'esprits. Le gouvernement albanais, par sa
grande reconnaissance des textes normatifs proposés par
différentes instances européennes. On voit à travers le
dernier point que l'Etat tente de réformer l'Université, en
procédant par une analyse de terrain de l'éducation universitaire
en Albanie, du rôle et de la place des agents concernés dans ce
domaine ainsi que le fonctionnement de l'institution éducative en tant
que système social, en faisant particulièrement attention
à la qualité des enseignements qui y sont dispensés. Cette
analyse devrait laisser place à une série de réformes qui
s'étendra jusqu'en 2022 selon le calendrier du rapport diffusé en
août 2014 par le gouvernement, ce qui laisse momentanément
quelques considérations vis-à-vis de la situation actuelle en
suspens.
Les commentaires et observations aujourd'hui relatées
ne sauraient donc durer dans le temps. On voit également à
travers la lecture de ce rapport que la ratification du Processus de Bologne et
la signature de la Convention de Lisbonne ont été deux
engagements de la part de l'Albanie pour s'aider se à sortir d'un
système de pensée et de fonctionnement centré sur le
pouvoir de l'Etat, avec encore une fois, la volonté, de changer pour
s'adapter à une société et à un fonctionnement
idéologique et politique tendant vers la démocratie, bien que ce
type de changement demande de nombreuses années avant d'être
pleinement implanté dans la vie sociale d'un pays. La
nécessité d'ouvrir la scène éducative et
estudiantine au reste de l'Europe s'est vue entamée par l'association de
différentes institutions albanaises à d'autres
universités
85
d'Europe, l'adhésion à l'Agence Universitaire de
la Francophonie pour la Faculté des Langues Etrangères de Tirana,
d'adhérer à des projets vastes tel que le projet Tempus
(piloté par le Conseil de l'Europe) et la possibilité pour
quelques étudiants de partir avec le programme Erasmus Mundus, depuis
quelques années (13 départs pour tout le pays en 2012). Mais ces
initiatives restent très rares, et ne durent pas toujours dans le temps
(en particulier des partenariats d'échanges d'étudiants et
d'enseignants entre trois universités publiques albanaises et
l'Université de Saint-Etienne pour le FLE).
Tous ces facteurs sont finalement caractéristiques des
sociétés en cours de démocratisation et de
développement, comme l'Albanie l'est actuellement. D'après le
contenu exposé dans cette partie, il apparaît que c'est à
toutes les échelles de la société que des efforts de
réformes doivent être effectués et qu'isoler un seul de ces
dysfonctionnements temporaires ne reviendrait pas à rendre la situation
telle qu'elle semble être. C'est là toute l'utilité des
analyses contextuelles qui sauront mettre en évidence les
caractéristiques de chacun.
L'effort porté par les communications transmises lors
du Ier Congrès du Département de Français de la
Faculté des Langues Etrangères de Tirana, intitulé «
Vers un meilleur futur de la Francophonie » tenu en mars 2014 irait dans
le sens de cette volonté. Il en va de se questionner vis-à-vis de
la place des langues étrangères dans le paysage universitaire
albanais d'aujourd'hui et de la place de ces dernières autant sur le
plan identitaire que social et professionnel. C'est ici toute la question
soulevée par des instances telles que le CIEP et le Conseil de l'Europe
(Pilhion, 2008), ou par un nombre important de recherches effectuées
à propos de la gestion du plurilinguisme, de son adaptation dans les
systèmes éducatifs d'à travers l'Europe et d'autres
continents.
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