Annexe 15 - Interview informateur 07-ED
Interviewer : Amélie Gicquel
Traduction de « Zysh » (prononcer /zuch/),
cela peut être équivalent à « Madame » que l'on
adresse à son enseignante lorsque c'est une femme.
Note de lecture : 1 personnes interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses en caractères standards. Certains extraits n'ont pas
été conservé car pas en adéquation avec le
thème de l'interview. Cet entretien a été conservé
dans le corpus d'enquête car très représentatif de
l'exposition des Albanais aux langues étrangères sous la
période du communisme et juste après, en particulier pour
l'apprentissage précoce par imprégnation.
Profil de l'informateur ED :
Profession : ancien étudiant de journalisme puis de
français, master dans l'enseignement pour les niveaux primaire /
collège, emploi actuel dans le tourisme et dans les centres d'appel
Expérience à l'étranger : stage de
théâtre en France
Formation initiale : post communisme
1. Tu parlais de l'influence de l'Italie... Les
voisins, qui...
2. Concernant... A l'époque communiste, les gens
étaient plus sociaux, si je peux dire... Dans le sens qu'ils
n'étaient pas individuels. Ils allaient dans la coopérative,
travailler, ils étaient ensemble...
3. L'esprit même d'un régime
communiste, en fait !
4. Bah voilà, chaque après midi, ils faisaient
des spectacles, machin, tout ça. Enfin des films, dans des villages et
dans des trucs comme ça. Et la télé, ce n'était pas
ouvert toute la journée. Enfin, il y avait le soir à partir de
18h jusqu'à 20h, par exemple. Et tout le monde... Est-ce que tu connais
« Sanremo » ? / l'équivalent des Victoires de la
Musique en Italie /. Ici, chez nous, on a ça, c'est «
le Festival de la Radio - Télévision Albanaise ». Donc tous
les chanteurs, ils chantaient live, bien sûr, avec l'orchestre et tout
ça. Trois jours, quatre jours, c'était trois jours de spectacle
et ensuite la finale. D'ailleurs, on a gardé cette tradition que le
gagnant que de cette compétition serait le représentant de
l'Albanie pour l'Eurovision. Et tu imagines, la télé, ce
n'était pas tout le monde. Celui qui avait une télé
à cette époque, il aura été obligé d'obtenir
un permis auprès du conseil, du Parti, et tout ça ! Et celui qui
avait la télé...
5. C'était la star du village
!
6. Pas seulement la star, mais tout le monde venait,
/ rires / Mais oui, c'est vrai ! Moi, je me rappelle
des choses parce que mon oncle avait la télé.
7. Tu es né en quelle année
?
8.
XLIX
1986. Je n'ai pas vécu longtemps sous le communisme,
mais j'ai des souvenirs. J'avais 4, 5 ans, mais je m'en rappelle un peu...
Quand il y avait un film, un spectacle, tout le monde, hop ! Mais enfin, quand
il y avait un spectacle ou quelque chose d'exceptionnel, ils venaient le soir.
Après ça a changé, enfin, la télé... 1991,
92, ceux qui avaient de l'argent pouvaient acheter une télé. Ca
s'est libéré, la télé en couleurs, tout ça,
ça a changé. Après, la télévision albanaise
n'avait pas, des programmes, elle n'avait pas grand chose à donner... Tu
vois ? Et toujours, c'était limité, elle transmettait à
10h, 11h, elle donnait ce qu'elle avait à donner, hein... Quelques
informations, un truc, enfin voilà. Ce n'est pas comme aujourd'hui ou
c'est une réelle industrie. Et du coup, une fois ouvert ça, il y
avait des chaînes italiennes qui entraient en Italie, enfin qui
étaient captées par l'Italie. Et si tu vois, toi, toute, la
majeure partie des jeunes de mon âge qui avaient la télé,
ils savent tous parler italien. Pourquoi ? Parce que par exemple, si tu vas
voir au Kosovo, ou la Macédoine... Enfin la Macédoine, je peux
dire que c'est italien. Mais Kosovo, par contre, anglais. Anglais, pourquoi ?
Parce que c'était ex-Yougoslavie, et il y avait l'influence, tout
ça. Parce qu'ils étaient ouverts même pour voyager, mais
s'ils avaient aussi un régime communiste, c'était moins strict
qu'en Albanie. Même les groupes de musique, tout ça ! Donc
voilà, l'influence, c'était l'Italie. Il y avait même cette
chaîne « Telenova », qui rentrait. Les dessins animés,
euh, et même « Itali 1 », une autre chaîne italienne,
« Rai 1 ». Les jeunes regardaient ça, et du coup, ils ont
appris la langue. Enfin je te dis ça, pour te dire comment ça
influence les gens, la télé, enfin l'audiovisuel. Ca, c'est
très important. Ca, c'était l'époque de l'italien.
Maintenant, si tu vois les filles, ou les jeunes, ceux qui regardent les
dessins animés en italien... ils comprennent l'italien, ils comprennent
très bien. Mais, maintenant c'est l'espagnol ! Mais pas seulement les
filles, même si tu es un petit garçon et que ta mère
regarde une telenovela, tu t'habitues et tu comprends !
9. D'autant plus que maintenant, tout est
sous-titré, c'est très facile de suivre l'émission et
d'aller voir l'équivalent en langue étrangère ou vice
versa !
10. Oui, c'est sous-titré, c'est très facile !
Donc voilà, tu as l'espagnol. Après, autre autre chose, avec la
globalisation, tu as la délocalisation des entreprises, pour
accroître leurs revenus, vont envoyer certains de leurs services à
l'étranger. Mais même à l'époque, quand tu regardes
le boulevard principal de Tirana, c'est grâce à l'Italie, un
peu... Là où il y a les ministères jusqu'au carrefour
Mère Tereza.
11. /... / ? l'informateur répond à
un appel.
L...]
L'informateur parle ensuite de différentes
choses, qui n'ont pas attrait à mon enquête.
12. Comment tu as commencé le
français, toi ?
13. A l'école.
14. Oui, mais en quelle classe ?
15. En cinquième classe.
16. Et c'était obligatoire ?
17.
L
Non, non, pas de choix, français, c'est tout. Enfin, le
français, c'était plus épanoui à l'époque
/ rires /, non... répandu.
18. Et dis moi, le petit ED, quelle était
son opinion pour le français ?
19. Le français... Ce n'est pas que j'avais une
opinion, c'était une langue étrangère, voilà... Je
l'ai apprise, et du coup, après, même le lycée, j'ai
été au lycée des langues étrangères, parce
qu'à cette époque, ce lycée, c'était le top, il y
avait un concours à passer. Ce n'est pas tout le monde qui y allait. Au
début, on était que 12 ou 13 élèves à avoir
passé le concours. Ensuite, il y a eu d'autres élèves qui
sont arrivés, mais au début, on était peu.
20. Et pourquoi est-ce que tu as choisi de faire
le lycée des langues étrangères ?
21. Bah, ce n'est pas que j'avais trop le choix, ou que je
pouvais choisir. Enfin, mes parents, langues étrangères ? Langues
étrangères. Voilà, ok. Ecoute, Elbasan a la tradition de
faire sortir des profs, avec l'école pédagogique de 1909, et du
coup, c'était ça. Cette école était la seule
école qui avait un internat. Les élèves venaient de tous
les coins du pays pour étudier là bas. Et dans cet internat,
l'école des langues étrangères ainsi que l'école de
la musique avaient quelques chambres dans cet internat. Les écoles
professionnelles aussi avaient des internats. Une fois l'école
pédagogique finie, tu pouvais tout de suite travailler comme prof. Ca a
changé ces dernières années parce que tout le monde va
à l'université. Mais à l'époque, c'était
comme ça. Il y avait de grands besoins en prof. Donc les gens venaient
là bas pour trouver un travail. C'est vrai que ce n'est pas trop trop
payé, mais c'est un salaire fixe, et que tu as pour toute ta vie. Et
puis tu travailles 6 heures, et voilà, ça va... Donc ce sont mes
parents, voilà, qui ont dit, bon... Ce n'est pas qu'on était
très ouverts à dire « je vais faire ça », ou
« je vais faire telle profession quand je serais grand »
/ rires /.
22. Et après à l'université
?
23. A l'université, j'ai fait, comment dire ?
Journalisme. Parce que c'est à cette époque que cette branche
s'est ouverte.
24. A Elbasan, ou à Tirana
?
25. A Elbasan, à Elbasan. Et à cette
époque, il y avait encore les concours pour entrer à
l'université. Donc j'ai passé ce concours, et je l'ai
gagné, d'ailleurs ! Mais je n'ai pas continué le journalisme.
26. Pourquoi ?
27. Bah parce qu'on peut devenir journaliste sans avoir fait
l'université. Après, je voulais bien, là, à ce
moment là. Ce que je voulais, en effet, c'était voilà...
avocat ou un truc comme ça. Je voulais aider les autres, ou
connaître les lois, et tout ça. Mais à Elbasan, il n'y
avait pas cette filière. A Tirana, seulement, et je ne pouvais pas, avec
les dépenses et tout ça. A Elbasan, j'avais la maison et tout
ça, il n'y avait pas de dépenses. Eh j'ai continué le
français. Je ne voulais pas me fatiguer, si je peux dire comme ça
/ rires /. On venait du lycée des langues
étrangères, c'était plus simple. Je regrette, mais bon.
28. C'est vrai, tu as des regrets par rapport
à ça ?
29. Je regrette dans le sens que... Non, ce n'est pas que
j'ai des regrets parce que j'ai appris le français, non pas du tout.
J'ai des regrets parce que je n'ai pas continué à apprendre
l'allemand / rires /. Parce qu'on avait l'allemand
comme deuxième
LI
langue. Parce que le prof... L'allemand que je sais pour le
moment, je peux communiquer un peu... Demander du pain / rires
/. Ca, c'est grâce à ma prof.
30. Et après ta licence, qu'est-ce que tu as
fait ?
31. Eh le master de français, pour professeur à
Elbasan.
32. Et tu as cherché du travail comme prof
?
33. A vrai dire, non.
34. Tu as essayé ?
35. Bah j'ai envoyé les documents au directoire. Mais
si tu connais personne... C'est un peu ça. Mais je n'ai pas voulu
travailler comme prof, dans le sens que... Bah, ce n'est pas quelque chose de
mauvais, le professeur, mais ça dépend quelle sorte de
professeur. Et où tu vas travailler comme professeur ! Ce que j'ai eu
peur, c'est de trouver un travail dans un village. Et après, c'est fini
la vie, hein ! Tu peux vivre en pleine harmonie avec la nature /
rires /.
36. Moi ça me fait rêver
!
37. Bah, ça dépend ! Si je trouve du travail
comme prof dans mon village. Bah, pas de dépenses, il y a tout à
disposition, bio, les fruits, tout ça, tout ça, tout ça.
Se marier, faire 5 ou 6 enfants / rires /. Mais je ne
voulais pas ça. C'est pour ça que je ne voulais pas faire prof.
J'ai vu mes parents, ils ont fait le prof, voilà, ils ont fait leur vie
tranquille. Ce n'est pas qu'ils ont eu des problèmes.
38. Bah, je vois, il y a des gens à qui
ça convient, et puis d'autres qui ont des ambitions différentes
!
39. Bah ce n'est pas une question que ça te convient
ou pas, c'est qu'une fois que tu es mis dans cette pâte, tu ne peux pas
en sortir. Bien sûr, ça dépend du type de personnes. Et
voilà mon histoire avec le français.
40. Mais tu m'as dit quelque chose tout à
l'heure et tu ne m'as pas répondue... Je t'ai demandé si tu avais
encore des contacts avec les français, et tu m'as répondu que tu
avais grandi. Mais tu ne m'en as pas dit plus...
41. Bah, c'est quelque chose qui a plusieurs explications...
Il y a beaucoup de choses à dire là dedans.
42. Tu sais, s'il y a quoique ce soit que tu ne
veux pas que j'enregistre ou si à la fin, il y a quelque chose que tu ne
veux pas que je garde, dis le moi, et je le ferai.
43. Non, non, ça va, tu peux le garder. Quand je serai
député ou premier ministre, tu vas me demander de l'argent ! Tu
vas venir me voir et tu vas me dire que tu vas sortir ça ! /
rires /. « Quoi ? Fais le sortir, tu vas voir ! » Hop !
/ rires /. Bon, bref. Non, ça, c'est autre
chose. Je ne sais pas si ce que je t'ai dit t'aide à orienter ton
étude sur la façon dont ils apprennent les langues
étrangères.
44. Bah écoute, après plusieurs
entretiens, après avoir réfléchi à la question, je
sais que les Albanais n'apprennent pas les langues étrangères
à l'école, mais dans des cours privés. Et c'est vrai que
c'est une question intéressante ! Et il y a plusieurs raisons qui
expliquent ça. Lesquelles ? Soit les élèves se trouvent
avoir un enseignant qui ne parle pas la langue, qui n'est pas plus
intéressé que ça par les résultats de ses
étudiants.
45.
LII
Oui, je pense que ça dépend de la
génération. Il y a une génération qui est
très bonne en langues étrangères, et l'année qui
suit, ils sont nuls. Ca a à faire avec ça aussi /
l'informateur parle des élèves, non des enseignants
/.
46. Il y a aussi le fait que ceux qui sont
intéressés par les langues étrangères vont faire
des cours privés pour apprendre plus, pour apprendre mieux. Pour aller
plus loin que le programme. Et j'ai observé que c'est devenu une
pratique commune, « je veux apprendre telle ou telle langue, je prends des
cours privés ».
47. Ca, je pense que c'est une bonne chose, parce que de
cette manière, tu n'apprends pas ce que tu n'as pas envie apprendre.
Parce qu'à mon époque, il n'y avait pas l'anglais. Si j'avais eu
le choix d'apprendre l'anglais, j'aurais fait de l'anglais, hein !
48. Ouais, mais est-ce que tu ne dis pas
ça maintenant que l'anglais est devenu la langue internationale ? Tu ne
le savais peut-être pas quand tu étais petit...
49. Non, non, du tout. Enfin, il y a plusieurs choses. Tous
nos chefs d'état ont fait des études en France. La France,
voilà, wow, la langue, l'aristocratie, littérature, romanciers,
révolution, tout ça ! Enfin, peut-être que ça a
changé en dedans, parce que vous y vivez, mais de l'extérieur.
Dans les livres d'école, tout ça, c'est déjà servi,
on ne peut pas l'enlever, on ne peut pas le faire changer. Je pense aussi que
les jeunes ne sont pas franchement intéressés pour apprendre les
langues.
50. C'est l'impression que j'ai
aussi...
51. Tiens, je vais te donner l'exemple de mon petit cousin.
Il est en 5ème ou 6ème classe. Il apprend l'anglais, le
français et l'allemand.
52. C'est lui qui a choisi ?
53. Eh bien c'est dans le programme. Il n'aime pas le
français. Parce qu'il aime l'allemand. Pourquoi ? Bon, l'anglais, les
parents l'ont emmené dans des cours, tout ça. Ah, il est un peu
paresseux, c'est pas qu'il... Il est intelligent, il apprend les choses. Mais
il est un peu paresseux, Internet tout ça, ça le rend mou. Ils
l'ont emmené dans des cours d'anglais et tout ça. Mais ils ont vu
que c'était du gaspillage de l'argent avec lui, pour l'anglais. Il aime
l'allemand ! Pourquoi il aime l'allemand ? Pourquoi ? Parce qu'il aime la prof
de l'allemand ! Pourquoi ? Parce qu'il a répondu une fois, il a
répondu une autre fois, enfin, quelque truc, par hasard il savait. Et du
coup, la prof s'est intéressée à lui. Elle a cru qu'il
apprenait, et c'est devenu une référence pour elle ! Comme chaque
prof, dans chaque cours, ils ont besoin de quelque référence qui
fait croire au prof qu'il comprend ce que le prof explique / rires /. Il bouge
la tête, ok, ok, ok. Tandis que la prof de français, celle qui
était avant... Parce qu'ils sont beaucoup dans la classe, plus de 20,
pas loin de 30. Et pour un prof, c'est vraiment dur de les contrôler,
hein ! Elle mettait des notes comme ça. L'autre qui est venue, elle a
regardé les notes de sa prédécesseur, et du coup, elle a
vu qu'il ne participait pas, elle a adopté la même attitude que la
prof qui était là avant. Mon cousin, ça l'a fait pas aimer
le français, tu vois ? C'est un peu l'effet « hallo », en
anglais, tu sais ? C'est à dire que tu peux avoir un élève
qui est sérieux, mais tu ne l'estimes pas. Tu vas être
influencé par les notes que les autres profs ont mis, ou bien avoir tes
préférences et ne pas faire attention aux bons
élèves. Enfin, les sciences humaines, c'est difficile. Il n'y a
plus 2 + 2, ça fait 4. C'est fini. Je pense aussi que les dirigeants des
Alliances Françaises ont une influence. Ce sont toujours les mêmes
directeurs depuis
LIII
plusieurs années... C'est un peu dommage dans le sens que,
voilà... Ca fait 15 ans que tu as ce poste et tu ne vois personne qui
pourrait prendre ta place.
54. C'est ça, c'est que personne n'a envie de
s'en occuper...
55. Ils ont tous déjà fait ce qu'ils avaient
à faire. Mais personne n'est intéressé pour prendre la
relève, même s'il y a plein de choses, plein de nouveautés
à faire.
56. Il n'y a pas cette volonté
de...
57. Oui les profs ne font pas d'efforts pour faire aimer la
langue. Et les élèves aussi, s'ils s'organisent entre eux.
58. Oui et les élèves, mais bon, si
les élèves s'organisent, c'est qu'il y a toujours un prof quelque
part qui va s'occuper d'eux.
59. Oui, bien sûr, un prof va toujours fait attention
à ça. Mais en fait, ce sont les parents qui veulent que leurs
enfants apprennent des langues étrangères. Ils les envoient dans
des cours privés, ils ne laissent pas au hasard.
LIV
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