Annexe 14 - Interview informateur 06-R & Fj
Interviewer : Amélie Gicquel
Traduction de « Zysh » (prononcer /zuch/),
cela peut être équivalent à « Madame » que l'on
adresse à son enseignante lorsque c'est une femme.
Note de lecture : 2 personness interviewées
indiquées par une lettre les désignant en début de prise
de parole. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique
et les réponses en caractères standards. Cet entretien n'est pas
très pertinent dans notre étude mais il a été
proposé pour illustrer les représentations qui circulent
vis-à-vis du français au sein des apprenants de cette langue
étrangère.
Profil de l'informateur R & Fj : Profession :
étudiants masculins Expérience à l'étranger :
expérience en Italie pour F (parent immigré) / aucune pour R
Formation initiale : post communisme
1. Est-ce que le gouvernement fait de la
publicité pour les langues étrangères ?
2. R - On le voit à travers les cours à
l'école, mais pas plus.
3. Fj - C'est ça, on ne sait pas ce que le
gouvernement fait pour les langues étrangères, mais je me dis
qu'il ne fait rien, on ne voit rien à la télé pour
ça.
4. Toi, F, quand est-ce que tu as commencé
le français ?
5. Fj - A la cinquième classe.
6. Et c'était obligatoire ou c'est toi qui
a choisi ?
7. Fj - Non, c'était obligatoire. Les deux autres
classes faisaient anglais, et nous, français.
8. Et qu'est-ce que tu pensais du français
au début, quand tu as commencé en cinquième classe
?
9. Fj - Je n'aimais pas le français mais
j'étais un bon étudiant. Ca semblait comme une langue bizarre,
une langue qui vient de la gorge. Mais après, j'ai commencé
à aimer et à parler. Après au lycée, j'ai
participé aux activités de la Francophonie : des pièces de
théâtre, et plein d'autres choses.
10. Et pourquoi est-ce que tu as
décidé d'étudier le français à
l'université ?
11. Fj - Au lycée, je n'étudiais pas beaucoup,
mais c'est en français que j'avais les meilleurs résultats. Je
savais écrire, parler, je me suis dit « Pourquoi pas ! ».
J'avais quelque chose dans la tête avec le français, donc j'ai dit
« Pourquoi pas ».
12. Et au lycée, est-ce que tu as
réfléchi à la profession que tu voulais faire avant de
choisir tes études universitaires ?
13. Fj - Non. Seulement pour apprendre à parler. Si un
jour je vais en France, pourquoi pas ?
14.
XLVI
Et est-ce que tu as pris des cours privés
en français ?
15. Fj - Non. Je n'avais pas le désir de parler bien
la langue, je n'avais pas la volonté d'étudier beaucoup. Avec les
profs de français, j'avais de bonnes relations. Je n'étais pas le
meilleur, mais les profs m'aimaient bien.
16. Et toi, R, tu as commencé le
français quand ?
17. R - J'ai commencé en première année
du lycée. Avant de commencer à étudier la langue
française, ma soeur qui avait fini le lycée, quatre années
avant que je n'y entre, m'avait dit que la langue française est
très difficile. Je me suis toujours rappelé de ça,
toujours. Mais au moment où on a commencé en classe avec les
phonèmes...
/ L'informateur me montre un papier où il
a noté : -ei- = e / -eau- = o / -au- = o /
... j'ai aimé. J'écoutais bien la zysh quand
elle expliquait, quand elle parlait, quand elle lisait, et après j'ai
aimé la langue. A la fin du premier trimestre, il y avait eu les
élections législatives et le gouvernement est passé de
socialiste à démocrate. Le directeur de l'école a
changé parce que l'ancien était avec le parti socialiste. Le
nouveau directeur était aussi mon prof de français en classe. Il
n'expliquait pas, il n'était pas sérieux. Je me rappelle un jour,
j'étais allé au tableau pour faire un exercice, et il m'a dit
« Ne bouge pas, on ne danse pas en classe ». A partir de ce jour, la
langue française, pour moi, c'était fini. Je ne faisais plus
rien. J'allais seulement en classe pour être présent, et ne pas me
faire virer de l'école. C'est cinq ans après que j'ai
recommencé mes études, parce que tu te rappelles zysh, j'ai fait
trois ans de lycée, ensuite je n'ai rien fait pendant deux ans.
18. Oui, oui.
19. R - Après, en deuxième année, j'ai
fait un cours privé ici à l'Alliance Française d'Elbasan,
et peu à peu, j'ai appris un peu plus.
20. Et pourquoi est-ce que tu as choisi le
français pour l'université ?
21. R - Au début, la langue me plaisait beaucoup. Et
le français à Elbasan était mon premier choix sur le
formulaire.
22. Mais moi, j'aimerais savoir... Au début du
lycée, tu aimais le français, ensuite tu as arrêté
d'étudier et finalement, tu choisis le français à
l'université... Pourquoi ?
23. R - Pour moi, le problème n'était pas la
langue, c'était ce prof que je n'aimais pas, pas la langue ! Et puis
dès le début, je comprenais bien la langue en classe. Quand tu
commences et que tu comprends, tu as envie d'en savoir plus, c'est pour
ça !
24. Et vous deux, est-ce que vous parlez italien
?
25. Fj - Moi oui.
26. R - Moi, quelques mots.
27. Alors Fj, est-ce que l'italien t'aide parfois
à apprendre ou comprendre des mots en français ?
28. Fj - Euh, quelquefois...
29. Et est-ce que tu penses en italien parfois
pour utiliser le français ?
30. Fj - Rarement...
31.
XLVII
D'après vous, quelle est l'opinion
générale qui circule en Albanie, à propos du
français ?
32. R - Si je peux utiliser mon exemple, les gens autour de
moi me demandent souvent pourquoi j'ai choisi d'étudier le
français à l'université, ils me disent que c'est
très difficile, les homonymes, les voyelles, la diction, c'est bizarre !
Pour ceux qui ne connaissent pas du tout la langue, ils n'aiment pas
ça.
33. Fj - Moi je pense que le français a toute sa place
en Albanie. C'est la deuxième langue internationale. En Albanie, la
moitié des jeunes apprennent l'anglais, les autres apprennent le
français. Et on peut étudier le français jusqu'à
l'université, ce n'est pas le cas de toutes les langues que tu peux
apprendre ici en Albanie. Tu trouves facilement des cours privés, c'est
ça...
34. Est-ce que tu te sens différent quand
tu parles français ? Est-ce que tu as l'impression qu'il y a une
différence entre le Fatjon albanais et le Fatjon qui parle
français ?
35. Fj - Oui. Les gens sont surpris quand ils m'entendent
parler français. J'aime parler français.
36. Et comment tu te sens quand tu parles
français ? Tu te sens différent ou non ?
37. Fj - Non. Je suis le même. Mais c'est pour moi une
fierté de parler français, je sais que je peux faire CA.
Même en Italie, j'ai parlé français. Mon oncle a
habité en France, maintenant, il est en Italie avec mon père. Mon
oncle travaillait avec les chevaux et il parlait français. Et le soir,
quand on dînait, on parlait français.
38. Et ici en Albanie, ça ne te
dérange pas de parler français dans la rue, dehors, comme
ça ? Tout à l'heure, tu m'as répondu au
téléphone par exemple, tu étais à
l'extérieur...
39. Fj - Ah non, absolument pas ! Tout à l'heure,
j'étais à la maison avec mon oncle et ma soeur, et ils me
regardaient bizarrement parce que je parlais avec toi au
téléphone. Et je les ai regardés et j'ai dit (( Eh, c'est
ma zysh, laissez-moi tranquille ! ».
40. Est-ce qu'il y a quelque chose que vous
voulez rajouter spontanément, quelque chose que vous voulez
préciser par rapport à votre histoire, votre expérience
?
41. Fj - Oj zysh ! J'aime la France, vive la France, allez
les Bleus !
42. R - Moi zysh, mon opinion est que les jeunes doivent
apprendre et parler la langue française, italienne, anglaise... C'est
mieux pour eux. Quand tu connais une langue, tu ne perds rien.
43. Fj - Pour tous les jeunes aujourd'hui, moi je dis : ((
Apprenez la langue française, c'est beau, il y a beaucoup de choses
à découvrir ».
44. R - Une expression de Napoléon Bonaparte dit
qu'avec les hommes, il faut parler albanais, mais avec les femmes, parlez
français.
45. Fj - Parce que le français est la langue des
amoureux, la langue des dames.
XLVIII
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