Conclusion générale
A mi-chemin entre mes conclusions actuelles et le monde des
possibles qu'offre l'Albanie, je proposerai finalement les
problématiques qui auront été soulevées ici et les
autres questions qui se sont ouvertes tout au long de mon cheminement dans ce
pays.
Cette étude ne se prétend nullement exhaustive
de la situation de l'enseignement-apprentissage du français en contexte
universitaire albanais, mais offre un panorama en plusieurs dimensions par ce
qu'il adopte différents angles de vue pour rendre la lumière sur
un contexte particulier. Alterner entre regard en hauteur pour prendre la loupe
chère à Chaudenson et voir comment cela se passe dans le
détail ; prendre la ligne du temps pour voir si elle a un effet de
miroir sur la situation d'aujourd'hui aura été autant de jeux de
lumière qui permettent de mieux comprendre ce contexte. En adoptant
quelques-unes des approches préconisées par les défenseurs
d'une didactique responsable et respectueuse, j'ai ainsi voulu rendre ce pays
tel que je l'ai reçu. Après avoir initialement pensé
à prospecter les étudiants, je me serai finalement
attardée aux enseignants, plus accessibles et occupant une place
centrale dans ce noeud de contacts et de carrefours que forment les acteurs de
la francophonie en Albanie. A mi-chemin, j'aurai constaté que
présenter les conditions dans lesquelles les représentations
vis-à-vis d'une langue étrangère se forment pouvaient
rendre l'état d'une très bonne introduction à ce terrain,
plutôt que de m'engager dans quelque chose que j'aurai pu survoler et ne
pas considérer dans toute sa complexité.
De la manière que je viens de le présenter, se
limiter aux représentations ne serait pas non plus fidèle en
particulier quand il est si difficile d'accéder aux
représentations des acteurs concernés par notre contexte et que
se limiter à leurs paroles ne viendraient pas à
représenter objectivement la place qui est faite par les individus aux
langues étrangères et au français et à travers ces
langues, à la société dans laquelle ils évoluent et
à eux-mêmes. Chaudenson & Rakotomalala (2004), Porcher (2012
[2000]) et Blanchet & Chardenet (2011) rappellent chacun la
nécessité de ne pas se limiter aux pratiques langagières
des locuteurs d'une communauté donnée pour comprendre la place
qui est accordée à un code linguistique, mais également au
contexte qui encadre et régule ces pratiques. Il est donc induit que les
politiques linguistiques sachent prendre en compte la question dite «
spontanée, sauvage » de Chaudenson (1991 : 6) des pratiques
langagières du point de vue national.
154
J'ai également décidé de ne pas me
limiter à une analyse des interactions didactiques bien que cette
approche aurait pu être tout aussi intéressante. Je crois pouvoir
dire avec l'aval de mes collègues que si on se limitait aux seules
compétences langagières des acteurs observés, la stagiaire
que j'ai été ne serait pas restée deux ans et n'aurait pas
effectué un autre stage sur ce terrain précis, en particulier ici
et sans doute plus qu'ailleurs, ça ne dépend pas de la seule
personne mais d'un enchevêtrement de relations intersubjectives qu'il est
parfois difficile de percer mais nécessaire à introduire pour
tenir précisément les tenants et aboutissants de ce contexte.
D'autant plus que dans la mesure où la littérature en langue
française à propos de ce contexte n'est pas proliférante
ou pas toujours de confiance, j'ai pris le parti de me lancer dans un travail
où j'avais parfois toutes les connaissances mais qu'il me manquait un
fil conducteur pour les assembler. Mes lectures au cours de ces trois
dernières années sont ici, et elles ne le sont pas toutes, car
comme précisé dans l'introduction, un travail exhaustif sur la
problématique qui m'a animée tout au long de ce travail
occuperait un plus grand nombre de pages. Puis-je remercier le lecteur à
cette étape ? Cette étude peut plaire autant qu'elle peut
déplaire, mais la connaissance se construit justement dans la
confrontation à l'inconnu et de là naît une
réflexion argumentée. Un grand nombre de questions subsistent
encore et mériteraient d'être observées.
Cette obsession du « comprendre » m'aura
emmenée sur un chemin complémentaire aux études qui
permettraient d'étudier le public apprenant albanais en situation
d'apprentissage, en même temps que le pendule albanais m'aura aussi
absorbée (Peteuil, 2012). Certaines réflexions avancées
dans ce travail où la subjectivité est souvent apparue
malgré elle, croyez-le bien, doivent être
considérées au plan intellectuel et d'intérêt humain
et ne se constituent pas vérité absolue simplement parce que
cette vérité n'existe pas et encore en plus quand les efforts qui
font sens aux hommes sont ceux qui proviennent d'eux-mêmes.
Ce jeu entre connaissance du terrain, des acteurs et des
problématiques sous-jacentes aux pratiques observées m'aura faite
balancer entre le savoir et le vouloir pour donner cette étude. En
partant de l'hypothèse que les Albanais étaient situés
à un carrefour entre leurs pratiques sociales et éducatives, je
me suis permise de considérer la problématique de
l'enseignement-apprentissage du FLE sous un autre angle. Considérer les
rapports entre langue et société m'aura permis d'identifier
l'idéologie qui circule à propos des langues en Albanie et m'aura
amenée à proposer une définition de l'identité
culturelle et linguistique des Albanais qui permet cependant de mieux
comprendre le plurilinguisme effectif en Albanie, bien que la définition
qui se pose aujourd'hui nécessitera certainement un ajustement dans les
années à venir tant les langues ont été
instrumentalisées au profit d'assouvissements
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communs (je l'entends) mais distendus de leur contexte.
Précisons que les instances privées ou parfois mêmes
individuelles en rentabilisant un capital humain, celui de pouvoir communiquer
(à travers des pratiques qui n'ont rien de linguistiques) ont
procédé à la même ablation d'une compétence
pourtant riche.
Le plurilinguisme existe en Albanie bien qu'il a
été banalisé de manière assez vulgaire, au profit
de la constitution d'une image qui est censée plaire à l'Europe.
Comme l'un de mes informateurs me l'avait initialement conseillé, ce
n'est pas dans un département de français que l'on trouve les
bons francophones mais dans certaines classes du secondaire et dans les bons
lycées généraux. Ne me focalisant pas sur la francophonie
ou francophilie initialement existantes, mais ayant réalisé qu'un
intérêt pour les langues étrangères était
bien présent, je ne voyais pas personnellement l'intérêt de
rendre un hommage à ces locuteurs et à leurs bonnes
compétences, toutes aussi louables soient-elles. Par ailleurs, une
étude portant sur cette autre communauté de locuteurs serait
intéressante en ce qu'elle pourrait directement contribuer à
celle-ci, à travers la révélation de ce qui constitue des
représentations positives par les Albanais à propos de la langue
française. On observe finalement les mêmes problématiques
relatives au domaine social qu'au domaine éducatif : appropriation du
pouvoir sans légitimité reconnue, symbolique de la violence et de
l'annexion de capitaux privés dans le seul but de se placer dans une
société qui survit sur le respect de ses moeurs et traditions
ancestrales. Vous m'excuserez le parallèle, mais ça fait pourtant
parfaitement écho à notre contexte. Une campagne de
sensibilisation proposée par le Ministère de l'Intérieur
à propos de la sécurité routière montre
parfaitement ce jeu de violence symbolique à l'oeuvre (McCanna, 2014),
tout en respect des valeurs qui tiennent les Albanais de manière
unanime. Nous avons finalement vu que la langue française occupait une
place particulière en Albanie, car les valeurs qui sont
attribuées à sa culture ont soutenu l'élévation de
ce peuple autant que cette langue continue à le faire. Les
réformes prévues par le gouvernement albanais pourraient bien
mettre à mal la seule protection d'un plurilinguisme pourtant effectif,
officialisé par l'acceptation de l'Albanie de s'adjoindre à cet
ensemble de la Francophonie qui défend pourtant les valeurs auxquelles
le peuple albanais aspire. Se reposer sur des représentations et des
paroles qui ont parfois été émises dans des conditions peu
propices à l'aisance peut paraître rebutant. Deux points seront
alors rappelés : rappelons que les paroles sont perméables et
instables autant en durée de vie qu'en consistance, mais elles restent
encore le moyen d'avoir accès aux liens qui unissent la partie au tout,
l'individu à sa communauté, l'acteur à son
environnement.
156
Le thème de la fracture m'aura occupé l'esprit
pendant toute l'élaboration de mon étude. Inspiré par ma
directrice de mémoire dès le début de ma réflexion,
c'est pourtant la première fois qu'il apparaît. Il me semble
très caractéristique de ce qui sous-tend la nature des
problématiques à l'oeuvre en Albanie de nos jours. Cependant, ce
terme me semblait effrayant et peut-être annonceur d'un non-retour, ce
qui ne caractérise pas la volonté tenue des Albanais de rester
fidèle à ce qui les aura accompagné. Cette
fidélité prend parfois des tournures étonnantes pour
l'occidentale que je suis, mais elle est à l'oeuvre. Vivre la
différence et la diversité pour se construire sont
précisément des compétences qu'il faut mettre à
l'oeuvre pour réaliser ce type d'étude contextualisée, car
s'inspirer d'un seul regard ou d'un seul angle de vue, ne rend pas à
nouveau les particularités d'un contexte qui est pourtant doté de
toute son unité.
Dondeyne (1956 : 8) nous dit que : « la liberté
est ce pouvoir que nous avons de nous mettre à distance du passé,
pour le faire apparaître tel qu'il fut, ce qui ultérieurement,
nous permettra de prendre position à son égard soit pour le
réassumer, soit pour le récuser ». Selon ce philosophe,
l'idéalisme de la signification et le positivisme peuvent lisser
certains aspects d'une situation, ce qui serait dangereux car pas
approprié et peu de responsable, de décrire et d'expliquer dans
le seul but de vouloir justifier l'injustifiable. Cependant, l'effort de
vouloir ancrer l'être humain dans sa continuité le replace dans sa
situation actuelle sociale et historique. Sans compter que ce type
d'écrit dans sa structure et son contenu informatif permet de rendre son
relief à la partie. Cette conception de la liberté rend la
nécessité d'user de procédés, si ce n'est d'adopter
des structures glottopolitiques pour permettre de faire ressortir les besoins
d'aujourd'hui et de forger la vie de demain.
Est-ce le temps tout relatif qui s'est écoulé
depuis la fin du communisme qui n'amène pas les acteurs décrits
ici à poser une réflexion sur le passé de leur peuple ? Ou
serait-ce par une présence encore palpable des habitus propres au
régime communiste ? Est-ce aussi parce que l'avenir est incertain quand
beaucoup déplorent encore les temps communistes parce qu'à cette
époque, tous avaient un travail ? Depuis 1945 où la
nécessité d'être uniformisé répondait au
besoin d'élever le pays à un autre rang que celui qu'il a connu,
et le pays aura connu un développement et une croissance uniques. La
chasse à ce qu'il ne va pas et ce qu'il faut changer a
profondément altéré la société albanaise et
en particulier depuis la chute du communisme, comme cela a été
mentionné d'après Mustafaj quand il qualifie les actions
menées par les acteurs sociaux de cette période de chasseurs aux
sorcières. La question n'est
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pas fermée parce qu'il y a encore de nombreux
éléments révélateurs de ce contexte à
révéler, pleines de leurs paradoxes et portant entières
leur consistance.
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Table des matières
RESUME 4
REMERCIEMENTS, FALEMINDERIT... 7
SOMMAIRE 8
LECTURE DE L'ALBANAIS 9
GLOSSAIRE DES SIGLES PRINCIPAUX 11
« PREAMBULE : ASSISE COGNITIVE »
13
INTRODUCTION GENERALE 17
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