Conclusion
Je suis partie du postulat que la conception de la langue par
les Albanais relève de la détermination d'une situation
socio-historique complexe, mais potentiellement lisible lorsqu'on est en
possession des clés de lecture nécessaires. D'autre part, j'ai
pris le parti de m'inscrire dans les propos tenus par Blanchet & Rispail
dans leur définition de la sociodidactique comme étant une
discipline qui permettrait de réfléchir la DDL de manière
adaptée au contexte social concerné par une situation
d'enseignement-apprentissage, et responsable du point de vue des
démarches didactiques nécessairement placées et
subjectives à engager. Nous dirons que la formulation de pistes
sociodidactiques ne doit pas se concentrer sur la façon dont les langues
sont enseignées, mais conçues dans un cadre plus global,
impliquant la cristallisation de données exposées en diachronie
pour mieux saisir les enjeux à l'oeuvre en synchronie.
L'implication de multiples instances, qu'elles soient humaines
ou réunies sous la coupe d'institutions elles-mêmes dotées
de leurs enjeux propres complexifient la possibilité de s'entendre sur
des actions à mener. On peut imaginer à ce stade de la
réflexion, comme cela a été esquissé en chapitre 2
qu'une certaine réflexivité didactique doit être produite
par les enseignants pour adopter des méthodologies adaptées aux
besoins des apprenants (en langue, autant que du point de vue identitaire),
mais aussi que ces méthodologies doivent être
considérées par les apprenants comme leur permettant de se
développer un réel sens de l'altérité, contribuant
ainsi à un rééquilibrage de l'image qu'ils portent
à leur langue, à leur nation et à leur histoire, car les
représentations portées à l'égard d'une langue,
quand elles mettent un apprenant en situation d'infériorité aussi
importante, semblent s'établir sur des bases personnelles fragiles et
provoquant l'écroulement de ce qui a bien pu s'empiler jusque
152
lors. Le développement de compétences permettant
un sens certain du développement de l'individu est à envisager et
ceci bien avant que l'apprenant ne franchisse les portes de
l'université.
Ce n'est finalement pas seulement la technique professorale
des enseignants locaux qui doit être remise en cause, les
méthodologies prescrites ou les plans d'action bilatéraux qui
permettront une définition et une planification appropriées des
politiques linguistiques et éducatives à engager à
l'égard de l'enseignement-apprentissage des langues
étrangères et plus particulièrement du français.
C'est par un recentrement sur les valeurs qui motivent et engagent les
individus dans leurs interactions sociales, ainsi que sur les motivations
profondes des apprenants que le sens peut être réattribué
au développement de compétences visant à laisser
s'installer en soi un code qui ne nous appartenait pas naturellement, quand
Anderson (1999 : 30) nous dit que l'épistémologie est « un
ensemble d'orientations, d'attitudes, d'objets et de méthodes qu'une
communauté de chercheurs à une époque donnée
considère comme valable ». Ces savoirs relevant de ce qui peut
constituer la réalité d'une communauté d'individus peut
pouvoir contribuer à l'élaboration de savoirs savants. Le test en
pratique de ces pistes reste encore à effectuer pour permettre une
réelle contribution au domaine qui nous intéresse ici. Cette
réflexion amorcée sert alors de base et une fois posée
à distance, peut éclairer la nature des politiques linguistiques
et éducatives à engager.
On observe toutes ces scènes pendant la dernière
étape scolaire des apprenants, ou celle qui les oriente vers leur vie
d'adulte et leur activité professionnelle. Observer le niveau des
apprenants universitaires d'aujourd'hui permet précisément
d'avoir une vue et une réflexion amorcée sur ce que les
méthodologies employées au préalable ont pour
conséquence. On ne s'éloigne pas de ce que Bachelard attend et
entend quand il lance « la réalisation du rationnel » ou d'une
scientifisation de la preuve. Le paradoxe de l'inévitable
subjectivité contre la nécessité de s'en écarter
pour adopter un cadre de réflexion commun et adoptable par chacun
formule les premières questions auxquelles il serait intéressant
de répondre pour construire ce cadre épistémologique, et
par conséquent, pratique, pour les enseignants. C'est donc bel et bien
sur un aller et retour entre terrain et théories que la création
d'un savoir commun peut s'effectuer.
153
|