II.1.3 Au-delà du regard... :les
préjugés sur (et de) l'immigré
Ils se situent dans la logique précédente,
celle du regard de l'autre. Si on peut s'entendre sur la définition
faisant d'un préjugé « une opinion
généralement reçue et adoptée sans
examens19
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», on pourrait affirmer que beaucoup
d'immigrés sont victimes de préjugés, cela
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contribue, avec le regard de l'autre décrit
plus haut, à dénaturer20 l'immigré, et à
détruire toute forme de confiance en soi et d'estime de soi qu'il
pourrait développer. Pareillement au regard de l'autre, les
préjugés sont légions dans des récits de
l'immigration. Cette abondance n'est aucunement surprenante dans la mesure
où tout projet d'immigration implique un « transfert culturel
»21. On pourrait être tenté d'affirmer que les
préjugés constituent une sorte de fatalité, car ils sont
théoriquement très peu évitables. Antoine, Jende et Neni
en font les frais dans le corpus étudié. Seulement, les formes
diffèrent. Antoine est victime de préjugés raciaux. Il
paraît évident qu'« un Africain en France ne peut pas passer
inaperçu. La couleur de sa peau le trahit » (Farah, 2015 : 238).
Antoine n'hésitait pas,
Quand les hommes en bleu faisaient mine de
l'approcher, il n'hésitait pas à se faire passer pour un noir de
l'Ouest, ne speakent pas l'hexagonal. On lui fichait la paix sur le champ, les
noirs de l'ouest n'étant pas perçus aussi ténébreux
que ceux du sud, ce depuis les années 20, où ils étaient
venus au Nord, du swing plein les bagages, encore plus depuis la fin de la
seconde guerre mondiale, où ils avaient participé, en tant que
soldats discriminés dans leur pays, à la libération de
l'Hexagone occupé. (CAC : 261)
Cet extrait met au jour un préjugé sur
les immigrés d'Afrique sub-saharienne en particulier et sur les Noirs,
en général. C'est un préjugé racial mais
également historique. Le Noir subsaharien est d'emblée
perçu tel un être dangereux, redoutable. Antoine bien
qu'étant Français, est donc trahi par la couleur de sa peau.
L'étiquette collée aux Noirs, dans l'imagerie sociale
occidentale, étant celle d'un immigré. Dans VVR,
la lecture du préjugé rompt avec le schéma
dressé par CAC. En effet, à l'inverse
de l'autre roman, ce sont les Blancs qui sont victimes de
préjugés de la part des immigrés. Lorsque Jende et son
épouse Neni passent
18 Entendu comme une
intégration sur tous les plans.
19 Cette définition
est celle que donne le dictionnaire Larousse dans sa version
électronique de 2018.
20 Voir la partie
consacrée à la culture dans le chapitre suivant.
21 Expression
empruntée à Flora Amabiamina dans son livre intitulé
Traversées culturelle et traces mémorielles en
Afrique-noire, Yaoundé, PUA, 2017.
32
Une heure, penché sur leur vieux PC, à
chercher la meilleure réponse, à lire les mêmes conseils
sur les dix premiers sites répertoriés par Google avant de
conclure que le mieux serait sans doute [qu'il] insiste sur sa forte
personnalité, sur sa fiabilité et sur le fait qu'il
possédait, pour un directeur très occupé comme M. Edwards,
toutes les qualités requises chez un chauffeur (VVR : 14)
Jende s'est déjà fait une idée
des employeurs blancs. Il croit savoir ce qu'ils aimeraient voir et s'arrange
à s'y conformer. C'est ce qu'on pourrait nommer ici, plus globalement,
un autre préjugé racial. Il s'agit autant dans Voici
venir les rêveurs que dans Ces âmes
chagrines, d'un préjugé même si la perception
diffère cependant. Le préjugé ici, contrairement à
l'usage, est plutôt celui du Noir envers le Blanc. Neni, elle aussi, a
nourri des préjugés vis-à-vis de Cindy Edwards et de ses
copines. Elle qui avait une idée quasi arrêtée des
agissements des femmes blanches est surprise :
Leur gentillesse l'avait étonnée, elle
qui ne s'était attendue qu'à l'indifférence de la part de
ces femmes qui se baladaient avec d'authentiques sacs Gucci et Versace et ne
parlaient que de spas, de vacances et de sorties à l'opéra. Se
fiant aux films qu'elle avait vus, dans lesquels les blancs riches mangeaient,
buvaient et riaient sans le moindre regard pour les bonnes et les serveurs qui
s'affairaient autour d'eux. (VVR :
171-172)
Les préjugés de Neni sont aussi d'ordre
racial, et ont été construits par la télévision.
Nos deux romans, à travers cette lecture croisée, nous font voir
les préjugés raciaux dans ses différents aspects. Ces
préjugés quand ils sont exercés sur le Noir constituent un
frein à l'épanouissement de l'immigré.
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