III.2. Apporter sa pierre à la construction de
l'édifice
S'il est vrai que l'un des enjeux du retour aux
sources est de « redonner sa dignité à cette
catégorie sociale [à savoir l'immigré clandestin] que
l'autre assimile - à son corps dépendant- à une
menaçante meute de voraces » (Tsoualla, Op.cit., 267), toutefois,
cet enjeu n'est pas le seul. Le retour participe également à une
réelle volonté de la part des immigrés de se sentir
impliqués dans le développement de leur pays. Mbue et Miano,
à travers le parcours de certains personnages que nous analysons dans
cette section, plaident pour un retour des immigrés dans leurs terres
natales respectives. Le fait est que ces personnages qui partent sont
généralement très doués dans plusieurs domaines et
leurs séjours en Occident leur permettent quelquefois d'amasser encore
plus d'expérience. Cette expérience, ces auteures les invite
à la mettre au service des leurs. Retourner au pays natal c'est donc
accepter de (re)construire celui-ci, et ce sur plusieurs plans.
III.2.1 la technologie et l'ingénierie
La technologie et de l'ingénierie sont des
secteurs dans lesquels nombreux pays du Sud ne connaissent pas un réel
essor. L'expertise de leurs ressortissants qui ont migré vers le Nord
s'avère capital. Maxime et Moustapha de Ces âmes
chagrines sont deux personnages dont le retour participe entre
autres de cette volonté de mettre leur expertise au service
des
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leurs. Maxime avait un bon poste dans la banque
où il travaillait et avait la possibilité, s'il le souhaitait, de
régulariser sa situation en Hexagone ; mais il n'a pas
hésité à rentrer au Mboasu quand l'occasion s'est
présentée. C'est dire qu'en dépit de cette volonté
de « redevenir lui-même » (CAC : 61), Maxime est
convaincu que sa présence a plus de valeur chez lui qu'en Hexagone. Au
Mboasu, il aura par exemple la possibilité, dans l'exercice de ses
fonctions, de former beaucoup de jeunes sub-sahariens qui pourront à
leur tour prendre la relève, et tous ensemble contribuer au
développement de cette terre. Il pourrait leur apprendre « ce qui
n'était pas enseigné dans les salles de cours [au Mboasu] »
(Op.cit., 50).
Dans le même sillage, Moustapha est
arrivé en Hexagone pour y mener des études en économie. Il
est vrai qu'au départ, les choses ne se sont pas bien passées et
il a fini par plonger dans la clandestinité, lui « qui n'avait pas
choisi de vivre dans l'illégalité. » (CAC : 104).
Il parviendra tout de même à aller au bout de ses études.
Tout comme Maxime, Moustapha avait la possibilité de régulariser
sa situation et de vivre aussi longtemps qu'il le voudrait en Hexagone.
D'ailleurs, il était sur le point d'épouser Valentine, une
Française ; ce qui faciliterait les choses. Il a tout de même
préféré repartir chez lui. On note donc chez ces
personnages un souci de participer au développement de leur terre
natale, souci qui n'est pas exprimé de manière explicite chez
Mbue. Cela s'explique par le fait que les personnages mis en scène dans
son roman ne sont pas arrivées avec les mêmes objectifs que ceux
de Miano. Toutefois, cet appel des peuples à la reconstruction du
bercail, Mbue le manifeste dans son roman et cela par le biais de
l'intertextualité. Le passage biblique « Deutéronome 8 :7-9
» qu'elle reprend en tout début de son roman en dit long sur ses
intentions (VVR :9) :
Car l'Éternel ton Dieu, va te faire entrer dans
un bon pays, pays des cours d'eaux, des sources et des lacs, qui jaillissent
dans les vallées et les montagnes ; pays de froment, d'orges, de vignes,
de figuiers et de grenadiers, pays d'oliviers et de miel ; pays où tu
mangeras du pain avec abondance où tu ne manqueras de rien ; pays dont
les pierres sont du fer et des montagnes duquel tu tailleras
l'airain.
À la lecture de ce passage, on a envie de se
poser une question: de quel pays s'agit-il ? La réponse est simple ; il
s'agit du pays de tout un chacun. À chacun de créer les
conditions idoines dans son lieu de naissance pour ne pas le transformer en
enfer. Il faut s'investir dans la construction du bercail, à son
développement. Notre bonheur en dépend.
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