III.1.2 La terre inégalable
114
Dès son arrivée en Amérique,
Jende sait et le dit à qui veut l'entendre qu'il n'y a pas une ville
où il fait bon vivre telle que son Limbé natal. Pour lui,
Limbé est un véritable paradis terrestre, une ville comme on en
trouve pas ailleurs dans le monde. Il recommande d'ailleurs à son patron
d'y faire un tour :
Vous pouvez être n'importe qui, venir à
Limbé pour une nuit ou pour dix ans, être gros ou petit, vous
êtes heureux d'être arrivé là. Vous sentez le souffle
de l'océan qui parcourt des kilomètres pour venir vous saluer. Ce
souffle est si doux. Et là, vraiment, vous avez l'impression que cette
ville près de l'océan que l'on appelle Limbé est unique au
monde (VVR : 46-47).
Il décrit cette ville avec passion et joie mais
aussi avec beaucoup de mélancolie. On peut, et ce à juste titre,
se demander ce qui explique son départ de cette ville si elle est aussi
agréable à vivre. La réponse est pourtant simple, nous
l'avons présentée un peu plus haut. En réalité,
cette beauté et joie de vivre qu'il fait à Limbé n'a rien
à voir avec les biens matériels, la richesse et la fortune. C'est
un plaisir naturel que cette ville procure selon Jende. Or lui, il avait besoin
de fuir la pauvreté matérielle ; d'où son choix de partir
pour l'Amérique. Jende est donc conscient que son Limbé n'est pas
tant un enfer. Limbé connote la joie intérieure, la paix de
l'âme, par opposition à l'Amérique qui n'est pensée
qu'en termes de gains et de profits. C'est la raison pour laquelle il fait
moins d'histoire lorsqu'arrive l'idée du retour, car il sait qu'il
retourne non pas dans un enfer, mais dans un endroit où la joie de vivre
est sans égale. On observe donc un écart dans la perception du
pays natal entre Thamar et Jende. Il est vrai que tous deux reconnaissent
l'importance du bercail, sauf que Jende l'a toujours su, à l'inverse de
Thamar qui ne l'a réalisé qu'une fois sortie de son enfer
hexagonal qu'elle tenait pour un paradis. Le seul vrai qui puisse exister est
chez soi, réalise-t-elle enfin.
III.1.3 Le bercail : terre de bonheur
Ils sont nombreux ces personnages immigrés qui
passent à côté de leur bonheur, n'ayant pas su où
celui-ci se trouvait. Convaincu que ce bonheur se trouve ailleurs, ils
n'hésitent pas à prendre la route de l'Occident. Ce qui est
intéressant est que certains finissent par se rendre compte qu'en
réalité, ce bonheur, ils l'ont laissé derrière eux
en s'en allant. Mbue utilise le personnage Jende pour mettre en garde contre la
quête du bonheur. Elle veut faire comprendre à ces immigrés
que l'endroit où se trouve le bonheur ne peut être que chez soi.
L'exemple de Jende est particulier dans la mesure où la
déconstruction du mythe de l'ailleurs, terre de bonheur, se fait de
façon rythmée.
Au départ, il est convaincu que c'est en
Amérique qu'il gagnera sa vie. À ce moment, il n'a d'yeux que
pour les USA. Par la suite, convaincu peu à peu que sa vision
était erronée, il
115
commence à nourrir des regrets et à
envisager son retour vers la terre de ses pères qu'il considère
finalement comme le lieu du bonheur. Dans ses derniers jours en
Amérique, il dit à son patron : « [...] Oui, je ne voulais
pas rentrer. Mais quand j'ai compris que je devais partir, je me suis senti
heureux en pensant à chez moi, monsieur » (VVR
: 411).
S'il est heureux en pensant à chez lui, c'est
parce qu'il est convaincu qu'il va vers le lieu qu'il n'aurait jamais dû
quitter car, si celui-ci connotait encore le malheur et la souffrance à
ses yeux, il ne serait pas heureux d'y retourner, il se serait comporté
comme ces personnages qui faisaient tout pour éviter de rentrer chez
eux. Antoine, lui aussi, sait que son bonheur se trouve dans son lieu de
naissance. À l'inverse de Jende qui a quelque peu hésité,
Antoine n'a jamais hésité. Il a toujours su que l'Hexagone est sa
terre promise; raison pour laquelle il n'a jamais aimé le Mboasu, ne
s'est jamais investi à le connaitre en profondeur. Ce qui explique le
fait qu'Antoine ne se sente jamais triste ou inquiet lorsqu'il s'agit de
quitter le Mboasu pour l'Hexagone, bien qu'il ait de la famille au Mboasu.
Ainsi, on remarque que Miano et Mbue militent pour un retour des personnages
dans leurs pays natals respectifs. Ce retour leur permet de s'accomplir dans la
mesure où ils retrouvent le seul vrai paradis, mais aussi parce qu'il
permet à chacun de s'investir dans la construction de son
pays.
|